Tous les efforts que les femmes ont fournis pendant la Première Guerre mondiale ne leur valent pas de disposer de davantage de droits politiques après l'armistice. Le droit de vote a pourtant déjà été accordé aux femmes dans certains pays : la Nouvelle-Zélande, qui accorde le droit de vote aux femmes dès 1893, fait figure de pionnière ; l'État australien d'Australie méridionale suit son exemple en 1894, la Finlande est le premier pays européen à faire de même en 1906, imitée par la Norvège en 1913, par l'Islande et le Danemark en 1915. La Grande-Bretagne accorde le droit de vote aux femmes en 1918 [ 24 ] Le 6 février 1918, le droit de vote au Royaume-Uni est réformé par le Representation of the People Act 1918. Ce droit est accordé à tous les hommes âgés de plus de 21 ans, ainsi qu'aux femmes de plus de 30 ans qui possèdent elles-mêmes ou dont le mari possède des biens d'une valeur d'au moins 5 livres. Ce n'est qu'en 1928 que les femmes et les hommes du Royaume-Uni seront traités sur un pied d'égalité quant au droit de vote, grâce au Representation of the People (Equal Franchise) Act 1928. et les Pays-Bas en 1919. [ 25 ] KEYMOLEN, D. et COENEN, M.-T., Pas à pas. L'histoire de l'émancipation de la femme en Belgique, 1991, Cabinet du secrétaire d'État à l'Émancipation sociale, p.43.
Au sortir de la Première Guerre mondiale, tous les partis sont favorables à l'instauration du suffrage universel pur et simple pour les hommes, quitte à ignorer un temps la Constitution. Les choses sont un peu plus compliquées en ce qui concerne le droit de vote des femmes. De nombreux responsables politiques catholiques sont favorables au droit de vote des femmes, persuadés que ces dernières voteront surtout pour le parti catholique. Les partis libéral et socialiste y sont opposés, pour les mêmes raisons. [ 26 ] HOOGHE, M., "Kiesrecht en democratisering in België, 1831-1998. De nieuwe tekst van artikel 8 G.W. in historisch perspectief", T.B.P., 1999/9, p.592-593. Le socialiste Émile Vandervelde, ardent défenseur du suffrage universel pur et simple, émet en 1920 des objections contre le droit de vote des femmes en raison de « leur indifférence, leur manque de développement et leur conservatisme pétri de cléricalisme ». [ 27 ] LUYKX, Th et PLATEL, M., Politieke geschiedenis van België, 1985, Anvers, Kluwer, Tome 2, p.448. Des considérations politiques et partisanes pèsent de tout leur poids dans ce débat.
Pamphlet libéral contre l'octroi du droit de vote aux femmes - Archives de la Ville de Bruxelles, Fonds Fauconnier, 3, 1919
Dans ce pamphlet libéral de 1919 contre le droit de vote des femmes, l'attitude du parti catholique est vertement critiquée à l'aide de citations de l'ouvrage Le féminisme condamné, écrit par le R.P. Godts, rédemptoriste. Selon ce pamphlet, l'auteur du livre écrit : « Évidemment, vouloir établir entre l'homme et la femme l'identité des droits et des fonctions, c'est aller contre les lois naturelles, C'EST UNE ERREUR ET UN DANGER ». Dans Le féminisme condamné, on peut encore lire ce qui suit : « ...l'admission des femmes dans le corps électoral, c'est virtuellement la démission du sexe masculin dans le gouvernement, c'est L'ÉTABLISSEMENT DE LA DOMINATION FÉMININE. Excessives en tout, elles voudront absolument avoir des représentants et des conseillers de leur sexe ». La seule raison pour laquelle le parti catholique est désormais favorable à l'octroi du droit de vote aux femmes est donc, selon ce pamphlet libéral, sa volonté d'accéder au pouvoir dans les hôtels de ville des grandes communes.
Un compromis est trouvé. Si, en 1919, les parlementaires jugent encore qu'accorder le suffrage universel aux femmes serait aller un pas trop loin, ils estiment néanmoins que certaines catégories bien précises de femmes peuvent bénéficier du droit de vote. Il s'agit des catégories suivantes :
Signalons que seules les femmes de la dernière catégorie obtiennent le droit de vote en leur nom propre. Les femmes des deux autres catégories ne font que porter par procuration la voix qui revenait à leur époux ou à leur fils défunts. Une veuve qui se remarie perd le droit de vote.
Les femmes autorisées à voter sur la base de ces critères sont au nombre d'environ 12.000 (sur 1.760.000 électeurs). [ 28 ] HOOGHE, M., "Kiesrecht en democratisering in België, 1831-1998. De nieuwe tekst van artikel 8 G.W. in historisch perspectief", T.B.P., 1999/9, p.592. [ 29 ] www.rtbf.be, consulté le 29 août 2019, lien voir note.
Liste des électeurs du premier canton pour les élections législatives de 1919 - Archives de la Ville de Louvain
Sur ce fragment de liste se trouvent les noms des huit femmes autorisées à prendre part au scrutin dans le premier canton, ainsi que le motif de ce privilège. Sept de ces femmes ont le droit de voter parce que leur époux est mort au champ d'honneur et la huitième parce qu'elle a été détenue en raison de ses activités patriotiques.
Le parlement s'accorde également sur le fait qu'une future instauration du droit de vote en faveur des femmes ne nécessitera pas de révision de la Constitution. Il suffira d'adopter une loi à la majorité des 2/3. D'une part, il n'est donc pas nécessaire de suivre la longue procédure de révision de la Constitution et, d'autre part, la majorité des 2/3 garantit que le droit de vote des femmes ne puisse être instauré par une majorité (catholique) "accidentelle". [ 30 ] HOOGHE, M., "Kiesrecht en democratisering in België, 1831-1998. De nieuwe tekst van artikel 8 G.W. in historisch perspectief", T.B.P., 1999/9, p.593.
Enfin, la loi du 15 avril 1920 accorde aux femmes le droit de vote pour les élections communales. Mais ce droit n'est pas octroyé à toutes les femmes : selon l'article 3 de la loi du 15 avril 1920, les femmes ou les filles qui se livrent notoirement à la débauche ou qui sont inscrites au registre de la prostitution ne peuvent pas voter. [ 31 ] HOOGHE, M., "Kiesrecht en democratisering in België, 1831-1998. De nieuwe tekst van artikel 8 G.W. in historisch perspectief", T.B.P., 1999/9, p.594.