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SÉANCE DU MERCREDI 19 NOVEMBRE 1997 |
VERGADERING VAN WOENSDAG 19 NOVEMBER 1997 |
Mme la présidente . L'ordre du jour appelle les demandes d'explications de M. Mahoux et de Mme Lizin au ministre des Affaires étrangères.
La parole est à M. Mahoux.
M. Mahoux (PS). Madame la présidente, pas moins de sept attentats à la bombe et deux massacres, tuant au total 25 personnes et faisant une trentaine de blessés, ont encore été perpétrés en Algérie à la fin de la semaine dernière. Par ailleurs, la lecture de la presse nous apprend que ces massacres se poursuivent.
Depuis 1991, la guerre civile en Algérie a fait 80 000 victimes innocentes, tombées dans des conditions atroces. Les cibles, principalement des intellectuels, des hommes, des femmes et des enfants, sont choisies de manière aveugle, le but des assassins étant d'instaurer la terreur. L'Algérie s'enfonce dans l'extrême violence, dans la barbarie la plus sanguinaire.
Monsieur le ministre, ces atrocités n'ont pas suscité, à ce jour, de réactions significatives des gouvernements européens et des instances politiques internationales. Par contre, nous observons un début de mobilisation des citoyens, ainsi qu'en attestent les manifestations récemment organisées à Paris et à Bruxelles, nonobstant le sentiment d'impuissance qui prévaut face à cette situation dramatique.
C'est précisément ce sentiment d'impuissance qu'il convient de combattre. La violence et l'horreur attribuées au G.I.A. et à l'intégrisme islamique sont intolérables, de même que l'impunité dont semblent bénéficier les auteurs des massacres.
À cet égard, monsieur le ministre mais peut-être devrais-je m'adresser à votre collègue de l'Intérieur concernant cette question ? , je voudrais connaître l'état de la coordination en Europe par rapport à la lutte antiterroriste et, de manière plus spécifique, par rapport au terrorisme islamique algérien.
Par ailleurs, de nombreuses voix s'élèvent contre les manquements du gouvernement algérien en ce qui concerne les droits de l'homme, notamment du point de vue de la liberté de presse. Outre l'indignation, la mobilisation est du devoir de tous les démocrates : les démocraties seront tenues pour responsables des situations qui auraient pu se développer du fait de leur indifférence.
La Belgique, le gouvernement de celle-ci et son parlement ne peuvent être les témoins passifs de cette horreur. Je le répète, au-delà des réactions d'indignation que je partage, notre gouvernement doit prendre des initiatives afin de favoriser une mobilisation politique et diplomatique contre cette situation de violence intolérable. Pour ma part, je soutiens la création d'une commission d'enquête indépendante et internationale, si nécessaire, la poursuite sur notre territoire des auteurs directs ou des complices des attentats et l'exigence, vis-à-vis du gouvernement algérien, de respect des droits de l'homme.
Par ailleurs, le respect du droit des démocrates algériens à bénéficier de l'asile politique est un devoir absolu pour notre pays.
Monsieur le ministre, quelles sont les informations dont vous disposez en ce qui concerne la situation algérienne ? Quelles initiatives comptez-vous prendre ou avez-vous prises au niveau bilatéral ou à l'échelle de l'Union européenne et des Nations unies ?
Mme la présidente. La parole est à M. De Decker.
M. De Decker (PRL-FDF). Madame la présidente, au nom du groupe PRL-FDF, je me joins à la demande d'explications de M. Mahoux concernant les drames qui se déroulent actuellement en Algérie. Le PRL-FDF s'est penché sur la situation, notamment au cours du week-end dernier, et il n'a pu que constater la difficulté de définir des remèdes en la matière.
Nous rejoignons le groupe socialiste dans sa volonté, d'abord, de dénoncer les violations des droits de l'homme qui se produisent dans ce pays et, ensuite, de demander au gouvernement algérien de faire toute la clarté sur la question. Le fait que l'identité des victimes n'ait pas été communiquée, par exemple, est tout à fait inacceptable.
La situation en Algérie entraîne la difficile question du droit d'ingérence.
Pour notre part, monsieur le ministre, nous vous demandons de coordonner, avec vos collègues européens, une action concertée et forte mais qui implique le maintien du dialogue avec le gouvernement algérien. Et si, pour cette raison, nous sommes relativement prudents à l'égard de la mise sur pied d'une commission d'enquête internationale, il nous paraît par contre indispensable de demander au gouvernement algérien d'adopter une attitude de transparence sur sa politique, sur ses décisions et sur l'identité des victimes.
Nous devrions peut-être également lier l'aide de la Belgique et celle de l'Union européenne à l'Algérie aux efforts que le gouvernement de ce pays parviendra à réaliser dans le délicat dossier de sa situation interne.
À mes yeux, il n'est plus possible de continuer à apporter notre aide au gouvernement algérien si celui-ci ne collabore pas avec l'Europe et la communauté internationale pour établir plus de clarté sur la situation dramatique de son propre pays.
Mme la présidente. Mesdames, messieurs, je signale que Mme Lizin a sollicité le report de sa demande d'explications.
La parole est à M. Derycke, ministre.
M. Derycke, ministre des Affaires étrangères. Madame la présidente, effectivement, la situation qui prévaut en Algérie nous prend tous à la gorge. Les possibilités d'intervention sont extrêmement réduites. Il convient, en effet, de veiller à ne pas compliquer une situation déjà très complexe tant du point de vue sécuritaire que politique. Dans le cas de ce pays, il n'existe pas de solution claire et nette pour mettre fin à cette violence.
En ce qui concerne les problèmes d'ordre intérieur, j'invite M. Mahoux à s'adresser au ministre de l'Intérieur. Pour ma part, je m'en tiendrai à l'aspect politique.
Ces derniers mois, le maquis islamique surtout la fraction dominante, le G.I.A. s'est de plus en plus marginalisé.
D'une part, le G.I.A. constate que la vaste majorité des partis politiques a participé aux élections législatives et municipales. À cet égard, de nombreuses remarques peuvent être faites mais je relève néanmoins que les élections législatives ont généralement été acceptées. La majorité des partis politiques s'est donc inscrite dans le processus de sortie de crise élaboré par le président.
D'autre part, le G.I.A. constate que le maquis islamique est confronté à une crise en son sein et qu'il n'existe plus d'unanimité sur la marche à suivre. Le F.I.S. et son bras armé l'A.I.S. ont entamé des pourparlers secrets avec le pouvoir. L'A.I.S. a instauré un cessez-le-feu unilatéral fin juillet. Début octobre, deux autres groupes, le F.I.D.A. et la Ligue islamique pour la prédication et le Djihad ont fait de même. Finalement, le G.I.A. s'est rendu compte que, sur le terrain, la population pro-islamiste, principalement des quartiers populaires d'Alger et de certains villages de la Mitidja, commençait à le lâcher.
Pour sa part, le G.I.A. réagit en exacerbant ce qu'il nomme la « stratégie de tension ». Désormais, la terreur du G.I.A. frappe tout le monde, y compris les populations pro-islamistes, même celles qui avaient soutenu ce groupe dans le passé.
Il ne fait aucun doute que ces massacres sont l'oeuvre du G.I.A. et d'autres groupes terroristes de la « nébuleuse islamique ». Les ministres des Affaires étrangères des Quinze partagent ce point de vue, comme j'ai pu le constater récemment lors de notre réunion informelle à Mondorf, mais ce n'est pas seulement l'avis des Européens, c'est aussi celui des principaux représentants des forces démocratiques algériennes.
À ce sujet, je voudrais citer textuellement les propos tenus par Mme Khalida Messaoudi, parlementaire algérienne élue pour le parti RCD de Saïd Saadi. Mme Messaoudi, dont l'engagement pour la démocratie et les droits de l'homme et de la femme en Algérie est bien connu, a déclaré récemment dans une interview accordée à l'hebdomadaire Knack : « C'est le G.I.A. qui tue. Comment est-ce que je le sais ? Parce qu'il publie des communiqués et parce qu'on les voit ! Les survivants des tueries peuvent les décrire. Les G.I.A. ont tout perdu dans ce pays. Ils ont encore une carte à jouer : l'internationalisation du conflit. Et ils jouent cette carte en organisant de plus en plus de bains de sang et en stimulant ainsi l'appel à une intervention étrangère. Les G.I.A. espèrent ainsi obtenir le statut de belligérants qui leur permettrait d'obtenir une place à la table de négociation. »
Les récents massacres ont tous été perpétrés dans des faubourgs populaires et pro-islamistes d'Alger, de Médea et de Blida ou dans les villages de la Mitidja, également à forte sympathie islamiste. L'armée a, dans un premier temps, réagi avec laxisme. Elle s'est rendue compte de son erreur et, fin septembre, elle a repris l'initiative. Les massacres n'ont pas cessé mais le nombre et l'intensité des tueries ont diminué.
Je voudrais dire quelques mots sur la présence des représentants des courants islamistes en Europe et sur les sympathies dont ils bénéficient auprès des populations islamiques des pays de l'Union. Ce débat est délicat. Nous vivons dans un État de droit où les principes de la liberté d'opinion sont sacro-saints. Le débat soulevé concerne l'éternel problème qui se pose entre la nécessité de lutter contre le terrorisme, de protéger nos populations contre toute menace terroriste, d'une part, et le devoir constitutionnel de veiller au respect de la liberté d'opinion et d'expression. Tous les États européens dansent sur cette corde raide.
Quant aux informations publiées dans The Observer , je dirai simplement que le conflit algérien n'a pas seulement les faubourgs d'Alger et de la Mitidja comme champ de bataille, mais aussi les médias. N'oublions pas que, dans ce conflit, tous les moyens sont bons, y compris la désinformation. Quoi qu'il en soit, je ne dispose, à l'heure actuelle, d'aucun élément qui pourrait confirmer les allégations du dénommé Youssouf.
À propos de la politique européenne à l'égard de l'Algérie, la position belge s'inscrit en premier lieu dans le cadre européen.
À Mondorf, lors de la rencontre informelle, mes collègues et moi avons longuement parlé de la crise algérienne.
Nous nous sommes mis d'accord sur une position commune dont les points essentiels sont : condamnation sans réserve du terrorisme et expression de notre solidarité avec le peuple algérien; soutien au processus de réformes politiques et économiques; vives préoccupations face aux atrocités dont est victime le peuple algérien, rappel de l'importance que l'Union attache au respect des droits fondamentaux par les autorités algériennes. Nous demandons qu'ils respectent simplement leur Constitution et les conventions internationales auxquelles l'Algérie a soucrit; l'Union doit encourager l'ouverture et la transparence; il faut stimuler les contacts entre les parlements européens et algérien et entre représentants de la société civile; la solution à la crise doit venir des Algériens eux-mêmes.
À ce sujet, je constate que la réaction des différents partis face à la fraude en faveur du parti présidentiel lors des élections municipales a été claire et nette : démonstration massive des militants et de la population.
En outre, il est important de savoir que l'initiative de ces manifestations est venue des députés au parlement. Cela démontre la volonté de ce nouvel organe élu de jouer pleinement son rôle. Autre point positif : le pouvoir n'a pas réagi aux manifestations par la violence. Au contraire, il cherche le dialogue avec les partis.
Je terminerai par un commentaire sur la proposition de la société civile européenne d'imposer aux autorités algériennes une commission d'enquête internationale indépendante. Au niveau européen, les ministres n'ont pas repris cette proposition. Il y a trop d'opposition. De prime abord, je n'ai personnellement aucune objection à l'envoi d'une commission d'enquête. Le problème majeur est que l'Algérie, dans sa grande majorité, n'en veut pas. Il n'y a pas seulement le pouvoir qui soit contre... mais aussi bon nombre de démocrates algériens eux-mêmes, dont Said Saadi et Mme Messaoudi que je cite : à nouveau Mme Messaoudi : « L'Algérie est indépendante depuis 1962. De 1955 à 1962, nous avons dû lutter pour la liberté. J'ai 39 ans. Je suis née quatre ans après l'indépendance et je peux vous assurer qu'aucun Algérien, qui ne soit pas un assassin, n'acceptera une intervention étrangère... Si cette intervention devenait réalité, 99 Algériens sur 100 se rassembleraient autour de leur gouvernement, contre l'interventionnisme étranger. C'est le résultat de l'histoire. »
Nous ne pouvons pas faire abstraction de cette analyse, qui vient d'une femme politique et d'une représentante des forces démocratiques algériennes, qui vit le drame algérien de jour en jour et qui ne peut être soupçonnée de complicité avec le pouvoir.
J'en viens à un élément final auquel M. De Decker a d'ailleurs fait allusion. Je pense qu'un dialogue est possible et utile entre l'Union et l'Algérie. Soumettre l'aide au développement à l'Algérie à certaines conditions est un autre aspect de la question. Il convient d'écouter en priorité les parlementaires européens. Pour ma part, j'ai des doutes. Cette aide est une aide de base, comme ce fut toujours le cas pour notre coopération au développement. M. Moreels a décidé de ne pas poursuivre la coopération avec l'Algérie. La seule action positive que nous puissions avoir est, me semble-t-il, de favoriser un dialogue préventif entre parlementaires, quitte à déterminer plus tard d'autres instruments. J'hésite fortement quant à l'utilisation d'autres moyens actuellement, car ils pourraient bloquer davantage encore la situation.
Madame la présidente, telle est ma réponse au sujet de cette situation difficile et lourde de conséquences. Je tiens encore à préciser que les Quinze ont pris la même position aux Nations unies.
Mme la présidente. La parole est à M. Mahoux.
M. Mahoux (SP). Madame la présidente, je remercie le ministre de sa réponse. J'en déduis que la position du gouvernement belge s'inscrit exclusivement dans celle des Quinze et qu'il n'y a pas de démarches de type bilatéral de la part de notre pays.
M. Derycke, ministre des Affaires étrangères. Certains pourparlers ont lieu au niveau des ambassades, mais on nous a déconseillé de prendre des initiatives individuelles. Nous misons donc plus sur le Parlement européen et sur les relations entre l'Union et l'Algérie.
M. Mahoux (PS). Je souhaite revenir sur le point de la commission d'enquête. Je souhaite que cette commission soit indépendante. Qu'elle soit algérienne, qu'il s'agisse d'une structure mise en place par le gouvernement algérien dans le cadre de sa Constitution ou internationale, cela a peu d'importance à mes yeux. Ce qui compte, c'est que cette commission soit indépendante et fasse toute la vérité sur l'ensemble des massacres et sur la violence qui règne en Algérie.
Je voudrais revenir également sur le problème des échéances et savoir quand l'Algérie sera mise à l'agenda des Quinze.
M. Derycke, ministre des Affaires étrangères. Je partage votre point de vue à propos de la commission d'enquête, mais je tiens à attirer votre attention sur le fait qu'elle doit être acceptée par l'Algérie. La seule autorité au monde qui puisse imposer une commission est l'O.N.U. Or, elle n'est pas encore prête.
Les tergiversations au sujet de la mise en place d'une commission onusienne au Congo reflètent bien les difficultés rencontrées pour installer de telles commissions. La proposition est donc positive mais à condition que les Algériens l'acceptent.
J'ajouterai encore que l'on parle de l'Algérie lors de chaque Conseil. C'est logique dans la mesure où l'Union européenne négocie un accord d'association avec ce pays. En outre, l'Algérie est également impliquée dans tout le processus euro-méditerranéen ou « Processus de Barcelone ».
M. Mahoux (PS). Je précise encore que je demanderai à votre collègue, le ministre de l'Intérieur, d'informer le Parlement sur la politique anti-terroriste menée au niveau européen, et plus spécifiquement sur les aspects liés au terrorisme islamique.
Je lui demanderai également de nous faire part du nombre de demandes introduites par des ressortissants algériens en vue d'obtenir le statut de réfugié politique. Je l'interrogerai aussi sur la situation de ceux qui se trouveraient en fin de droit et qui risqueraient d'être renvoyés dans leur pays dans des conditions où leur sécurité n'est pas assurée.
Mme la présidente. L'incident est clos.
Het incident is gesloten.