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SÉANCES DU JEUDI 6 JUIN 1996 |
VERGADERINGEN VAN DONDERDAG 6 JUNI 1996 |
M. le Président . L'ordre du jour appelle la demande d'explications de M. Mahoux au Vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur sur « l'impôt sur la fortune ».
La parole est à M. Mahoux.
M. Mahoux (PS). Monsieur le Président, la population a de plus en plus le sentiment que la charge des efforts budgétaires n'est pas équitablement répartie. Il s'agit de faire un constat : depuis une dizaine d'années, les revenus du travail sont de plus en plus taxés alors que les revenus du capital le sont de moins en moins. Cette évolution n'est pas propre à notre pays. L'Europe entière est concernée. J'ai noté avec satisfaction que le Gouvernement belge défendait l'introduction de la règle de la majorité qualifiée pour les matières fiscales à l'échelon européen.
Cependant, de nombreux citoyens restent sceptiques et se demandent si nous exploitons suffisamment les possibilités législatives et politiques qui sont les nôtres. Faut-il rappeler que les revenus du travail atteignent rapidement un taux d'imposition de 45 p.c. alors que les revenus mobiliers sont le plus souvent imposés au taux de 15 p.c. ? De surcroît, s'agissant de l'impôt sur la fortune, du secret bancaire ou des moyens accordés à l'administration fiscale, la loi est plus favorable aux détenteurs de capitaux en Belgique que dans les pays voisins. Les contraintes européennes ne peuvent pas justifier toute absence de modifications.
Monsieur le Vice-Premier ministre, l'hebdomadaire Le Vif/L'Express du 26 avril 1996 relate les propos que vous avez tenus lors d'un débat public à Louvain-la-Neuve. Vous y avez notamment parlé de l'impôt sur la fortune, et je souhaiterais vous demander des précisions sur quelques-unes de vos déclarations. Je le fais d'autant plus volontiers que vous souhaitez que les partis et leurs représentants organisent le débat politique. En voici donc l'occasion.
Lorsque vous vous dites opposé à un impôt unique sur la fortune, comme l'impôt exceptionnel proposé par le professeur Max Frank, faut-il comprendre que vous pourriez envisager une autre forme d'impôt sur la fortune, proche de ce qui existe déjà dans les pays voisins ? Ou faut-il comprendre que vous rejetez toute forme d'impôt sur la fortune ? Si cette dernière hypothèse prévaut, j'aimerais savoir quelles en sont les raisons. Certains de vos arguments sont déjà connus, mais je souhaiterais des clarifications.
Vous dites qu'en Belgique, les droits prélevés lors de la transmission des biens constituent déjà une forme d'impôt sur le patrimoine. Mais il est des pays européens où l'impôt sur la fortune coexiste avec ce type de prélèvement. De plus, si, comme vous le prétendez, les taux de nos droits de succession sont plus élevés que dans ces pays, il n'en demeure pas moins qu'il faut comparer le rendement en termes de recettes de taux plus faibles lorsqu'ils sont appliqués à des patrimoines certains, c'est-à-dire des patrimoines dans lesquels les titres sont nominatifs. Il ne sert à rien de comparer les différents systèmes dont vous faites état car, même si les taux sont plus faibles dans d'autres pays, le rendement des droits peut être plus élevé puisque la base imposable est identifiée avec précision.
Vous dites souvent que le rendement d'un impôt annuel sur la fortune serait faible. Mais il atteindrait quand même un montant compris entre 10 et 70 milliards selon les différentes formules évoquées. Conformément à l'équité, ces recettes proviendraient des gens les plus aisés de la société. Elles ne porteraient pas atteinte à la consommation, puisque la propension marginale à consommer est nulle chez les plus fortunés. Alors que le Gouvernement cherche à équilibrer son budget en prenant des mesures difficiles, ne pourrait-on pas considérer que ces recettes seraient néanmoins les bienvenues ?
Vous répétez également qu'un impôt sur le patrimoine serait dangereux parce qu'il pourrait conduire à une fuite de capitaux. Dès lors, comment expliquez-vous qu'un tel impôt existe dans la plupart des pays voisins ?
Par ailleurs, l'argument de la fuite des capitaux a été invoqué de longue date, y compris quand il s'est agi de relever le précompte mobilier, ce qui s'est opéré en deux étapes : un premier relèvement à 13,3 p.c. voici trois ans; un deuxième relèvement à 15 p.c.
Vous avez signalé récemment une réduction du rendement de l'ordre de 12,5 p.c. sur le précompte mobilier. Je tiens à rappeler que si une diminution importante du taux d'intérêt détermine bien entendu une réduction des recettes fiscales, elle peut induire aussi une modification du comportement des épargnants dans leur choix de placement. Cette diminution de rendement n'est pas forcément liée au relèvement du précompte mais peut, sans doute, s'expliquer directement par la réduction des taux d'intérêt avec les deux conséquences que je viens d'exposer.
M. Maystadt, Vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur. Monsieur Mahoux, j'ai moi-même apporté ces précisions. J'ai d'emblée indiqué que la diminution des recettes du précompte mobilier est due pour une partie à la diminution des taux d'intérêt, mais les calculs effectués par mon administration démontrent incontestablement que la diminution des taux d'intérêt et la modification du comportement des épargnants ne peuvent pas à elles seules expliquer une diminution aussi importante des recettes du précompte mobilier. Il est donc clair que le relèvement de ce dernier comme on pouvait le craindre a incité à nouveau une partie des épargnants belges à préférer les placements qui échappent au précompte mobilier. C'est une réalité que je déplore, mais qu'il faut bien constater.
M. Mahoux (PS). Monsieur le Vice-Premier ministre, je sais que la réponse n'est pas univoque et que le problème se pose en termes de fiscalité au niveau européen. Je tiens à souligner que l'impôt sur la fortune et le relèvement du précompte mobilier font toujours figure d'épouvantail. Chaque fois que l'on aborde ces questions, on nous prédit des catastrophes qui ne se sont pourtant pas produites. Mais vous aurez l'occasion tout à l'heure, monsieur le Vice-Premier ministre, d'expliciter les éléments en votre possession et la manière dont vous voyez les choses.
Vous dites qu'un impôt sur la fortune serait inéquitable, car les valeurs mobilières pourraient trop facilement y échapper. Mais ne pourrait-on pas imaginer des titres nominatifs comme c'est le cas en Grande-Bretagne ? En particulier, ne pourrait-on pas émettre les bons du trésor de façon nominative ? Naturellement, cela devrait se faire en maintenant pour eux le taux de 15 p.c., qui est déjà un taux préférentiel, et en relevant le taux pour les titres anonymes. Cela ressortit à votre compétence, monsieur le Vice-Premier ministre...
M. Maystadt, Vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur. Laquelle consiste d'abord à assurer la rentrée des recettes de l'État et à diminuer le coût de la dette.
M. Mahoux (PS). J'en conviens, monsieur le Vice-Premier ministre.
Enfin, ne serait-il pas possible, à l'instar de ce qui se fait dans d'autres pays comme la France ou les États-Unis, de réclamer une plus grande collaboration des institutions financières pour la perception de l'impôt ?
Monsieur le Vice-Premier ministre, si vous restez opposé à un impôt sur la fortune et si, dans le même temps, le but consistant à répartir équitablement l'effort reste de mise, comment comptez-vous corriger l'injustice qui frappe les revenus du travail, comment allez-vous réduire les inégalités, avec en toile de fond l'objectif budgétaire et la politique fiscale ?
M. le Président. La parole est à M. Jonckheer.
M. Jonckheer (Écolo). Monsieur le Président, étant donné l'importance du sujet, je ne voulais pas que le débat s'installe uniquement entre partenaires de la majorité. M. Hatry a sans doute la même intention. J'ai rapidement relu un certain nombre de documents notamment ceux du professeur Frank traitant de l'instauration d'un impôt sur la fortune, ce qui m'amène, monsieur le Vice-Premier ministre, à vous poser quelques questions différentes de celles de M. Mahoux. En effet, l'échange de vues qui vient d'avoir lieu montre bien les difficultés de trouver une formule permanente régulière.
À la base de ma réflexion se situent trois constats, deux d'entre eux pouvant être unanimement admis.
Le premier constat concerne l'emploi. Comme l'a dit très clairement M. Van Rompuy il y a quelques mois, il n'y a pas d'argent public supplémentaire disponible pour une politique de réduction et de redistribution du temps de travail. C'est effectivement ce que nous constatons à la lecture des lois-cadres.
Ma première question est donc la suivante : où pourrait-on trouver davantage d'argent pour mener une politique volontariste en matière de réduction et de redistribution du temps de travail ?
Le deuxième constat concerne le poids de la dette publique. Il est incontestable que le Gouvernement actuel comme le Gouvernement précédent a mené une politique de réduction du solde budgétaire ayant un effet très net sur la réduction des charges d'intérêt. Cela dit, ces charges, en pourcentage des recettes fiscales de l'État, restent largement au-dessus de 25 p.c. et l'effort, en termes de surplus primaire du budget de l'État, nous place en tête du hit-parade européen.
M. Maystadt, Vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur. Avec le Danemark.
M. Jonckheer (Écolo). Oui, avec le Danemark.
Donc, malgré ces efforts incontestables, le poids du stock de la dette et des charges d'intérêt y afférentes reste beaucoup trop lourd par rapport aux finances de l'État, ce qui m'amène à poser ma deuxième question.
Face au chômage et, de façon générale, au sous-emploi et à la nécessité de mener des politiques plus volontaristes de réduction et de redistribution du temps de travail, d'une part, et étant donné, d'autre part, qu'il est inacceptable de continuer à consacrer 25 p.c. des recettes de l'État au paiement des charges d'intérêt, ne conviendrait-il pas d'envisager des mesures exceptionnelles ? Je pense que c'est dans ce cadre que le vieux débat sur l'impôt de la fortune a ressurgi ces dernières années.
Dès lors, au lieu d'un impôt permanent à taux faible, comme l'a suggéré M. Mahoux, ne serait-il pas opportun d'instaurer un impôt « one shot » ? La question a déjà été soulevée au Sénat et, dans sa réponse du 9 février 1995, le ministre a fait part d'une série de remarques à cet égard, son objection principale étant que les agents économiques anticiperaient cette mesure et que nous nous retrouverions, de ce fait, dans une situation opposée à celle que nous souhaitions.
Le professeur Frank réfute ces objections. Son premier argument repose sur la levée du secret bancaire à laquelle M. Mahoux n'a pas fait allusion. Le professeur Frank prône ensuite la prise en compte du patrimoine au cours des années précédant l'entrée en vigueur de la mesure.
M. Maystadt, Vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur. Les arguments du professeur Frank ne constituent pas une véritable réponse en termes techniques. J'ai examiné ses propositions. La levée du secret bancaire et l'examen des comptes courants des citoyens ne nous permettront pas d'identifier les grosses fortunes. Aujourd'hui, ces dernières sont essentiellement mobilières et très diversifiées, sur le plan international notamment. Elles ne sont bien entendu pas déposées sur les comptes bancaires. Il est bien évident que les gens fortunés ne placent pas leur argent sur un livret d'épargne ! Des recherches tendant à la vérification des avoirs bancaires antérieurs des citoyens ne sont donc pas de nature à nous permettre de détecter les grosses fortunes mobilières.
M. Jonckheer (Écolo). Je vous entends bien.
Le deuxième dispositif, complémentaire au premier, est évidemment l'établissement du cadastre sur le patrimoine.
À cet égard, j'aimerais connaître votre opinion sur l'étude publiée dans le Bulletin de documentation du ministère des Finances en janvier 1996. Cette étude indique que les difficultés techniques pour l'établissement d'un tel cadastre ne sont pas aussi insurmontables que d'aucuns le prétendent. Par ailleurs, les obstacles étant probablement plus politiques que techniques, j'aimerais connaître votre position quant à l'établissement de ce cadastre. Est-il envisageable de discuter d'une telle mesure au sein du Conseil Ecofin ? Enfin, le système de déclarations automatiques entre les institutions financières et le fisc, qui existe dans certains pays, ne s'apparente-t-il pas à ce cadastre ?
Vous semblez favorable à l'établissement d'une cotisation sociale généralisée. Si on souhaite qu'elle soit réellement équitable, l'instauration de cette mesure n'implique-t-elle pas l'existence de ce cadastre ? On pourrait imaginer une CSG si l'ensemble des revenus, y compris mobiliers, y contribuaient. Pour avoir la certitude que la contribution soit établie sur une base équitable, je pense qu'il faudrait sans doute disposer d'un cadastre du patrimoine.
Ma dernière question renvoie à mon introduction. Je reconnais tous les efforts que vous avez déployés dans le cadre de l'accomplissement de votre mandat, monsieur le Vice-Premier ministre. En effet, depuis des années, vous avez mené une politique de lutte contre la fraude fiscale, dont les résultats sont incontestables. Elle pourrait certes être encore plus efficace. J'imagine que vous réclamez les moyens nécessaires car les agents de votre administration sont budgétairement très rentables. Malgré tous vos efforts, la situation en termes de finances publiques et d'emploi reste néanmoins dramatique. Estimez-vous que cette situation exceptionnelle implique la prise de mesures exceptionnelles ? Quelles seraient les autres mesures exceptionnelles envisageables, si ce n'est un impôt exceptionnel sur la fortune que l'on pourrait également intituler « impôt de solidarité nationale » ? Les ventes d'actifs réalisées par le Gouvernement répondent à une tout autre logique. Vous invoquez fréquemment une juste perception de l'impôt. Cette démarche comporte des limites évidentes en dépit des résultats incontestables engrangés par l'exercice.
Voilà, monsieur le Vice-Premier ministre, les quelques réflexions que j'entendais vous soumettre. J'écouterai votre réponse avec intérêt.
M. le Président. La parole est à M. Hatry.
M. Hatry (PRL-FDF). Monsieur le Président, sans doute mal inspiré par une lecture matinale, je songeais en écoutant les préopinants : « Jonckheer-Mahoux, même combat. » Le rapprochement est à ce point évident que je serai probablement le seul contradicteur à l'exposé de M. Mahoux. Quoi qu'il en soit, je m'en tiendrai au thème de l'impôt sur la fortune.
Périodiquement, la gauche, ou plutôt ceux qui prétendent abusivement incarner de manière monopolistique les valeurs classiques de générosité, de solidarité, d'humanisme, que l'on prête à la gauche, s'attachent à ressusciter le véritable serpent de mer qu'est l'impôt sur la fortune.
Chacun sait en son for intérieur qu'il est impraticable dans le contexte actuel. Cependant, la pression est de plus en plus forte, à en juger par la tonalité des articles parus dans le Bulletin de documentation du ministère des Finances en septembre-octobre 1994 et en janvier-février 1996. L'étude publiée par le CRISP sous la signature de M. Max Frank en 1995 va également dans cette direction.
L'intervention de M. Mahoux constitue un écho politique à cette demande, relayée, d'une part, par des scientifiques, lesquels publient à l'heure actuelle tout et n'importe quoi, et, d'autre part, par nos concitoyens, frappés de plein fouet par une crise qui les prive d'emploi et qui sont souvent mal informés quant aux perspectives éventuelles d'un impôt sur la fortune.
Certains font grand cas des travaux de M. Frank. Il faut relativer cette attitude. En effet, M. Frank qualifiait autrefois de fraude fiscale pure et simple tous les systèmes forfaitaires approuvés par le Parlement et pourtant rigoureusement conformes à la loi. Ce faisant, il démontrait à quel point son appréciation était éloignée de la notion définie par le législateur et qui s'impose à nous. Dans une étude récente éditée par le CRISP, M. Frank publie un tableau reprenant le montant des impôts annuels sur le patrimoine perçus dans les différents pays de l'OCDE. Aucun montant ne figure en regard de la ligne consacrée à la Belgique. Il n'y aurait donc, d'après lui, pas d'impôts sur le patrimoine en Belgique ! Il s'agit d'une contradiction flagrante avec les informations diffusées par l'OCDE, dont les dernières portent sur 1994. En fait, je pourrais presque parler d'une trahison des clercs.
Par ailleurs, dans la livraison du CRISP de janvier-février 1996, MM. Moreaux et Delporte, écrivant en qualité de praticiens tout en étant également des scientifiques, osent affirmer qu'un impôt d'un p.c. sur le patrimoine, calculé sur la base d'environ 412 000 ménages, des plus aisés, rapporterait annuellement 13,750 milliards bruts. Ils indiquent que, les frais s'élevant à 1,250 milliard, le résultat net sera de 12,5 milliards, ce qui est faux. En effet, seules les charges directes ont été prises en compte, à savoir les frais de personnel recrutement de 250 personnes au ministère des Finances et d'informatique, alors que de nombreuses retombées négatives indirectes réduiront considérablement voire à néant l'impact de cette mesure. Ce premier relais le scientifique n'a donc aucune valeur.
Il en va de même en ce qui concerne le deuxième relais qui, en outre, est critiquable, voire scandaleux. C'est une tromperie que d'affirmer aux citoyens je pense surtout aux malheureux qui perdent leur emploi à la suite de fermetures d'entreprises ou de la disparition de pans entiers de l'activité industrielle et aux indépendants qui subissent une faillite qu'il faut prendre l'argent là où il se trouve, c'est-à-dire chez les fortunés et dans les banques. Dans une prétendue société d'éducation, il est ridicule et mensonger de prétendre qu'un impôt sur la fortune apportera une solution, même partielle, aux inquiétudes des citoyens quant à leur avenir.
Je compare donc l'impôt sur la fortune à un serpent de mer, ramené à la surface par les médias depuis six mois. En fait, ce serpent est maintenu en vie par quatre baudruches, toutes susceptibles d'être très rapidement dégonflées. Je ne doute pas que le ministre le fera mais je voudrais également émettre quelques remarques à ce sujet.
La première baudruche consiste à prétendre qu'il n'existe pas d'impôt sur la fortune en Belgique, ce qui est tout à fait faux, ainsi que je le démontrerai dans quelques instants.
La deuxième baudruche consiste à créer une différence pouvant être qualifiée de manichéenne puisqu'elle crée artificiellement deux catégories en matière de taxation : les revenus du travail et ceux des autres facteurs de production. S'il est exact que certains revenus provenant du capital ou de l'exercice d'une profession indépendante sont moins taxés, une généralisation sur ce point n'a aucun sens. J'évoquerai dans un instant les capitaux à risque et ceux de l'immobilier.
La troisième baudruche consiste en une réponse de nos administrations et du monde politique, formulée habituellement en ces termes : « Il n'y a qu'à. » En affirmant qu'il est aisé, même si cette mesure est douloureuse, de prélever un impôt, soit unique le big bang sur la fortune, soit sous forme de petites incisions annuelles pratiquées, en plus de la fiscalité normale, on dissimule les difficultés pratiques d'un tel système et surtout les retombées négatives que celui-ci aurait sur la confiance, qui fait cruellement défaut dans l'économie belge et que l'on néglige complètement comme facteur indispensable de relance.
M. Verhofstadt, vice-président,
prend la présidence de l'assemblée
Prélever un impôt sur la fortune constitue, au contraire, en une opération technique difficile, aux nombreux effets négatifs indirects, qui annulent les recettes perçues.
Enfin, la quatrième baudruche consiste à comparer, de façon trompeuse, la Belgique à d'autres pays. Nous serions le seul État d'Europe à ne pas avoir instauré l'impôt sur la fortune, ce qui est tout à fait inexact. En outre, les pays dans lesquels cet impôt existe constatent que celui-ci est inéquitable, basé sur des assiettes tout à fait spécieuses, contestables, anciennes, et qu'il ne donne pas le rendement espéré. S'ils en avaient le courage, la plupart de ces gouvernements se débarrasseraient de cet impôt qui ne rapporte rien et crée des soucis majeurs au lieu de constituer un apport positif. L'Allemagne compte d'ailleurs le faire dans le courant de l'année 1997.
Telles sont les quatre baudruches qui soutiennent ce serpent de mer et qui lui permettent de s'agiter encore parfois mais qu'il suffit de percer pour se rendre compte de l'illusion.
Il est tout à fait faux d'affirmer qu'il n'y a pas d'impôt sur le patrimoine en Belgique. Toutes les statistiques publiées par l'OCDE montrent qu'au sens large ou restreint, l'impôt sur le patrimoine existe bien dans notre pays. En effet, ce qui n'était pas, dans certains cas, un impôt sur le patrimoine l'est devenu dans la mesure où, au cours des dernières années, de nouvelles dispositions ont été prises, soit par le Gouvernement fédéral, soit par les Gouvernements régionaux. Tel est, en particulier, le précompte immobilier. Manifestement ce précompte qui, dans toute une série de cas, constituait, à l'origine, une anticipation sur l'impôt global dû, a cessé de l'être depuis longtemps. Ce fait a été confirmé récemment par toute une série de mesures, notamment par la non-imputabilité sur l'impôt définitif du précompte qui a été payé. En d'autres termes, l'impôt versé au titre de précompte immobilier n'est plus imputé à l'impôt global et constitue de ce fait une taxe foncière pure et simple. On peut ne pas être riche du tout et payer un précompte immobilier non remboursable.
Autre argument en matière immobilière : l'indexation des revenus cadastraux et, par conséquent, du précompte immobilier. Seule une révision cadastrale aurait proportionné l'impôt à la valeur du bien immobilier. En réalité on indexe, on ajoute 25 p.c. à certaines catégories de revenus immobiliers et, en conséquence, on se détache de plus en plus du revenu réel des biens immobiliers pour en arriver à un véritable prélèvement sur les actifs.
Par ailleurs, je rappelle que le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale a décidé de ne même plus autoriser le propriétaire dont le bien est involontairement inoccupé à ne pas payer le précompte immobilier sur ce bien. Cette décision témoigne bien que le précompte immobilier est considéré comme un impôt sur le capital, comme un impôt sur la fortune, puisqu'un bien dont il est prouvé qu'il est improductif fait l'objet d'une taxation, à l'exception toutefois d'un bien déclaré officiellement insalubre et devant, à ce titre, faire l'objet d'une rénovation. À noter qu'un même bien ne peut faire l'objet de deux exemptions de ce genre au cours d'une période de neuf ans.
En d'autres mots, il s'agit typiquement d'un impôt sur l'actif. D'ailleurs, les chiffres publiés par l'OCDE sont particulièrement parlants à ce sujet. À l'heure actuelle, parmi les impôts qualifiés d'impôts sur la fortune en Belgique environ 85 milliards de francs en 1994 , on distingue les droits de succession et de donation qui atteignent 24 milliards, le précompte immobilier qui se chiffre à 5 milliards montant qui ne tient pas encore compte des nouvelles règles que je viens de rappeler et les droits d'enregistrement qui se situent à 56 milliards.
Si l'on examine la position de la Belgique en ce qui concerne les prélèvements qualifiés par l'OCDE d'impôts sur le patrimoine au sens large, sans considérer l'impôt sur les plus-values qui n'existe pas en Belgique, de manière à éliminer tout risque d'erreur, on constate que la Belgique prélève 1,2 p.c. du PIB en tant qu'impôt sur le patrimoine, l'Allemagne 1,1; l'Autriche 1,1; la Finlande 1,3; la Grèce 1,5; l'Irlande 1,5; le Portugal 0,8; la Norvège 1,2 et la Suède 1,6. Nous sommes dans une position moyenne. Nous ne pouvons donc affirmer que ce prélèvement n'existe pas dans notre pays alors qu'il existe effectivement. Cet impôt est assorti de variantes adaptées aux techniques de perception fiscale dans chaque pays. Je reviendrai sur ce point dans un instant.
Il existe donc des impôts sur le patrimoine en Belgique et il suffit, pour s'en convaincre, d'analyser les chiffres de l'OCDE.
Deuxième observation : les revenus du capital seraient moins taxés que les revenus du travail.
Je pose d'abord en principe que les revenus du travail sont beaucoup trop taxés en Belgique et, sur ce point, je ne suis nullement en désaccord avec ce qui a été dit par d'autres.
Lorsque l'on ajoute au taux marginal de taxation des revenus professionnels de 55 p.c., qui n'est plus indexé à l'heure actuelle, les impôts nouveaux prélevés par ce Gouvernement ainsi que les additionnels imposés par l'Agglomération et les Régions, on en arrive, hors prélèvements de type social, comme les cotisations de sécurité sociale, à des taux de taxation atteignant 61 à 63 p.c., voire davantage pour les indépendants qui n'effectueraient pas de versements anticipés.
Dans le cas des revenus provenant du capital à risque, les bénéfices des entreprises sont taxés à près de 41 p.c., soit 39 p.c. plus quelques additionnels. Si le résultat est distribué, il donne lieu à une perception de précompte de 25 p.c. sur le dividende. Si l'on compare la taxation globale des revenus issus du capital à risque aux 60 ou 61 p.c. du taux marginal des revenus du travail, on constate que le taux global moyen pour les entreprises est à peu près équivalent au taux marginal des revenus du travail.
Si l'on se basait uniquement sur une comparaison mathématique, c'est dans les revenus des entreprises, les montants investis dans le capital à risque, qu'il faudrait rechercher les éléments à alléger.
Comme je l'ai dit il y a un instant, le précompte immobilier est également devenu de plus en plus lourd. Les calculs sont très difficiles à effectuer et nous avons eu une discussion en commission il y a deux jours avec le ministre, lequel nous a dit que l'on se dirigeait vers une taxation des revenus réels issus de l'immobilier et non plus sur la base du seul revenu cadastral.
Je n'entamerai pas un débat sur ce point, mais je puis vous assurer qu'à ce niveau aussi, l'impôt sur la fortune existe.
Vous avez raison lorsque vous dites que le capital placé sans risque, qui rapporte 15 p.c., comme, principalement, les fonds d'État, en raison notamment de la faible inflation à l'heure actuelle, bénéficie d'un taux hautement privilégié.
Comment voulez-vous concilier les objectifs de bonne gestion de la dette publique qui passe par une réduction des charges d'intérêt et une taxation correcte de ces montants ? Si le Gouvernement veut suivre la direction que vous préconisez, les critères de Maastricht ne seront certainement pas atteints.
J'en viens maintenant à la troisième baudruche, à savoir celle qui consiste à dire que l'on peut aller de l'avant et qu'il est possible de récupérer selon les chiffres de M. Delporte les 12,5 milliards résultant de sa publication dans le Bulletin de documentation du ministère des Finances de janvier-février 1996.
En réalité, la limitation à l'impact direct de 1,250 milliard que coûteraient les 13,750 milliards à engranger se fonde sur une profonde erreur de calcul. En effet, dans ce cas, la confiance disparaîtrait immédiatement dans le chef des investisseurs et l'état de la balance des capitaux relativement favorable, à l'heure actuelle serait affecté. La solidité de la monnaie se verrait également mise en danger ce n'est pourtant pas le moment ainsi que, c'est important, le niveau des taux d'intérêt pour le financement du Trésor.
À cet égard, il n'est pas inutile de rappeler qu'une augmentation d'un demi p.c. du taux d'intérêt entraînerait un coût de 11 milliards de francs par an dans le chef du Trésor, et ce uniquement sur la base de la dette à court terme. D'après les membres du Gouvernement, les assainissements à réaliser ne seraient « que » de 50 à 60 milliards pour l'année prochaine et de 15 à 20 milliards pour cette année. Cependant, une somme de 11 milliards ne se trouve pas sous les pas d'un cheval ! Le fait d'instaurer un impôt sur la fortune aggraverait considérablement la situation de financement du Trésor, au lieu de l'alléger, surtout à l'heure actuelle. Par conséquent, les 12,5 milliards que pourrait rapporter le prélèvement préconisé dans l'étude précitée seraient immédiatement perdus, et au delà, même dans le cas où le taux d'intérêt en matière d'emprunt public n'augmenterait que de 0,5 p.c. Et je vous fiche mon billet même si ce langage n'est pas très « parlementaire » que l'augmentation sera supérieure à 0,5 p.c. : elle sera de 1 à 1,5 p.c. La confiance, qui est déjà une plante difficile à cultiver, disparaîtra ou plutôt, elle ne reviendra pas, car d'après les sondages, elle n'est déjà pas très élevée à l'égard de l'équipe au pouvoir.
C'est donc une grossière erreur d'appréciation de croire que cette mesure rapportera quoi que ce soit. Au contraire, elle engendrera des coûts. Par ailleurs, ne jouons pas avec la réalité. Vous savez tous ce qu'est le belgian dentist . C'est le modèle même de l'investisseur prudent, peureux, qui, à la moindre alerte, transfère son placement sur un autre objet. Le belgian dentist a choisi : il veut des titres au porteur. Votre proposition au ministre selon laquelle dorénavant, le Trésor ne devrait plus placer que des bons nominatifs m'a vraiment fait sourire. Je me demande quel genre de belgian dentist y souscrirait ! Vous verrez peut-être affluer des souscriptions de leur part par l'intermédiaire de trustees établis à Londres, à Luxembourg, à Amsterdam ou en Suisse. Mais aucun ne choisira des placements directs en bons du Trésor, si telle est la voie que vous choississez, monsieur le Vice-Premier ministre. Vous n'en tireriez aucune recette supplémentaire en tout cas.
En outre, et le Vice-Premier ministre l'a évoqué tout à l'heure, chaque année, notre pays accumule un solde positif de la balance des paiements à l'étranger. C'est un point positif de la Belgique par rapport à d'autres pays.
Ce solde n'est pas nécessairement rapatrié. Il est placé en actifs situés à l'étranger. Posez-vous la question suivante : l'impôt sur la fortune est-il susceptible d'accélérer le rapatriement de ces fonds ou de détériorer les sorties des capitaux ? Nous disposons d'une certaine marge en la matière mais celle-ci n'est pas illimitée. En tout cas, à l'heure actuelle, notre pays est encore heureusement parmi les rares à avoir accumulé des actifs nets à l'étranger. En outre, directement ou indirectement, ceux-ci reviennent en francs belges parce que les citoyens belges souscrivent aux emprunts de l'État. La Suisse constitue un autre exemple, extrême, en la matière. En effet, ses créances sur l'étranger représentent 200 p.c. du PIB. Pour la Belgique et les Pays-Bas, ce type de créances s'élève à 20 p.c. du PIB, fonds qui ne pourront qu'être mis sur le billot du bourreau que constituera l'impôt sur la fortune.
La mobilité du capital n'est plus à démontrer.
Par ailleurs, le secret bancaire ne pourra être levé seulement pour les 44 000 familles initialement prévues dans l'étude Delporte ou encore par les 412 000 familles, dans la deuxième sélection, ce qui représente déjà environ 1,5 million d'individus.
Vous allez donc devoir lever le secret bancaire pour tout le monde et vous susciterez ainsi un mécontentement certain, particulièrement chez ceux qui n'ont rien à craindre, qui feront l'objet d'enquêtes et se retourneront politiquement contre les auteurs de cette demande.
Même si vous laissez de côté la voie du « big bang », laquelle exigera déjà un cadastre des fortunes, et si vous choisissez celle d'une taxation annuelle systématique, une toute nouvelle administration devra être mise sur pied pour suivre chaque citoyen du berceau à la tombe et voir l'évolution de sa fortune. À vous de voir comment ces dispositions seront reçues et pratiquées !
Malgré quelques réticences, le Vice-Premier ministre a accepté en 1992 le principe général de la liberté de circulation des capitaux, dans le cadre de la deuxième phase de l'Union économique et monétaire. L'harmonisation fiscale au niveau européen n'est pas réalisée, même si le Vice-Premier ministre nous la fait espérer, tout comme son collègue luxembourgeois d'ailleurs. Ce dernier est cependant plus prudent car, dans ses propos, il situe cette harmonisation au niveau de l'OCDE. À mes yeux, tant que cette harmonisation ne sera pas réalisée soit dans le sens déclaratif soit dans celui de la généralisation du précompte, il ne faut pas parler de la proposition de l'impôt sur la fortune. Enfin, la forte concurrence entre places financières n'est pas négligeable. Que deviendront les projets du Vice-Premier ministre pour développer la place financière de Bruxelles ?
J'en viens à la quatrième baudruche thème que je crois n'avoir qu'abordé tout à l'heure selon laquelle tout est bien dans les autres pays et mauvais dans le nôtre. À ce sujet, au Luxembourg, parfois cité comme exemple, un prélèvement est appliqué qui porte sur l'immobilier, comme en Belgique. C'est le seul domaine où un cadastre existe. Les immeubles déjà existants sont largement sous-évalués et aucune révision cadastrale n'a eu lieu depuis 1941 dans ce pays. Depuis lors, on procède à des estimations, à des jugements, à des indexations en l'absence d'assiette sérieuse.
M. Maystadt, Vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur. Je signale qu'au Luxembourg, un prélèvement sur l'actif des sociétés est appliqué.
M. Hatry (PRL-FDF). Effectivement, monsieur le Vice-Premier ministre, mais je reviendrai sur ce point dans un instant.
Le système en vigueur au Luxembourg provoque donc le mécontentement des citoyens. En Allemagne, ni le gouvernement ni les citoyens ne sont satisfaits. En France, la situation varie selon que tel ou tel parti est au pouvoir ou en fonction des besoins.
Mais vous verrez, monsieur le Vice-Premier ministre, qu'un jour, en veine de générosité, le gouvernement français supprimera aussi ce système. Il en va de même dans la majorité des autres pays, car cet impôt est partout difficile à collecter, injuste et contesté.
Un impôt sur la plus-value représente une autre forme de technique fiscale en vigueur dans certains pays mais qui est certainement aussi très éloignée de sa concrétisation.
Quelles seraient les conséquences si vous écoutiez les sirènes assises à votre droite, monsieur le Vice-Premier ministre, et si vous instauriez un impôt sur la fortune soit en recourant au « big bang » soit au moyen du taux de prélèvement annuel ? Tout d'abord, je pense que nous pouvons faire une croix définitive sur le renforcement de la position de la Belgique et de Bruxelles en tant que places financières : cette position n'est pas acquise; Bruxelles et la Belgique seront délaissées.
Par ailleurs, vous voulez développer une politique d'encouragement au capital à risque. J'ai rappelé tout à l'heure à quel point les revenus de ce capital sont lourdement taxés. Si vous poursuivez dans votre intention, il ne convient certainement pas de chasser l'épargne, mais au contraire celle-ci doit être attirée dans un contexte rassurant.
Vous avez également pris des mesures en faveur de la construction, ce dont nous avons discuté hier en commission des Finances. Comme vous allez asséner un coup de marteau sur les biens immobiliers, vous pouvez faire une croix sur l'aspect positif de la mesure qui expire à la fin de 1997.
Par ailleurs, le Gouvernement se plaint de l'insuffisance de la consommation, comme d'ailleurs des investissements. Pour ce qui concerne la consommation, il est vrai qu'elle stagne à un niveau faible. Une telle mesure de taxation du capital ne suscitera pas la confiance des citoyens, confiance pourtant indispensable à la stimulation de la consommation.
Je présume, monsieur le Vice-Premier ministre, que votre première priorité reste de satisfaire aux exigences qui permettront l'entrée de la Belgique dans l'Euro, à savoir les critères de convergence de Maastricht. Au lieu de vous faciliter la tâche, la proposition de nos collègues socialistes ou écolo vous la rendrait beaucoup plus difficile et conduirait à des catastrophes.
J'en viens maintenant à un aspect de votre politique que je trouve particulièrement dérangeant, à savoir une des mesures que vous envisagez pour relancer le capital à risque. Vous voulez remplacer les droits de succession sur les actions par un prélèvement annuel sur les actifs des entreprises.
Les droits de succession sur les actions des particuliers ne représentent pas grand-chose. Cela me fait penser à cette histoire du coffre-fort dans une banque quelconque, coffre que l'on ouvre à l'occasion d'une succession et qui ne contient rien, si ce n'est une paire de ciseaux.
Donc, les droits de succession sur les actions sont rarement payés par les particuliers il s'agit en effet essentiellement de successions familiales dans ce cadre sauf lorsqu'il y a querelle entre les héritiers. Vous souhaitez remplacer cet impôt insignifiant par un prélèvement annuel sur l'actif des sociétés, à l'instar de ce que fait votre collègue luxembourgeois. Vous renoncez à une perception d'impôt, certes peu importante, mais vous engagez tout de même, de ce fait, vos successeurs sur cette voie. De plus, vous vous attaquez aux forces vives de l'économie belge. Cela revient une fois de plus à pratiquer ce que j'ai souvent dénoncé, à savoir votre politique de la terre brûlée. Notre économie ne connaît-elle pas suffisamment de difficultés ? N'y a-t-il pas assez de disparitions d'entreprises pour ne pas rendre plus compliqué et plus coûteux encore le métier d'entreprendre ? Il n'est nullement souhaitable d'enlever aux entreprises une part de capital à risque, une part des moyens qu'elles doivent engager dans le processus productif créateur d'emploi. En contrepartie, vous dégagez les familles, les particuliers, d'une obligation à laquelle ils ne satisfont de toute façon pas.
Je vous mets donc en garde d'entrer dans une voie qui donnerait peut-être satisfaction à ceux qui plaident pour l'impôt sur la fortune, mais qui n'est pas sans danger. Les assujettis ne sont pas les mêmes; les uns seraient frappés tout de suite et les autres ne le seraient probablement jamais.
Telles sont les quelques considérations que je voulais consacrer à l'impôt sur la fortune. J'ose espérer que vous aurez tous compris que je suis contre.
M. le Président. La parole est à M. Maystadt, Vice-Premier ministre.
M. Maystadt, Vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur. Monsieur le Président, durant ces derniers mois, il a été question ici et là d'une possible introduction, en Belgique, d'un impôt sur la fortune, sur le patrimoine. Or, vous n'êtes pas sans savoir qu'en la matière, la moindre déclaration, aussi adroite soit-elle, peut avoir des répercussions inattendues sur les marchés financiers et entraîner rapidement des sorties importantes de capitaux.
Je crois, dès lors, que dans ce domaine, la plus grande prudence s'impose et c'est pourquoi je tiens à remercier l'honorable membre de me donner l'occasion, à cette tribune, d'apporter des précisions et, du moins je l'espère, de clarifier le débat.
Tout d'abord, on distingue deux types d'impôt : les impôts directs et les impôts indirects. Les premiers touchent annuellement les avoirs des personnes et les revenus qu'ils produisent. Les seconds sont perçus à l'occasion d'un acte, d'un fait, d'une opération ou d'une prestation et sont assis sur la valeur des biens qui en font l'objet.
Appliqué à l'impôt sur la fortune que l'on peut décrire comme un impôt frappant l'ensemble des biens immobiliers et mobiliers d'un contribuable, on peut donc schématiser la situation comme suit.
En matière d'imposition directe, un tel impôt peut viser l'accroissement de la valeur des biens et/ou les revenus produits par ces biens, lesquels sont alors imposés sous la forme d'une retenue de précompte en Belgique, le précompte immobilier et le précompte mobilier et sont parfois globalisés avec les autres revenus imposables à l'impôt des personnes physiques et à l'impôt des sociétés. Un tel impôt peut également viser la valeur même des biens sur la base d'une évaluation annuelle, c'est-à-dire le capital possédé, qu'il soit immobilier ou mobilier.
En matière d'imposition indirecte, cet impôt repose sur un montant équivalent à la valeur des biens et est appliqué au moment de leurs mutations, c'est-à-dire lorsque les biens quittent le patrimoine d'une personne, à la suite d'une cession, d'une donation ou du décès, et entrent dans le patrimoine d'une autre personne. En Belgique, il s'agit des droits d'enregistrement, de timbre ou de succession.
Concrètement, comme on peut le constater, l'impôt sur la fortune existe déjà bel et bien en Belgique sous la forme d'impôts directs et indirects.
D'après les définitions de l'OCDE, l'impôt sur le patrimoine a rapporté en Belgique 85 milliards en 1993, soit 1,2 p.c. du produit intérieur brut. M. Hatry a cité tout à l'heure les chiffres correspondants pour les autres pays de l'Union européenne. Nous constatons que nous nous situons dans une zone assez proche de la moyenne. À titre de comparaison, l'impôt sur le patrimoine s'élève à 1,1 p.c. en Allemagne et à 1,8 p.c. aux Pays-Bas.
Pour la Belgique, l'OCDE prend en compte les droits de succession et d'enregistrement pour déterminer le montant du prélèvement sur le patrimoine. Il faut reconnaître que, dans notre pays, ces droits sont plus élevés que chez nos voisins.
Par ailleurs, l'essentiel du précompte immobilier est devenu, dans les faits, une taxe foncière dans la mesure où il n'est plus que très partiellement imputable. Finalement, l'addition du précompte immobilier aux chiffres retenus par l'OCDE nous amènerait à 2 p.c du PIB.
M. Hatry a rappelé que dans les pays effectuant, sous des formes diverses, des prélèvements sur la fortune, ceux-ci sont contestés. En Allemagne, par exemple, certains jugent injuste la taxe annuelle sur le patrimoine. Un débat est d'ailleurs en cours quant à sa suppression éventuelle.
Il faut reconnaître qu'il s'agit d'une matière délicate et qu'en Belgique, cet impôt est inégalement réparti, prélevé pour sa majeure partie de manière irrégulière et, finalement, assez injuste.
J'y vois deux raisons essentielles. Tout d'abord, le caractère particulièrement volatil des capitaux mobiliers par opposition aux biens immobiliers, lesquels sont, par essence, immobiles et donc « captifs ».
Ensuite, le fait que cet impôt est principalement concentré au niveau des impôts indirects, ce qui, vu la hauteur des prélèvements existants, entraîne des comportements d'évitement économiquement paralysants et budgétairement préjudiciables. L'ouverture assez fréquente du coffre bancaire d'un contribuable après son décès, telle qu'évoquée par M. Hatry, montre qu'il est possible de s'organiser pour échapper à ce type de prélèvement. Ce comportement provoque des conséquences loin d'être négligeables sur le plan économique. En effet, des spécialistes réalisent des montages permettant d'éluder les droits de succession susceptibles de frapper une entreprise. Pas plus tard que cette semaine, l'hebdomadaire Trends faisait encore allusion à cette pratique. Évidemment, ces droits de succession peuvent parfois nuire à la croissance, voire à la pérennité de l'entreprise concernée. C'est une des raisons pour lesquelles je suggère de revoir, en concertation avec les Régions, la problématique des droits de succession sur les patrimoines affectés à l'exercice d'une activité industrielle.
J'en arrive aux grandes propositions relatives à un impôt sur la fortune. Afin d'éviter tout malentendu, je reprendrai les propos que j'ai tenus lors d'un débat organisé à Louvain-la-Neuve et dont Le Vif/L'Express n'a que partiellement rendu compte.
Il s'agissait de définir ma position par rapport à l'idée émise par d'autres dont le professeur Frank d'une opération exceptionnelle qui viserait, par un prélèvement substantiel sur les patrimoines, à diminuer en une fois le montant de notre dette. À cet égard, j'ai émis les plus nettes réserves. Je souscris entièrement à l'objectif consistant à assurer une contribution plus équilibrée des différentes formes de revenus aux besoins de la collectivité. Chacun s'accorde à reconnaître que les revenus du travail sont soumis à une très forte contribution alors que d'autres types de revenus sont taxés beaucoup plus légèrement, même si l'on tient compte de la distinction entre capital à risque et capital sans risque introduite par M. Hatry.
Si je partage l'objectif de rééquilibrage, je pense néanmoins que l'opération évoquée plus haut serait économiquement dangereuse, budgétairement inefficace et socialement inéquitable.
Elle serait économiquement dangereuse car elle pourrait être susceptible de déstabiliser notre économie au détriment de la croissance et de l'emploi.
À court terme, cet impôt entraînera en effet un prélèvement très important sur le patrimoine net des entreprises et des ménages, pesant ainsi substantiellement sur leur niveau de consommation et d'investissements et, par conséquent, sur le taux de croissance économique. À cet égard, il me paraît fondamental de préciser que, même si cet impôt exceptionnel ne s'appliquait, comme le proposent ses initatieurs, qu'à 30 p.c. des ménages, ses retombées devraient, par contre, les concerner bien plus largement, par son impact sur le volume d'activité de nos entreprises et, par voie de conséquence, sur celui de l'emploi qu'elles représentent.
Cette perspective engendre en outre deux risques majeurs pour notre pays. Le premier est une perspective évidente de sortie massive de capitaux vers l'étranger. Au regard de l'impact d'un petit relèvement de 13,89 p.c. à 15 p.c. du précompte mobilier, on n'ose pas imaginer les conséquences que ce type de prélèvement particulièrement lourd parce qu'exceptionnel et unique entraînerait. Je pense donc, même s'il est impossible de les chiffrer, que d'importantes fuites de capitaux seraient inévitables.
Le second risque est certainement de voir se développer un sentiment de spoliation dans le chef des entreprises et des ménages concernés vis-à-vis de l'État, réduisant d'autant sa crédibilité d'emprunteur.
Ces deux facteurs devraient provoquer un effet durable de hausse des taux d'intérêt qui pénalisera l'État, l'investissement, la croissance et l'emploi.
Cette opération serait budgétairement inefficace, car les avantages budgétaires tirés de ce nouvel impôt seraient rapidement annihilés par ses effets négatifs sur le taux de croissance de notre économie lequel détermine directement la progression des recettes de l'État et sur l'évolution des taux d'intérêt. À cet égard, outre les chiffres cités par M. Hatry, je rappelle qu'il suffirait que le taux nominal moyen de la dette augmente de 0,5 p.c. pour que, toutes choses égales par ailleurs, la dynamique de l'effet « boule de neige » soit relancée. Or, nous avons réussi à inverser cet effet boule de neige. Grâce à ce surplus primaire important que M. Jonckheer a souligné à juste titre, nous sommes dans une situation de diminution certes encore lente du poids de notre dette par rapport au produit intérieur brut. L'effet boule de neige s'est enfin inversé et dès lors, il convient d'éviter à tout prix la prise d'une mesure qui relancerait à coup sûr celui-ci dans le mauvais sens.
Enfin, je pense que ce type d'opération serait socialement inéquitable car il serait de nature à frapper de façon très différente des patrimoines de valeur identique, suivant leur composition et leur localisation géographique. Ainsi, la mesure proposée devrait fort peu toucher les véritables « grosses fortunes » qui sont essentiellement constituées d'actifs mobiliers et déjà très diversifiées sur le plan international. Les propriétaires mobiliers pourraient en effet échapper très facilement à la mesure, à l'inverse des propriétaires fonciers. Finalement, cet impôt frapperait surtout ceux qui ont investi dans l'immobilier en Belgique.
De manière plus générale, il me paraît fondamental de bien comprendre que l'effet le plus probable d'un tel impôt, censé frapper les détenteurs de grosses fortunes, sera celui d'une délocalisation accrue des capitaux et, par voie de conséquence, d'une augmentation des taux d'intérêt sur les actifs libellés en francs belges, laquelle profitera essentiellement aux banques étrangères et aux rentiers, conséquence paradoxale qui n'a certainement pas été voulue par les auteurs de la proposition.
Répondant ainsi à ceux qui me jugeraient trop pessimiste, je me permets d'évoquer à nouveau l'expérience de ces dernières années en atteste la sensibilité particulière des contribuables belges à toute évolution de la fiscalité relative aux revenus mobiliers. Tout à l'heure, nous avons eu un bref échange à ce sujet. Pour les trois premiers mois de 1996, le montant global des recettes de précompte mobilier afférent aux revenus d'intérêts a accusé une diminution sensible, à savoir 12,5 p.c., par rapport à la même période de l'année 1995.
Ainsi que je l'ai expliqué, cette diminution s'explique d'abord par la baisse des taux d'intérêt, et peut-être par certains changements survenus dans le comportement des épargnants, encore que ce phénomène ne doive pas être exagéré. (Signes de dénégation de M. Mahoux.)
Vous pensez peut-être, monsieur Mahoux, que davantage d'argent sera placé sous forme d'actions ... Le précompte étant de 25 p.c., la conséquence sera alors plutôt une augmentation des recettes de précompte.
M. Mahoux (PS). Les Belges ont probablement tendance à vouloir mobiliser leur épargne. Il faut tenir compte d'un ensemble de paramètres.
M. Maystadt, Vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur. Peut-être mais, jusqu'à présent, le taux d'épargne a continué à augmenter.
Après analyse, nous sommes donc arrivés au constat suivant. La diminution des recettes de précompte immobilier est d'abord la conséquence directe de la baisse des taux d'intérêt. Mais celle-ci ne suffit pas à expliquer l'importance de la baisse 12,5 p.c. qui, qu'on le veuille ou non, est aussi à mettre en relation avec la hausse du précompte mobilier, porté à 15 p.c. Le raisonnement inverse est tout aussi exact : quand le précompte mobilier a diminué de 25 à 10 p.c., les recettes de précompte ont augmenté.
M. Mahoux (PS). Cette diminution de 25 à 10 p.c. s'est produite en une fois. Par contre, dans le cas qui nous occupe, l'opération a eu lieu en plusieurs étapes. L'augmentation du précompte mobilier de 10 à 13,3 p.c. avait été annoncée comme étant une catastrophe. Que n'a-t-on pas entendu, à l'époque, sur les effets pervers de cette mesure ? Avec le recul et en tenant compte d'oscillations temporaires, l'analyse peut maintenant être réalisée sur une période plus longue et présente donc un intérêt certain. Chaque fois que l'on envisage d'augmenter une taxation portant sur des revenus autres que ceux du travail, on annonce des conséquences catastrophiques ...
M. Maystadt, Vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur. Si j'avais pensé qu'une catastrophe pouvait se produire j'étais sûr du contraire , je n'aurais pas, en tant que ministre des Finances, pris la responsabilité de proposer le relèvement du précompte mobilier. Pourquoi 15 p.c. ? C'est le chiffre généralement avancé à l'échelon européen dans la perspective d'une harmonisation. Il figurait dans la proposition de Mme Scrivener relative à l'harmonisation de la fiscalité sur les revenus de l'épargne.
J'ai donc pris cette responsabilité, mais je constate que nous avons probablement atteint un point limite et que ce serait une erreur, sur le plan des recettes de l'État, d'aller au-delà.
Voilà donc les commentaires que je voulais faire sur cette première conception de l'impôt sur la fortune ou sur le patrimoine, sur cette idée d'une opération unique et exceptionnelle.
Mais on peut aussi concevoir, comme y a fait allusion M. Mahoux, l'impôt sur le patrimoine comme une taxe périodique, de faible importance, frappant tout ou partie du patrimoine des ménages et/ou des entreprises.
À la différence de M. Hatry, j'estime que le principe d'un tel impôt périodique est justifié. Une telle formule serait d'ailleurs peut-être plus cohérente dans le cadre de l'ensemble de notre système fiscal. Comme je l'ai rappelé, si la Belgique présente un niveau moyen de pression fiscale sur le patrimoine assez proche de celui de ses voisins de l'Union européenne, cette position est toutefois le résultat d'une situation particulièrement contrastée suivant que l'on s'intéresse à l'une ou l'autre des composantes de la fiscalité des biens meubles et immeubles.
En effet, nous connaissons des prélèvements droits de succession, droits de donation et droits d'enregistrement sur les transactions patrimoniales plus élevés que chez nos voisins, à un point tel qu'ils ont pour effet de limiter fortement la mobilité des actifs mobiliers et immobiliers. Par contre, la valeur même du patrimoine détenu par chaque contribuable, personnes physiques ou sociétés, n'est que très peu, voire pas du tout, imposée dans notre pays, contrairement à ce qui se produit chez nos principaux voisins.
Dans ce contexte M. Hatry y a fait allusion, et je ne retire rien à mes propos antérieurs , je pourrais envisager l'instauration d'un impôt sur l'actif des sociétés, comme il existe au Grand-Duché de Luxembourg. Toutefois, en vue d'éviter les problèmes que je viens d'évoquer, il me paraît impératif que le pourcentage de cette taxe ne soit pas plus élevé que chez nos voisins. En outre, l'instauration de cette nouvelle taxe devrait, en fonction de l'analyse que je viens de développer, logiquement aller de pair avec un réaménagement des prélèvements actuels, d'où le lien que j'ai établi, en effet, avec les droits de succession et la concertation actuellement en cours à ce sujet avec les Régions.
Si un accord devait se dégager sur ce point au sein du Gouvernement, avec le soutien du Parlement, si la concertation avec les Régions j'ai de bonnes raisons de penser qu'elle sera positive permet de faire un lien entre l'instauration d'une certaine forme de prélèvement annuel sur le patrimoine et un réaménagement des droits de succession, si donc on pouvait être d'accord pour remplacer une taxation irrégulière mais forte par une taxation annuelle d'un niveau beaucoup moins élevé, personnellement, je n'aurais pas d'objection à évoluer dans cette direction. Mais, je le répète, cette question fait actuellement l'objet de discussions au sein du Gouvernement, en concertation avec les Régions.
En ce qui concerne les diverses pistes évoquées par M. Jonckheer, je voudrais souligner brièvement que la levée du secret bancaire dans la seule Belgique ne permettrait certainement pas de saisir les véritables grosses fortunes qui sont essentiellement mobilières, donc très mobiles et déjà très diversifiées internationalement. En revanche, la généralisation au niveau européen du système déclaratif c'est-à-dire l'obligation pour les banques et autres intermédiaires financiers de déclarer au fisc les revenus payés et l'identité du bénéficiaire pourrait être de nature à assurer une meilleure connaissance des revenus mobiliers et, dès lors, une meilleure perception de l'impôt sur ce type de revenus. Cela permettrait d'aller dans le sens d'un rééquilibrage, qui me paraît nécessaire, entre les prélèvements sur les revenus du travail et les autres types de revenus. (Applaudissements.)
M. le Président. La parole est à M. Mahoux.
M. Mahoux (PS). Monsieur le Président, je remercie le Vice-Premier ministre de sa large réponse.
M. Hatry a évoqué quatre baudruches et je me permettrai d'en soulever une cinquième en réaction à son intervention. C'est celle qui tendrait à laisser croire, suivant ses déclarations, que M. Hatry souhaite une plus grande justice fiscale. Ce qui ressort de son exposé, c'est le statu quo à tous points de vue. Mis a part un renversement des prélèvements, mais en faveur de ceux qui disposent des moyens les plus importants.
J'ai bien écouté votre réponse, monsieur le Vice-Premier ministre, et je constate que vous faites un sort définitif aux taxations de type one shot. Vous ouvrez des pistes dans le sens d'une taxation régulière visant, si j'ai bien compris votre propos, à remplacer les prélèvements résultant des droits de succession.
M. Maystadt, Vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur. J'ai pesé les termes de ma réponse, monsieur Mahoux. J'ai dit que cela devrait aller de pair avec un réaménagement des prélèvements actuels, mais je n'ai pas parlé de remplacement pur et simple.
M. Mahoux (PS). J'entends bien, monsieur le Vice-Premier ministre, mais l'objet du débat est de définir une perception plus équitable de l'impôt, de façon à réduire les inégalités. Il est impératif, en période de crise surtout, de réduire les inégalités.
Dans la mesure où, comme vous l'avez dit, l'impôt régulier va de pair avec un réaménagement des droits de succession, ce dernier devrait impliquer une modification plus égalitaire en termes de perception.
Vous avez évoqué la nécessité d'une levée partielle du secret bancaire sur le plan européen.
M. Maystadt, Vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur. J'ai parlé de généraliser ce que l'on appelle, dans le débat européen, le système déclaratif. En fait, il existe en matière de fiscalité des revenus mobiliers deux grands systèmes en Europe : d'une part, le système de retenue à la source, pratiqué en Belgique et en Allemagne, et, d'autre part, le système déclaratif, pratiqué notamment aux Pays-Bas, lequel impose à l'organisme payeur, généralement la banque ou un autre intermédiaire financier, de déclarer au ministre des Finances l'identité du bénéficiaire et le montant des revenus qu'il lui a versés. J'y ai fait allusion parce que M. Jonckheer a évoqué cette piste. La généralisation au niveau européen du système déclaratif permettrait, à mon sens, d'avoir une meilleure connaissance des revenus mobiliers et, par conséquent, d'assurer une perception plus équitable de l'impôt.
M. Mahoux (PS). Une loi relative au blanchiment de l'argent a été adoptée récemment. Elle impose un système identique en termes de déclaration.
M. Maystadt, Vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur. Oui, mais uniquement lorsque la banque a des raisons de penser que les capitaux en cause ont une origine criminelle.
M. Mahoux (PS). J'enregistre ce que vous venez de dire, monsieur le Vice-Premier ministre. Je répète que l'objectif est de prélever l'impôt de manière plus juste. Vous avez évoqué des moyens à cet effet, comme la lutte contre la fraude fiscale. Un autre moyen consisterait à revoir la manière de calculer les abattements d'impôts par rapport aux tranches marginales ou moyennes.
Finalement, les cadeaux fiscaux profitent davantage aux revenus élevés qu'aux revenus plus modestes. Dans certains cas je relève une forme d'injustice à cet égard.
M. Maystadt, Vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur. J'attire votre attention sur le fait que d'importantes corrections ont été apportées à la législation en la matière. Désormais, dans la plupart des cas, les abattements sont effectués non plus aux taux marginal, mais à la base, ce qui permet d'éviter la situation que vous dénoncez. C'est ainsi, par exemple, qu'aujourd'hui, les abattements pour charges de famille ne sont pas appliqués au taux marginal mais bien au taux de base. Par ailleurs, et cette mesure a suscité de vives protestations de la part de l'opposition libérale, les modalités de déduction de l'épargne-pension ont été revues. En effet, au départ, l'avantage fiscal était calculé au taux marginal; il était d'autant plus important que les revenus étaient plus élevés. Un autre système a été mis en place, selon lequel cet avantage se situe, pour tous les contribuables, dans une tranche de 30 à 40 p.c.
M. Mahoux (PS). Le problème se posera au niveau d'un prélèvement équitable si, comme je l'espère, la cotisation sociale généralisée est mise en place dans un délai prochain. Pour que cette perception soit équitable, c'est-à-dire qu'elle vise d'autres revenus que ceux du travail ou plutôt qu'elle avantage les revenus du travail par rapport aux autres, un système devra être mis en place afin d'identifier lesdits revenus et de pouvoir assurer avec régularité les prélèvements.
Je terminerai par une réflexion sur l'efficacité des mesures envisageables en termes de recettes. Je suis très souvent surpris par certains chiffres avancés généralement, en termes de milliards en ce qui concerne d'éventuelles mesures de prélèvement, en ce compris celles frappant les revenus autres que ceux du travail. Les mesures prises en vue d'équilibrer le budget et relatives aux articles 80 en matière d'exclusion du chômage sont, quant à elles, estimées à quelque 500 millions. De telles mesures engendrent donc des recettes ou des non-dépenses de quelques centaines de millions alors qu'un impôt sur la fortune un prélèvement sur les revenus autres que ceux du travail rapporterait des milliards. Selon moi, en termes de fiscalité comme en termes de mesures sociales, la même aune devrait être utilisée pour juger de la rentabilité des mesures appliquées.
Enfin, la population est en mesure de comprendre que des efforts doivent être réalisés sur le plan financier, pas nécessairement en vertu du Traité de Maastricht mais aussi pour des motifs liés à la dette publique. Cependant, elle ne comprendrait pas que les efforts supplémentaires demandés ne soient pas répartis de façon équitable. Cela nécessiterait une modification sérieuse du système de taxation actuellement en vigueur, lequel comporte des inégalités importantes.
M. le Président. La parole est à M. Hatry.
M. Hatry (PRL-FDF). Monsieur le Président, j'ai demandé la parole parce que M. Mahoux m'a personnellement mis en cause en me traitant d'immobiliste. Nous ne sommes nullement des immobilistes !
Si nous consultons les chiffres de l'OCDE auxquels le Vice-Premier ministre se réfère régulièrement, en 1993, pour la Belgique, la pression fiscale s'établit à 45,7 p.c. Si l'on y ajoute le déficit correspondant à cette année, nous sommes au-delà de 50 p.c. Pour les Pays-Bas, la pression fiscale s'établit à 48 p.c.; en Allemagne à 39 p.c.; en France à 43 p.c.; au Royaume-Uni à 33 p.c. et au Luxembourg à 44 p.c. Les moyens existent pour faire évoluer favorablement ces chiffres. Globalement, nous voulons diminuer notre pourcentage, par la croissance qui sera la conséquence de la confiance revenue, et par des économies. Nous souhaitons aussi particulièrement que la loi Grootjans soit rétablie car elle réparerait une profonde injustice que le Gouvernement actuel a commise en n'indexant plus les barèmes fiscaux.
Un autre point n'a pas été mentionné alors qu'il apparaît manifestement dans les préoccupations de tout le monde : le ministre qui instaurerait un impôt sur la fortune, quelle que soit sa forme et je suis heureux que la voie du « big bang » soit rejetée par lui se rendrait extrêmement impopulaire mais seul son deuxième ou son troisième successeur bénéficierait des retombées de la mesure extrêmement complexe qui aurait été prise. Pour sa part, le ministre-initiateur devrait seulement faire face aux ennuis provoqués par l'instauration de ce nouvel impôt. Mais comme je sais le ministre des Finances actuel particulièrement habile, je suis convaincu qu'il ne prendra pas cette initiative.
M. le Président . La parole est à M. Jonckheer.
M. Jonckheer (Écolo). Monsieur le Président, je ferai part de quelques réflexions au Vice-Premier ministre. En ce qui concerne la thèse du professeur Frank sur l'impôt exceptionnel, je rappellerai une donnée quantitative. Une des hypohèses consiste à instaurer un impôt exceptionnel sur le patrimoine des ménages, du dixième décile, c'est-à-dire dont le patrimoine moyen est de 45 millions de francs. Le rapport entre le patrimoine et son impôt est de l'ordre de 5 p.c. Dans l'hypothèse d'un impôt de solidarité nationale, nous parlons d'une réduction exceptionnelle de 5 p.c. du patrimoine. Dans une telle hypothèse, il n'est pas certain que tous les effets négatifs et pervers que vous annoncez, monsieur le Vice-Premier ministre, se réaliseraient.
M. Maystadt , Vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur. Référons-nous un instant à la dernière étude du professeur Frank. Supposons que cet impôt rapporte ce que le professeur prévoit ce dont je doute et qu'aucune fuite ne se produise dans le système. Cela permettrait de réduire le rapport de la dette au produit intérieur brut à 110 p.c. Dans ce cas, il suffirait que le taux de croissance potentiel de l'économie soit réduit de 0,2 p.c. et que le taux nominal moyen de la dette augmente de 0,5 p.c. pour que la dynamique de la dette soit plus perverse qu'aujourd'hui. En d'autres termes, l'objectif principal de la mesure proposée par le professeur Frank consiste à alléger notre dette mais l'effet obtenu est exactement l'inverse : en termes du rapport de la dette au PIB, on y perd.
M. Jonckheer (Écolo). Votre objection me paraît tout à fait sérieuse, monsieur le Vice-Premier ministre, et je vais donc revoir la question.
Par ailleurs, je ne vois pas en quoi un impôt périodique que vous rejetez mais que vous semblez par ailleurs considérer comme plus raisonnable peut éviter les effets pervers que vous dénoncez. Au contraire, l'argument suivant peut être soutenu : à partir du moment où un impôt sur le patrimoine est instauré de façon permanente, à l'évidence, les réactions des acteurs économiques seront telles que vous les prévoyez mais elles seront aussi permanentes.
J'en viens à une troisième question. M. Mahoux est également revenu sur ce point, car il semble que vous n'ayez pas répondu quant à l'hypothèse d'une cotisation sociale généralisée qui, pour qu'elle soit équitable, suppose, si j'ai bien compris un certain nombre de déclarations, une connaissance de l'ensemble des revenus. Les zones d'ombre sont nombreuses en ce domaine et pèsent véritablement sur les possibilités d'aménager une structure de prélèvement plus équitable que vous souhaitez sûrement autant que nous. Appliquer une cotisation sociale généralisée censée toucher tous les revenus, sachant que l'on ne connaît qu'une partie de ceux-ci, ne rencontre pas l'objectif d'équité.
M. le Président . La parole est à M. Maystadt, Vice-Premier ministre.
M. Maystadt , Vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur. Monsieur le Président, l'instauration d'une taxe annuelle sur le patrimoine et plus particulièrement sur l'actif des sociétés aura-t-elle les mêmes effets pervers ? Franchement, je ne le crois pas, d'abord parce qu'il s'agit d'un prélèvement d'un niveau beaucoup plus faible qui ne devrait pas entraîner les mêmes conséquences en matière de délocalisation. L'expérience des pays voisins le démontre. Si l'on applique un niveau comparable à ceux en vigueur dans ces pays, je pense que nous ne risquons pas d'effets pervers.
M. Jonckheer (Écolo). Cette démarche est intéressante, monsieur le Vice-Premier ministre, mais elle me fait penser à un traitement homéopathique. Cette mesure ne rencontre pas l'objectif premier des tenants d'un impôt exceptionnel sur le patrimoine. Ceux-ci estiment qu'à situation exceptionnelle doit correspondre une réponse exceptionnelle. Personne n'affirme cependant qu'il s'agit d'une recette miracle. Les chiffres que vous avez indiqués le confirment amplement.
M. Maystadt, Vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur. J'en viens à votre dernière question sur la cotisation sociale généralisée. Vous aurez bien entendu l'occasion d'en débattre lorsque le Gouvernement aura pris une décision à ce sujet.
À ce stade, je tiens à indiquer que, dans mon esprit, cette CSG vise en effet à demander une contribution aux différents types de revenus. En ce qui concerne les revenus professionnels, je propose de remplacer diverses cotisations existantes par une seule cotisation. Celle-ci serait généralisée, c'est-à-dire étendue à d'autres revenus : les revenus mobiliers, les revenus immobiliers et les revenus des entreprises. Se pose le problème de la connaissance de ces revenus, particulièrement les revenus mobiliers. C'est la raison pour laquelle j'ai relevé l'intérêt de la piste que vous avez vous-même évoquée. Que ce soit dans le cadre d'un impôt sur la fortune y compris mobilière ou d'une CSG qui devrait frapper aussi les revenus mobiliers, se pose toujours le problème de la connaissance très fragmentaire que nous avons de ce type de revenus. La solution est difficile à trouver si l'on s'en tient au seul plan belge. Il convient de poursuivre nos efforts sur le plan européen pour aller dans le sens d'une harmonisation.
M. le Président. En conclusion de cette demande d'explications, j'ai reçu deux motions.
La première émane de M. Jonckheer et est ainsi rédigée :
« Le Sénat,
Ayant entendu la demande d'explications de M. Mahoux et la réponse du ministre des Finances,
Considérant la nécessité de réduire fortement la dette publique et les charges d'intérêts y afférentes,
Considérant la nécessité de moyens budgétaires supplémentaires pour mener une politique volontariste de réduction et de redistribution du temps de travail permettant de créer davantage d'emplois,
Invite le Gouvernement à répartir équitablement les efforts à fournir par la population pour respecter la norme du solde budgétaire de 3 p.c. en 1997 et en particulier à rééquilibrer la structure des prélèvements actuellement plus favorable aux revenus du capital par rapport aux revenus du travail, y compris par un impôt sur le patrimoine. »
La seconde, déposée par MM. Lallemand et Erdman et Mme Willame-Boonen est rédigée comme suit :
« Le Sénat,
Ayant entendu la demande d'explications de M. Mahoux et la réponse du Vice-Premier ministre et ministre des Finances et du Commerce extérieur,
Passe à l'ordre du jour. »
« De Senaat,
Gehoord de vraag om uitleg van de heer Mahoux en het antwoord van de Vice-Eerste minister en minister van Financiën en Buitenlandse Handel,
Gaat over tot de orde van de dag. »
Nous procéderons ultérieurement au vote sur la motion pure et simple, qui bénéficie de la priorité.
Wij stemmen later over de gewone motie, die de voorrang heeft.
L'incident est clos.
Het incident is gesloten.
Nous poursuivrons nos travaux cet après-midi à 15 heures.
Wij zetten onze werkzaamheden voort vanmiddag om 15 uur.
La séance est levée.
De vergadering is gesloten.
(La séance est levée à 12 heures.)
(De vergadering wordt gesloten om 12 uur.)