Antoine Depage naît en 1862 à Boitsfort, dans une famille de notables locaux, agriculteurs
et commerçants.
Le parcours scolaire du petit Antoine n'est guère brillant. Il est un élève indiscipliné.
Une fois ses études secondaires terminées non sans mal, il choisit de travailler à la
ferme familiale. Mais c'est sans compter avec l'influence de la famille Solvay...
Les Solvay sont amis et voisins de la famille. Ils conseillent à Antoine de suivre leur exemple et de s'inscrire à l'université. Il opte pour la faculté de médecine, ... là où le minerval est le moins élevé.
Les Solvay avaient vu juste : Antoine est diplômé en 1887 avec la plus grande distinction.
Paul Héger, professeur renommé à l'Université Libre de Bruxelles, parvient à déceler
l'intelligence, la persévérance et le goût du travail qui se cachent sous l'écorce un peu rude
de son étudiant. Héger lui inculque le bagage intellectuel et la discipline scientifique
indispensables. Antoine tombe amoureux de Marie Picard, la nièce de son mentor. Ils se marient
en 1893, mais la fatalité frappera au cours de la Première guerre mondiale. Au début de la guerre,
Marie se rend aux États-Unis afin d'y récolter des fonds pour les soins médicaux. Elle périra
tragiquement lors de son retour, son paquebot le Lusitania ayant été torpillé par les Allemands.
Cette attaque du Lusitania sera d'ailleurs un des motifs de la dégradation des relations entre
les États-Unis, restés neutres jusqu'alors, et l'Allemagne. En 1917, les États-Unis déclareront
la guerre à l'Allemagne.
Entre 1890 et 1913, Antoine Depage vit sa période la plus active et la plus féconde comme chirurgien. Il constate ainsi que les soins donnés aux malades laissent beaucoup à désirer, raison pour laquelle il fonde en 1907, à Ixelles, l'École Belge d'Infirmières Diplômées, le premier établissement du genre. La direction journalière est assurée par une certaine... Edith Cavell, une infirmière chevronnée avec laquelle Depage collaborait déjà auparavant. Lire aussi: Tribunal de guerre allemand au Sénat à propos du tribunal de guerre qui a condamné Cavell.
Dès l'éclatement de la guerre, un grand besoin de soins médicaux près du front se fait sentir. Les souverains belges, qui résident à La Panne, demandent au docteur Depage de transformer l'Hôtel de l'Océan en hôpital de guerre. Grâce notamment au soutien royal, il y parviendra en six semaines à peine. Quelques mois plus tard, la capacité est déjà passée de 200 à 1200 lits.
D'un caractère entêté, Antoine Depage se heurte aux structures militaires avec lesquelles il doit composer. Entre-temps promu au grade de médecin-colonel, il sélectionne sa propre équipe de chirurgiens universitaires compétents. L'Hôpital de l'Océan à La Panne jouit bien vite d'une excellente réputation. On y applique les techniques médicales les plus récentes et la mortalité postopératoire y est minime. Des prothèses sont fabriquées sur place et il existe même un service de chirurgie dentaire. Prenant conscience de l'importance de l'expertise professionnelle, Antoine Depage organise la formation continue des médecins dispersés le long de la ligne de front et les réunit pour présenter les développements récents de l'art de guérir.
Nouveau tournant inattendu: en février 1920, le parti libéral lui demande de se porter candidat au Sénat. Il ne souhaite pas faire campagne et occupe sur la liste une place en principe inéligible. Mais les nombreuses voix de préférence qu'il recueille lui permettent d'être élu...
À la Haute Assemblée, la politique du sénateur Depage est dénuée de toute mesquinerie et se caractérise par une vision large et progressiste. Tel un scientifique tirant ses conclusions d'un certain nombre d'expériences en laboratoire, il plaide pour l'instauration de la journée des 8 heures et de la semaine des 48 heures (p. 1016 à 1018, p. 1023). Dans son style scientifique et objectif, il veut convaincre les sénateurs d'adopter la proposition.
En relisant ses interventions, on se croirait au XXIe siècle: la prévention des accidents du travail, l'hygiène au travail mais aussi l'importance d'un sommeil suffisant lui tiennent particulièrement à cœur. Pour mieux étayer ses prises de position, il voudrait projeter des graphiques sur un écran, ce qui n'est malheureusement pas encore autorisé dans l'hémicycle du Sénat.
Dans un discours remarqué sur la réforme du service de santé de l'armée, il plaide pour l'amélioration du sort des soldats blessés, se basant en cela sur sa propre expérience en tant que médecin-colonel pendant la Première Guerre mondiale.
À ce moment, il n'opère presque plus. C'est désormais par la parole et par la plume que le sénateur Depage donne le meilleur de lui-même et qu'il met, par l'entremise du Sénat, son expérience de médecin au service de la santé publique.
Lors des débats sur le budget pour 1924, il attire l'attention sur la lutte contre le cancer. Le sénateur Antoine Depage a élaboré un plan complet de lutte anticancéreuse, incluant tant la sensibilisation à la maladie que le traitement des patients cancéreux incurables. La même année, il fonde, avec le docteur Bayet, la Ligue nationale belge contre le cancer. Dans ce domaine aussi, Depage est un pionnier!
Antoine Depage meurt le 10 juin 1925. Dans la notification que le Sénat adresse à ses membres, on peut lire: "Conformément à une décision du Bureau, le Sénat se rend en corps, escorté d'un détachement de cavalerie, aux funérailles de ses membres lorsqu'elles ont lieu à Bruxelles durant la session parlementaire").
En tenue de deuil, les membres se retrouvent à 14h au Sénat, d'où des automobiles les conduisent, dans l'ordre protocolaire, aux funérailles.
Le 23 juin 1925, le Sénat rend hommage à une "grande et noble figure". Dans leurs discours, le président du Sénat 't Kint de Roodenbeke, le ministre des Affaires Étrangères Émile Vandervelde et les sénateurs Magnette, Henri Lafontaine et Braun expriment leur profonde estime pour ce collègue hors pair.
Le Sénat a tout mis en œuvre pour être conforme aux prescriptions légales concernant les droits d’auteur. Les ayants droit que le Sénat n’a pas pu retrouver, sont priés de se faire connaître.