Terrorisme |
Q ui, dans la commission de l'Intérieur, aurait pu se douter que la journée d'étude du 5 juin 2001 sur la lutte contre le terrorisme acquerrait une telle actualité avec les attentats du 11 septembre 2001 contre les tours du WTC à New York et contre le Pentagone à Washington ? La principale conclusion de la journée d'étude fut qu'il manquait à notre pays une unité spécialisée dans la lutte contre le terrorisme.
BELGA |
Lors de la journée d'étude, l'expert français Gérard Chaliand a décrit devant les sénateurs le phénomène du terrorisme international.
Il distingue quatre types de terrorisme : les mouvements nationalistes, les groupes idéologiques (extrême gauche et extrême droite), les sectes et, enfin, un terrorisme d'inspiration religieuse à finalité politique.
Le terrorisme islamique, tel celui du milliardaire saoudien Oussama Ben Laden, appartient à ce dernier type de terrorisme. L'islamisme n'est pas une doctrine théologique, estime Gérard Chaliand, mais un concept qui fait une utilisation politique de l'islam. Il rejette résolument l'Occident et ses valeurs et renoue avec le fondamentalisme islamique.
Selon Gérard Chaliand, le terrorisme actuel a sa source dans l'échec des mouvements de guérilla latino-américaine après 1968. Un mouvement comme celui des Tupamaros en Uruguay considérait que la terreur conduirait à un État policier répressif contre lequel le peuple se soulèverait. C'est une même conception qui a inspiré l'action des organisations d'Europe occidentale, comme la Rote Armee Fraktion allemande, Action directe en France, les Brigades rouges italiennes et les CCC belges.
Par la suite est apparu au Moyen-Orient un terrorisme médiatique, notamment celui du Front populaire palestinien, dirigé contre son ennemi, Israël. On parle de terrorisme médiatique car le mouvement cherchait à attirer l'attention des médias sur ses actes et sa cause.
Ce type de terrorisme fait rapidement place à un terrorisme diplomatique dans lequel des pays comme l'Irak, la Syrie, la Libye et l'Iran utilisent le terrorisme comme moyen de pression, surtout contre l'Europe occidentale. Les raisons en sont évidentes : l'accès aux pays européens est facile, les médias font largement écho aux actes terroristes, les procès sont publics et les peines relativement légères. Gérard Chaliand pense toutefois qu'il ne faut pas sous-estimer l'impact psychologique de ces actions. Pour lui, le terrorisme est la forme la plus violente de guerre psychologique.
Toutefois, poursuit l'expert français, depuis la chute du Mur de Berlin, les groupements terroristes ne se font plus financer par des États mais par des activités criminelles. L'ETA basque qui rançonne des chefs d'entreprises et le trafic d'opium organisé en Afghanistan par Al Qaeda, l'organisation de Ben Laden, n'en sont que quelques exemples. Parfois, ces groupes terroristes collaborent simplement avec le crime organisé. Les canaux financiers sont toutefois imbriqués les uns dans les autres de manière tellement complexe qu'il est très difficile de les repérer.
L'Occident s'efforce cependant de réagir par une législation antiterroriste adaptée, mais avec le risque inhérent que la lutte contre le terrorisme puisse servir de prétexte à l'élimination de toute opération soi-disant non souhaitable.
Les services de renseignements sont le fer de lance de cette lutte contre le terrorisme. Pour remplir efficacement leur mission, ils doivent pouvoir compter sur une législation sans faille.
La Belgique ne dispose pas d'une législation spécifique antiterroriste et le droit pénal ne définit pas le terrorisme. Les personnes qui luttent contre le terrorisme peuvent cependant se rabattre sur les dispositions du droit pénal applicables aux organisations et bandes criminelles et sur la loi relative au blanchiment d'argent. Les chercheurs estiment que des initiatives législatives comme la protection des témoins et des repentis et le renversement de la charge de la preuve constituent un progrès.
Lors de la journée d'étude, la commission de l'Intérieur a également constaté que trop de services s'occupent de terrorisme. Il en résulte un manque de clarté et des doubles emplois inutiles. La police fédérale dispose des services "Terrorisme et sectes" et "Terrorisme et ordre public". Le gouvernement de son côté a en outre la Sûreté de l'État, le Service de renseignement militaire, le SGR et le Groupe interforces anti-terroriste (GIA). C'est surtout ce dernier service qui a suscité des interrogations de la part des sénateurs. Créé en 1984 par le ministre de la Justice de l'époque, Jean Gol, le GIA regroupe des membres de la police et de la Sûreté de l'État. Sa mission principale est de récolter des informations et de les analyser. Des mesures peuvent être prises sur la base de ces informations. Afin de pouvoir y voir clair, la commission a plaidé auprès du gouvernement pour une meilleure structure et une meilleure délimitation des compétences.
Entre-temps, Anne-Marie Lizin (PS), présidente de la commission de l'Intérieur, a redéposé sa proposition de loi du 20 juin 1997 visant à doter la Belgique d'une véritable loi antiterroriste, appuyée sur une meilleure définition du terrorisme.
La commission de l'Intérieur, que vous présidez, s'est penchée sur la lutte contre le terrorisme avant même les attentats du 11 septembre. Dans son rapport du 3 juillet 2001, elle réclamait la création d'une unité spécialisée de lutte contre le terrorisme. Où en est-on?
Anne-Marie Lizin (PS) : Le ministre de l'Intérieur a renforcé la direction et les programmes spécialisés en cette matière au niveau de la police fédérale. Les services de la Sûreté ont également consolidé leur cellule de lutte contre le terrorisme islamiste. L'armée a aussi pris des mesures. Malgré tout, il faut bien constater que beaucoup d'efforts restent à faire au niveau de la coordination et de la présence sur le terrain. Je suis convaincue que la perception du danger est inférieure à la menace.
Après les attentats du 11 septembre, le ministre avait envisagé la création d'une nouvelle structure. Ce projet a été abandonné. Pourquoi ?
Anne-Marie Lizin (PS) |
Anne-Marie Lizin: Cela ne s'est pas fait car les objectifs pouvaient être atteints sans passer par la création d'une structure nouvelle. Il est surtout essentiel que les équipes sur le terrain soient renforcées et qu'elles soient bien informées de tous les éléments de l'analyse terroriste.
Vous aviez vous-même déposé une proposition de loi relative au terrorisme le 20 juin 1997 déjà. En quoi consiste-t-elle et qu'en est-il advenu ?
Anne-Marie Lizin : Elle propose une définition du terrorisme. Il faut savoir que nous n'en sommes toujours nulle part en cette matière alors que tout le monde s'accorde à dire qu'une telle définition est indispensable. Ma proposition de loi est toujours en commission de la Justice, mais on en retarde l'examen car l'Europe s'attelle à l'élaboration d'une définition commune du terrorisme.
Ces atermoiements sont regrettables car ils ont pour conséquence que des hommes dangereux, liés au terrorisme, sont poursuivis pour simple association de malfaiteurs, comme s'ils avaient commis un petit hold-up. Je le répète, il y a, en Belgique, une méconnaissance grave de la menace réelle que représente le terrorisme.
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