Dossier Senaat |
L e 12 novembre 2001, 17 constitutionnalistes belges ont répondu à l'invitation du président du Sénat, M. Armand De Decker, et sont venus s'exprimer devant la commission des Réformes institutionnelles du Sénat. Les travaux furent coordonnés par le professeur Delpérée (UCL) qui a établi une règle claire : chacun devait apporter « une petite idée » sur la réforme du Sénat.
Par ailleurs, le professeur Eivind Smith, constitutionnaliste à l'Institute of Public and International Law d'Oslo, avait également été invité à décrire le fonctionnement du système norvégien, présenté par le premier ministre, M. Guy Verhofstadt, comme une source possible d'inspiration pour la réforme de notre Parlement fédéral.
À deux exceptions près, ces experts se sont tous déclarés favorables au maintien du système bicaméral.
D'entrée de jeu, le professeur Alen rappela qu' « en général, le fédéralisme et le bicaméralisme vont de pair. Il est dit, dans la littérature relative au fédéralisme, que sur la base du principe de participation, un système bicaméral est inhérent à une structure étatique fédérale. Pour qu'un système bicaméral puisse répondre aux critères du principe de participation, les entités fédérées doivent être représentées ès qualités dans l'une des deux chambres du Parlement fédéral. »
Et le professeur Uyttendaele de souligner aussi qu'une seconde chambre est une implacable nécessité dans un État fédéral, ajoutant : « Je suis convaincu que la seconde chambre doit être le lieu de la démocratie fédérale, la Chambre des représentants étant celle de la démocratie populaire. »
Francis Delpérée, Armand De Decker, |
Seuls les professeurs Vuye et Van Orshoven ne partagèrent pas le point de vue de leurs collègues quant à la nécessité du bicaméralisme : le premier partagea sans réserve l'opinion du premier ministre quant à la manière dont le Sénat a assumé son rôle de lieu de rencontre entre les entités fédérées. Le second y est allé, lui, de l'idée sans conteste la plus originale de cette journée d'études, à savoir la suppression du système bicaméral et la promotion du Sénat en tant que seule chambre fédérale. Son propos est sans équivoque : « Il est évident que dans un système monocaméral, c'est le Sénat qui doit être le Parlement. Une Chambre des représentants n'a de sens que comme deuxième chambre. À Rome non plus, il n'existait pas de Chambre des représentants. »
S'ils se sont prononcés à une très large majorité en faveur du maintien du Sénat, les experts n'en ont pas moins critiqué son mauvais fonctionnement, l'imputant à la réforme de l'État de 1993.
Résumant bien le point de vue de ses collègues, le professeur Rimanque a déclaré : « La réforme du Sénat de 1993 s'est avérée incohérente sur deux éléments essentiels, la composition et les attributions. Elle fut le résultat d'un compromis qui manque de vision claire. »
Les « petites idées » des intervenants ont d'ailleurs pour la plupart porté sur la composition et les attributions du Sénat. Le professeur Lejeune d'insister : « Il faut un modèle simple, dans lequel les compétences dévolues à l'assemblée reflètent sa composition et le rôle politique que cette composition implique. »
Les suggestions furent nombreuses, plusieurs spécialistes insistant sur le rôle international que la Constitution réserve au Sénat.
Le professeur Delpérée s'est par exemple interrogé sur la nécessité de spécialiser les deux chambres plus avant et de faire du Sénat une « chambre diplomatique » : « Plutôt que de placer le Sénat sous la tutelle de la Chambre des représentants, pourquoi ne pas l'investir de tâches particulières dans l'exercice desquelles il aurait la pleine maîtrise ? Dans cette perspective, la Chambre des représentants serait la chambre législative par excellence et, en même temps, l'institution de contrôle politique et budgétaire. Le Sénat, lui, serait l'assemblée diplomatique, celle dont les activités seraient moins tournées vers l'intérieur que vers l'extérieur. »
L'intervention du professeur Rimanque alla dans le même sens : « Il n'est aucun autre État fédéral où la ratification des traités les plus importants dépend de l'assentiment de chaque entité fédérée de la fédération. Un véritable Sénat qui représente les communautés et les régions peut avoir suffisamment de légitimité pour exprimer l'assentiment des entités fédérées. »
Soucieux comme ses collègues de l'adéquation entre la composition et les compétences du Sénat, le professeur Velaers a envisagé un Sénat à géométrie variable : « Je propose un Sénat de 71 sénateurs et un Sénat élargi de 173 sénateurs. Le Sénat de 71 sénateurs se composerait encore uniquement de 41 sénateurs élus directs et de 30 sénateurs cooptés ou de 51 sénateurs élus directs et de 20 cooptés. Ce Sénat ne serait plus qu'une chambre de réflexion exerçant les compétences fixées aux articles 75 et 78 de la Constitution, à savoir le droit d'initiative et le droit d'évocation. Il serait en outre compétent pour les lois portant assentiment aux traités. Pour les compétences reprises à l'article 77 de la Constitution, il faut un Sénat élargi, composé de 173 sénateurs, dont 71 élus directs et 102 sénateurs de communauté cooptés, à savoir 50 néerlandophones, 50 francophones et 2 germanophones. »
Le professeur Dumont mit également l'accent sur la spécialisation du Sénat dans les relations internationales et en souligna l'importance croissante : « En ce qui concerne les relations internationales, je crois que l'on n'a pas encore suffisamment perçu qu'elles constituent le défi réflexif majeur des temps à venir. Il y a aujourd'hui une tendance, dont on n'a peut-être pas encore pris toute la mesure, à évider les compétences de l'État notamment au profit de l'Union européenne. Il est temps, me semble-t-il, que le bicaméralisme prenne la pleine mesure de cette évolution. »
Le professeur Delpérée s' interrogea sur les pistes permettant de « choisir les hommes et les femmes qui se préoccupent d'inscrire l'action de l'État belge dans la société européenne et, plus largement, dans la société internationale. »
Le professeur Eivind Smith fut invité à éclairer la commission sur le modèle norvégien, évoqué par le premier ministre. Une chambre unique est élue (le Storting) et se divise en deux, l'Odelsting et le Lagting, à certaines occasions. Selon lui, le système norvégien est loin d'être satisfaisant. Il déclara sans ambiguïté : « Il ne faut surtout pas copier le modèle norvégien ! ».
Il s'en expliqua : « On se réunit et on constate qu'on est suffisamment nombreux pour que le quorum soit atteint et il n'y a pas de proposition de vote. Les lois votées par la Chambre basse sont votées de façon unanime par la Chambre haute. C'est donc devenu une pure formalité, alors que la Chambre haute pourrait devenir une véritable chambre de réflexion. (...) Si on souhaite une incitation à la réflexion sur la forme et le fond de la loi à adopter, ce système est très mauvais. (...) Le système norvégien actuel constitue donc l'illustration parfaite que les bienfaits potentiels et réels du bicaméralisme peuvent s'exprimer uniquement si la deuxième chambre est composée selon une logique différente de la première. Une spécificité par rapport à cette dernière est nécessaire. »
Le Président Armand De Decker remercia les experts des nombreuses pistes de réflexion dégagées. Il rappela la contribution importante du Sénat tout au cours de l'histoire : « Lorsque l'on observe l'histoire du Sénat depuis 1831, on constate que les lois les plus importantes émanent généralement du Sénat. Elles sont nées de l'imagination et de la volonté politique des sénateurs. (...) Il faut donc se demander si dans une chambre unique, le même genre de travail, d'initiative, d'état d'esprit qui permet cette créativité, serait présent. »
Il remercia enfin tout particulièrement le professeur Eivind Smith en ces termes : « Je remercie encore le professeur Smith d'être venu nous expliquer que le système de la deuxième lecture dans un Parlement unique n'est pas nécessairement la panacée. Vous êtes norvégien, Monsieur Smith, mais il serait peut-être intéressant d'interroger les Suédois. La dernière fois que j'étais au parlement suédois, j'ai entendu dire que l'on y réfléchissait à l'idée de rétablir le Sénat en Suède. »
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