5-2862/2 | 5-2862/2 |
23 AVRIL 2014
I. INTRODUCTION
Le projet de loi qui fait l'objet du présent rapport relève de la procédure bicamérale facultative et a été déposé initialement à la Chambre des représentants par le gouvernement (doc. Chambre, nº 53-3456/001). Il a été adopté à l'unanimité par la Chambre des représentants le 22 avril 2014. Il a été transmis le 22 avril 2014 au Sénat, qui l'a évoqué le même jour.
La commission des Affaires sociales a examiné ce projet de loi au cours de sa réunion du 23 avril 2014, en présence de M. Alexander De Croo, vice-premier ministre et ministre des Pensions.
II. EXPOSÉ INTRODUCTIF
M. Alexander De Croo, vice-premier ministre et ministre des Pensions, indique que le projet de loi à l'examen tend à geler le complément à la pension des travailleurs frontaliers et saisonniers.
Une personne qui, quelle que soit sa nationalité, habite en Belgique mais travaille dans un pays frontalier ou un autre pays de l'Union européenne (UE), se voit garantir une pension pour ces années de travail comme si elles avaient été prestées en Belgique. Si la somme de la pension étrangère pour les périodes prestées à l'étranger et de la pension belge pour les périodes prestées en Belgique est inférieure à la pension légale (premier pilier des pensions) qu'obtiendrait l'intéressé s'il avait uniquement travaillé en Belgique, il reçoit du régime belge un complément qui comble la différence. C'est ce qu'on appelle le complément pour le travail frontalier et saisonnier.
Le complément peut aussi remplacer entièrement la pension d'un régime étranger lorsqu'elle fait défaut: si une personne ne répond pas encore aux conditions pour prendre sa retraite de manière anticipée dans le pays où elle travaille, alors qu'elle y répond en Belgique (par exemple lorsqu'elle a soixante-deux ans et une carrière de quarante ans), la Belgique garantit le paiement intégral de sa pension jusqu'à ce qu'elle réponde aux conditions pour prendre sa retraite (anticipée) dans le régime étranger. À partir de ce moment, la Belgique ne payera plus que la différence entre la pension étrangère et le montant auquel cette personne aurait droit si elle avait travaillé uniquement en Belgique.
Du fait de cette garantie, le complément pour travail frontalier et saisonnier et la pension étrangère fonctionnent comme des vases communicants; ainsi, le complément belge augmente lorsqu'une pension étrangère en cours de paiement est réduite, par exemple à la suite de la suppression d'un supplément de pension. Lorsque le montant de la pension étrangère est diminué, le régime de pension belge garantit toujours le même montant, comme si toute la carrière avait été prestée en Belgique. Les réformes des régimes de pension étrangers en vue de faire des économies, qui vont bon train dans un grand nombre de pays, ont donc un impact sur le montant de la pension que la Belgique paie aux travailleurs frontaliers et saisonniers.
Le projet de loi à l'examen limite ce principe des vases communicants: une augmentation du complément belge pour travail frontalier et saisonnier sera désormais uniquement possible lorsque la pension étrangère est réduite en raison d'une nouvelle décision basée sur une modification des données de carrière, à savoir une révision des périodes d'assurance prises en considération pour le calcul de cette pension étrangère. Dans tous les autres cas, le complément belge ne sera plus adapté; il n'est en effet pas jugé souhaitable que l'État belge compense financièrement les réformes des régimes de pension étrangers. Le projet anticipe donc des économies dans le domaine des pensions à l'étranger, afin que le budget belge soit moins grevé, à l'avenir, par des décisions prises dans d'autres pays.
En cas d'adoption du projet de loi, les nouvelles règles entreront en vigueur le 1er janvier 2015 pour tous les compléments pour travail frontalier et saisonnier qui sont alloués, y compris les compléments qui ont été octroyés avant le 1er janvier 2015.
III. DISCUSSION
A. Questions des membres
Mme Detiège demande si une personne qui travaille aux Pays-Bas et y voit sa pension diminuer verra réellement cette diminution se refléter sur sa pension. Des diminutions déjà opérées par le passé auront-elles un impact ?
Mme Douifi aimerait savoir si ces dispositions s'appliquent pour les pensions à venir. La législation actuelle continue-t-elle à s'appliquer aux personnes relevant déjà d'un tel système ? Quelles seront les répercussions budgétaires de cette loi ?
M. du Bus de Warnaffe demande si l'on a procédé à une estimation des économies qui seront réalisées dans le cadre du projet de loi à l'examen. L'application et la portée du projet de loi sont plus limitées que ce qui avait été décidé auparavant, car la décision initiale concernait une suppression totale. Il en va autrement à présent, puisque l'on a opté pour une compensation partielle. Les économies réalisées seront-elles suffisantes compte tenu de l'objectif initial ?
Mme Tilmans aimerait également connaître l'impact réel de cette mesure.
M. Siquet observe que la législation modifiée en l'espèce se base sur la réglementation européenne. Comment cette modification s'intègre-t-elle dans ce cadre ?
Le complément à charge de la Belgique est calculé au regard du droit interne, ce qui signifie que les années prestées comme travailleur frontalier sont comptabilisées comme si elles avaient été prestées en Belgique. D'après le sénateur Siquet, il serait question d'une éventuelle économie de l'ordre de 28 millions d'euros. Pour les Pays-Bas et la Belgique réunis, il s'agit d'environ cinquante mille personnes, au demeurant déjà touchées par une taxation importante. Elles sont aujourd'hui à nouveau visées. Pour l'intervenant, les choses sont claires: ce sont les travailleurs frontaliers qui font l'effort d'aller chercher du travail de l'autre côté de la frontière qui seront sanctionnés lorsqu'ils partiront à la retraite.
Le sénateur Siquet demande si la diminution proposée dans le projet de loi à l'examen sera appliquée immédiatement ou si la mesure sera introduite progressivement, par exemple en fonction de l'áge du travailleur frontalier. En Allemagne, par exemple, la modification de l'áge de la pension n'a pas été appliquée en une fois, mais progressivement.
B. Réponses du ministre
M. De Croo confirme qu'une future diminution du volet néerlandais de la pension d'une personne qui travaillait aux Pays-Bas conduira à une réduction effective de sa pension, à moins que la diminution en question repose sur la modification du nombre de périodes d'assurance. En cas de modification au niveau des carrières requises ou du calcul sur la base des années de carrière, l'augmentation du complément sera encore appliquée.
D'un point de vue général, il est un fait que le régime de pension des travailleurs frontaliers reste toujours très avantageux parce qu'il ne tient compte que de la pension légale. Les Néerlandais, par exemple, perçoivent une pension basée sur la loi relative à l'assurance vieillesse généralisée (AOW), ainsi qu'une pension complémentaire qui peut être très importante. Il n'est pas tenu compte de cette pension complémentaire en Belgique.
Le projet à l'examen s'applique également aux personnes déjà soumises au régime actuel. Dans le futur, si les Pays-Bas réalisent des économies sur les pensions, celles-ci ne seront plus compensées en Belgique. Dans la situation actuelle, le régime de pensions belge payait effectivement l'addition pour les économies réalisées à l'étranger.
Le ministre De Croo confirme que les modifications opérées par le passé seront sans impact.
L'incidence budgétaire de la modification à l'examen est difficile à évaluer puisque l'on ne contrôle pas du tout les futures modifications légales qui seront éventuellement adoptées à l'étranger. En l'absence de modifications à l'étranger, l'impact budgétaire sera nul. À l'heure actuelle, aucune économie n'est réalisée. Il a en effet été décidé de geler le régime actuel. Seule une économie virtuelle sera réalisée dans le futur étant donné que les décisions de réduction des pensions prises à l'étranger ne seront plus compensées en Belgique.
Le ministre De Croo donne un exemple. Supposons qu'une personne ait travaillé en Allemagne et perçoive une pension de 50 sur la base de sa carrière en Allemagne. S'il est constaté qu'en Belgique, cette personne aurait droit à une pension de 100 sur la base de la même carrière, cette personne recevra un complément belge de 50 pour arriver à 100. Si dans dix ans, l'Allemagne décide de ramener les pensions à 25, le complément belge octroyé en vertu de la mesure à l'examen restera limité à 50 alors que dans l'ancien système, il aurait été porté à 75.
La Belgique avait un régime spécial puisque les personnes ayant travaillé et constitué une pension à l'étranger ne pouvaient jamais percevoir une pension inférieure à celle qu'elles auraient proméritée en Belgique. Cette mesure ne s'appliquait pas dans l'autre sens puisque les personnes pouvaient sans problème percevoir une pension supérieure à l'étranger. La compensation belge pour une pension étrangère inférieure est maintenue. Mais à l'avenir, si un autre pays décide de réduire ses pensions, cette nouvelle diminution ne sera pas compensée par le complément belge. L'impact budgétaire immédiat est nul et le ministre trouve étrange que l'on ait chiffré une économie à hauteur de 28 millions d'euros. Pour les personnes qui prennent leur retraite de manière anticipée, la compensation absolue est maintenue au niveau belge. La mesure ne concerne donc que les pensionnés et se limite aux éventuelles économies qui seront réalisées dans le futur à l'étranger.
Le ministre De Croo affirme que le système du complément est spécifique à la Belgique et remonte à une période où les pensions belges étaient sensiblement plus élevées qu'à l'étranger. Les travailleurs frontaliers percevaient donc une compensation pour leur pension moindre du fait d'avoir travaillé à l'étranger. Il n'existe aucune obligation européenne de procéder à une telle compensation.
C. Répliques
M. Siquet cite l'exemple du Grand-Duché de Luxembourg où les travailleurs ont droit à une pension après une carrière de quarante ans, quel que soit l'áge du demandeur. Cela signifie que certaines personnes ont droit à une pension complète à l'áge de cinquante-huit ans. Ce n'est pas le cas en Belgique. Dans ce cas, les travailleurs frontaliers qui ont travaillé au Luxembourg peuvent s'adresser à l'ONEm. Si la pension étrangère est inférieure à l'allocation de chômage, ils peuvent compléter leur carrière par quelques années de chômage. Les personnes qui seront dorénavant soumises à la nouvelle mesure pourront-elles également solliciter l'ONEm comme c'est déjà possible pour les travailleurs frontaliers qui travaillent au Luxembourg ?
Le ministre De Croo répond que le projet à l'examen ne concerne pas la situation évoquée par M. Siquet. Les compléments aux allocations de chômage ne relèvent pas de la compétence des pensions. De plus, la mesure proposée n'aura aucun impact sur une telle situation. Il s'agit plutôt de cas inverses: des personnes qui partent plus tôt à la retraite parce qu'elles en ont la possibilité en vertu du droit belge, mais pas encore en vertu des règles étrangères.
Pour le sénateur Siquet, cela revient au même.
L'intervenant cite l'exemple d'un homme marié dont l'épouse a droit à une petite pension en qualité de travailleuse frontalière, inférieure à 20 % de la pension au taux ménage. Lorsqu'il est demandé de percevoir cette pension, la pension étrangère est déduite de la pension belge au taux ménage. Mais elle n'est pas simplement déduite chaque mois, mais également sur le pécule de vacances éventuel. Dans certains cas, elle est donc déduite à treize reprises.
Le ministre De Croo répond qu'il s'agit ici du problème de la situation la plus avantageuse. Lorsque quelqu'un part à la retraite et que l'époux prend également sa pension, les droits individuels sont vérifiés. Si les droits individuels sont supérieurs à la pension au taux ménage, les droits individuels sont accordés; s'ils sont inférieurs, la pension au taux ménage est alors accordée. Cela se fait au moment où la pension est calculée, sans tenir compte effectivement du pécule de vacances.
M. Siquet conteste l'exactitude de la réponse. En effet, la pension étrangère est déduite avant que d'autres calculs soient effectués. Si la pension étrangère était appliquée à la fin du calcul, et ne s'appliquait donc pas au pécule de vacances, la réduction serait tout à fait juste. Mais dans le cas cité, la déduction n'est pas correcte puisque la pension étrangère est déduite une treizième fois.
Pour le ministre De Croo, on peut seulement affirmer, dans un contexte global, que le régime de pension belge pour les travailleurs frontaliers est unique et particulièrement généreux. Aux Pays-Bas, par exemple, la pension perçue dans le cadre de la loi relative à l'assurance généralisée vieillesse (AOW) est particulièrement faible. La comparaison s'effectue entre la pension légale belge et la pension légale néerlandaise. Un travailleur frontalier percevra donc la pension belge, sensiblement plus élevée que la pension légale néerlandaise. En outre, il percevra la pension complémentaire néerlandaise, qui est généralement très intéressante. Par conséquent, la pension de la plupart des travailleurs frontaliers est sensiblement plus élevée que celle des personnes ayant travaillé en Belgique. La mesure à l'examen n'est certainement pas une sanction frappant les travailleurs frontaliers. Il n'y a aucun impact budgétaire dans un régime qui est particulièrement généreux.
M. Siquet maintient que la mesure est une sanction. Il n'est pas possible de qualifier autrement une diminution des pensions.
L'intervenant a une question sur les périodes assimilées. En Belgique, la carrière des travailleurs frontaliers est calculée sur une base forfaitaire conformément au droit interne. Le sénateur Siquet sait que le ministre a l'intention de calculer à l'avenir toutes les périodes assimilées sur la base d'une pension minimale. Le tarif forfaitaire applicable aux périodes de travail frontalier sera-t-il adapté oui ou non ?
M. De Croo fait remarquer qu'il ne lui reste que quatre semaines en tant que ministre des Pensions jusqu'aux élections. Il ne peut donc pas se prononcer sur cette question de M. Siquet. Le ministre souligne que toutes les réformes précédentes des pensions sont parties du principe que le passé reste acquis et que les réformes valent pour l'avenir. La réforme des périodes assimilées que l'actuel gouvernement a réalisée n'était pas applicable aux périodes assimilées du passé, mais uniquement à celles du futur. Le ministre trouve logique d'appliquer la même méthode à l'avenir.
M. Siquet évoque enfin un problème fiscal, à savoir le nouvel accord conclu avec le fisc allemand. Désormais, tous les revenus étrangers inférieurs à 15 000 euros par an, qu'ils soient recueillis en Allemagne, au Luxembourg, aux Pays-Bas ou en France, seront imposés en Belgique. Cela entraînera une augmentation d'impôt oscillant entre 100 et 2 000 euros par personne. Encore une sanction donc, qui entrera en vigueur, paraît-il, le 1er janvier 2015. Cette mesure concernerait environ cinq cent mille personnes. Sur la base d'un cas concret, M. Siquet peut prouver que pour une pension répartie à raison de 50/50 entre la Belgique et l'Allemagne, cette mesure entraînera un supplément d'impôt de 1 919 euros.
IV.VOTE
L'ensemble du projet de loi concernant la pension de retraite des travailleurs frontaliers et saisonniers et la pension de survie de leur conjoint survivant a été adopté à l'unanimité des 10 membres présents.
Confiance a été faite au rapporteur pour la rédaction du présent rapport.
| Le rapporteur, | La présidente, |
| André DU BUS DE WARNAFFE. | Elke SLEURS. |
Le texte adopté par la commission est identique au texte du projet transmis par la Chambre des représentants (voir le doc. Chambre, nº 53-3456/004).