5-2201/3

5-2201/3

Sénat de Belgique

SESSION DE 2013-2014

18 MARS 2014


Proposition de résolution relative à la prise en charge de personnes handicapées souffrant en plus d'un trouble psychique ou d'un trouble grave du comportement, et en particulier de celles qui requièrent une hospitalisation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES PAR

MMES STASSIJNS ET WINCKEL


I. INTRODUCTION

La proposition de résolution relative à la prise en charge de personnes handicapées souffrant en plus d'un trouble psychique ou d'un trouble grave du comportement, et en particulier de celles qui requièrent une hospitalisation, a été déposée le 11 juillet 2013. La commission des Affaires sociales l'a examinée lors de ses réunions du 25 février et des 11 et 18 mars 2014.

Le 25 février, l'auteur principal de la proposition de résolution a présenté son exposé introductif et un premier échange de vues a eu lieu.

Le 11 mars 2014, les personnes suivantes ont été entendues:

— M. Johan de Groef, directeur général de la « VZW Zonnelied »;

— le Dr Lieve Baetens, psychiatre, Hôpital de Manage;

— le Dr Pierre Titeca, psychiatre, président du Conseil d'administration du Centre hospitalier Jean Titeca.

Le compte rendu de ces auditions est joint en annexe au présent rapport.

Enfin, lors de la réunion du 18 mars 2014, la discussion a été clôturée et le vote final a eu lieu.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF

M. du Bus de Warnaffe déclare qu'à l'heure actuelle, la place des personnes handicapées dans nos sociétés occidentales fait l'objet d'une attention considérable de la part de la population et du monde politique. De plus, la qualité des institutions belges — tant les centres de jour que les centres d'hébergement — est reconnue dans l'Europe entière, même si un manque cruel de places reste encore à déplorer.

Il y a un segment de la population pour lequel il n'existe toujours pas de centres de jour ni de centres d'hébergement. Il s'agit des personnes chez qui un « double diagnostic » a été établi, c'est-à-dire des personnes qui présentent à la fois un handicap mental et des problèmes de santé mentale qui peuvent se traduire par des troubles du comportement, par exemple. On estime que quelque cinquante mille personnes présenteraient un « double diagnostic », soit un tiers du nombre total de personnes affectées d'un handicap mental.

Ces personnes ont des aptitudes cognitives et relationnelles limitées, si bien qu'elles sont confrontées à de nombreux problèmes de communication. Elles éprouvent des difficultés à exprimer leurs problèmes et, partant, adoptent souvent des comportements qui sont difficilement acceptables pour la société, surtout lorsqu'elles sont en période de crise. Il peut arriver qu'elles deviennent violentes; elles doivent donc dans ce cas faire l'objet d'une prise en charge adaptée.

La grande difficulté est précisément de garantir une prise en charge spécifique aux personnes présentant un « double diagnostic ». Les établissements spécialisés dans l'accueil des personnes atteintes d'un handicap mental sont souvent démunis face à l'absence de soins psychiatriques individualisés et adaptés. Les structures psychiatriques sont certes performantes en matière de soins psychiatriques, mais elles ne tiennent pas (suffisamment) compte du projet de vie de la personne, de la nécessité d'organiser des activités, etc. Elles considèrent en effet que ces táches incombent aux établissements spécialisés dans l'accueil des personnes handicapées mentales. Ces établissements ne peuvent donc apporter aucune réponse en termes de prise en charge des problèmes comportementaux et psychiatriques des patients concernés. En Belgique, le secteur des soins de santé est, lui aussi, performant dans son ensemble, mais le vrai problème réside dans l'absence d'une approche globale; or, c'est précisément d'une telle approche que les patients concernés ont besoin.

La question du double diagnostic a été examinée à plusieurs reprises au sein de la Conférence interministérielle Santé publique (2009-2010). D'importantes décisions ont été prises. M. du Bus de Warnaffe renvoie à cet égard aux extraits cités dans les développements. Ainsi, plusieurs projets pilotes ont été lancés par l'autorité fédérale, en collaboration avec les services compétents au sein des communautés et des régions. Il s'agit là d'un projet historique; c'est la première fois, en effet, que les autorités concernées prenaient l'engagement de garantir une prise en charge pour les patients présentant un « double diagnostic ».

Une première forme de réseau, appelée « Concerto », s'est développée dès 2005. Ce projet avait pour finalité de contribuer au décloisonnement des soins et à l'amélioration de la qualité de prise en charge des patients psychiatriques vivant à domicile. Cela impliquait:

— de soutenir les soins à domicile réguliers pour ce groupe cible;

— de coordonner les soins pour ces patients psychiatriques;

— d'assurer une fonction de coaching pour les soins à domicile réguliers;

— d'apporter un soutien ponctuel aux patients que les soins à domicile réguliers ne peuvent ou ne souhaitent pas prendre en charge et ce, dans le cadre d'un réseau actif.

Les objectifs de ce projet étaient les suivants:

— aider la personne nécessitant des soins psychiatriques à se maintenir dans son milieu de vie et à améliorer sa qualité de vie, en associant son entourage si la personne marque son accord;

— apporter une offre d'aides spécialisées aux intervenants des soins à domicile réguliers;

— apporter des réponses aux demandes d'informations et aux besoins de formation des équipes de travailleurs des soins à domicile réguliers et des médecins généralistes;

— établir les relations de collaboration et de coopération que requiert l'organisation de soins psychiatriques pour personnes séjournant à domicile, ainsi que leur coordination sur le territoire d'un arrondissement;

— assurer un rôle de liaison entre les usagers, les soins à domicile réguliers, l'ensemble du réseau de soins en santé mentale et les intervenants des milieux social, judiciaire et culturel;

— favoriser la continuité des soins par la mise en place d'une méthodologie commune adaptée aux patients qui ne peuvent s'appuyer sur un environnement familial et social suffisant et qui nécessitent une aide spécialisée pour poursuivre leur traitement psychiatrique en ambulatoire;

— rendre l'usager acteur de son processus de soins;

— éviter les hospitalisations, et réduire le nombre et la durée de celles qui ne peuvent être évitées.

En 2009, la ministre de la Santé publique a soutenu cette approche et a lancé, dans le cadre du projet-pilote « double diagnostic », des projets à Manage, Bertrix, Gand et Bierbeek. Ce n'est que lors de la Conférence interministérielle de juin 2012 qu'un montant de 500 000 euros a été libéré pour quatre équipes mobiles d'intervention qui assureront l'accompagnement et le soutien des patients concernés, tant à domicile que dans les centres d'accueil et d'hébergement, relativement à leurs troubles du comportement (par exemple automutilations, violences physiques envers les autres, destruction de matériel, cris, comportements sexuels inappropriés, absorption d'objets, etc.).

Les équipes mobiles d'intervention sont soutenues par un psychiatre et poursuivent toujours l'objectif de travailler en réseau. Elles s'inscrivent également dans ce que l'on appelle la « réforme 107 » des réseaux de soins multidisciplinaires. Certaines hospitalisations n'en demeurent pas moins nécessaires et même contraintes. La proposition de résolution porte sur ces hospitalisations. Les compétences requises à cet égard n'ont été développées qu'au sein de deux services, un en Flandre à Bierbeek et un en Wallonie à Manage. Force est de constater que les demandes des patients concernés et de leur famille ne peuvent pas être rencontrées lorsqu'une hospitalisation s'avère nécessaire. En effet, le patient concerné doit être pris en charge tant dans une perspective psychiatrique que sous l'angle de son handicap mental, ce qui implique la nécessité de travailler de manière très irrégulière en devant néanmoins offrir au patient un certain calme.

Les structures concernées sont donc confrontées à leur incapacité à dispenser suffisamment de soins. De plus, une telle structure fait défaut dans la Région de Bruxelles-Capitale. Les patients concernés et leur famille doivent par conséquent s'adresser au centre de Manage ou de Bierbeek. L'urgence se fait donc sentir d'ouvrir, à Bruxelles également, une institution pouvant aider les patients à double diagnostic.

La proposition de résolution, élaborée entre autres dans le sillage d'un colloque organisé le 11 décembre 2013 à l'initiative de M. du Bus de Warnaffe, demande au gouvernement:

1. de saisir le Centre fédéral d'expertise des soins de santé (KCE) afin qu'une étude soit réalisée sur la problématique du « Double diagnostic », portant notamment sur les points suivants:

a) évaluer la prise en charge des personnes qui nécessitent, en dernier recours, une offre de soins spécialisée en milieu hospitalier;

b) fixer un indice adéquat pour les services « Double diagnostic » (les indices actuels A et T ne couvrent ni les besoins des patients, ni ceux du personnel);

c) estimer les coûts pour le budget des soins de santé;

d) évaluer la nécessité de créer de nouvelles unités « Double diagnostic » en fonction des besoins de la population;

e) soutenir l'élargissement de la compétence des cellules mobiles d'intervention en appui aux services des hôpitaux psychiatriques;

f) examiner l'opportunité de former des médecins psychiatres généralistes, qui aient une réelle vision globale et non fractionnée de la santé mentale de leurs patients, comme cela existe déjà pour les médecins internistes généralistes;

g) examiner l'opportunité d'élaborer un plan national au sujet du « Double diagnostic »;

2. de maintenir les projets pilotes en cours relatifs aux cellules mobiles d'intervention « Double diagnostic » jusqu'au rapport définitif du KCE énonçant ses recommandations;

3. de maintenir les projets en cours relatifs aux unités « Double diagnostic » jusqu'au rapport final du KCE énonçant ses recommandations;

4. d'envisager la possibilité de créer des projets pilotes pour des unités « Double diagnostic » dans des régions qui n'en disposent pas actuellement.

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

A. Point de vue de la ministre

Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, chargée de Beliris et des Institutions culturelles fédérales, relève que, contrairement à ce que prétend l'auteur de la proposition de résolution, il n'existe nulle part des unités hospitalières spécifiques pour les patients à double diagnostic. Il existe certes des unités où, sur la base de l'engagement individuel et de la bonne volonté du personnel, on accueille des patients de ce type, mais il ne s'agit en aucun cas de projets pilotes qui s'adresseraient spécifiquement à ce groupe de patients. Les projets pilotes auxquels l'auteur de la proposition de résolution fait référence concernent des unités mobiles. Il y a cinq unités mobiles pour adultes — dont deux en Flandre, 2 en Wallonie et une à Bruxelles — et trois unités mobiles pour les enfants et les adolescents (une dans chaque Région).

Il n'empêche que l'auteur de la proposition dit vrai lorsqu'il affirme que pour soigner les patients à double diagnostic, on a besoin de l'appui de ces équipes mobiles qui peuvent prévenir ou maîtriser une crise, ou qu'une hospitalisation d'environ trois mois est nécessaire pour permettre à l'intéressé de retrouver son rythme de vie normal.

Si l'on veut mettre en place une structure performante pour les patients à double diagnostic, on doit pouvoir se baser sur une étude et c'est pourquoi la ministre de la Santé publique a chargé le Centre fédéral d'expertise des soins de santé de réaliser une telle étude. Cette demande a été acceptée au niveau formel, mais n'a pas été considérée comme une priorité absolue. Elle n'a dès lors pas été retenue.

Elle relève en outre que le point 3 de la proposition de résolution prie le gouvernement fédéral de maintenir les unités actuellement actives, mais que cette décision appartient surtout aux gestionnaires des hôpitaux concernés, et non au gouvernement.

B. Discussion

Mme Detiège s'interroge sur la raison pour laquelle la demande de la ministre au Centre fédéral d'expertise des soins de santé n'a pas été retenue. Est-ce par manque de moyens ?

Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, chargée de Beliris et des Institutions culturelles fédérales, répond que le KCE ne peut réaliser qu'un nombre limité d'études par an. D'autres points ont été jugés plus prioritaires par le KCE.

M. du Bus de Warnaffe confirme que le KCE réalisera trois autres études dans le cadre des soins de santé mentaux. Mais si le Sénat demande expressément de réaliser une étude sur le double diagnostic parce qu'il juge ce sujet prioritaire, le KCE ne pourra pas rester sourd à cette demande.

La ministre répond que c'est un point qui devra être tranché au sein du KCE.

M. Brotchi souligne que les familles concernées sont souvent très discrètes à propos de cette problématique et qu'elles n'osent souvent pas trop en parler. De ce fait, le phénomène est sérieusement sous-estimé. L'attention que la proposition de résolution accorde aux patients à double diagnostic est donc plus que justifiée.

IV. DISCUSSION DES AMENDEMENTS

Amendement nº 1

Mme Winckel et consorts déposent l'amendement nº 1 qui tend à remplacer le point 3 des recommandations de manière à demander au Conseil national des établissements hospitaliers de créer un nouvel indice hospitalier et d'élaborer une programmation spécifique pour les patients à double diagnostic.

Mme Winckel renvoie à la justification écrite de l'amendement.

M. du Bus de Warnaffe souscrit à cet amendement et à sa portée. C'est pourquoi il l'a d'ailleurs cosigné. La ministre de la Santé publique suit effectivement le dossier et l'intervenant s'en réjouit. Il est exact que la ministre n'a cependant pas aujourd'hui le pouvoir de maintenir les projets pilotes et que cette décision relève de la compétence des hôpitaux concernés. De plus, l'avis du Conseil national des établissements hospitaliers est effectivement requis. Cet avis ne peut que renforcer la crédibilité de la proposition de résolution.

Amendement nº 2

Mme Winckel et consorts déposent l'amendement nº 2 qui vise à supprimer le point 4 du dispositif.

Mme Winckel renvoie à la justification écrite de l'amendement.

M. du Bus de Warnaffe relève que la proposition de résolution a vu le jour notamment parce que les Bruxellois ne se voient pas proposer actuellement de services hospitaliers de ce type. La sixième réforme de l'État régionalise entièrement cette compétence. Il se justifie dès lors de supprimer une recommandation contenue dans une proposition de résolution adressée au gouvernement fédéral, demandant à ce dernier de créer une nouvelle programmation pour les patients à double diagnostic, étant donné que ce gouvernement ne sera bientôt plus compétent en la matière.

Il n'empêche qu'une étude des besoins reste indispensable, y compris en Région de Bruxelles-Capitale, et qu'une programmation spécifique est nécessaire. Ces éléments sont toutefois pris en compte par le point 3 du dispositif tel qu'il a été amendé par l'amendement n° 1.

Amendement nº 3

Mme Thibaut dépose l'amendement nº 3 visant à ajouter, dans le point 1 du dispositif, un h) (nouveau) concernant l'évaluation de l'impact sur les soins de santé de première ligne du maintien des patients à double diagnostic dans leur milieu de vie.

Mme Thibaut soutient la proposition de résolution, mais celle-ci vise surtout à encourager les structures hospitalières à prendre en charge les patients à double diagnostic. L'intervenante est toutefois d'avis que l'accueil à domicile, tel qu'il existe déjà aujourd'hui, doit également faire l'objet d'une évaluation approfondie afin de dessiner les contours d'une politique future équilibrée. L'accueil à domicile devrait en effet être le premier objectif de toutes les parties concernées.

M. du Bus de Warnaffe souscrit tout à fait à ce point de vue. Même lorsqu'on parle d'une hospitalisation, l'objectif premier que l'on a à l'esprit est le traitement du patient à domicile. Tel est du reste aussi l'objectif des équipes mobiles qui veulent être le trait d'union entre les familles, d'une part, et les centres d'accueil et les soins de santé, d'autre part, précisément dans le but d'éviter une hospitalisation. Une évaluation de cette prise en charge à domicile est donc une excellente idée, mais elle s'inscrit dans une politique globale d'évaluation des structures existantes.

V. VOTES

Les amendements nos 1, 2 et 3 sont adoptés à l'unanimité des 9 membres présents.

La proposition de résolution relative à la prise en charge de personnes handicapées souffrant en plus d'un trouble psychique ou d'un trouble grave du comportement, et en particulier de celles qui requièrent une hospitalisation, ainsi amendée, est adoptée à l'unanimité des 9 membres présents.

Confiance a été faite aux rapporteurs.

Les rapporteuses, La présidente,
Veerle STASSIJNS. Fabienne WINCKEL. Elke SLEURS.

Annexe

Audition du 11 mars 2014:

— de M. Johan de Groef, directeur général de l'ASBL « Zonnelied »;

— du Dr Lieve Baetens, psychiatre, Hôpital de Manage;

— du Dr Pierre Titeca, psychiatre, président du conseil d'administration du Centre hospitalier Jean Titeca.

VI. EXPOSÉS

A. Exposé du Dr Godelieve Baetens, psychiatre, Hôpital de Manage.

Mme Baetens remercie les membres de la commission de s'intéresser à cette problématique des personnes avec un handicap mental atteintes de surcroît d'une affection mentale. Elle s'est forgée une solide expérience en la matière par son travail à Manage, mais aussi en tant qu'assistante en psychiatrie du docteur Caeyenberghs qui suit cette problématique depuis trente ans déjà. À cela s'ajoute son expérience au sein de l'ASBL Zonnelied, un centre pour handicapés mentaux qui accueille des groupes présentant des troubles comportementaux. L'intervenante a en outre son propre cabinet privé et elle travaille dans le Centre de soins de santé mentale avec des étudiants de la VUB.

Il existe quelques départements dans certains hôpitaux psychiatriques, comme à Bierbeek et à Manage, qui accueillent également des patients bruxellois. Ceux-ci ne peuvent en effet pas être pris en charge à Bruxelles qui n'est pas dotée d'un hôpital psychiatrique offrant cette spécificité, ce qui laisse perplexe pour la capitale de l'Europe. Les patients sont accueillis dans une unité de diagnostic et de traitement qui dispose d'un personnel qui a reçu une formation ad hoc. Les patients s'expriment en effet différemment et l'accompagnement doit être adapté à leur niveau intellectuel et émotionnel. C'est uniquement gráce à ce savoir-faire qu'il est possible d'établir un rapport de confiance entre le patient, les parents et l'équipe, ce qui est extrêmement important, en raison de la fragilité des patients. Pour comprendre l'aspect thérapeutique, le plus simple est de donner des exemples pratiques.

Interagir avec un patient qui présente un handicap mental et souffre également d'autisme requiert un intérêt, une qualification et une formation continue spécifiques de la part du personnel concerné. Les unités classiques ou chroniques en psychiatrie ont dès lors beaucoup de mal à traiter ces patients et n'ont parfois pas d'autre choix que de placer l'intéressé en isolement, ce qui pose le problème éthique de la souffrance du patient qui vient s'ajouter aux aspects pratiques.

La question est de savoir quand il faut procéder à l'hospitalisation; d'après le dr. Baetens, le moins possible. Il faut essayer de prévenir ou d'empêcher une crise au moyen de consultations, d'une adaptation de la médication, d'une psychothérapie ambulante individuelle ou dans le cercle familial, ou de l'intervention d'une équipe mobile. L'article 107 est un atout majeur à cet égard. Dans la moitié des cas, l'agression est toutefois d'une ampleur telle qu'elle constitue un réel danger pour le patient et son entourage. Dans ce cas, seule une hospitalisation permet de gérer la crise et d'offrir une prise en charge adéquate à condition que l'on dispose d'un cadre adapté.

Le manque de lits disponibles est un point faible. Les problèmes se situent à deux niveaux. Tout d'abord, les lits disponibles ne sont pas pourvus d'un encadrement suffisant en termes de personnel et de logistique pour que l'unité puisse fonctionner de manière optimale. La réalité sur le terrain est que les centres d'accueil et de séjour se voient souvent obligés de refuser des patients présentant des troubles comportementaux. Les parents n'ont alors d'autre choix que de les prendre eux-mêmes en charge dans des conditions souvent désastreuses, afin d'éviter le pire en cas de crise grave. Il arrive fréquemment que l'on doive faire appel aux forces de l'ordre et maîtriser le patient, sans toutefois aucun accompagnement ni programme psychiatriques. Les responsables des centres sont souvent très réticents à accepter ce genre de patients. Il s'agit de patients très difficiles et on ignore souvent ce qu'il faut faire si la situation dégénère.

Toutefois, si les centres peuvent avoir la garantie que les patients bénéficieront d'un suivi et d'un traitement permettant d'éviter des crises et qu'une hospitalisation sera possible si une crise devait tout de même survenir, ils sont souvent disposés à prendre un risque calculé. En revanche, en l'absence de cette possibilité d'hospitalisation, l'institution ne voudra prendre que des risques limités, voire aucun risque. Dans ce cas, l'équipe mobile sera confrontée, le cas échéant, à une crise violente.

Les patients concernés courent le risque d'être admis dans un service chronique, auquel cas la durée moyenne du séjour est de pas moins de 3,5 ans, tandis que la durée du séjour dans un service spécialisé est six fois plus courte et le nombre de cas stabilisés après une admission de deux à trois mois y est de 80 %. Cela permet donc au patient concerné de reprendre sa vie normale. Une admission spécialisée est donc beaucoup plus bénéfique tant pour le bien-être du patient que du point de vue économique !

Le problème en matière d'encadrement est également très grave. À Manage, par exemple, la norme est de dix équivalents temps plein pour trente lits mais il n'y a que sept équivalents temps plein pour vingt-cinq lits; ce personnel vient de surcroît d'autres services. Il n'empêche que les membres concernés du personnel sont très motivés parce qu'ils ont suivi une formation et peuvent constater les résultats de leur travail. Pourtant, il y a constamment des demandes de mutation et des problèmes en matière d'absentéisme, ce qui a pour conséquence une perte de personnel qualifié et d'expertise. C'est évidemment dommage.

L'intervenante demande dès lors de mettre à disposition les moyens nécessaires, au profit des patients et des équipes, afin de stabiliser les patients présentant un double diagnostic et de leur permettre de reprendre le cours normal de leur vie dans les plus brefs délais. En vue de faire face aux situations de crise auxquelles ces patients sont confrontés, il est nécessaire que l'équipe soit compétente, qualifiée et suffisamment nombreuse pour assurer une thérapie adéquate et durable. Il convient par conséquent d'adapter d'urgence les normes de Manage et de Bierbeek pour pouvoir garantir cette thérapie. Il s'agit en effet d'un travail rigoureux qui doit être adapté à chaque patient et faire l'objet d'une concertation et d'ajustements en permanence avec toute l'équipe.

Le dr. Baetens considère qu'il faut pouvoir offrir de l'espoir à tous les patients, parents et équipes soignantes concernés. Elle espère que l'on pourra s'atteler aux demandes concrètes qui émanent des acteurs de terrain.

B. Exposé de M. Johan de Groef, ancien directeur général de l'ASBL Zonnelied

M. Johan de Groef, psychothérapeute, ancien directeur général de l'ASBL Zonnelied et ancien président de l'« European Association on Mental Health and Intellectual Disability », explique qu'un changement de paradigme s'est produit au cours des vingt dernières années. On est passé d'un modèle médical à un modèle citoyen. Les personnes porteuses d'un handicap ne sont plus considérées comme des patients. C'est ainsi que de nombreuses personnes porteuses d'un handicap mental ont été retirées du circuit psychiatrique afin de pouvoir mener une vie la plus normale possible. Une évolution majeure s'en est suivie dans la politique des personnes handicapées menée au sein des différentes Communautés de notre pays, parallèlement aux évolutions respectives qu'ont connues le secteur médical et les soins de santé mentale tant au niveau fédéral qu'au niveau des Communautés.

La problématique du double diagnostic est la suivante: lorsque des personnes qui présentent à la fois un handicap mental et un problème de santé mentale sont prises en charge dans le secteur du handicap et cherchent de l'aide dans le secteur des soins de santé mentale, celui-ci fait remarquer qu'il n'est pas familiarisé avec ce genre de cas et renvoie les personnes concernées vers le secteur du handicap. Les patients à double diagnostic sont ainsi renvoyés de Ponce à Pilate et ballotés entre deux structures organisationnelles et deux administrations.

L'intervenant souligne l'ampleur du problème. Entre 0,5 et 1,5 habitant sur mille présente à la fois un handicap mental et des problèmes de santé mentale très sérieux. Ces troubles comportementaux sont lourds de conséquences pour l'intéressé lui-même, mais aussi pour sa famille et son entourage professionnel direct. Les patients concernés peuvent être répartis en deux sous-groupes: d'une part, les patients présentant des problèmes psychiatriques (tels que des troubles psychotiques ou bipolaires), avec cette spécificité que ceux-ci sont formulés par des personnes présentant un handicap mental, et, d'autre part, les patients présentant des troubles comportementaux (par exemple, des comportements d'agression ou d'automutilation). En l'espèce, il s'agit de comportements inadaptés dans un contexte qui n'est, lui non plus, pas suffisamment adapté aux besoins des patients concernés, qui ont des réactions inadéquates.

Selon M. De Groef, cela s'explique par l'interaction complexe de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux. On peut parler de surmédication, dès lors que l'on considère trop rapidement qu'un patient relève de la psychiatrie, ainsi que de surmédicalisation. Confronté à une situation d'urgence, on fait trop souvent et trop longtemps appel à la psychiatrie. Les listes d'attente, qui sont déjà longues dans le secteur des soins de santé et dans celui du handicap, le sont encore davantage pour de tels patients, qui doivent essuyer un refus dans un premier temps. En effet, les deux secteurs ont leur propre culture, leur propre finalité, leur propre méthode de travail et un personnel formé différemment. Il va sans dire que les intéressés, leur famille et leur entourage professionnel, et, par extension, l'ensemble de la société, font les frais de cette situation.

Selon l'intervenant, il existe au moins trois éléments clés en l'absence desquels il n'est pas possible d'assurer une prise en charge adéquate, qui soit adaptée aux problèmes existants et aux finalités des deux secteurs. Tout d'abord, le secteur des soins aux personnes handicapées doit disposer d'unités spéciales pouvant héberger des patients à double diagnostic, une fois que ceux-ci ont été diagnostiqués et traités. La qualité de vie est en effet importante. Or, les hôpitaux ne sont pas à même de pouvoir l'assurer. Deuxièmement, il faut prévoir suffisamment de places destinées à l'observation et au traitement résidentiels, dans un rayon raisonnable autour de ces unités spécifiques. C'est un élément-charnière dans le circuit de soins. En effet, en l'absence de lits affectés à l'observation et au traitement, le secteur du handicap ne dispose pas, à lui seul, de capacités suffisantes, faute d'expertise. Troisièmement, il faut également assurer, au groupe cible concerné, un accès suffisant à la psychothérapie en ambulatoire, par exemple si le patient réside à son domicile ou fréquente un centre de jour.

La collaboration entre les différents secteurs est un point délicat. Un groupe d'orientation a dès lors été mis sur pied dans le Brabant flamand pour encourager les différents secteurs sur la voie de la collaboration. Même s'il se réunit peu, ce groupe a une grande efficacité, car il rassemble précisément des représentants des trois éléments clés précités. Les usagers y ont également leur place. En outre, un pont est chaque fois jeté avec une haute école, une université ou la formation. De petits projets sont essentiels si l'on veut faire collaborer les deux secteurs et les trois éléments clés. On a ainsi le cercle des consultants, qui a principalement un rôle préventif, et les cellules mobiles d'intervention, qui ont principalement un effet « out reach ».

M. De Groef souligne que sans places d'observation et de traitement résidentiels, le système ne fonctionnera pas et que les patients seront renvoyés de Ponce à Pilate. En définitive, cela aura pour conséquence d'accroître les coûts, mais aussi et surtout les souffrances des patients concernés.

Avec les Pays-Bas, notre pays accomplit un travail pionnier en la matière au niveau européen. Cependant, si notre pays ne parvient pas à engranger des avancées, il ne tardera pas à régresser. De nombreux pays européens s'inspirent du modèle présenté par l'intervenant. En tant que capitale européenne, Bruxelles mérite d'être exemplaire. Cela implique de coordonner les structures et les services existants les uns avec les autres et de les compléter par ce qui fait défaut. Par exemple, il n'existe pas de places d'observation et de traitement résidentiels à Bruxelles, alors qu'il s'agit d'un élément crucial dans le modèle de soins global.

Il convient de respecter la finalité des deux secteurs, celui des soins aux personnes handicapées et celui des soins de santé mentale. En d'autres termes, il ne faut prévoir des spécificités que là où celles-ci sont nécessaires et complètent le dispositif de soins existant, qui doit rester de préférence le plus classique possible. Cela nécessite des investissements dans l'infrastructure et dans le service, ainsi que dans la formation du personnel. Il est dès lors crucial de faciliter la coopération et la cohérence. M. De Groef plaide dès lors pour un masterplan à long terme intégrant ces éléments.

C. Exposé du dr. Pierre Titeca, psychiatre, président du Conseil d'administration du Centre Hospitalier Jean Titeca

M. Titeca dressera brièvement les enjeux majeurs. Son intervention ne serait pas complète s'il ne se faisait également pas le porte-voix, non officiel, des véritables experts que sont les familles de ces patients.

L'orateur ne revient pas sur la définition et l'incidence du double diagnostic, ni sur la complexité de l'interface entre handicap mental et maladie mentale, déjà décrit par les orateurs précédents.

Un chiffre à préciser malgré tout: il n'existe que 5 cellules mobiles d'intervention — les CMI — (en néerlandais: Mobiele Interventiec Cel — MIC) financées par le service public fédéral (SPF) santé publique pour un total de dix équivalants temps plein censés couvrir tout le territoire belge en assurant un suivi ambulatoire, et dont la dernière-née à Bruxelles, dénommée « Maya », n'est active que depuis novembre 2013.

Quelle est la situation actuelle ?

Comme déjà précisé par les deux orateurs précédents, selon les données collectées par les CMI, on sait que dans 50 % des cas, celles-ci seront impuissantes et devront faire appel à une unité hospitalière face à des situations de décompensation, durant lesquelles des troubles du comportement voire de l'agressivité émergent.

Dans le meilleur des cas, une place est trouvée en hôpital psychiatrique court séjour où les patients double diagnostic constituent 10 % des patients. Ou alors en unité psychiatrique long séjour, où ils constituent là 20 à 30 % des patients selon une étude du KCE. En extrapolant les données de cette étude, la durée moyenne du séjour dans ces unités est de minimum quarante-quatre mois ! Ces patients sont donc « parkés », en moyenne plus de trois ans et huit mois dans des services où ils ne reçoivent pas de soins adéquats. Il s'agit là d'une situation humaine et éthique des plus problématiques.

Il faut donc trouver une alternative crédible telle une unité de soins hospitalière proposant une prise en charge spécifique et individualisée avec un personnel formé dans un cadre architectural adéquat.

Heureusement, ces initiatives existent à Bierbeek et Manage. Mais le personnel d'encadrement est sous-staffé. Malgré cela, l'expertise de ces twee équipes déclinée dans le programme thérapeutique proposé, permet de réduire la durée moyenne de séjour à trois mois.

Il ne faut pas faire de savants calculs pour faire le rapport entre la durée de séjour en service « T », quarante-quatre mois minimum, et celle dans ces unités spécialisées, trois mois. C'est à peu de choses près un ratio de quinze pour un ! Dit autrement, sur une même période de temps, les unités spécialisées peuvent prendre en charge quinze fois plus de patients. Il ne faut pas avoir suivi une formation en finance pour comprendre qu'économiquement les unités spécialisées sont abordables et, qu'humainement, elles sont un must dont notre pays ne peut pas se passer.

Par ailleurs, à l'heure des soins de proximité, nécessaire tant pour les patients que pour les familles, est-il normal d'envoyer ceux-ci à 50 voire 100 km de chez eux pour recevoir des soins ou simplement visiter leur proche. En effet, à ce jour, il n'y a aucune structure développée à Bruxelles, Capitale de l'Europe.

Il est le devoir, même la mission, aux professionnel de la santé et aux responsables politique de continuer à développer ensemble des projets innovants ayant pour objectifs de favoriser l'intégration des patients dans leur milieu de vie et dans un réseau de soins, quelle que soit leur problématique.

Le modèle de la réforme des soins en santé mentale dit « projet 107 » est une source fondamentale d'inspiration permettant de relever ce défi. Cette réforme, concrétisée sur le terrain en 2011, identifie 5 grandes fonctions au sein d'un réseau de soins. De manière succincte, il y a:

— F1: les services de première ligne;

— F2: les équipes mobiles;

— F3: les équipes de réhabilitation;

— F4: les services psychiatriques en hôpital;

— F5: les structures résidentielles.

Les différents acteurs concernés travaillent en réseau avec le patient au centre de l'intervention et en collaboration avec les familles voire des professionnels d'autres secteurs notamment social, administratif, judiciaire, ...

Ce travail en réseau permet de limiter les admissions en milieu hospitalier et les durées de séjour dans les services spécialisés. Il faut très certainement être attentif à ce que les décisions politiques en matière de santé puissent renforcer et faciliter ces partenariats et, pourquoi pas, en concertation avec les acteurs de terrain.

Un coordinateur fait lien au sein du réseau et, entre le réseau et le SPF Santé publique.

Heureusement, certains acteurs du secteur du handicap ou du secteur des soins en santé mentale font de leur mieux pour accueillir ces patients même s'il leurs est difficile de modifier leur projet thérapeutique ou de palier à un manque de formation et d'expérience. Il est important de repenser l'accompagnement socio-thérapeutique de ces patients et la place du secteur associatif ainsi que celle des acteurs de l'enseignement.

Mais, il y a donc des chainons manquants.

Il devient ainsi urgent de développer la fonction 4, les unités de soins spécifiques. Il n'est pas normal que des hôpitaux doivent faire face, seuls, aux défaillances de notre système de soins à l'égard de patients présentant un double diagnostic. Ces défaillances ont une autre conséquence directe: en l'absence de places, ces patients, qui se retrouvent pour certains sous statut de défense sociale (souvent pour des délits mineurs) restent en prison faute d'alternatives. Étant responsable d'une unité de défense sociale, M. Titeca est bien placé pour savoir qu'ils sont les oubliés des oubliés.

Quel financement fédéral possible en période de réforme et de crise économique ? Voici les modes de financement possibles:

1. L'article 107 de la loi sur les hôpitaux: celui-ci permet aux hôpitaux de geler (et non pas fermer) des lits psychiatriques index « T » dont le financement, complété par une intervention financière supplémentaire du SPF Santé publique, est ainsi injecté dans des initiatives ambulatoires, telles les CMI dont le rôle est primordial mais le nombre de situations cliniques à suivre risque d'être rapidement trop nombreux vu leur maigre effectif. Il y aurait lieu de tenir compte de la différence de programmation de ces lits index « T » entre les trois Régions du pays pour qu'une solution la plus équitable possible soit trouvée.

2. Le PTCA passé de projet-pilote à unité agréée: un upgrade en personnel accompagne une désaffection de lits index « T » au taux de 1,33 lits T pour 1 lit nommé « IB PTCA » (en néerlandais: IB-SGA). En parallèle, une convention entre le SPF Santé publique et les institutions psychiatriques signataires permet notamment de cadrer les missions, les critères d'inclusion de patients, le développement de programme de soins spécifiques et de recherche ainsi que la durée des séjours. Un comité d'accompagnement soutien et encadre ce projet. Il réunit les représentants du SPF Santé publique et les hôpitaux signataires de la convention.

3. La reconversion de lits index « T » en lits « A » au taux d'environ 1,5 lits « T » pour 1 lit « A » avec un complément de subsides issu des Régions.

Il existe actuellement une inquiétude du secteur quand au risque que le recours à ce seul mode de financement entraîne une discrimination en terme de soins apportés aux patients en fonction de leur lieu de résidence et du niveau économique de leur région. En effet, seules les régions les plus riches seraient dès lors en mesure de disposer des moyens nécessaires pour lancer ce type de programme de soins.

En tenant compte de ces différents aspects éthique, humain, organisationnel, économique, financier ainsi que de la sixième réforme de l'État, l'orateur recommande un plan en trois étapes:

1. le lancement, sans tarder, par le SPF Santé publique d'unités pilotes dans les 3 régions du pays. Ceci permet le développement d'un cadre défini par le pouvoir subsidiant et son suivi par un Comité d'accompagnement et, limite le risque de discrimination par région. Son coût pour une unité de seize lits est de 1 326 000 euros. Une telle initiative prise par l'État fédéral coûte donc moins de 4 millions d'euros pour couvrir les trois Régions du pays;

2. l'établissement d'un cadastre national sur la problématique: qui fait quoi, comment et avec quels résultats ?;

3. selon les résultats du cadastre, la complémentation éventuelle, par Région, des unités pilotes par d'autres unités sur base d'une reconversion de lits T en lits A avec subside régional complémentaire.

Ces trois étapes permettraient de répartir l'effort budgétaire entre l'État fédéral, et les entités fédérées tout en soutenant les structures hospitalières prêtent à s'investir dans ces programmes de soins et donc de collaborer avec les pouvoirs subsidiant car ces structures ne se verraient que peu pénalisées dans le processus par la seule fermeture de quelques lits index « T ».

Avant de conclure, M. Titeca voudrait remercier les membres du Groupe de travail Double diagnostic créé au sein de l'ANHAM (l'Association nationale d'aide aux handicapés mentaux). Interpellé, sensibilisé par la détresse de ces patients, la répétition de drame pour les familles, par le nombre grandissant de ces situations catastrophiques, il a semblé évident d'accepter leur invitation à les rejoindre dans le challenge qu'ils relèvent. Il est ainsi partenaire pour la création d'unités hospitalières spécifiques, dont une susceptible d'accueillir à Bruxelles-Capitale ces patients, tant néerlandophones que francophones, lorsqu'ils sont en décompensation sévère.

L'orateur conclut donc en ayant une pensée pour les familles des personnes souffrant de double diagnostic pour souligner leur importance en citant un homme qui a marqué notre histoire et qui a dit ceci:

« ...J'en ai retenu qu'on mesurait le caractère d'un homme à son comportement dans l'adversité et qu'un héros ne pliait jamais même dans les circonstances les plus éprouvantes. »

Il faut savoir que nos héros, ces familles, sont à bout de souffle. Puisse Nelson Mandela inspirer pour qu'en 2014, des soins appropriés comme exigence de dignité soient effectifs pour ces patients et viennent enfin soulager ces familles.

VII. DISCUSSION

A. Questions et observations des membres

M. Brotchi remercie l'auteur de la proposition de résolution pour son initiative, pour le colloque qu'il a organisé à ce sujet et pour l'audition des experts. Ces derniers ont présenté un aperçu très clair de la problématique des patients à double diagnostic et n'ont pas manqué d'en souligner l'importance. La question est importante non seulement pour les personnes directement concernées, mais aussi pour leurs familles, qui doivent rechercher des solutions chaque fois qu'elles sont confrontées à des situations critiques. Il convient dès lors d'agir au niveau politique, à tout le moins pour faire face aux problèmes très urgents qui se posent en particulier dans la Région de Bruxelles-Capitale. Au niveau national, il faut absolument élaborer un cadastre, ainsi que M. Titeca l'a suggéré.

M. du Bus de Warnaffe souligne que la proposition de résolution à l'examen est le fruit d'une longue collaboration avec les divers intervenants et leur entourage. Il remercie également les membres de la commission des Affaires sociales d'avoir bien voulu accorder à cette question l'attention qu'elle mérite. Il s'agit en effet d'une problématique nouvelle pour les membres de cette commission, comme c'était d'ailleurs le cas pour l'intervenant lui-même jusqu'il y a quelques années. Il ressort en tout cas des exposés des intervenants qu'il faut agir, quoi qu'il en soit; on ne peut pas laisser la situation en l'état. Plusieurs initiatives s'imposent d'urgence, sans qu'il faille nécessairement y consacrer des montants énormes. M. Titeca parle d'une initiative qui représenterait un montant de l'ordre de 4 millions d'euros pour les trois Régions réunies.

L'intervenant aimerait savoir pourquoi les services ad hoc au sein des hôpitaux psychiatriques n'ont pas été adaptés. On offre aujourd'hui des services pour les patients à double diagnostic à Bierbeek et Manage, mais pourquoi n'a-t-on pas développé d'initiatives dans les hôpitaux psychiatriques ? Est-ce parce que le carcan dans lequel on évolue est trop étroit, où est-ce dû à un manque de connaissances concernant les thérapies à proposer à ce type de patients ? Ou bien s'agit-il d'un problème lié aux questions institutionnelles de notre pays et à la répartition des compétences ?

M. du Bus de Warnaffe souhaiterait ensuite de plus amples explications sur les exemples concrets évoqués par Mme Baetens, et en particulier sur la maquette qu'elle a montrée.

Enfin, l'intervenant s'interroge sur la dimension européenne du problème des patients à double diagnostic. Un financement est-il prévu par exemple au niveau européen ?

Mme Detiège se demande s'il ne serait pas souhaitable d'associer l'enseignement — en particulier l'enseignement spécial — à l'approche du problème. En effet, il faut souvent attendre plusieurs années pour pouvoir disposer d'un diagnostic correct, et à ce moment, les parents sont confrontés à la délicate question de savoir quel établissement est le plus adéquat pour prendre en charge et accompagner le patient. Les parents sont souvent seuls face à ce choix.

B. Réponses des experts

M. Titeca rappelle que, pour des raisons historiques, les hôpitaux psychiatriques disposent d'un grand nombre de lits d'index T. Or, ces lits sont les moins subventionnés, tant sur le plan financier qu'en termes d'encadrement en personnel. Si on souhaite apporter une réponse à la problématique des patients à double diagnostic, la question de l'encadrement en personnel est très importante. Les normes en vigueur ne sont plus adaptées aux dernières évolutions de la médecine ni aux programmes thérapeutiques qui requièrent une approche pluridisciplinaire. C'est donc à juste titre que la proposition de résolution à l'examen demande que ces normes soient revues.

On constate d'ailleurs qu'en Communauté flamande, on procède à la reconversion progressive d'un grand nombre de lits d'index T à un nombre plus restreint de lits d'index A, afin de pouvoir disposer d'un personnel plus nombreux par lit. La Communauté flamande prévoit en outre de renforcer les effectifs en personnel. Selon M. Titeca, le cadre proposé par la législation doit être suffisamment fourni et assez souple pour permettre une véritable créativité thérapeutique.

M. De Groef souligne que les personnes atteintes d'un handicap mental ne sont plus considérées, pour la plupart, comme relevant de la psychiatrie: l'on a abandonné le modèle médical pour un modèle citoyen. L'aide à la personne handicapée s'est professionnalisée, mais en même temps, force est de constater que les personnes atteintes d'un handicap peuvent également se voir confrontées à des problèmes de santé mentale. Cette situation est de plus en plus fréquente, survient de plus en plus tôt et se complique de plus en plus. Les deux secteurs — l'aide aux personnes handicapées et les soins de santé mentale — ont chacun leur spécificité, leur culture et leur expertise, mais dès qu'un problème acquiert un caractère transversal, chacun se renvoie la balle. D'après l'intervenant, l'essentiel de la solution est donc que les deux secteurs collaborent en respectant et reconnaissant leurs particularités et leurs compétences spécifiques.

Cette situation se manifeste dans toute l'Europe et nous vient des États-Unis, où les premiers hôpitaux psychiatriques ont été fermés. Il y a cependant une « National Association on Double Diagnosis » qui a constaté que les patients en question ont d'abord été éloignés des hôpitaux psychiatriques, mais que depuis peu, ceux-ci leur rouvrent à nouveau leurs portes. Toutefois, cela demande un encadrement particulier et des compétences spéciales. En outre, de tels hôpitaux psychiatriques ne sont pas des lieux de vie, mais le risque est réel que les patients concernés y demeurent quand même parce que le secteur des soins aux handicapés est incapable de leur apporter l'aide nécessaire pour les réinsérer dans leur environnement ordinaire. Il est donc essentiel de tracer un circuit global de soins, ce qui suppose une collaboration et une réflexion commune, et ce à la bonne échelle, ni trop grande, ni trop petite, toujours selon M. De Groef.

Par rapport à l'implication de l'enseignement, l'intervenant souscrit totalement à l'intervention de Mme Detiège. D'ailleurs, il faut également mobiliser l'appareil judiciaire puisque l'élément forensique joue un rôle majeur. Mais ceci augmente encore la pression sur la cohérence de l'approche. Dans la pratique, il s'avère effectivement qu'il est extrêmement difficile de mettre en place une approche intégrale. Tout cela met aussi en évidence l'importance de la prévention, qui doit permettre d'éviter que l'on se retrouve dans une situation sans issue.

Mme Baetens souligne l'importance du travail en ateliers puisque les patients ont souvent des difficultés à s'exprimer verbalement. Pour un patient qui a toujours le sentiment de ne pas percevoir les limites de son propre corps et qui craint de le perdre, ou qui est incapable de différencier les objets et les conserve donc tous, il est important de pouvoir faire des choses susceptibles de remettre de l'ordre dans son univers. Lorsqu'il peut faire une action qui l'aide à différencier les objets, il peut également l'appliquer à son quotidien et ainsi mieux l'organiser. Bien entendu, cette approche nécessite un encadrement et un suivi adéquats, mais l'on constate qu'elle élimine également en grande partie l'agressivité et la violence chez le patient concerné.

Au départ, cette évolution s'amorce à l'hôpital ou dans l'institution où l'intéressé séjourne, mais elle doit également être partagée par ceux qui l'accueilleront ensuite, qui doivent aussi respecter l'univers du patient.

D'après Mme Baetens, cette approche engendre non seulement une meilleure qualité de vie, mais diminue également les épisodes violents et agressifs chez l'intéressé. Elle souligne que par le passé, cette approche n'a pas toujours pu être suivie par manque de moyens financiers. De même, pour les intervenants, il n'est pas toujours facile de s'y retrouver et de rencontrer les bonnes personnes, celles susceptibles de valoriser l'approche.

M. De Groef se réfère à l'étude d'impact réalisée à l'Université de Manchester par Nigel Bale, qui a très clairement mis en évidence que les personnes atteintes d'un handicap mental peuvent également tirer un profit substantiel de la psychothérapie, pour autant que celle-ci se fasse avec des moyens appropriés et de manière adéquate. Il n'empêche que les psychothérapeutes ne sont pas très enclins à travailler avec ces patients, attitude qui s'explique souvent par le fait qu'ils ne sont pas du tout familiarisés avec une telle problématique. Ici aussi, il est donc nécessaire de disposer de l'aide et de la formation nécessaires.

Enfin, l'intervenant épingle le fait qu'en tendant toujours — et à bon droit — vers davantage d'inclusion, on risque également de surestimer les capacités de certains patients, en cherchant à tout prix à les insérer dans la société de façon trop ordinaire, avec tous les problèmes que cela peut engendrer. Le diagnostic et l'encadrement doivent s'accorder non seulement avec le niveau intellectuel, mais aussi avec le niveau socio-émotionnel. L'on pourra ainsi éviter une kyrielle de problèmes de comportement.