5-2274/2

5-2274/2

Sénat de Belgique

SESSION DE 2013-2014

7 JANVIER 2014


Projet de loi portant assentiment à l'Accord entre le Royaume de Belgique et les États-Unis d'Amérique sur le renforcement de la coopération dans la prévention et la lutte contre la criminalité grave, établi à Bruxelles le 20 septembre 2011


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES RELATIONS EXTÉRIEURES ET DE LA DÉFENSE PAR

MM. DE DECKER ET DE GROOTE


I. INTRODUCTION

La commission a examiné ce projet de loi lors de sa réunion du 7 janvier 2014.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU REPRÉSENTANT DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Ces dernières années, la criminalité grave et le terrorisme ont acquis une dimension internationale toujours plus prononcée. Nos frontières nationales constituant de moins en moins un obstacle à ces phénomènes, il s'avère de plus en plus nécessaire de collaborer avec d'autres pays, à la fois au sein et en dehors de l'Union européenne (UE), en vue de mieux prévenir et de lutter contre ces problèmes. La collaboration doit surtout être intensifiée en matière d'échanges de données. C'est principalement l'échange d'informations à caractère personnel qui est crucial à cet égard. Les États-Unis d'Amérique sont un important pays partenaire dans la lutte contre la criminalité grave et le terrorisme.

L'Accord du 20 septembre 2011 sur le renforcement de la coopération dans la prévention et la lutte contre la criminalité grave doit en outre être envisagé à la lumière du « Visa Waiver Program » américain qui a été modernisé en 2007. Les exigences du programme en termes de sécurité ont été renforcées et sa gestion a été confiée au « Department of Homeland Security » créé en 2002 et qui a également été chargé d'évaluer si les pays participant au programme répondent aux exigences fixées. Les États-Unis ont dès lors proposé à l'ensemble des États membres de l'UE de conclure des accords sur le renforcement de la coopération dans la prévention et la lutte contre la criminalité grave. La conclusion de ces accords est liée à la dispense de visa pour les personnes qui voyagent aux États-Unis avec un passeport international.

Fin 2008, la Belgique a reçu un projet de texte des États-Unis. Début 2010, un accord a pu être atteint sur un mandat de négociation et la Belgique a communiqué aux États-Unis qu'elle était disposée à entamer les discussions au sujet du texte. Dans notre réponse aux États-Unis, nous avons énuméré un certain nombre d'éléments à prendre en considération pendant les négociations. La demande de loin la plus importante était de prévoir suffisamment de garanties en termes de protection des données pour que les normes belges en la matière puissent être respectées.

Les négociations ont eu lieu pendant la première moitié de 2010 et le résultat a été soumis pour approbation à la Commission de la protection de la vie privée, comme convenu dans le mandat de négociation. Le 24 novembre 2010, cette Commission a rendu un avis généralement positif. Le projet de texte a finalement pu être approuvé par le Cabinet restreint en date du 8 septembre 2011 et signé le 20 septembre 2011 par les ministres belges de l'Intérieur et de la Justice de l'époque et l'« Attorney General » américain.

L'Accord s'inspire fortement du Traité entre la Belgique, l'Allemagne, l'Espagne, la France, les Pays-Bas, le Luxembourg et l'Autriche sur l'approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale, qui a été signé le 27 mai 2005 à Prüm et également ratifié par la Belgique. C'est pour cette raison que l'on parle également de « Prüm-like Agreement » avec les États-Unis. Le Traité de Prüm et l'accord d'exécution administrative et technique ont d'ailleurs été transférés en 2008 dans l'ordre juridique de l'Union européenne, avec pour conséquence que ces dispositions s'appliquent aujourd'hui à l'ensemble des États membres.

L'Accord a été soumis au parlement début 2014, vu le fait que l'exposé des motifs a encore dû être adapté aux observations du Conseil d'État dans son avis, émis le 23 janvier 2013 (doc. Sénat, nº 5-2274/1, p. 43).

III. ÉCHANGE DE VUES

Selon M. Anciaux, l'Accord à l'examen s'inscrit parfaitement dans le cadre de la coopération dans la lutte contre la criminalité grave. Il est cependant à souligner qu'un large volet de l'Accord porte sur des aspects liés à la protection de la vie privée dans le cadre de l'échange et du traitement de données à caractère personnel. En temps normal, cet Accord ne donnerait lieu à aucune discussion, mais dans le contexte actuel d'espionnage de notre pays et d'autres pays de l'Union européenne par les États-Unis, une certaine prudence s'impose. Il est donc permis de douter que l'Accord à l'examen puisse être appliqué de façon normale. En effet, tout dépendra de la question de savoir si les deux parties se font suffisamment confiance. En conséquence, il faudra une garantie que les États-Unis cessent d'espionner notre pays. Mais comment garantir que l'Accord puisse être exécuté dans le respect mutuel ?

M. Mahoux estime que, dans l'Accord, l'échange de données à caractère personnel dépasse le cadre de la lutte contre le crime organisé. Les définitions de la criminalité organisée varient fortement d'un pays à l'autre. Les États-Unis estiment que les actions des « agents d'alerte », comme Edward Snowden, relèvent de la criminalité organisée.

La Commission européenne avait d'ailleurs un mandat pour négocier avec les États-Unis, mais ces derniers ne reconnaissent que les traités bilatéraux dans ce domaine. La Cour de Justice de Luxembourg estime qu'il faut que les pays membres adoptent une attitude respectueuse d'un tel mandat qu'ils ont donné à la Commission européenne. Cela n'enlève cependant pas toute liberté à ces pays de conclure des traités bilatéraux et d'y apporter des caractéristiques spécifiques. La Convention européenne des droits de l'homme prévoit qu'indépendamment des traités bilatéraux, les pays membres, en l'occurrence la Belgique, continuent à être individuellement responsables du sort réservé à ses concitoyens. De cette manière, notre pays ne peut pas s'exonérer des obligations qu'elle a de protéger des atteintes portées à la vie privée.

L'orateur rappelle que lors de la discussion sur le projet de loi portant assentiment au Traité entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d'Allemagne, le Royaume d'Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et la République d'Autriche relatif à l'approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale, et aux Annexes, faits à Prüm, le 27 mai 2005 (doc. Sénat, nº 3-1746/3), on a largement abordé les problèmes de la protection de la vie privée et la conception de la criminalité organisée. En outre, on a soulevé la question de la position de la Belgique envers un pays, comme les États-Unis qui pratique toujours la peine de mort. Ces préoccupations n'empêchent pas de considérer comme importante la coopération internationale entre pays démocratiques afin de prévenir et d'éviter des atteintes graves à la sécurité collective, mais imposent d'être attentif au suivi.

Le texte de l'Accord a été adapté en fonction des observations de la Commission de la protection de la vie privée du 24 novembre 2010 (avis nº 27/2010). Ce texte remanié ne semble cependant pas avoir été soumis de nouveau à cette Commission.

L'orateur se réfère aux observations de la Commission de la protection de la vie privée relatives aux banques de données ADN (points 28 à 32 de l'avis du 24 novembre 2010). Uniquement les données qui se trouvent dans les banques font l'objet d'une transmission et les données, individuelles au départ, ne sont pas transmises. S'il y a correspondance entre les profils ADN comparés, il y a une demande supplémentaire de levée de l'anonymat des données qui n'est attribuée que si les parties concernées sont d'accord. Après une approche collective et anonyme au niveau des banques de données, on arrive donc à une approche plus individualisée, liée au type d'incrimination concernée.

M. De Groote estime que la seule manière de prévenir et de combattre le terrorisme est d'optimiser la coopération entre les divers pays concernés. Il est néanmoins important que l'Accord offre suffisamment de garanties au regard de la protection de la vie privée dans le cadre du traitement de données à caractère personnel. L'exposé des motifs, ainsi que le texte de l'Accord proprement dit, ont d'ailleurs été modifiés à la suite des remarques de la Commission de la protection de la vie privée.

Dans son avis, le Conseil d'État fait observer que la version remaniée des textes n'a plus été soumise à l'avis de la Commission de la vie privée, dans la mesure où les remarques de cette dernière ont été largement suivies (doc. Sénat, nº 5-2274/1, p. 47). Quelles sont les remarques auxquelles il n'a pas été donné suite ?

M. Hellings demande pourquoi un Accord déjà signé en 2011 n'est soumis à l'assentiment du Sénat qu'en 2014. L'Accord ne porte pas seulement sur des données à caractère personnel mais en particulier sur les profils ADN et des empreintes digitales, ce à quoi le représentant du ministre n'a même pas fait allusion dans son exposé introductif. Cet accord est qualifié par le même représentant de « Prümlike agreement ». À tort, l'Accord dit de « Prüm » de 2006 était conclu entre des États de l'Union européenne, ayant tous ratifié la Convention des droits de l'homme. Ici, il s'agit d'un traité liant la Belgique et les États-Unis, or ceux-ci n'ont pas la même conception du respect des droits de l'homme qu'un État de l'Union européenne, en particulier sur la question cruciale de la peine de mort.

Lors du Conseil européen d'octobre 2013, le président français et la Chancelière allemande ont proposé de lancer des négociations entre les alliés européens et les États-Unis pour mettre sur pied un traité de non-espionnage réciproque afin d'encadrer la façon dont des données à caractère personnel sont transmises vers les États-Unis. Notre premier ministre a souhaité participé à cette initiative. Or, dans le présent Accord, la Belgique s'offre littéralement aux États-Unis alors qu'on sait qu'ils nous espionnent. La Belgique aurait pu soumettre la ratification de l'Accord en question à la condition de la mise à disposition d'informations sur les pratiques d'espionnage par les États-Unis, actuellement en cours. C'est une occasion manquée de profiter d'un levier important pour obtenir ces informations cruciales pour le respect de la vie privée mais aussi l'intérêt de nos entreprises.

L'Accord ne tient absolument pas compte de la nouvelle donne, induite par l'affaire « PRISM », soit le système de surveillance généralisé dont les États-Unis se sont dotés pour la collecte de renseignements. L'Accord prévoit que les données transférées ne se rapportent pas à une personne elle-même (données cryptées). Or, on sait depuis les révélations du lanceur d'alerte Snowden que, via le système « PRISM », les bases de données sont interconnectées entre les différentes autorités et agences de sécurité américaines. L'orateur se réfère à l'étude de Yves-Alexandre de Montjoye (UCL), César A. Hidalgo (MIT), Michel Verleysen (UCL) et Vincent D. Blondel (UCL) sur « Crowd: The privacy bounds of human mobility », publiée le 25 mars 2013 dans Nature Scientific Reports. Il en ressort qu'à partir du moment où on mixait une série de quatre données de localisation des données relatives au GSM, on pouvait identifier toute personne concernée. Imaginons maintenant que les agences de sécurités américaines bénéficient d'un accès à nos bases judicaires de données ADN et d'empreintes digitales ... et les mixent aux autres données dont ils disposent !

Par l'Accord, on livre en páture une série de données à caractère personnel extrêmement sensibles qui une fois interconnectées à d'autres données pourraient poser problème au niveau du respect de la vie privée et du droit à l'association.

L'orateur signale d'ailleurs qu'un projet de loi relatif à la gestion de l'information policière et modifiant la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police, la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel et le Code d'instruction criminelle (doc. Sénat, nº 5-2366) est en ce moment examiné par la commission de l'Intérieur du Sénat. Ce débat est délicat et a même donné lieu à des auditions. Il s'agit bel et bien des mêmes bases de données dont on parle là, que celles qui seront accessibles aux partenaires américains.

Quelle est la base de données autre que les empreintes digitales et l'ADN qui fera l'objet d'un transfert automatique aux autorités américaines ? La police collecte aussi des données sur des personnes non soupçonnées de faits graves. Ces données seront-elles également mises à disposition des États-Unis en vertu de ce même Accord ?

L'Accord porte aussi sur le terrorisme. Étant donné que les États Unis ont une autre notion juridique sur ce qu'est le terrorisme que la Belgique, il convient d'être très prudent. Quels sont les autres pays de l'Union européenne qui ont signé le même type d'accord avec les États-Unis ?

Pendant les XIXe et le XXe siècles, la Belgique était une terre d'asile pour des personnes étrangères dont les visions dérangeaient les leaders politiques dans leur pays d'origine. L'orateur pense à Marx et Hugo. En s'associant à un accord qui privilégie la transmission informatique de données à caractère personnel à des pays qui ne respectent pas les mêmes valeurs que nous, la Belgique se prive de cette extraordinaire force politique de pouvoir être un pays d'accueil. Or, les lanceurs d'alerte comme Edward Snowden, qui dénoncent des faits graves, devraient être pouvoir accueillis dans un pays comme le nôtre, ce qui n'est plus possible aujourd'hui, à cause de ce type d'initiatives.

L'orateur se réfère enfin à l'avis du Conseil d'État qui stipule que « Toutefois, diverses autres questions se posent encore. Ainsi, entre autres, celle de savoir si l'accord comporte des garanties suffisantes concernant le traitement des données obtenues « pour toute autre finalité » (article 13, paragraphe 1er, d, de l'Accord) et lors de la transmission de ces données à des États tiers (article 13, paragraphe 2, de l'Accord). Chacune de ces questions requiert un examen du droit actuellement en vigueur aux États-Unis afin de vérifier s'il appuie ou restreint les garanties inscrites dans l'accord » (doc. Sénat, nº 5-2274/1, p. 49, point e)). Or, on n'a aucune garantie que ces données, une fois transférées ne puissent pas servir à d'autres finalités, ce qui est inquiétant !

M. De Decker signale que les États-Unis ont déjà pris des mesures pour restreindre les excès des système du type « PRISM ». Gráce à Edward Snowden, les États-Unis se sont rendus compte qu'il y avaient plus d'inconvénients que d'avantages à cette méthode de travail.

Le présent Accord est une réponse à cela et peut dissuader des pays comme les États-Unis de procéder ainsi. Les échanges d'information se font entre pouvoirs judiciaires et ne pas entre corps de police ou services de renseignements. Il est d'ailleurs impératif que les États et les pouvoirs judiciaires s'échangent de l'information pour réduire le champ de manœuvre de la criminalité internationale sous toutes ses formes qu'elle que soit son origine (d'État, de nature terroriste ou de trafic de toute nature). Le type de crime qui concerne cet Accord a été précisé à l'Annexe (doc. Sénat, nº 5-2274/1, p. 41).

De plus, l'Accord permet à chacune des Parties contractantes de préserver ses valeurs dans le cadre de la coopération judiciaire. L'important aspect de la lutte contre la peine de mort y a été réglé. En outre, le 24 novembre 2010, la Commission de la protection de la vie privée a émis un avis favorable (nº 27/2010) sur le texte. Il ne faut pas oublier que la criminalité internationale profite du fait que les États se méfient l'un de l'autre et ne parviennent pas à mettre en œuvre une forme suffisante de coopération. Cet Accord met justement en place une coordination judiciaire poussée et protège les citoyens contre les excès des méthodes sauvages d'espionnage. De plus, l'intervenant signale qu'il y a d'autres pays, même membres de l'Union européenne qui procèdent exactement de la même manière que les États-Unis dans le cadre de « PRISM ».

Le représentant du ministre des Affaires étrangères précise qu'il s'agit d'un accord bilatéral réciproque. La question de la peine de mort ne se pose d'ailleurs pas puisqu'il s'agit d'échange d'information dans le cadre de la coopération judiciaire et pas d'extradition.

M. Mahoux répond que la question de la peine mort se pose quand même de manière indirecte. Si une des partie demande la levée de l'anonymat des données à caractère personnel, et les données lui sont fournies, elles peuvent mener à une condamnation de la personne y inclus une condamnation à la peine de mort. De cette façon, notre pays risque de collaborer en aval à une décision de justice aux États-Unis qui appliquerait la peine de mort. Or, pour devenir membre de l'Union européenne, il faut avoir aboli la peine mort. Cela est très important dans le cadre des relations de notre pays avec d'autres pays qui ont maintenu la peine de mort.

M. Anciaux souligne que l'Accord ne porte en principe que sur la procédure judiciaire. Cependant, la fourniture d'informations dans ce cadre peut toutefois conduire indirectement une condamnation à la peine de mort.

Conformément à l'article 13 de l'Accord, les informations transmises ne peuvent généralement être utilisées qu'à des fins précises. En revanche, l'article 13.b stipule que les données peuvent également être utilisées pour prévenir une menace sérieuse envers la sécurité publique d'une partie contractante. Aux États-Unis, la notion de « sécurité publique » est interprétée de façon beaucoup plus large qu'en Belgique. Si l'une des parties ne joue pas le jeu loyalement, cela risque de mettre à néant le principe du respect d'une stricte finalité pour l'utilisation des informations.

Dans son avis, le Conseil d'État s'est d'ailleurs prononcé à ce sujet en ces termes: « Toutefois, diverses autres questions se posent encore. Ainsi, entre autres, celle de savoir si l'Accord comporte des garanties suffisantes concernant le traitement des données obtenues « pour toute autre finalité » (article 13, paragraphe 1er, d, de l'Accord) et lors de la transmission de ces données à des États tiers (article 13, paragraphe 2, de l'accord). Chacune de ces questions requiert un examen du droit actuellement en vigueur aux États-Unis afin de vérifier s'il appuie ou restreint les garanties inscrites dans l'Accord. » (doc. Sénat, nº 5-2279/1, p. 49).

L'intervenant demande de lever l'ambiguïté par rapport à l'interprétation de l'article 13 de l'Accord.

M. Hellings rappelant le Maccarthysme du début des années cinquante aux États-Unis où des prétendus communistes étaient interrogés, enfermés, voire condamnés, estime que la prudence est de mise pour l'Accord à l'examen. Le Memory of Understanding qui accompagne l'Accord a été rédigé par le Department of Homeland Security, une instance de la sécurité intérieure américaine rassemblant toutes les agences en charge de la sécurité (y compris les agences de renseignement), comme l'avait voulu l'ancien président américain Bush. Dès lors, le risque existe de voir des données collectées dans le cadre de la coopération judiciaire entre les États-Unis et la Belgique, utilisées par n'importe quelle agence de renseignement américaine à d'autre fins que celles avancées au départ par les États-Unis pour les obtenir.

Le représentant du ministre de la Justice répond qu'il faut bien faire une distinction entre le système judiciaire de l'Accord d'une part et les affaires d'espionnage, comme l'affaire Snowden, d'autre part. L'Accord présente un cadre judiciaire, ce qui implique que toutes les garanties judiciaires doivent être respectées.

Pour l'échange de données, il y a lieu de respecter le principe de finalité. En ce qui concerne le délit de terrorisme, il est ainsi fait référence au droit national des deux parties contractantes. Pour la Belgique, il s'agit des infractions pénales visées dans la décision-cadre européenne de 2002 relative à la lutte contre le terrorisme, qui a été adaptée en 2008. Cela signifie que les faits doivent figurer dans notre Code pénal (en l'occurrence dans les articles 137 à 140). Les informations ne sont transmises que pour des infractions terroristes relevant du cadre juridique de ces articles. Il est donc exclu de communiquer, par exemple, des données concernant des opposants.

En outre, l'échange de profils ADN et de données dactyloscopiques est fortement encadré et anonymisé. En cas de correspondance, le parquet fédéral et, le cas échéant, le juge d'instruction, sont mis à contribution. Il s'agit donc d'une procédure judiciaire ordinaire.

Le Conseil d'État et la Commission pour la protection de la vie privée ont soulevé que l'Accord ne contenait pas par lui-même des garanties en matière de données. Si l'Accord venait à contenir des garanties propres, il y auraient de fortes chances qu'il ne serait pas avalisé par le Congrès américain.

Le droit américain offre-t-il des garanties à cet égard ? Le Privacy Act n'est pas applicable aux européens. Cependant d'autres lois s'appliquent bien aux pays de l'Union européenne et présentent les mêmes garanties que la loi belge du 8 décembre 1992 dite « sur la vie privée ». Cette loi américaine offre la garantie de droit à l'information et l'accès à ces données. Le Freedom of Information Act de 1978 donne à toute personne indépendamment de sa nationalité, le droit d'avoir accès à ses données. L'administration peut refuser pour les mêmes motifs que dans notre loi nationale. Dans ce cas-là, la personne peut faire appel au Data Protection Officer qui est affecté au Département de la Justice, au FBI et au Privacy Committee. Si la personne n'est pas d'accord avec la décision du Data Protection Officer, elle peut sur la base de l'Administrative Process Act faire appel à un juge judiciaire pour contester toute décision prise à son égard par l'administration. Le système pour la protection de la vie privée américain est différent du nôtre mais très efficace parce qu'il y a, à la clef, un juge judiciaire, indépendant de l'administration américaine.

M. Mahoux signale qu'il est souvent assumé que les États-Unis ne souhaitent pas conclure des conventions multilatérales tandis qu'ici on dit que ce sont plutôt les autorités européennes qui refusent de s'y impliquer. Le Traité de Lisbonne a-t-il d'ailleurs changé quelque chose dans ce domaine ?

Le représentant du ministre de la Justice répond que les États-Unis quant à eux préfèrent de loin de traiter en bilatéral, mais il faut signaler que la Commission européenne refuse de présenter un mandat de négociation en dépit du fait qu'il s'agit d'une compétence partagée au niveau européen. De plus, le Traité de Lisbonne implique le Parlement européen dans le processus.

M. Mahoux estime que cela serait bien une des premières fois que la Commission européenne tiendrait de manière aussi importante, compte de la notion de subsidiarité.

Le représentant du ministre de la Justice explique que les traités bilatéraux de la Belgique doivent respecter la Convention européenne de droits de l'homme, et en particulier l'article 8 relatif au respect de la vie privée et la Convention nº 108 pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du Conseil de l'Europe.

D'après l'exposé des motifs, notre pays peut fixer les conditions du traitement ultérieur des données (doc. Sénat, nº 5-2274/1, p. 12). Les États-Unis sont tenus d'accepter ces conditions.

Le représentant du ministre de l'Intérieur signale que les États-Unis sont un pays partenaire majeur pour la Belgique, dans le domaine de la coopération policière et judiciaire. Au cours des dernières années, nos deux pays ont coopéré dans environ trois cents dossiers opérationnels sur une base annuelle. Il est donc important de bien ancrer juridiquement la coopération judiciaire et policière. L'échange de données à caractère personnel n'est possible qu'à des fins pénales et l'Accord porte uniquement sur les enquêtes et la prévention en matière de criminalité grave. L'article 2.3 de l'Accord stipule qu'il s'agit de crimes punissables par des peines de privation de liberté de minimum un an qui sont référencées à l'annexe de l'Accord (doc. Sénat, nº 5-2274/1, p. 31). Ces deux conditions doivent toujours être remplies cumulativement.

L'accès direct et de manière automatisée aux « données indexées » ne s'applique qu'aux données dactyloscopiques et profils ADN. Cela peut s'avérer intéressant pour vérifier si des traces ouvertes ont déjà été enregistrées dans les banques de données nationales de l'autre partie contractante.

Conformément à l'article 4 de l'Accord, les consultations ne peuvent s'opérer qu'au cas par cas et par le biais des points de contact nationaux. Il est donc impossible de procéder dans ce cadre à des consultations à grande échelle.

À l'heure actuelle, les États-Unis ont déjà signé un tel accord avec vingt-cinq États membres de l'UE. Il s'agit, en dehors de la Belgique, de l'Autriche, de la Tchéquie, du Danemark, de l'Estonie, de la Finlande, de la France, de l'Allemagne, de la Grèce, de la Hongrie, de l'Irlande, de l'Italie, de la Lettonie, de la Lituanie, du Luxembourg, de Malte, des Pays-Bas, du Portugal, de la Slovaquie, de la Slovénie, de l'Espagne, de la Suède, du Royaume-Uni, de la Bulgarie et de la Croatie.

M. Anciaux reste d'avis que la finalité énoncée par l'article 13.1.b de l'Accord, à savoir « prévenir une menace sérieuse envers sa sécurité » est la porte ouverte à d'autres applications extrajudiciaires des données échangées. Pourrait-on donner des garanties que cela n'arrivera pas ?

D'après l'intervenant, il y a d'ailleurs également une différence d'interprétation entre le texte de l'article 13 de l'Accord et l'exposé des motifs concernant cet article. L'exposé des motifs donne l'impression que les quatre conditions pour l'échange de données sont indépendantes l'une de l'autre, alors que le texte même de l'article 13 établit un lien entre les deux dernières conditions c. et d. L'intervenant en conclut que l'accord préalable des parties contractantes doit seulement être demandé pour des finalités complémentaires par rapport à des démarches non pénales ou administratives, énumérées au point c.

Le représentant du ministre de la Justice répond qu'en matière d'entraide judiciaire pénale, l'État requérant peut utiliser des preuves pour autant qu'il y a un lien entre des données. L'exposé des motifs prévoit que la Belgique n'avalisera l'usage ultérieur des données que sur la base d'une motivation et moyennant son autorisation préalable (au cas par cas). Cet accord préalable et la décision doivent pouvoir faire l'objet d'un contrôle juridictionnel. (doc. Sénat, nº 5-2274/1, p. 17). Nous devons également pouvoir faire preuve d'une certaine souplesse par rapport à la notion de « matières judiciaires » qui peut avoir une signification différente aux États-Unis.

M. Mahoux se réfère à l'article 13.1.b qui stipule que chaque Partie peut traiter les données « pour prévenir une menace sérieuse envers la sécurité publique » (doc. Sénat, nº 5-2274/1, p. 35). Il faut préciser si cette condition s'inscrit dans le cadre d'une procédure judiciaire pénale ou si elle est plutôt liée au secteur des renseignements. Cependant, pour les conditions c et d, de l'article 13.1, il y a des garanties pour la mise en place d'un contrôle. L'orateur conclut que la prudence reste de mise en la matière.

M. Anciaux demande formellement au représentant du ministre qu'avant de procéder au vote en plénière sur le projet de loi à l'examen, notre gouvernement demande aux États-Unis de donner un signal clair qu'ils reconnaissent leur faute et de garantir qu'ils renonceront à des pratiques aussi inacceptables que l'espionnage des communications de notre pays.

Le représentant du ministre des Affaires étrangères répond que le ministre des Affaires étrangères a pris très au sérieux les révélations concernant d'éventuelles opérations d'espionnage menées par la NSA en Belgique. Il considère que — si elles sont avérées —, de telles pratiques sont inacceptables. Il a personnellement soulevé la question lors de différentes réunions internationales, la dernière occasion étant la réunion ministérielle OTAN de décembre 2013 où il a été le seul ministre des Affaires étrangères à faire allusion à ces écoutes en présence du secrétaire d'État John Kerry.

Dès juillet 2013, le ministre a envoyé une lettre personnelle à son homologue John Kerry pour lui faire part de son inquiétude par rapport aux informations parues dans la presse suite aux affaires PRISM et Snowden. Il a notamment insisté sur la responsabilité de la Belgique en tant qu'État hôte de l'Union Européenne et de l'OTAN et indiqué qu'il se joignait à ceux de ses collègues de l'Union européenne qui avaient demandé des clarifications. Le ministre a reçu une réponse orale par l'intermédiaire du chargé d'affaires américain. Dans cette réponse, le secrétaire d'État Kerry reconnaissait que cette question avait fait du tort aux relations entre Alliés et se disait en faveur d'un renforcement des contacts entre services de renseignements. Il insistait toutefois sur le fait que les actions des services de renseignements des États-Unis avaient uniquement comme objectif la lutte antiterroriste et avaient permis de déjouer au moins vingt-cinq tentatives d'attentats. Il réfutait absolument toute accusation relative à de l'espionnage industriel ou à la pénétration des systèmes nationaux de transfert de données.

S'agissant de la présentation d'excuses officielles, cela reste peu probable. D'abord parce qu'il n'est pas impossible que d'autres alliés (y compris certains qui ont protesté officiellement) se soient également livrés à ce genre d'activités et ensuite parce que jusqu'à présent les Américains n'ont pas reconnu avoir fait quoi que ce soit d'illégal sur le plan national ou envers leurs alliés. Il y a cependant eu diverses expressions publiques de regrets assez vagues et la reconnaissance par le président du fait que les services américains s'étaient peut-être laissés entraîner par ce que la technologie avait rendu possible. Il est pris note du fait que le président Obama a ordonné une revue approfondie des activités de la NSA. Il devrait d'ailleurs communiquer publiquement sur les premières conclusions de la revue dans les prochains jours. Il sera intéressant d'écouter ce qu'il aura à dire sur les activités qui auraient été menées à l'encontre des alliés.

IV. VOTES

Les articles 1er et 2 du projet de loi à l'examen ont été adoptés par 8 voix contre 1.

L'ensemble du projet de loi a été adopté par 7 voix contre 1 et 1 abstention.

Confiance a été faite aux rapporteurs pour la rédaction du présent rapport.

Les rapporteurs, Le président,
Armand DE DECKER. Patrick DE GROOTE. Karl VANLOUWE.

Le texte adopté par la commission est identique au texte du projet de loi (voir le doc. Sénat, nº 5-2274/1 — 2013/2014).