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Mme Marie Arena (PS). - Madame la présidente, la commission parlementaire mixte chargée de la réforme fiscale a souvent l'occasion d'évoquer l'évitement fiscal et ses pratiques agressives.
Le lundi 17 juin, dans un discours prononcé à Bruxelles devant la Chambre américaine de commerce, la commissaire européenne chargée des Nouvelles technologies, Neelie Kroes, appelait les multinationales du secteur des nouvelles technologies à se comporter en « bons citoyens de l'Europe » et à cesser de contourner l'impôt.
Elle soulignait que l'évitement fiscal était loin d'être le seul fait de compagnies spécialisées dans les nouvelles technologies ou de compagnies américaines - il y a d'ailleurs actuellement un débat sur les compagnies pétrolières qui viennent en Belgique pour profiter des intérêts notionnels, autre forme d'évitement fiscal - mais que cette pratique était de plus en plus associée à ces deux éléments et que cela comportait un risque, notamment pour leur réputation.
De grandes entreprises américaines, Apple, Google et Amazon notamment, ont récemment fait l'objet de critiques pour avoir, en toute légalité, délocalisé de manière artificielle leurs bénéfices dans des territoires à faible fiscalité dans le but de réduire leurs impôts de manière très significative.
En cette période difficile de déficits publics importants et où de nombreuses personnes en Europe souffrent, il est important que ces compagnies, américaines et autres, comprennent qu'être un bon citoyen de l'Union européenne est incompatible avec l'évitement fiscal à grande échelle.
En octobre, un Conseil européen s'est penché sur la question du numérique. Je crois savoir que la Belgique fait partie d'un groupe de réflexion réunissant aussi l'Allemagne, le Royaume Uni, l'Espagne, l'Italie, la Pologne et la Hongrie, pays qui sont porteurs d'un certain nombre de revendications à l'échelle de l'Europe.
Monsieur le ministre, quelles sont les grandes entreprises présentes en Belgique dans le secteur des nouvelles technologies qui pratiquent l'évitement fiscal ? La Belgique ne peut à la fois s'insurger contre l'évitement fiscal et être en même temps la source de cette pratique avec des outils tels que les intérêts notionnels. Qu'envisage le gouvernement pour lutter contre cette pratique ?
M. John Crombez, secrétaire d'État à la Lutte contre la fraude sociale et fiscale. - Je vous remercie pour cette question. Ce sujet compte, à mes yeux, parmi les plus importants de cette année et des deux suivantes, particulièrement sur le plan international. C'est d'ailleurs là que réside la nouveauté. En effet, jusqu'il y a peu, il était coutumier de considérer que ces questions ne pouvaient être traitées à l'échelon national. Or, désormais, une discussion internationale est engagée.
Je me réjouis d'autant plus de votre question, madame Arena, que la presse ne semble pas en faire un sujet majeur, pas plus que l'opinion publique ne s'en soucie. Les gens ont été mécontents face à la liste des grandes entreprises qui ne payaient pas correctement leurs impôts, mais la solution qui se met en place ne semble pas intéresser grand monde. Je le regrette.
Un aspect bien concret de votre question est difficile, dans la mesure où durant ces deux dernières années, je me suis refusé à donner des exemples, sous peine d'être accusé de stigmatisation - cela m'a parfois été reproché. Je ne le ferai donc pas, mais je comprends très bien que vous posiez cette question.
En ce qui concerne la deuxième partie de votre intervention, les décisions prises par le G 20 et surtout les mesures très concrètes envisagées par l'OCDE - que nous avons rencontré durant deux semaines et dont le département Taxes a visité le Parlement - sont remarquables. Je prendrai pour exemples le Country by country reporting - nous avons en effet besoin de mesures solides - ou le Base Erosion and Profit Shifting qui va être traduit et introduit concrètement au cours des prochains mois. Ces deux dispositifs réputés impossibles deviennent réalité sur le plan mondial.
De plus en plus de pays participent à la discussion car ils en comprennent le caractère indispensable.
Eu égard à la puissante réaction des lobbies, l'attention du public est nécessaire. L'ICIJ - évoqué dans une précédente demande d'explications - a publié la structure du lobbying mondial contre cette mesure, identifiant six groupes très actifs, dont nous ignorons les noms. Le lobbying s'intéresse aussi à l'OCDE, qui communique - et je l'en félicite - l'identité des lobbyistes et leurs souhaits. Ces derniers n'apprécient pas du tout le Country by country reporting mis en place par l'OCDE.
Deuxième exemple de lobbying, le Big Four. Comme par hasard, voici quelques semaines, le même rapport est sorti dans chaque pays. Chez nous, Deloitte affirmait que le climat d'investissement était assez bon en Belgique, mais qu'il ne fallait pas toucher à l'imposition des multinationales. Le lendemain, Ernst & Young disait exactement la même chose aux Pays-Bas... Ces déclarations sont répercutées par la presse.
Rappelons qu'en Belgique, les grandes entreprises paient trois fois moins d'impôts que les PME. Pour celles-ci, un cadre plus équitable est important ; certains éléments pourraient être en place dès 2015.
Je vous remercie de cette question et j'espère que notre échange sera largement diffusé, car peu de gens savent ce qui se passe. Si, en 2012, peu après l'installation du gouvernement, j'avais proposé de lutter contre les multinationales, on m'aurait proposé des médicaments ! Heureusement, les choses sont en train de bouger.
Mme Marie Arena (PS). - Je vous remercie pour ces informations sur les lobbies.
Différents experts sont venus s'exprimer devant la Commission parlementaire mixte chargée de la réforme fiscale. On a été étonné, voire outré, d'entendre des experts académiques déclarer que, pour éviter l'évitement fiscal des grandes entreprises, il fallait mettre l'impôt à zéro. À la question de la compensation, ils répondaient que, de toute manière, les grandes entreprises étaient déjà proches du taux zéro ; selon eux, une solution serait d'augmenter l'impôt des PME - alors que, de l'avis général, notre tissu économique et nos petites et moyennes entreprises doivent être protégés !
Voilà un exemple clair de lobbying venant des grands groupes. Les médias devraient en parler davantage, mais n'oublions pas qu'ils sont souvent financés par des structures financières, pas forcément dans l'intérêt de l'information.
(La séance est levée à 14 h 50.)