5-255COM

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Commission des Relations extérieures et de la Défense

Annales

MARDI 5 NOVEMBRE 2013 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Demande d'explications de Mme Marie Arena au ministre des Entreprises publiques et de la Coopération au développement, chargé des Grandes Villes sur «l'évolution de la corruption dans les pays partenaires de la Belgique» (no 5-4052)

Mme Marie Arena (PS). - J'aborderai un thème dont vous-même, monsieur le président, avez également parlé tout à l'heure dans votre demande d'explications au ministre Labille. J'avais déjà évoqué ce problème en séance plénière, dans une question adressée au ministre des Affaires étrangères. J'y soulignais que la Belgique était très mal placée pour juger de la corruption dans certains pays dans la mesure où elle n'agissait guère sur le plan national contre la corruption vis-à-vis de pays étrangers et contre les personnes qui s'adonnent à ces pratiques. L'idée n'est donc pas de faire la morale à qui que ce soit mais plutôt de voir quels sont les leviers dont nous disposons pour lutter contre ces phénomènes de corruption.

Le Corruption Risk Index (CRI) de 2013 est paru. Il classe les 197 pays du monde selon le « risque de corruption ». La République démocratique du Congo figure en tête de liste, dans la catégorie « risque extrême ». Elle n'est cependant pas la seule. La plupart des pays partenaires avec lesquels nous travaillons sont considérés comme présentant un risque important, qu'il s'agisse de l'Afrique du Sud (haut risque), de l'Algérie (haut risque), du Bénin (haut risque), de la Bolivie (risque extrême), du Burundi (risque extrême), de l'Équateur (haut risque), du Mali (risque extrême), du Maroc (haut risque), du Niger (haut risque), l'Ouganda (risque extrême), du Pérou (haut risque), du Rwanda (risque extrême), de la Tanzanie (risque extrême), des Territoires palestiniens (risque extrême) ou du Vietnam (risque extrême).

Tous nos pays partenaires sont donc dans les deux catégories de risque le plus grave. Nous avons souvent tendance à pointer du doigt la RDC mais, malheureusement, elle n'est pas le seul pays concerné par ce problème.

Par ailleurs, le Mozambique et le Sénégal, également pays partenaires de la Belgique, affichent les meilleures progressions parmi les 197 pays de l'index. Le Mozambique passe de « risque extrême » à « haut risque » en l'espace d'une année et ce, gráce à une nouvelle loi anti-corruption. Le Sénégal, lui, passe de la 34e à la 48e place gráce à un effort important dans la lutte contre la corruption.

On peut donc voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. J'aimerais savoir comment les mesures prises dans les pays qui ont bien progressé peuvent servir de modèle dans nos relations avec les autres pays avec lesquels nous sommes partenaires. Quelles sont, monsieur le ministre, les actions que vous comptez mener dans le domaine de la coopération au développement pour induire des évolutions positives ?

M. Jean-Pascal Labille, ministre des Entreprises publiques et de la Coopération au développement, chargé des Grandes Villes. - La lutte contre la corruption et l'amélioration de la gouvernance font évidemment l'objet de notre coopération sur le terrain. Les programmes indicatifs des pays de la région des Grands Lacs contiennent tous la thématique transversale « gouvernance » et l'on a développé pour ces trois pays l'outil de la tranche incitative qui a déjà porté ses fruits au Burundi dans certains domaines.

La Belgique a également soutenu plusieurs programmes des acteurs indirects, locaux, belges et multilatéraux, comme le World Bank Institute et le PNUD, pour la mise en oeuvre de programmes spécifiques.

Afin d'entretenir l'attention internationale pour ce sujet, la Belgique est entre autres membre de l'U4, le consortium de plusieurs bailleurs qui se concentre uniquement sur la lutte contre la corruption dans le développement. La Direction générale Coopération au développement (DGD) et la Coopération technique belge (CTB) profitent d'ailleurs des formations données par cet organisme.

Au Mozambique, la question de la lutte contre la corruption est, depuis plusieurs années, un des principaux thèmes du dialogue politique qui se tient régulièrement entre le groupe des bailleurs d'aide budgétaire (G19) et le gouvernement. Le progrès dans la lutte contre la corruption est d'ailleurs un des indicateurs principaux du cadre d'appréciation des prestations du gouvernement prévu dans le Memorandum of Understanding sur l'aide budgétaire.

Les bailleurs ont, à plus d'une occasion, exprimé leur frustration au sujet de la qualité de ce dialogue et de l'engagement du gouvernement, malgré le niveau élevé de l'apport en aide budgétaire. Pourtant, la façon dont ont été traités les cas récents de fraude présumée dans le secteur de la santé et de l'éducation, a également démontré que des cas spécifiques peuvent être adressés efficacement et que des mesures peuvent être prises pour empêcher une récidive.

Un paquet de nouvelles législations anti-corruption a été déposé au parlement par le ministère de la Justice en 2011. Ce paquet contenait entre autres un code éthique pour les fonctionnaires et une nouvelle loi pour la protection des personnes qui tirent la sonnette d'alarme. Cependant, ce nouveau code pénal ainsi que le code de procédure pénale, qui sont essentiels pour combattre efficacement la corruption, doivent encore être approuvés lors de la prochaine session du parlement.

Au Sénégal, le président, depuis son entrée en fonction en avril 2012, a engagé une série de réformes institutionnelles et structurelles ambitieuses, placées sous le signe de la transparence. Parmi ces initiatives, on peut retenir la création, fin 2012, de l'Office national de lutte contre la fraude et la corruption, le développement et le renforcement de la législation relative au commerce et à l'investissement, le renforcement du cadre législatif et institutionnel pour lutter contre la corruption - avec d'ailleurs une loi portant sur le code de transparence et une réforme de la Cour des comptes fin 2012 -, l'exécution de divers audits de projets gouvernementaux et la création d'un ministère pour la promotion de la bonne gouvernance, chargé de superviser l'instauration et la bonne gouvernance de tous les ministères.

L'initiative la plus remarquée est celle relative à la traque des biens supposés mal acquis, c'est-à-dire la poursuite de responsables de l'ancien régime soupçonnés de s'être illégalement enrichis pendant leur mandat.

Ces initiatives très médiatisées sont probablement appelées à se renforcer, notamment en ce qui concerne la mise en oeuvre concrète des législations adoptées qui laisse encore trop souvent à désirer. La tolérance de la population vis-à-vis de la corruption reste en effet assez élevée, en particulier en ce qui concerne la police, les partis politiques et le secteur judiciaire. Il n'en reste pas moins que le Sénégal apparaît comme l'un des États les plus avancés en termes de gouvernance démocratique en Afrique de l'Ouest, comme l'illustrent divers classements d'organismes indépendants : ce pays occupe la 10e place sur 52 États africains et la 3e en Afrique de l'Ouest dans l'indice Ibrahim de la gouvernance africaine de 2013.

Je voudrais ajouter que lorsque le développement d'un pays repose sur deux éléments, d'une part, l'extraction des ressources naturelles et, d'autre part, un système socioéconomique basé sur les inégalités, cela constitue le nid absolu de la corruption. Mon collègue des Affaires étrangères et moi-même n'insisterons jamais assez sur la nécessaire sécurisation du climat des affaires. Celle-ci est indispensable au développement socioéconomique que les populations concernées sont en droit d'attendre aujourd'hui.

Mme Marie Arena (PS). - Il faut en effet continuer sur cette voie, sans céder au chant des sirènes. Les classements qui montrent que les objectifs de lutte anti-corruption ne sont pas atteints pourraient inciter à transférer l'aide budgétaire vers l'aide aux projets, afin de ne plus alimenter un État soupçonné de corruption. Or, on sait bien que ce type de transfert ne permet pas de promouvoir la gouvernance.

Par ailleurs, nous devons aussi rendre des comptes sur l'utilisation de l'argent public belge, et il est parfois difficile de défendre auprès de notre population des budgets de coopération au développement alors même que les classements en matière de corruption ne s'améliorent pas.