5-2301/1

5-2301/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2013-2014

22 OCTOBRE 2013


Proposition de loi modifiant la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit en vue de renforcer l'assise financière des banques et à séparer les métiers bancaires

(Déposée par M. Jacky Morael et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


1º) De la crise bancaire à la crise de la dette publique

« Personne n'a vu venir cette crise », nous dit un ancien président d'une grande banque belge. Pourtant, il y a eu cent vingt-quatre crises bancaires dans le monde, depuis 1970, soit plus de trois par an. Des pays comme l'Italie, la Finlande, les États-Unis, la Norvège, la Suède ont été touchés au cours des trois dernières décennies. Les crises bancaires ne sont pas des événements fortuits, mais récurrents. Mais ce qui distingue cette crise des cent vingt-trois précédentes, c'est son ampleur et sa brutalité.

Beaucoup d'encre a coulé pour décrire le mécanisme de la titrisation des crédits subprimes américains. Les dépréciations sur ces titres, qui ont été achetés par de nombreuses banques à travers le monde, les touchent très durement. Par ce biais, des banques belges ont, en réalité, financé l'achat d'habitations aux États-Unis plutôt que de financer l'économie belge avec l'épargne des ménages. À l'ère de la finance globalisée, les banques sont liées les unes aux autres car elles se prêtent des fonds sur le marché interbancaire et achètent des titres émis par des consœurs (titres subprimes pour ne citer que ceux-là).

Lorsqu'une banque éprouve des difficultés financières importantes, l'ensemble du système bancaire est alors mis sous pression. C'est la logique de la mondialisation de la finance, ou de la circulation sans entrave des capitaux, qui est à l'œuvre. Ses effets peuvent être dévastateurs.

Pourtant, la mondialisation de la finance n'est que le catalyseur de la crise, elle ne fait qu'accélérer et amplifier les crises. Les causes réelles sont bien plus profondes. La crise actuelle est une crise généralisée de l'endettement qui provoque une crise généralisée de la demande. Comme le montre le graphique ci-dessous, l'endettement du secteur privé (ménages et entreprises) a plus que doublé au cours des quarante dernières années dans les pays de la zone euro.

Cet endettement est la conséquence d'une stagnation des revenus des ménages. Comme l'illustre le graphique ci-dessous, les salaires réels ont augmenté en moyenne plus lentement que les gains de productivité depuis 1978 dans les pays de la zone euro. Les ménages ne gagnent plus assez pour acheter les produits qu'ils produisent et sont donc obligés de s'endetter pour maintenir leur train de vie.

L'endettement est évidemment problématique, puisqu'il réduit la part du revenu disponible à la consommation (les charges d'intérêt diminuent la part du revenu disponible). À long terme, la demande des ménages s'est érodée.

Cette augmentation sensible de l'endettement s'observe dans tous les grands pays industrialisés. Les pays anglo-saxons sont encore plus durement touchés parce que la paupérisation relative et absolue y est encore plus forte qu'en Europe continentale.

Les auditions de la Commission spéciale sur la crise financière ont permis d'identifier un autre facteur clé des crises financières, à savoir l'avidité. Lorsque la fièvre de l'appát du gain affecte les banquiers, les conséquences sont beaucoup plus graves, car l'ensemble des acteurs économiques en subit les conséquences.

Afin d'augmenter artificiellement leur rentabilité, les banques se sont endettées de manière exagérée. C'est le recours à ce que l'on nomme le levier d'endettement. Concrètement, elles ont emprunté des fonds sur les marchés de capitaux pour les investir dans des produits en apparence très rentables. Pour l'achat de ces produits financiers, les banques se sont fiées aveuglément aux ratings que donnaient les agences de notation.

Un ancien président d'une grande banque belge bradée à l'étranger résume parfaitement l'état d'esprit qui régnait il n'y a pas si longtemps dans le milieu de la banque: « Tout le monde a acheté des produits structurés et tout le monde se fiait aveuglément aux ratings des agences de notation. Personne ne faisait l'évaluation de ces produits. » Le problème, que personne ou presque n'a soulevé à temps, est que les agences de notation étaient payées par les émetteurs de ces produits pour dire qu'ils étaient d'excellente qualité. Ce conflit d'intérêt évident a pesé sur la qualité de ces évaluations externes. Les banques se sont endettées pour acheter des produits, sans en analyser elles-mêmes le risque. Cette conduite hautement spéculative s'est avérée ruineuse pour les banques et pour les États qui ont dû les secourir.

En somme, les banques belges ont prêté de l'argent à des ménages américains insolvables (selon les normes belges, ces familles auraient été reprises sur la liste des mauvais payeurs de la Banque nationale de Belgique) plutôt que de prêter de l'argent aux ménages et aux entreprises en Belgique. Une telle situation est inacceptable et ne doit en aucun cas se reproduire.

La combinaison des règles comptables et des règles de solvabilité des banques a également amplifié la crise. Comme le déclarait un directeur général d'une grande banque belge lors de son audition par la commission spéciale, « les règles comptables et les normes de Bále II ont un effet procyclique trop important. Je n'étais absolument pas demandeur de ces normes car elles augmentent la volatilité du compte de résultats ». En effet, les banques qui détiennent des actifs financiers (actions, obligations) dont la valeur s'apprécie enregistrent des bénéfices et peuvent distribuer des dividendes, alors qu'elles n'ont réalisé qu'un bénéfice virtuel (tant qu'elles n'ont pas vendu ces actifs, la plus-value n'est que théorique).

Lorsque la conjoncture économique se dégrade et que les marchés financiers subissent des revers, les banques sont obligées d'enregistrer des moins-values sur leurs portefeuilles de titres. Les normes de Bále II renforcent ce caractère procyclique, car l'exigence des fonds propres des banques dépend de la qualité des produits financiers en portefeuille, telle que mesurée par les ratings des agences de notation. Lorsque les marchés financiers sous-estiment les risques, les banques peuvent donc réduire leurs fonds propres jusqu'à peau de chagrin. En revanche, lorsque les ratings sont revus à la baisse (dégradation d'un rating AA à B, par exemple), les banques sont obligées d'augmenter fortement leurs fonds propres dans un contexte où plus personne ne veut, ou ne peut, apporter ces fonds nécessaires.

En somme, les banques se sont écartées de leur métier de base, qui est le financement de projets de particuliers et d'entreprises, pour se livrer à des activités spéculatives, en apparence plus rentables. Aujourd'hui, l'ensemble de l'économie en fait les frais. Les banques sont obligées d'enregistrer des pertes sur ces actifs qui perdent rapidement de la valeur (le non-remboursement partiel des dettes titrisées entraîne une réduction de valeur des titres concernés) et de se désendetter rapidement. Échaudées par cette mésaventure, les banques sont devenues excessivement prudentes et durcissent les conditions d'octroi de crédit aux entreprises et aux ménages, ce qui ralentit l'économie, avec des conséquences importantes pour les recettes des États.

Les ménages et les entreprises anticipent aussi des difficultés économiques et réduisent leur demande de crédits. Dans cette période de grande incertitude, tous les acteurs privés tentent de se désendetter et d'épargner davantage. On voit donc une diminution assez prononcée des crédits octroyés en raison d'une baisse conjointe de l'offre et de la demande de crédits. Ce phénomène aggrave encore la crise.

Nous assistons donc à la naissance d'une spirale de désendettement et de déflation, qui risque d'avoir des conséquences catastrophiques. La déflation augmente le poids de la dette et la rend plus difficile à rembourser (les taux réels augmentent malgré la baisse des taux nominaux, les revenus baissent alors que les dettes ne diminuent pas).

Pour éviter ce scénario de la grande dépression des années 1930, les États injectent massivement des liquidités dans le système et mettent en œuvre des plans de relance économique, quitte à aggraver leur endettement. Une augmentation de l'endettement des États est donc devenue inéluctable pour absorber le désendettement des acteurs privés. Ainsi, l'endettement de nombreux États a littéralement explosé en 2009 et 2010. Le taux d'endettement global, c'est-à-dire public et privé, a atteint dans de nombreux pays des records absolus.

Pays Endettement total en % du PIB pour 2010
Japon 371
Royaume-Uni 302
Espagne 293
Irlande 291
Italie 248
Grèce 242
France 222
Allemagne 217
États-Unis 206
Belgique 193

Source: Natixis (2010).

Comme on peut le voir dans ce tableau, l'endettement global de notre pays est tout à fait raisonnable en comparaison d'autres pays. Les prêteurs ne regardent pas seulement l'endettement public lorsqu'ils décident de prêter à un État, ils regardent l'endettement global car, in fine, ce sont les citoyens et les entreprises qui payent la note via l'impôt. Si les acteurs privés sont peu endettés, cela signifie qu'ils ont la capacité d'assumer une dette publique plus importante.

C'est notamment le cas des citoyens belges dont le taux d'endettement global atteint à peine 90 % de leur revenu annuel.

Les marchés financiers, informés en cela par les agences de notation, se sont naturellement inquiétés de la capacité de certains États à rembourser la dette publique. Ceci a conduit à une hausse du taux d'intérêt sur la dette publique de ces pays, rendant les charges de la dette encore plus lourdes à assumer.

Sources: Datastream, Natixis.

Ce mouvement fait craindre une insolvabilité de certains États, comme la Grèce, l'Irlande ou le Portugal. Or, beaucoup de banques commerciales européennes ont dans leurs actifs des obligations d'État. L'insolvabilité des États pourrait donc conduire à l'insolvabilité des banques, qui sont déjà fragilisées suite aux pertes qu'elles ont dû acter sur leurs produits financiers pourris (CDO, etc.).

L'Union européenne (EU)a donc été contrainte de réagir en urgence, en créant le « Fonds européen de stabilité financière » (FESF), dotée de 440 milliards d'euros de ligne de crédit. La FESF se finance via des emprunts obligataires qui sont garantis par les États signataires, à hauteur de leur participation dans le fonds.

En sauvant la Grèce, les autres états européens ont surtout sauvé les banques commerciales allemandes, anglaises, irlandaises et françaises qui, ensemble, détiennent 43 % de la dette grecque.

La crise financière est avant tout due à l'excès d'endettement des agents économiques. La dette privée a été remplacée par une dette publique afin d'éviter des faillites en chaîne. Cet endettement a permis de garantir une rentabilité des actifs financiers en dépit d'une croissance économique atone et d'un chômage de masse.

2º) Les responsabilités des acteurs

L'autorégulation du système financier a failli. Le cadre réglementaire n'a pas été conçu pour rendre le système financier plus sûr, mais uniquement pour permettre aux acteurs financiers de faire des bénéfices toujours plus grands. Les responsabilités de cet état de fait sont largement partagées dans le monde de la finance. Les banquiers, les agences de notation, les superviseurs et les politiques ont tous fauté.

Les banques ont adopté des stratégies privilégiant « la rentabilité et la croissance en veillant à respecter la lettre mais non l'esprit de la réglementation » (1) . À cet effet, elles ont investi dans des produits en en ignorant, volontairement ou non, les conséquences et ont mis l'épargne des ménages en danger. Les banques se sont aussi endettées démesurément pour acheter ces produits financiers. Le levier d'endettement moyen (total du bilan/fonds propres) sur la période 2004-2008 était de 36 pour Fortis, 33 pour Dexia et 19 pour KBC. Ces leviers étaient clairement excessifs, en particulier pour les deux premières banques. Les dirigeants des banques n'ont, clairement, pas fait preuve du discernement nécessaire pour la gestion d'une telle entreprise.

Pour leur défense, il faut reconnaître que leur mode de rémunération ne les incitait pas à la modération et à la réflexion. Les bonus et stock-options offerts aux banquiers « performants » ont incité les patrons des banques à chercher des rendements excessifs, en prenant des risques démesurés. Il est inquiétant de constater qu'aujourd'hui encore certains banquiers refusent d'admettre leurs fautes et empochent, sans la moindre vergogne, des bonus et primes de départ plantureux, alors que leur bilan est calamiteux.

Les agences de notation privées ont également failli en n'évaluant pas correctement les produits financiers. Une des principales raisons est le conflit d'intérêt manifeste auquel elles sont confrontées, puisqu'elles sont payées par les émetteurs de produits financiers qui demandent ces notations. Ces agences jouissent également d'un quasi monopole mondial dans ce métier puisque, à trois (Moody's, Fitch, Standard & Poor's), elles représentent 90 % du marché mondial.

Les superviseurs n'ont pas mis fin à cette orgie spéculative, faute de volonté et de courage. Contrairement à ce que les superviseurs ont prétendu lors des auditions de la Commission chargée d'examiner la crise financière, ils ont les moyens d'empêcher les banques de commettre certains excès.

En Belgique, la CBFA (Commission bancaire, financière et des assurances) avait de nombreuses missions et les moyens de les exercer. Une de ces missions est de veiller à la situation financière des institutions financières (banques, assurances, organismes de placement, etc.). À cet égard, la CBFA avait le pouvoir d'édicter des règlements dans lesquels elle peut fixer des normes détaillées de solvabilité, de liquidité et de limitation du risque qui s'imposent aux banques (2) . La CBFA pouvait imposer à une banque un niveau de fonds propres plus élevé (levier moins élevé) que celui qu'elle détermine selon les règles de Bále II (3) . Au niveau du besoin de liquidités des banques, nous sommes également interpelés par la passivité dont a fait preuve la CBFA.

Le responsable de l'audit interne de Fortis a clairement déclaré à la Commission spéciale qu'une série de rapports négatifs avaient été remis depuis 2003 sur la gestion des liquidités chez Fortis et que ces rapports ont conduit à une inspection de la CBFA en 2005. Face à ces multiples constats, on est en droit de se demander pourquoi la CBFA n'a rien entrepris pour limiter le levier d'endettement et le besoin de liquidités des banques belges ? Y a-t'il une proximité trop grande avec les institutions financières en raison de la confusion des carrières ? Où en est-on face à ce qu'on pourrait appeler le « complexe de Greenspan », du nom de l'ancien président de la réserve fédérale américaine, selon lequel le régulateur est convaincu que l'autorégulation de la finance le dispense de toute intervention ?

Les responsables politiques se sont quant à eux contentés d'apporter les transformations au système financier que les spéculateurs leur ont suggérées. Les accords de Bále II, qui sont des accords entre banques privées sur les exigences de fonds propres, ont été validés par la directive européenne CRD. L'assouplissement, voire la suppression, de la séparation des métiers bancaires héritée de la crise de 1929 est un autre exemple (abrogation des règles de type « Glass-Steagall Act » dans les années 1990) de la collusion entre monde politique et financier.

Le gouvernement belge a également sa part de responsabilité dans la crise vécue par les banques belges en raison de sa gestion improvisée et précipitée de la crise. Contrairement à ce qu'il a prétendu, les problèmes ne sont pas apparus d'un coup, le 26 septembre 2008, mais ils étaient en gestation depuis des mois (la CBFA suivait la crise des liquidités des banques depuis août 2007) et la situation était déjà devenue critique depuis le 16 septembre 2008. La tentative de sauvetage de Fortis a été un cafouillage du début à la fin.

Par ailleurs, plutôt que de garantir les pertes sur les produits toxiques de Fortis et Dexia, l'État belge aurait dû racheter les actifs sains et les dépôts des banques pour constituer une ou plusieurs « good banks » (bonnes banques). Cela aurait été une option plus intéressante pour les contribuables qui ne sont en rien responsables de la crise actuelle et qui doivent pourtant assumer financièrement les déboires des banques.

Le système financier fonctionne de manière irrationnelle. En période faste, la confiance excessive des financiers les incite à prendre des risques excessifs. En revanche, lorsque le climat économique est moins bon, les financiers se montrent excessivement prudents et méfiants. La confiance, plus que les faits, guide les décisions dans le monde de la finance. C'est ce qui explique que des banquiers aient pu acheter des actifs comme un chat dans un sac. Le mensonge est présent partout dans le système financier.

Les notations des agences de notation sont biaisées, les bilans des banques sont tronqués par les opérations hors-bilan, etc. Or, la confiance et le mensonge ne font pas bon ménage. Des mesures radicales vont devoir être prises pour restaurer la confiance du public dans le secteur financier et les banques en particulier.

3º) Les propositions de réforme

Comme nous pouvons le constater, de multiples facteurs sont à l'origine de cette crise, qui est extrêmement grave et qui sera vraisemblablement longue. La confiance aveugle dans l'efficacité de l'autorégulation des marchés financiers a conduit au plus grand cataclysme depuis la grande dépression des années 30.

Des mesures volontaristes vont devoir être adoptées pour empêcher qu'une telle crise ne se reproduise. Les solutions à la crise devront donc être radicales, durables et nécessairement multiples.

Ces solutions, à mettre en débat aux différents niveaux de pouvoir, doivent reposer sur quatre principes simples:

— meilleure identification du risque;

— limitation du risque;

— plus grande protection contre le risque;

— meilleure gouvernance.

Ces solutions doivent être articulées entre le niveau européen et le niveau belge. La crise actuelle montre clairement qu'une coopération renforcée entre États-membres est nécessaire.

En matière de régulation financière, l'Union européenne avance pas à pas. Depuis janvier 2009, elle a déjà adopté un premier paquet de réformes et prévoit d'en entériner d'autres d'ici la fin 2011. Décidée à faire taire les critiques dénonçant la paralysie de ses institutions, l'Europe s'est donc appliquée à présenter une réponse politique à la crise financière. Néanmoins, si la réactivité des autorités européennes est encourageante, il y a lieu de s'inquiéter du contenu des réformes adoptées. Il est vrai que, dès le départ, le ver était dans le fruit. En effet, pour élaborer ses propositions de directives en matière de régulation financière, la Commission européenne s'est appuyée sur les recommandations formulées en février 2009 par un groupe de « sages » présidé par Jacques de Larosière (ancien gouverneur de la Banque de France et ancien directeur général du Fonds monétaire international) et, sur les huit membres qui composent ce comité nommé par la Commission, quatre sont directement impliqués dans la crise financière, par leurs fonctions dans des groupes bancaires: Rainer Masera (Lehman Brothers), Otmar Issing (Goldman Sachs), Jacques de Larosière (BNP Paribas) et Onno Ruding (CitiGroup). Autrement dit, c'est aux responsables de la crise actuelle que la Commission européenne a demandé les solutions pour en sortir !

L'Europe ne peut certainement pas servir de prétexte pour ne pas prendre les mesures qui peuvent l'être au niveau national. Tout au contraire, l'Europe a besoin de nations plus en pointe sur des enjeux sociaux, environnementaux économiques, et plus particulièrement en matière de régulation financière. Ceux-ci exercent un rôle d'exemple et peuvent également se démarquer par leur capacité d'initiative et d'innovation. Plus que dans toute autre matière, il convient donc d'appliquer le principe de subsidiarité de manière judicieuse.

La présente proposition de loi vise à poser le premier jalon de ce programme de réformes en proposant trois mesures concrètes:

1º le renforcement des fonds propres des banques;

2º la séparation des activités bancaires;

3º l'amélioration de la gouvernance.

3.1) Le renforcement de la solvabilité des banques

3.1.1. L'exemple Canadien

À l'instar de la Belgique, le paysage bancaire canadien est dominé par une poignée d'établissements ayant une importance systémique. La comparaison avec le secteur bancaire du Canada est donc tout à fait pertinente. La réglementation bancaire du Canada peut être citée en exemple comme un modèle de réussite. Gráce à cette réglementation, les banques canadiennes ont des résultats plus stables que leurs homologues étrangers. Les deux graphiques ci-dessous montrent que le rendement des banques canadiennes n'a rien à envier à celui des banques américaines et européennes et qu'en outre elles ont beaucoup moins souffert de la crise que ces dernières.

Rendement moyen des capitaux propres des banques canadiennes

(Source: Banque du Canada, 2009).

Total des dépréciations en proportion des fonds propres des banques canadiennes

(Source: Banque du Canada, 2009).

Les dépréciations d'actifs auxquelles ont procédé jusqu'à maintenant les banques canadiennes ont été relativement limitées, ce qui tient à leurs pratiques rigoureuses en matière de prêt et à leur faible exposition aux instruments adossés à des actifs fortement dépréciés.

Ce qui est caractéristique du secteur bancaire canadien est que les exigences canadiennes de fonds propres dépassent celles de Bále II. Qui plus est, l'appétit pour le risque des banques canadiennes semble limité, car celles-ci conservent des quantités appréciables de fonds propres, supérieures aux ratios fixés par le superviseur.

Par ailleurs, la titrisation des prêts hypothécaires octroyés par les banques y reste limitée et les banques gardent dans leur bilan une partie des risques. Enfin, le superviseur canadien des banques impose aussi aux banques un ratio de levier maximal.

Ce dernier aspect de la réglementation financière est sans aucun doute celui qui assure le plus de stabilité aux banques canadiennes.

Ratio de levier maximal imposé par le superviseur canadien

Comme le montre le graphique ci-avant, le levier d'endettement moyen des banques canadiennes se situe autour de 15, alors que le plafond normal imposé par le régulateur est fixé à 20. Les banques canadiennes sont donc plus prudentes que ce qu'exige le régulateur.

Si l'on compare cette situation à celle des banques belges, la différence saute aux yeux. Le levier d'endettement moyen (total du bilan/fonds propres) sur la période 2004-2008 était de 36 pour Fortis, 33 pour Dexia et 19 pour KBC. Au regard de l'exemple canadien, les leviers des banques belges sont clairement excessifs, en particulier pour les deux premiers cas.

Exprimé autrement, les fonds propres des banques canadiennes s'élèvent en moyenne à 6,25 % du bilan alors que ce ratio ne s'élevait qu'à 2,7 % pour Fortis et 3 % pour Dexia.

3.1.2. Renforcer les fonds propres réglementaires

La crise actuelle démontre à suffisance que la course irréfléchie aux profits conduit à la catastrophe. Le système bancaire est trop important pour l'économie; il ne peut être laissé en proie aux apprentis sorciers de la finance. Une saine gestion des banques n'est pas nécessairement moins rentable.

Les normes actuelles belges en matière de fonds propres sont trop peu exigeantes. Les normes Bále II avaient été améliorées par rapport à celles de Bále I pour tenir compte du risque de crédit, du risque opérationnel et du risque de marché. { fonds propres de la banque plus de 8 % des [risques de crédits (75 %) + risque de marché (5 %) + risques opérationnels (20 %)] }. Toutefois, les banques établissent leurs propres modèles de risque, qui est validé par le régulateur en Belgique Autorité des services et marchés financiers FSMA et déterminent donc elles-mêmes le niveau de fonds propres nécessaires.

En théorie, depuis Bále II, les fonds propres sont plus adaptés aux risques. En réalité, les risques sont devenus plus opaques et les fonds propres sont insuffisants face aux risques réels. La preuve en est que de nombreuses banques ont éprouvé, ou éprouvent encore, de graves problèmes de solvabilité.

Les normes de fonds propres prévues dans le cadre de Bále III (qui doivent encore être traduites dans le cadre législatif européen) sont toujours insuffisantes pour garantir la stabilité du système bancaire. Ces normes prévoient de limiter le levier des banques à 33. Or, la crise bancaire a clairement montré que le levier d'endettement était excessif et que les banques ont minimisé les risques en ce qui concerne leur structure de financement. Comme on a pu le montrer ci-avant, les banques canadiennes, qui ont traversé la crise sans encombre, ont un levier moyen de 15. Divers institutions internationales et comités d'experts ont mis en avant la nécessite de limiter le niveau du levier d'endettement. Au Royaume-Uni, la Commission indépendante sur les banques a préconisé des fonds propres d'au moins 10 % pour les grandes banques universelles dites systémiques (4) .

Il est paradoxal que les entreprises les plus importantes pour notre économie soient celles qui disposent des fonds propres les moins importants. Selon un rapport de la BNB, les grandes sociétés commerciales et industrielles ont des fonds propres s'élevant à 45 % en moyenne alors que les banques ne disposent que de 3 à 4 % de fonds propres.

Les auteurs estiment qu'il est nécessaire d'instaurer une réglementation plus sévère en matière de fonds propres, à l'instar de ce qui a été appliqué avec succès au Canada et en Espagne. L'instauration d'un système de fonds propres variables, en fonction de la conjoncture économique et avec un minimum incompressible, semble la solution indiquée. Le capital serait la base incompressible, fixée à 5 % du passif et les réserves seraient la partie variable, en fonction des risques et de la conjoncture économique (5) .

Dans les périodes de cycle économique haussier, les banques seraient obligées de provisionner des bénéfices, jusqu'à atteindre un niveau de 3 % du total du passif. L'addition de ces réserves au capital s'élèverait à 8 % du passif, ce qui correspond à un levier de 12,5. L'exigence de fonds propres serait également fonction des risques de crédit, des risques de marché et des risques opérationnels des banques traditionnelles. En période de cycle économique baissier, les exigences en matière de fonds propres seraient assouplies, ce qui laisserait aux banques des marges pour encaisser les pertes, en ponctionnant les réserves constituées à cet effet.

Un tel système dynamique est plus efficace que le système actuel. Avec le règlement Bále II, les banques sont obligées de se faire recapitaliser pour compenser des pertes subies, et ce au fur et à mesure que la situation économique se dégrade (les risques perçus, et par conséquent les exigences de fonds propres, augmentent en raison de l'augmentation des défauts de remboursements).

Or, lorsque le contexte économique est dégradé, il peut s'avérer très difficile pour une banque de se faire recapitaliser, car les investisseurs ne se bousculent pas pour éponger les pertes. C'est donc vers l'État que les banques se tournent pour être sauvées. Il faut inverser la logique et obliger les banques à se prémunir contre la faillite en période haussière. Le provisionnement dynamique freine la croissance du crédit en période d'expansion économique et freine le rationnement du crédit, dû à l'insuffisance des fonds propres, durant les récessions.

La présente proposition de loi vise à instaurer un système de fonds propres dynamique ainsi qu'à renforcer de manière durable la solvabilité des banques, en anticipant l'adoption définitive des normes Bále III. Compte tenu de la situation financière critique dans laquelle se trouvent les banques actuellement, il serait inopportun d'imposer une contrainte supplémentaire aux banques à court terme. Pour cette raison, la présente proposition de loi prévoit une période de transition de sept ans.

3.2) La séparation des métiers bancaires

Depuis le XIXe siècle jusqu'à la fin des années 1920, les banques mixtes exerçant des activités de société de portefeuille ont multiplié leurs participations industrielles dans un contexte de prospérité économique. La crise des années 1930, qui réduisit de plus d'un quart la production industrielle et le volume des exportations, mit les banques en difficulté. Les titres qu'elles détenaient étaient dévalorisés. De nombreuses entreprises s'avéraient insolvables. En vue de se protéger, elles réduisirent leurs crédits, ce qui eut pour effet d'accentuer la dépression, de diminuer les dépôts et d'aggraver encore l'illiquidité du système bancaire.

Jusqu'en 1934, les banques mixtes étaient très étroitement associées au développement industriel. Leurs activités concernaient simultanément la collecte de dépôts et l'octroi de crédit, d'une part, et la gestion d'un portefeuille d'actions et d'obligations, d'autre part. Cette deuxième fonction les mit en difficulté lors de la grande crise des années trente. En raison des mauvais choix en matière de politique économique, la Belgique s'enlisa dans la dépression. Le choix de maintenir fixe la valeur en or du franc belge malgré l'abandon de l'étalon de change-or par la Grande-Bretagne, l'Allemagne et les États-Unis fut alors particulièrement préjudiciable à notre pays. En effet, la dépréciation des grandes devises surévaluait le franc belge et imposait à la Belgique une politique de déflation de plus en plus sévère, aggravant encore la dépression. Les difficultés rencontrées par les banques populaires associées au Parti ouvrier belge, d'une part, et au puissant Boerenbond, d'autre part, précipitèrent la décision de scinder les banques mixtes.

La réforme de 1934-1935 qui scinda les banques mixtes en banques de dépôts, d'une part, et sociétés de portefeuille, d'autre part, fut la réponse à une menace très réelle de crise bancaire. L'arrêté royal du 22 août 1934 organisa la séparation des opérations bancaires et financières en vue de sauver les banques. Un arrêté royal du 9 juillet 1935 compléta donc la scission des banques mixtes par une série de mesures destinées à renforcer la solidité du système bancaire. Une Commission bancaire fut créée pour exercer le contrôle des activités des organismes de crédit. La possibilité d'imposer des coefficients de structure (c'est-à-dire des proportions minimales entre certains postes de l'actif et du passif) fut énoncée, mais pas encore appliquée à ce stade.

La réforme entreprise en Belgique était bien dans l'air du temps (plusieurs pays d'Europe avaient, en réaction à la crise, limité le terrain d'action des banques mixtes) mais elle fut parmi les plus radicales.

Les banques de dépôts belges furent désormais obligées de se cantonner au crédit à court terme, c'est-à-dire n'excédant pas deux ans, et, cas unique en Europe, elles furent soumises à l'interdiction absolue de détenir des actions de sociétés industrielles. Les banques belges ont vécu sous le régime de la banque de dépôts de 1935 à 1993. Ce régime limitait le champ des activités bancaires par des restrictions légales, totales ou partielles, quant à la détention d'actifs industriels ou commerciaux. Cependant, à l'aube des années nonante, la position oligopolistique des banques belges vis-à-vis de l'État fut ébranlée par des réformes destinées à accélérer l'assainissement des finances publiques. Parallèlement, le champ d'action des banques fut élargi. Enfin, en 1993, une réforme du statut bancaire, inspirée par les directives européennes, conduisit à l'adoption du modèle allemand de banque universelle et clôtura l'épisode historique de la banque de dépôts.

L'histoire ne serait-elle qu'un perpétuel mouvement de balancier ? À l'instar des événements des années 1920, les banques ont depuis le milieu des années 1990 mis en danger l'épargne publique en spéculant toujours davantage. Aujourd'hui, les instruments de cette spéculation sont devenus plus complexes (produits dérivés, titrisation, opérations hors-bilan, etc.), ce qui la rend encore plus dangereuse. Ce ne sont plus tant les participations industrielles qui posent problème, mais bien l'activité des salles de marché des banques où des opérations de plus en plus complexes et virtuelles mobilisent des sommes colossales. En avril 2009, le FMI estima les pertes globales des banques à travers le monde à 4 000 milliards de dollars. Les banques belges n'ont bien sûr pas été épargnées. Pour se sortir de la situation bancale dans laquelle elles se sont mises, les banques se voient aujourd'hui contraintes de réduire la taille de leur bilan. Cette opération d'assainissement passe aussi par une restriction des conditions d'octroi de crédit, notamment aux PME et aux entreprises en difficulté, ce qui perturbe l'économie réelle. Malgré la politique monétaire très accommodante, le volume du crédit recule et affecte toute l'économie du pays. Vu sous cet angle, la période de la grande crise des années 1930 ne diffère pas de la période actuelle.

La conclusion à laquelle le gouvernement de Broqueville II arriva en 1934 était limpide: « D'une façon générale, les banques belges ont bien résisté à la crise, mais celle-ci a fini par les empêcher de remplir pleinement la mission qui leur est dévolue dans l'économie nationale. Une réforme profonde s'impose, tout d'abord dans la structure même de nos organismes financiers. Il est apparu au gouvernement que tant pour protéger l'épargne, que pour permettre d'élargir le crédit, l'abandon du type mixte s'indique. Dorénavant, la Belgique aura d'une part des établissements financiers acceptant des dépôts, et, d'autre part, des organismes industriels, comme des trusts ou des holdings. (6)  »

Il faut oser tirer les leçons de l'Histoire. La séparation des métiers bancaires a donné satisfaction par le passé. Aujourd'hui, les dirigeants de grandes nations songent à nouveau à réduire la taille des banques et à séparer les activités de dépôts et les opérations pour le compte propre des banques sur les marchés.

En Belgique, la commission spéciale chargée d'examiner la crise financière et bancaire a formulé dans son rapport final des recommandations très claires à cet égard:

« La commission recommande la réintroduction d'un modèle d'activité bancaire classique, transparent pour les clients, dans le cadre d'un établissement financier spécial (cf. les anciennes banques et caisses d'épargne). Elle souhaite opérer une séparation claire entre la banque de dépôts et la banque commerciale. La commission demande au législateur et aux autorités de contrôle des banques d'adapter leur réglementation sur certains points (par exemple, règles en matière de solvabilité et de fonds propres) pour encourager l'activité bancaire classique. (7)  »

Au Royaume-Uni, la Commission indépendante sur les banques a formulé des recommandations encore plus explicites à cet égard. Cette Commission recommande d'isoler les activités bancaires classiques dans une filiale avec des liens limités avec les autres sociétés du groupe (8) . Cette mesure est importante dans la mesure où elle permet de diversifier le système bancaire dans son ensemble, en introduisant des acteurs de nature différente, ce qui réduit le risque systémique. Diverses études académiques ont mis en évidence le fait que les grandes banques universelles augmentent le risque d'effondrement du système financier (9) . Ces grandes banques universelles disposent de moins de capital que si elles étaient séparées en deux entités. Le 15 juin 2011, le Chancelier de l'Échiquier George Osborne a publiquement pris position en faveur de cette proposition.

La séparation des activités bancaires classiques des activités de banques d'investissement réduit donc la garantie implicite des gouvernements, dans la mesure où elle réduit le coût potentiel du sauvetage d'une banque, puisque le périmètre de l'activité à sauver est plus restreint.

Par ailleurs, cette proposition introduit une séparation des métiers bancaires semblable au Glass-Steagall Act ayant existé au États-Unis jusqu'en 1999, qui consiste à interdire aux établissements de crédit l'achat et la vente de titres divers. Cette règle permet de diminuer le risque que le contribuable doive supporter une garantie implicite accordée par l'État belge à une banque, en raison d'activités financières risquées.

S'inspirant de ces multiples recommandations, la présente proposition de loi vise donc à réintroduire dans le droit belge le principe de stricte séparation des métiers bancaires. La proposition de loi rétablit les banques de dépôts, dont les activités seront bien distinctes de celles des banques d'affaires ou des banques de titres. La protection des dépôts jusqu'à 100 000 euros ne devrait viser que les dépôts des banques dont c'est le métier. Les banques qui prennent davantage de risques et qui, partant, offrent une meilleure rentabilité apparente à leurs clients et actionnaires, ne doivent pas bénéficier des mêmes garanties que celles dont bénéficient les banques de dépôts plus prudentes.

3.3) L'amélioration de la gouvernance

3.3.1 Améliorer le mode de rémunération des banquiers

Malgré l'incurie des banquiers, leurs salaires ont encore atteint des records en 2010.

Le Code belge de gouvernance d'entreprise, autrefois connu sous le nom du Code Lippens, stipule uniquement que: « Le niveau de rémunération est suffisant pour attirer, garder et motiver des administrateurs et managers exécutifs ayant le profil défini par le conseil d'administration. »

Ce Code de gouvernance ne préconise qu'un niveau de salaire suffisant, sans s'interroger sur la question des salaires excessifs. Pour toute mesure régulatrice, il y est stipulé que les rémunérations des dirigeants devront être publiées dans le rapport annuel de l'entreprise.

De plus, ce code n'est pas contraignant et plusieurs entreprises cotées ne respectent pas la recommandation de publication des rémunérations. De toute manière, la publication des salaires n'est en rien une solution quant à leur ampleur totalement excessive.

L'arrogance de certains banquiers est parfois même un outrage aux contribuables qui ont dû sauver à coups de milliards certaines banques. Interrogé sur la raison de l'ampleur de sa rémunération en 2007, qui a atteint la somme de 3,91 millions d'euros, l'ancien CEO de Fortis, Jean-Paul Votron, déclarait à la presse: « Il n'y a pas beaucoup de gens qui savent faire le boulot que je fais, tout comme peu de gens savent jouer au tennis comme Justine Henin. (10)  » Cette déclaration est le reflet de l'arrogance et de la vanité qui caractérise une certaine élite managériale d'aujourd'hui.

Les rémunérations disproportionnées et injustifiées des dirigeants d'entreprise constituent à la fois une atteinte grave à l'ordre social et un non-sens économique. Il est normal que la société s'y intéresse et qu'elle souhaite mieux les encadrer. L'affirmation contraire serait une remise en cause de notre système démocratique.

L'Europe s'est également émue de la question et a adopté une directive en la matière que le gouvernement belge a transposée de manière minimaliste. À raison, l'Europe recommande que la structure des rémunérations ne constitue pas un incitant à prendre des risques qui sont de nature à mettre en cause la stabilité financière des établissements financiers.

Les auteurs de la présente proposition de loi estiment qu'il convient de définir de manière plus précise les balises encadrant la rémunération des banquiers. En outre, ils renvoient à la proposition de loi visant à lutter contre les parachutes dorés et les rémunérations excessives (DOC 53 1336/001), qui est complémentaire aux mesures proposées dans la présente proposition de loi.

3.3.2 Renforcer le pouvoir des épargnants

À l'heure actuelle les épargnants n'ont strictement aucune influence sur les choix stratégiques posés par leur banque. La commission parlementaire spéciale chargée d'examiner la crise bancaire avait émis la recommandation suivante (11) :

« Tout en reconnaissant que les déposants bénéficient d'un statut préférentiel par rapport aux actionnaires quant au recouvrement de leurs avoirs en cas de faillite, la probabilité d'un recouvrement intégral reste très faible. En effet, le produit de cession des actifs est destiné en premier lieu aux créanciers privilégiés, tels que le fisc, l'ONSS, et le personnel, etc.

Dès lors, il semble inéquitable que les déposants ne disposent d'aucune information stratégique et que leurs intérêts ne soient pas représentés dans les orientations stratégiques qui influencent le profil de risque de leur banque.

Les institutions financières doivent donc se doter d'une structure actionnariale qui leur permette de garantir un juste équilibre entre les intérêts des actionnaires et ceux des autres stakeholders (déposants, personnel, ...).

Une information stratégique et une consultation des déposants devraient pouvoir être organisées par les institutions financières à l'instar de ce qui se pratique dans les banques coopératives. »

Les auteurs de la présente proposition de loi estiment qu'il faut aller plus loin, en donnant aux épargnants un droit de vote semblable à celui des actionnaires.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

Puisque l'objectif de cette proposition de loi est, notamment, de faire une séparation claire entre les établissements de crédit et les autres types de banques, il est donc nécessaire d'interdire aux établissements financiers autres que les établissements de crédits d'octroyer des prêts aux particuliers et PME, à partir du 1er janvier 2014 (en application de l'article 8).

Article 3

Cet article vise à introduire une séparation claire entre les activités bancaires classiques et les activités de banques d'investissement.

Article 4

Le § 1er de l'article 43 de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit est remanié afin d'instaurer un système de fonds propres variables en fonction de la conjoncture économique, avec un minimum incompressible de 5 % du total du bilan.

Les réserves à constituer ont pour but de compenser des pertes opérationnelles éventuelles des établissements de crédit. L'autorité de surveillance, à savoir la Banque nationale de Belgique, adoptera un règlement précisant les modalités d'application de la nouvelle disposition, qui définira notamment les critères selon lesquels les réserves pourront varier en fonction de la conjoncture économique et d'autres facteurs pertinents.

Article 5

En raison de la séparation des métiers bancaires prévue pour le 1er janvier 2014, il est nécessaire de prévoir que les établissements autres que les établissements de crédit, à savoir les établissements financiers tels que définis à l'article 4 (réintroduit par l'article 2 de la présente proposition de loi), soient soumis au contrôle prudentiel de la Banque nationale de Belgique ainsi qu'aux règles prudentielles à portée générale.

Article 6

Les épargnants, c'est-à-dire les personnes physiques ou morales, qui disposent d'un compte épargne auprès des établissements de crédit, disposent d'un droit de vote à l'assemblée générale proportionnel à leurs avoirs.

Ce droit de vote vise toutes les questions qui sont soumises au vote de l'assemblée et concerne notamment la décharge des administrateurs, la désignation des administrateurs, les choix stratégiques, les augmentations de capital, l'affectation des résultats, l'approbation des comptes annuels.

Ce droit de vote n'entraîne évidemment aucun droit sur les bénéfices de l'entreprise.

Article 7

La rémunération des dirigeants des banques doit être conçue de manière à tenir compte des intérêts de toutes les parties prenantes, en ce compris le personnel et les épargnants, et ne peut conduire à une prise de risques excessive. L'avis du Conseil d'État relatif au projet de loi 5-1159/1 — 2010/2011 souligne à juste titre que la transposition de la directive 2010/76/UE est insuffisante.

Jacky MORAEL.
Freya PIRYNS.
Benoit HELLINGS.

PROPOSITION DE LOI


CHAPITRE 1er

Disposition générale

Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

CHAPITRE 2

Modification de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit

Art. 2

L'article 4 de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit, abrogé par la loi du 3 mars 2011, est rétabli dans la rédaction suivante:

« Art. 4. Les prêts à destination des particuliers et des PME, au sens de l'article 15 du Code des sociétés, sont interdits. »

Art. 3

Dans le chapitre 2, section 7, sous-section 4, de la même loi est inséré un article 32/1, rédigé comme suit:

« Art. 32/1. § 1er. Par dérogation aux dispositions de l'article 32, il est interdit aux établissements de crédit de prendre des droits d'associés, quelle qu'en soit la forme, dans des sociétés ou associations de quelque nature que ce soit ou de détenir des obligations de semblables sociétés ou associations, de détenir, d'acheter ou de vendre des instruments financiers visés à l'article 2, 1º, de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers ou d'exercer de telles activités, sous peine de liquidation et de dissolution. Dans cette éventualité la Banque nationale désigne un liquidateur.

§ 2. Par dérogation aux dispositions du § 1er, les établissements de crédit peuvent détenir:

1. des droits d'associés de sociétés présentant la même nature d'établissement de crédit;

2. toutes valeurs émises par l'État belge ou l'une de ses entités;

3. toutes valeurs émises par un État membre de l'Union européenne;

4. toutes valeurs émises par la Banque nationale de Belgique, la Banque centrale européenne et la Banque européenne d'investissements.

§ 3. Il est interdit aux établissements de crédit d'octroyer des crédits ou de financer de quelque manière que ce soit les établissements financiers visés à l'article 4.

§ 5. Toute infraction aux dispositions des §§ 1er et 3 est constatée par la Banque et est sanctionnée d'une amende administrative d'un million d'euros. »

Art. 4

À l'article 43 de la même loi, remplacé par la loi du 15 mai 2007, le § 1er, modifié par l'arrêté royal du 3 mars 2011, est complété par l'alinéa suivant:

« Pour l'application du présent paragraphe, le capital des établissements doit s'élever, à tout moment, à un montant compris entre 5 % et 10 % du total du bilan, selon les modalités et le pourcentage fixés par la Banque, par voie de règlement, en fonction des circonstances économiques. »

Art. 5

Dans le titre II de la même loi est inséré un chapitre 8 « Des établissements financiers », comprenant un article 64/1, rédigé comme suit:

« Art. 64/1. Les dispositions des articles 7 à 31 et 33 à 61ter sont applicables mutatis mutandis aux établissements financiers. »

CHAPITRE 3

Modification du Code des sociétés

Art. 6

Dans le Code des sociétés, livre IV, titre VII, est inséré un chapitre V/1 « Du pouvoir des épargnants » comprenant un article 167/1, rédigé comme suit:

« Art. 167/1. Les personnes physiques ou morales qui disposent de fonds auprès d'un établissement de crédit sur un compte épargne disposent du droit de vote aux assemblées des associés ou actionnaires.

Le nombre de voix est le nombre entier, arrondi vers le bas, obtenu par le rapport entre, d'une part, la somme des fonds sur les comptes épargne visés à l'alinéa précédent, au numérateur et, d'autre part, la valeur comptable totale des parts ou actions de la société, au dénominateur. Lorsqu'il existe plusieurs catégories de parts ou d'actions, celles qui donnent le plus de droits de vote sont prises comme référence pour le calcul des voix des épargnants.

L'établissement de crédit convoque les épargnants dans les mêmes formes que les associés ou actionnaires.

Les épargnants qui le souhaitent peuvent s'inscrire auprès de l'établissement de crédit pour participer à l'assemblée générale des associés ou actionnaires au plus tard dix jours ouvrables avant l'assemblée générale. Dans ce cas, l'établissement de crédit bloque les fonds sur les comptes épargne jusqu'à la date de l'assemblée générale. »

Art. 7

L'article 526quater, § 5, du même Code, inséré par la loi du 6 avril 2010, est complété par le point e) suivant:

« e) le comité de rémunération est chargé de préparer les décisions concernant les rémunérations, notamment celles qui ont des répercussions sur le risque et la gestion des risques dans l'établissement de crédit concerné et que l'organe de direction est appelé à arrêter dans l'exercice de sa fonction de surveillance; lors de la préparation de ces décisions, le comité de rémunération tient compte des intérêts à long terme des épargnants, du personnel, des créanciers, des actionnaires et des autres parties prenantes de l'établissement de crédit; aucune rémunération variable ne peut être accordée au personnel dirigeant en cas de violation des règlements arrêtés par la Banque; la composition de la rémunération ne peut en aucune manière inciter à une prise de risque excessive pouvant nuire à la santé financière de l'établissement de crédit et doit être conçue pour prendre en compte l'intérêt à long-terme de l'établissement de crédit; la rémunération variable individuelle du personnel dirigeant doit reposer sur des critères précis et mesurables définis préalablement; en aucun cas la rémunération variable ne peut excéder 25 % de la rémunération fixe; au moins 50 % de la rémunération variable doit porter sur une période d'évaluation de trois ans au moins. »

CHAPITRE 4

Entrée en vigueur

Art. 8

L'article 2 entre en vigueur le 1er janvier 2014.

Art. 9

L'article 32/1 de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit, introduit par l'article 3, entre en vigueur le 1er janvier 2014.

Les actes constitutifs de sociétés, les actes de partage ou de liquidation, les actes modificatifs de statuts, les actes de fusion, les actes constatant des apports mobiliers ou immobiliers et les actes divers constatant ou mentionnant des opérations faites pour se conformer à l'article 32/1 de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit, introduit par l'article 3, sont exemptés de tout impôt, pour autant que ces actes soient passés et ces opérations effectuées avant le 1er janvier 2014.

6 septembre 2012.

Jacky MORAEL.
Freya PIRYNS.
Benoit HELLINGS.

(1)  Rapport préliminaire du collège d'experts remis à la Commission spéciale chargée d'examiner la crise financière et bancaire, 10 avril 2009, p. 32.

(2)  Article 43, §§ 1er et 2, de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit.

(3)  Article 43, § 3, de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit.

(4)  Independant Commission on Banking, Interim report, april 2011, Londres, p. 71.

(5)  Actuellement les exigences de fonds propres sont exprimés par rapport aux risques pondérés et non par rapport au total du bilan.

(6)  Arrêté royal du 22 août 1934 relatif à la protection de l'épargne et à l'activité bancaire, Moniteur belge du 24 août 1934, p. 4483-4485.

(7)  Doc. Parl., Chambre, DOC 52 1643/002, p. 541.

(8)  Independant Commission on Banking, Interim report, avril 2011, Londres, p. 76.

(9)  De Jonghe, O., 2010, « Back to the basics in banking ? A micro-analysis of banking system stability, » Journal of Financial Intermediation; Haldane, A. G. & May, R. M., 2011, « Systemic risk in banking ecosystems », Nature; Richardson, M., Smith, R. C. & Walter, I., 2011, « Large Banks and the Volcker Rule », in Acharya, V. A., Cooley, T. F., Richardson, M. & Walter, I., eds., Regulating Wall Street, Hoboken, Wiley.

(10)  « Salaire: « Peu de gens savent faire le boulot que je fais » », dans La Libre Belgique, 23 avril 2008.

(11)  Doc. Parl., Chambre, DOC 52 1643/002, p. 564.