5-2237/1

5-2237/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2012-2013

21 JUILLET 2013


RÉVISION DE LA CONSTITUTION


Proposition de révision de l'article 41 de la Constitution

(Déposée par M. Marcel Cheron, Mme Martine Taelman, M. Francis Delpérée, Mme Freya Piryns, MM. Philippe Mahoux, Dirk Claes, Mme Christine Defraigne et M. Bert Anciaux)


DÉVELOPPEMENTS


Conformément à la déclaration de révision de la Constitution du 7 mai 2010 et au point 1º de la disposition transitoire, ajoutée à l'article 195 de la Constitution lors de la révision de cet article du 29 mars 2012 (Moniteur belge du 6 avril 2012, éd. 2), l'article 41, alinéas 1er et 5, de la Constitution est ouvert à révision. Ce point 1º dispose que:

« les articles 5, alinéa 2, 11bis, 41, alinéa 5, 159 et 190 en vue d'assurer l'exercice complet de l'autonomie des régions à l'égard des provinces sans préjudice des dispositions spécifiques actuelles de la loi du 9 août 1988 portant modification de la loi communale, de la loi électorale communale, de la loi organique des centres publics d'aide sociale, de la loi provinciale, du Code électoral, de la loi organique des élections provinciales et de la loi organisant l'élection simultanée pour les Chambres législatives et les conseils provinciaux et de celles relatives à la fonction des gouverneurs, et de limiter la signification du mot « province » utilisé dans la Constitution à sa seule signification territoriale, en dehors de toute signification institutionnelle. »

La présente proposition de révision de la Constitution doit être lue conjointement avec les autres propositions de révision de la Constitution relatives aux provinces (Doc. Parl. Sénat, 2012-2013, nº 5-2235/1, 5-2236/1, 5-2238/1 et 5-2239/1) ainsi qu'avec la proposition de modification de l'article 6, § 1er, VIII, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (Doc. Parl. Sénat, 2012-2013, nº 5-2239/1 ).

L'objectif de la présente proposition de révision de la Constitution est d'assurer l'exercice complet de l'autonomie des régions à l'égard des provinces, sans préjudice de dispositions spécifiques visées actuellement par la loi de pacification communautaire du 9 août 1988, ni des dispositions spécifiques relatives à la fonction des gouverneurs, comme prévu par l'Accord institutionnel pour la Sixième Réforme de l'État du 11 octobre 2011.

L'article 41 de la Constitution dispose que les intérêts exclusivement provinciaux sont réglés par les conseils provinciaux, d'après les principes établis par la Constitution.

Le principe de l'autonomie locale se déduit de cet article, lu conjointement avec l'article 162, alinéa 2, 2º, de la Constitution et avec l'article 6, § 1er, VIII, 1º, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. La Cour constitutionnelle juge, à propos de l'autonomie locale des provinces que:

« B.24. Le principe d'autonomie locale suppose que les autorités locales puissent se saisir de tout objet qu'elles jugent relever de leur intérêt, et le réglementer comme elles l'estiment opportun. Ce principe ne porte cependant pas atteinte à l'obligation des provinces, lorsqu'elles agissent au titre de l'intérêt provincial, de respecter la hiérarchie des normes. Il en découle que lorsque l'État fédéral, une communauté ou une région réglemente une matière qui relève de sa compétence, les provinces sont soumises à cette réglementation lors de l'exercice de leur compétence en cette même matière. En l'espèce, lorsque la Région wallonne agit dans l'une des matières visées par les articles en cause, elle limite par là l'autonomie des provinces, qui ne peuvent se saisir de ces domaines que dans le respect, et en complément de la législation régionale.

B.25. Le principe d'autonomie locale ne porte pas atteinte non plus à la compétence de l'État fédéral, des communautés ou des régions de juger du niveau le plus adéquat pour réglementer une matière qui leur revient. Ainsi, ces autorités peuvent confier aux collectivités locales la réglementation d'une matière qui sera mieux appréhendée à ce niveau. Elles peuvent aussi considérer qu'une matière sera, à l'inverse, mieux servie à un niveau d'intervention plus général, de façon à ce qu'elle soit réglée de manière uniforme pour l'ensemble du territoire pour lequel elles sont compétentes et, en conséquence, interdire aux autorités locales de s'en saisir. C'est ce que font les dispositions attaquées, qui définissent « a contrario, [de] l'intérêt provincial, en excluant expressément de son contenu, une série d'actions et de responsabilités qui ne relèvent donc plus de la compétence des provinces », et en rappelant « qu'en tant que pouvoir intermédiaire, la province doit agir subsidiairement par rapport à la région et aux communes » (Doc. parl., Parlement wallon, 2003-2004, nº 613/1, p. 3).

B.26. L'atteinte à la compétence des provinces et, par voie de conséquence, au principe de l'autonomie locale que comporte toute intervention, qu'elle soit positive ou négative, de l'État fédéral, des communautés ou des régions, dans une matière qui relève de leurs compétences, ne serait contraire aux dispositions citées au moyen qui garantissent la compétence des provinces pour tout ce qui concerne l'intérêt provincial, que si elle était manifestement disproportionnée. Tel serait le cas, par exemple, si elle aboutissait à priver les provinces de tout, ou de l'essentiel de leurs compétences, ou si la limitation de la compétence ne pouvait être justifiée par le fait que celle-ci serait mieux gérée à un autre niveau de pouvoir. » (1)

En synthèse, eu égard au principe constitutionnel de l'autonomie locale, et selon le Conseil d'État, les régions ne peuvent ni supprimer ni créer de nouvelles provinces (2) , ni remplacer celles-ci par de nouvelles institutions.

Tel est précisément le complément d'autonomie que la présente proposition de révision de la Constitution, lue conjointement avec les autres propositions précitées, entend accorder aux régions.

En vertu de la présente proposition de révision de la Constitution, et comme exposé dans les développements de la proposition de révision de l'article 5, alinéa 2, de la Constitution (Doc. Parl. Sénat, 2012-2013, nº 5-2235/1), il est désormais possible que les régions, sur la base de leur compétence visée à l'article 6, § 1er, VIII, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles tel qu'il sera modifié, suppriment ou modifient les institutions provinciales, ou encore, en cas de suppression, les remplacent par des collectivités supracommunales. Si une région supprime ses provinces, elle peut donc, si elle le désire, les remplacer par des collectivités supracommunales, dont les conseils règlent les intérêts exclusivement supracommunaux d'après les principes établis par la Constitution. Ces collectivités supracommunales disposent donc, comme les provinces et les communes, de l'autonomie locale.

Il est cependant entendu que les régions, dans l'exercice de ces compétences sur la base de l'article 6, § 1er, VIII, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles tel qu'il sera modifié, doivent demeurer dans les limites imposées par cet article. Elles ne sont donc notamment pas habilitées à modifier, supprimer ou transférer les mécanismes mis en place par la loi de pacification du 9 août 1988 portant modification de la loi communale, de la nouvelle loi communale, de la loi électorale communale, de la loi organique des centres publics d'action sociale, de la loi provinciale, du Code électoral, de la loi organique des élections provinciales et de la loi organisant l'élection simultanée pour les chambres législatives et les conseils provinciaux. Elles ne sont pas davantage compétentes à l'égard des règles inscrites dans les article 5, 5bis, 70, 3º et 8º, 126, alinéas 2 et 3, et le titre XI de la loi provinciale, ni de celles concernant l'organisation et la politique relative à la police ou aux services d'incendie.

Il est également entendu que la présente réforme est sans objet à l'égard du territoire de la région bilingue de Bruxelles-Capitale, qui est intégralement soustraite à la division en provinces, lesquelles ne peuvent donc pas être supprimées ou remplacées. L'article 163 de la Constitution reste en l'espèce pleinement d'application.

Eu égard au caractère tellement fondamental et aux conséquences pratiques importantes de la suppression des provinces et de leur remplacement, le cas échéant, par des collectivités supracommunales, et tenant compte de la grande marge d'appréciation laissée aux régions pour décider et mettre en œuvre de telles réformes, les auteurs de la présente proposition de révision de la Constitution estiment nécessaire de n'autoriser la suppression des provinces et, le cas échéant, la création de collectivités supracommunales qu'à une majorité des deux tiers des suffrages émis, à la condition que la majorité des membres se trouve réunie.

Lors de la création de collectivités supracommunales, le décret adopté à la majorité ordinaire consacre l'application des principes visés à l'article 162, alinéa 2. La région peut fixer, éventuellement à la majorité des deux tiers, d'autres principes considérés comme essentiels pour les collectivités supracommunales s. Si une région fixe des principes à la majorité des deux tiers, ceux-ci ne peuvent être modifiés qu'en recourant à la même majorité spéciale. Les modalités par lesquelles les principes précités sont exécutés et appliqués, et la modification de ces modalités, peuvent cependant être réglées par le parlement concerné à la majorité simple.

Le conseil de la collectivité supracommunale règle, en qualité d'autorité décentralisée, les matières d'intérêt exclusivement supracommunal d'après les principes établis par la Constitution. Dans ce cas, le principe d'autonomie locale s'appliquera au conseil des collectivités supracommunales, de la même manière qu'il s'applique actuellement aux conseils provinciaux et communaux, et celui-ci bénéficiera des mêmes garanties constitutionnelles. La notion d'intérêt supracommunal désigne l'intérêt de toute collectivité supracommunale créée par une région en remplacement des provinces.

Comme exposé dans les développements de la proposition de révision de l'article 5, alinéa 2, de la Constitution, si une région supprime et, le cas échéant, remplace ses institutions provinciales, ou si elle crée de nouvelles provinces, une telle réforme aura pour conséquence de limiter, pour cette région, la signification du mot « province » utilisé dans la Constitution à sa seule signification territoriale, transformant ainsi les provinces concernées en circonscriptions administratives. En effet, conformément au point 1º de la disposition transitoire, ajoutée à l'article 195 de la Constitution lors de la révision de cet article du 29 mars 2012 (Moniteur belge du 6 avril 2012, éd. 2), la signification du mot « province » dans la Constitution, dans les articles qui n'ont pas été ouverts à révision, sera dans ce cas limitée à sa seule signification territoriale, en dehors de toute signification institutionnelle. Aucun article de la Constitution ne peut donc plus, désormais, être considéré comme un obstacle pour supprimer, modifier, remplacer les provinces ou pour en créer de nouvelles.

Le maintien des dispositions constitutionnelles relatives aux provinces ne poursuit en effet que deux objectifs. Le premier est de conserver un ancrage constitutionnel aux institutions provinciales aussi longtemps que toutes les régions ne les auront pas supprimées. Ces fondements deviendront donc sans objet si toutes les régions suppriment les institutions provinciales. Le second est de servir comme subdivision territoriale permettant notamment de délimiter le territoire des entités fédérées et des régions linguistiques, et de faciliter l'action de l'État, des communautés et des régions gráce à des services administratifs ou juridictionnels déconcentrés. Les dispositions constitutionnelles relatives aux provinces resteront applicables, dans ce cas, même si toutes les régions suppriment les institutions provinciales.

Il convient en outre d'éviter que, en supprimant les institutions provinciales, les régions ne rendent impossible ou exagérément difficile l'exercice, par les législateurs fédéral et communautaire, de leurs compétences. L'article 6, § 1er, VIII, dernier alinéa, de la loi spéciale du 8 août 1980 prévoit en effet expressément que l'État fédéral et les communautés peuvent charger les autorités provinciales de l'exécution respective de leurs lois et arrêtés ou de leurs décrets et arrêtés, peuvent également les charger d'autres missions, en ce compris donner un avis, et peuvent inscrire à leur budget toutes les dépenses qu'elles imposent à ces autorités. Il s'agit d'ailleurs d'une des limites générales à la compétence des régions à l'égard des provinces, relatives aux missions d'intérêt général exercées par celles-ci pour le compte de l'État fédéral et des communautés. C'est à cette fin que l'Accord institutionnel pour la Sixième Réforme de l'État du 11 octobre 2011 a prévu que la suppression éventuelle des institutions provinciales ne puisse porter préjudice à la fonction des gouverneurs. Le maintien de cette fonction permettant de garantir l'exercice des missions d'intérêt général conférées par l'État fédéral ou les communautés aux institutions provinciales, est assuré par l'article 6, § 1er, VIII, de la loi spéciale du 8 août 1980 tel qu'il sera modifié. Étant donné que cette fonction est maintenue, les régions pourront donc désormais supprimer, modifier, remplacer les provinces ou en créer de nouvelles, sans porter atteinte à l'exercice des compétences de l'État ou des communautés.

En exécution de l'article 41, alinéa 1er, deuxième phrase, la proposition de loi spéciale relative à la Sixième Réforme de l'État qui est déposée concomitamment à la présente proposition, prévoit le maintien de la fonction des gouverneurs de province au cas où les régions réforment les provinces. Ce maintien est prévu pour garantir, même en cas de suppression des provinces, la continuité des missions d'intérêt public confiées aux provinces par l'État fédéral ou des communautés. Si les provinces sont supprimées dans une région, les gouverneurs de province ont, dans leur ressort, la qualité de commissaire de gouvernement. Par ailleurs, les modalités précises de l'exercice des compétences de l'État ou des communautés par le gouverneur de province ou par toute autre institution, au cas où les régions réforment les provinces, pourront en outre être discutées lors de la concertation imposée par l'article 6, § 3, 1º, proposé de la loi spéciale du 8 août 1980.

Étant donné que la présente proposition de révision de la Constitution et les autres propositions de révision de la Constitution relatives aux provinces ne visent pas à modifier la répartition des compétences entre l'autorité fédérale, les communautés et les régions, les régions conservent leurs compétences existantes vis-à-vis du gouverneur de province, même si la Région wallonne ou la Région flamande décident de supprimer, de réformer ou de remplacer les provinces.

Enfin, il y a lieu de modifier l'article 41, alinéa 5, de la Constitution pour permettre au législateur régional, s'il crée des collectivités supracommunales, d'organiser des consultations populaires à ce nouveau niveau de pouvoir.

Marcel CHERON.
Martine TAELMAN.
Francis DELPÉRÉE.
Freya PIRYNS.
Philippe MAHOUX.
Dirk CLAES.
Christine DEFRAIGNE.
Bert ANCIAUX.

PROPOSITION


Article unique

À l'article 41 de la Constitution, les modifications suivantes sont apportées:

1º l'alinéa 1er est complété par trois phrases, rédigées comme suit:

« Toutefois, en exécution d'une loi adoptée à la majorité prévue à l'article 4, dernier alinéa, la règle visée à l'article 134 peut supprimer les institutions provinciales. Dans ce cas, la règle visée à l'article 134 peut les remplacer par des collectivités supracommunales dont les conseils règlent les intérêts exclusivement supracommunaux d'après les principes établis par la Constitution. La règle visée à l'article 134 doit être adoptée à la majorité des deux tiers des suffrages émis, à la condition que la majorité des membres du Parlement concerné se trouve réunie. »;

2º dans l'alinéa 5, les mots « communal ou provincial » sont remplacés par les mots « communal, supracommunal ou provincial », et les mots « la commune ou la province concernée » sont remplacés par les mots « la commune, la collectivité supracommunale ou la province concernée ».

Marcel CHERON.
Martine TAELMAN.
Francis DELPÉRÉE.
Freya PIRYNS.
Philippe MAHOUX.
Dirk CLAES.
Christine DEFRAIGNE.
Bert ANCIAUX.

(1) C.Const., no 95/2005 du 25 mai 2005.

(2) Avis 49 938 de la section de législation du Conseil d'État, Doc. Parl, Parl. fl., sess. 2010-2011, n° 943/2, p. 6.