5-101 | 5-101 |
Mme Zakia Khattabi (Ecolo). - Le malaise autour des propos racistes tenus récemment sur Facebook par une personnalité publique d'une chaîne de télévision privée continue à occuper le haut de l'actualité.
Dans le concert des diverses réactions, il en est une qui a retenu particulièrement mon attention, celle du directeur du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme qui, dans une interview, mettait en avant une notion qui interpelle : le droit à l'émotion qui pourrait en quelque sorte, à ses yeux, tempérer les propos racistes tenus par cet individu.
Madame la ministre, nous savons que le dossier est à l'instruction. Il n'est donc pas question d'anticiper. Toutefois, cette notion fait plus qu'interpeller, le Centre pour l'égalité des chances étant une autorité morale en cette matière. L'argument est déjà repris par certains citoyens sur différents sites dont l'orientation politique inquiète. Il me semble donc fondamental de vous entendre, en tant que ministre de l'Égalité des chances, à propos de cette notion.
Comment accueillez-vous cette notion de droit à l'émotion dans le cadre de la loi sur le racisme et les discriminations ?
Par ailleurs, les dérives en matière de liberté d'expression dans le cadre des pratiques internet des citoyens ne sont pas nouvelles. Comment avancez-vous dans ce dossier de fond et quel plan entendez-vous mettre en oeuvre pour gérer cette problématique de manière à protéger adéquatement la liberté d'expression sur internet ?
Mme Joëlle Milquet, vice-première ministre et ministre de l'Intérieur et de l'Égalité des Chances. - En tant que juriste, ayant d'ailleurs mon ancien professeur à mes côtés aujourd'hui, jamais je n'ai lu dans aucun traité de droit belge, de droit international ou de droit comparé, en matière pénale ou autre, une quelconque notion de droit à l'émotion.
Qu'un magistrat puisse, à l'occasion d'une affaire pénale - l'incitation à la haine, à la discrimination, au racisme, à l'antisémitisme tombant sous le joug pénal -, invoquer éventuellement des circonstances atténuantes est une chose. Cependant, le droit à l'émotion n'existe pas, même si ce concept a peut-être été inventé pour nuancer une affirmation.
Vous avez raison d'affirmer que ces propos sont inacceptables. Ils sont à l'origine d'un licenciement et donneront peut-être lieu à des poursuites judiciaires. Le Centre est en train d'examiner la suite qu'il convient de donner à certaines plaintes reçues.
Le climat qui s'est installé aujourd'hui me rappelle des périodes que l'on croyait révolues, avec une augmentation du populisme et un sentiment généralisé de rejet de l'autre et des différences. Nous devons nous montrer extrêmement vigilants et fermes à cet égard.
Nous devons lutter avec la même fermeté contre tous les radicalismes à portée violente qui génèrent d'ailleurs les différents racismes et qui sont les ennemis de la sécurité, de la démocratie et de la diversité, et contre l'augmentation des sentiments de rejet, du racisme.
Le plan de prévention et de lutte contre le radicalisme dont nous discutons avec les Communautés et les Régions comporte un pan en matière de prévention qui relève de la promotion de la diversité, du respect des autres quelle que soit leur religion.
Nous envisageons de faire de l'année 2014 l'année de la diversité, tous niveaux de pouvoir confondus, à l'occasion de la célébration des 50 ans des deux grandes vagues d'immigration. Dans le même temps, nous déposerons des propositions très fermes pour lutter contre le radicalisme et certaines dérives.
Dans ce contexte, nous songeons à demander au Centre pour l'égalité des chances, qui sera interfédéralisé dans quelques mois, qu'il élabore en 2014 une stratégie en la matière. Sur le plan judiciaire, le racisme sous toutes ses formes fera l'objet d'une plus grande vigilance.
La partition de notre société, avec des groupes qui se montent les uns contre les autres, est totalement condamnable.
Mme Zakia Khattabi (Ecolo). - Je vous remercie de prendre de la distance avec cette notion de « droit à l'émotion ». La formule était en effet d'autant plus malheureuse qu'elle émanait du directeur d'une institution qui fait autorité en ce domaine. Elle laissait penser que sous le couvert de l'émotion, on peut accepter que l'on stigmatise une communauté. C'est inacceptable. Le travail du Centre consiste précisément en une déconstruction de ces relations hátives.
Comme vous, j'estime qu'il y a lieu de condamner les agressions diverses et multiples, sans pour autant accepter les dérives auxquelles nous avons assisté dans le cadre de cet événement. Je vous remercie pour la clarté de votre réponse : il n'y a aucune place pour un droit à l'émotion dans le cadre de la lutte contre le racisme.