5-2041/1

5-2041/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2012-2013

23 MARS 2013


Proposition de résolution relative au suivi et au respect de l'Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo et la région des Grands Lacs

(Déposée par M. Karl Vanlouwe et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Le mouvement de rébellion M-23 ou Mouvement du 23 mars a vu le jour l'année dernière dans l'Est du Congo. Le nom M-23 renvoyait à l'Accord de paix du 23 mars 2009, conclu entre l'ex-mouvement rebelle CNDP (Congrès national pour la défense du peuple) et le gouvernement de la République démocratique du Congo. Cet accord de paix n'a été possible que gráce au rapprochement diplomatique entre le président congolais Joseph Kabila et son homologue rwandais Paul Kagame.

L'une des conséquences directes du rapprochement entre la RDC et le Rwanda a été l'assignation à résidence du dirigeant du CNDP, le général Laurent Nkunda, dont les fonctions à la tête du CNDP ont été reprises par Bosco Ntaganda, un autre chef rebelle faisant l'objet d'un mandat d'arrêt international.

Le CNDP est devenu au fil du temps un allié militaire et politique important du camp Kabila, étant donné que le pouvoir de Kinshasa ne s'étendait pas jusqu'aux provinces orientales du Kivu. Des factions du CNDP ont été intégrées dans l'armée congolaise, les FARDC (Forcées armées de la République démocratique du Congo), ou plutôt, elles ont été achetées. La loyauté de ces militaires envers l'armée congolaise était des plus douteuses et au sein même de l'armée, les anciens rebelles obéissaient à leur propre structure de commandement parallèle.

En 2011, le CNDP, en tant que membre de la majorité présidentielle, a mené campagne en vue de la réélection de Kabila. Les observateurs internationaux de l'Union européenne et le Centre Carter ont critiqué les élections présidentielles de novembre 2011. Dans notre pays également, de nombreuses voix se sont élevées pour exprimer une inquiétude quant au déroulement des opérations avant, pendant et surtout après le scrutin.

Sous la pression de l'Union européenne et des États-Unis, le régime de Kabila a œuvré au démantèlement du CNDP et à l'arrestation de Ntaganda. Mécontents de cette évolution, les militaires du CNDP ont quitté l'armée congolaise et ont créé un nouveau mouvement de rébellion, le M-23.

Selon un rapport des Nations unies, le M-23 a bénéficié du soutien actif des pays voisins du Congo que sont le Rwanda et l'Ouganda. En novembre 2012, la capitale du Nord-Kivu, Goma, est tombée aux mains du M-23. Le comité des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies a réagi en plaçant des figures de proue de ce mouvement sur la liste de sanctions, notamment Sultani Makenga et Jean-Marie Runiga, respectivement chef militaire et chef politique du M-23. Le gouvernement fédéral a également suspendu sa coopération militaire avec le Rwanda, imitant en cela des démarches similaires des Pays-Bas, du Royaume-Uni et des États-Unis. Sous la pression diplomatique, le M-23 s'est retiré partiellement de Goma, ce qui ouvert la voie à des pourparlers entre Kinshasa et le mouvement de rébellion.

Le 24 février 2013, onze pays africains ont conclu, à Addis-Abeba, un accord-cadre qui doit jeter les bases d'une paix durable dans la région des Grands Lacs. Aux rangs des parties signataires de cet accord-cadre, on trouve les protagonistes, à savoir la RDC, le Rwanda et l'Ouganda, ainsi que la République centrafricaine, l'Angola, le Burundi, la République du Congo (Congo-Brazzaville), l'Afrique du Sud, le Sud-Soudan, la Zambie et la Tanzanie. Quatre organisations internationales ont fait office d'observateurs: les Nations unies, l'Union africaine, la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL).

L'Accord d'Addis-Abeba vise à remédier aux causes sous-jacentes du conflit incessant dans l'Est du Congo et dans la région, par le biais des engagements suivants:

1. le gouvernement de la République démocratique du Congo doit s'efforcer de consolider son appareil d'État, de réformer l'armée congolaise (FARDC), de garantir la sécurité des populations de l'Est et s'atteler à la décentralisation administrative et au développement économique;

2. les pays de la région (en particulier le Rwanda et l'Ouganda) s'engagent à ne plus s'ingérer dans les affaires intérieures de la RDC en soutenant des groupes rebelles armés ou en hébergeant des personnes qui ont commis des crimes internationaux ou qui sont soumises au régime de sanctions des Nations unies;

3. la communauté internationale doit renouveler son engagement, évaluer le mandat de la MONUSCO et désigner un envoyé spécial des Nations unies.

Les auteurs de la présente proposition de résolution appellent le gouvernement fédéral, dans le cadre de sa politique bilatérale et européenne/multilatérale, à soutenir explicitement l'Accord d'Addis-Abeba et à le promouvoir auprès des autorités de la République démocratique du Congo, du Rwanda et de l'Ouganda, par le biais des procédures diplomatiques habituelles.

Notre pays ne peut contribuer à la paix durable dans la région des Grands Lacs que si l'analyse factuelle susvisée et énoncée dans l'Accord-cadre d'Addis-Abeba est prise en compte et qu'il y est donné suite. Les dispositions de l'Accord-cadre doivent être directement défendues auprès du gouvernement de la République démocratique du Congo, d'une part, et du Rwanda et de l'Ouganda, d'autre part.

Si ces engagements restent sans suite, le gouvernement fédéral doit, selon les auteurs, également prendre des mesures appropriées — soit de manière bilatérale, soit par la voie européenne — comme la suspension (temporaire) de la coopération directe. Un accord de coopération de quatre ans a ainsi été conclu avec la RDC pour la période 2009-2013, pour un montant de 400 millions d'euros. L'accord de coopération avec le Rwanda représente un montant de 160 millions d'euros pour la période 2011-2014 et pour l'Ouganda, il s'agit d'un montant de 64 millions d'euros au cours de la période 2009-2012. Ces trois pays réunis sont les principaux partenaires de la Coopération belge au développement.

La présente résolution n'a cependant pas pour objectif de désigner des coupables, mais bien de présenter un projet d'avenir qui puisse être porté par notre diplomatie. Il est crucial que la RDC s'attelle à la construction de l'État de droit, à la construction d'un dispositif de sécurité (sans à nouveau acheter des rebelles, comme c'est actuellement le cas), à la décentralisation administrative, conformément à sa propre Constitution de 2006, et à la construction de la démocratie. L'absence d'élections locales et provinciales en RDC ne constitue en tout cas pas un signe encourageant.

La recrudescence de la violence dans l'Est du Congo, quelques semaines à peine après la signature de l'accord-cadre, témoigne également de l'urgence qu'il y a à s'atteler à la consolidation de l'État en RDC, un État capable de garantir la sécurité et le développement de ses citoyens. Les auteurs espèrent que le gouvernement fédéral entretient d'étroits contacts à ce sujet avec l'émissaire des Nations unies récemment désignée, Mary Robinson, chargée du suivi de l'accord.

Ils demandent par ailleurs au gouvernement fédéral de rédiger une note stratégique claire pour la région des Grands Lacs, précisant la politique bilatérale et européenne à moyen et long terme suivie par notre pays à l'égard de ces pays d'Afrique centrale. Cette note doit être rédigée en concertation avec le Parlement fédéral, la société civile et le Service européen d'Action extérieure.

Les auteurs déposent la présente proposition de résolution à la date symbolique du 23 mars 2013, quatre ans jour pour jour après la signature de l'Accord de paix du 23 mars 2009 et un an après la recrudescence de la violence dans l'Est du Congo.

Karl VANLOUWE.
Patrick DE GROOTE.
Sabine VERMEULEN.
Bart DE NIJN.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

A. vu l'Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo et la région, conclu le 24 février 2013 à Addis-Abeba;

B. vu les engagements spécifiques, prévus par l'Accord-cadre d'Addis-Abeba, qui doivent être honorés par le gouvernement de la République démocratique du Congo, à savoir:

i) développer et réformer le secteur de la sécurité, en particulier en ce qui concerne l'armée et la police;

ii) consolider la présence de l'État, en particulier dans l'Est de la République démocratique du Congo, en vue d'empêcher des groupes armés de déstabiliser les pays voisins;

iii) enregistrer des avancées en matière de décentralisation;

iv) promouvoir le développement économique, surtout en ce qui concerne le soutien aux travaux d'infrastructure et la fourniture de services sociaux;

v) promouvoir la réforme structurelle des institutions de l'État, y compris la réforme des finances publiques;

vi) promouvoir les objectifs de réconciliation nationale, de tolérance et de démocratisation;

C. vu les engagements spécifiques, prévus par l'Accord-cadre d'Addis-Abeba, qui doivent être honorés par les pays de la région:

i) ne pas s'ingérer dans les affaires intérieures des États voisins;

ii) ne pas tolérer des groupes armés sur leur territoire, ni leur fournir une assistance;

iii) respecter la souveraineté et l'intégrité territoriale des États voisins;

iv) renforcer la coopération régionale, y compris l'intégration économique, en accordant une attention particulière à la question de l'exploitation des ressources naturelles;

v) respecter les préoccupations et intérêts légitimes des États voisins, en particulier au sujet des questions de sécurité;

vi) ne pas héberger ni fournir une protection aux personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité ou d'actes de génocide, ou aux personnes placées sous le régime de sanctions des Nations unies;

vii) coopérer sur le plan judiciaire dans la région;

D. vu les engagements spécifiques, prévus par l'Accord-cadre d'Addis-Abeba, qui doivent être honorés par la communauté internationale:

i) le Conseil de sécurité des Nations unies s'assure de l'importance du soutien apporté à la stabilité à long terme de la République démocratique du Congo et de la région des Grands Lacs;

ii) un engagement renouvelé des partenaires bilatéraux à demeurer mobilisés dans leur soutien à la République démocratique du Congo et à la région, y compris avec des moyens appropriés sur le long terme, et à appuyer la mise en œuvre dudit Accord-cadre;

iii) un engagement renouvelé à travailler à la revitalisation de la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL) et à soutenir la mise en œuvre de son développement économique et de son intégration régionale;

iv) une révision stratégique de la Mission de stabilisation de l'Organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (MONUSCO) afin de renforcer son appui au gouvernement pour faire face aux enjeux d'ordre sécuritaire et favoriser l'expansion de l'autorité de l'État;

v) la désignation d'un envoyé spécial des Nations unies pour soutenir les efforts déployés en vue de trouver des solutions durables, avec un plan à plusieurs volets qui permettra la convergence de toutes les initiatives en cours;

E. considérant que la République démocratique du Congo, le Rwanda et l'Ouganda sont trois des quatre principaux pays partenaires de la Coopération belge au développement;

F. vu la désignation de Mme Mary Robinson, le 18 mars 2013, comme envoyée spéciale des Nations unies chargée du suivi dudit Accord-cadre,

Demande au gouvernement fédéral:

1. de reconnaître explicitement les engagements précités, pris par la République démocratique du Congo dans l'Accord-cadre d'Addis-Abeba, comme étant des conditions nécessaires à l'instauration d'une paix durable dans la région des Grands Lacs, et d'en informer le gouvernement de la RDC par les voies diplomatiques habituelles;

2. de reconnaître explicitement les engagements précités, pris par les pays situés dans la région, en particulier le Rwanda et l'Ouganda, comme étant des conditions nécessaires à l'instauration d'une paix durable dans la région des Grands Lacs, et d'en informer les gouvernements rwandais et ougandais par les voies diplomatiques habituelles;

3. de contrôler et d'évaluer, en collaboration avec l'Union européenne et l'envoyé spécial des Nations unies, les engagements précités de la République démocratique du Congo et, en cas de progrès insuffisants, de prendre les mesures appropriées dans la politique bilatérale et multilatérale menée à l'égard du gouvernement de la République démocratique du Congo, ce qui inclut notamment la suspension (temporaire) de la coopération directe;

4. de contrôler et d'évaluer, en collaboration avec l'Union européenne et l'envoyé spécial des Nations unies, les engagements précités des pays de la région, en particulier du Rwanda et de l'Ouganda, et, en cas de progrès insuffisants, de prendre les mesures appropriées dans la politique bilatérale et multilatérale menée à l'égard de ces pays, ce qui inclut notamment la suspension (temporaire) de la coopération directe;

5. d'informer le Parlement fédéral des progrès enregistrés en matière de respect des engagements fixés dans l'Accord-cadre en ce qui concerne la République démocratique du Congo, les pays de la région des Grands Lacs, en particulier le Rwanda et l'Ouganda, et la communauté internationale;

6. de rédiger en concertation avec le Parlement fédéral et la société civile une note stratégique définissant explicitement la politique diplomatique fédérale à mener à moyen et à long terme, par notre pays, à l'égard de la région des Grands Lacs.

22 mars 2013.

Karl VANLOUWE.
Patrick DE GROOTE.
Sabine VERMEULEN.
Bart DE NIJN.