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Mme Christine Defraigne (MR). - Ce 14 février 2013, la Cour constitutionnelle s'est prononcée sur les recours introduits à l'encontre de la loi dite Salduz. Son arrêt annule trois dispositions de la loi et interprète deux autres dispositions. Ce sont les motifs d'annulation qui m'intéressent.
Ainsi, premièrement, il va falloir compléter la « letter of rights » pour faire savoir au suspect auditionné qu'il a le droit d'aller et venir et de quitter à tout moment l'audition. En fait, si la personne use de ce droit d'aller et venir - traduisons en pratique qu'elle exerce son droit à faire cesser l'interrogatoire -, la police peut toujours alors la priver de liberté mais dans ce cas, la protection de la loi Salduz et la présence de l'avocat deviennent obligatoires.
Deuxièmement, le contentieux de roulage échappe actuellement à l'application de la loi Salduz, la Justice ayant été quelque peu effrayée du nombre de dossiers que cela supposait, environ 300 000. La Cour constitutionnelle a annulé cette exception car elle n'est pas conforme à la Constitution.
Enfin, la loi Salduz prévoit que les condamnations fondées sur des déclarations faites par un suspect sans la présence d'un avocat sont possibles si l'accusation repose sur d'autres éléments de preuve que ceux qui ont été obtenus en violation de ces droits. La Cour constitutionnelle annule cette disposition car elle viole le droit à un procès équitable. Cette exception avait été longuement discutée avant l'adoption de la loi et son annulation à fait déjà couler beaucoup d'encre également.
Le moins que l'on puisse dire est que la loi Salduz est revue dans le sens d'un renforcement de la position des suspects lors des premières auditions.
Dans les deux premiers cas, l'annulation prononcée par la Cour n'a pas d'effet immédiat. Les dispositions annulées sont maintenues jusqu'à l'intervention du législateur ou, à défaut, jusqu'au 31 août 2013.
Madame la ministre, quelles initiatives allez-vous prendre pour tenir compte des annulations prononcées par la Cour et selon quel calendrier ? Je suis particulièrement curieuse de savoir comment vous allez concilier les exigences de la Cour avec les déclarations de votre collègue de l'Intérieur qui souhaite que la loi Salduz soit modifiée afin d'alléger la táche des policiers et enquêteurs qui considèrent leur travail très alourdi par l'application de cette loi.
On connaît aussi le mécontentement des avocats intervenant dans le cadre de la loi Salduz à propos du niveau de leur rémunération pour les prestations accomplies. Il est incontestable que les dispositions annulées vont engendrer encore plus de présences obligatoires d'avocats durant la phase préliminaire du procès pénal. Comment allez-vous gérer la situation dans le cadre de l'aide juridique, notamment sur le plan budgétaire ?
Mme Annemie Turtelboom, ministre de la Justice. - Après une première analyse de l'arrêt contraignant du 14 février 2013 de la Cour constitutionnelle, il ressort que la loi Salduz doit être adaptée sur trois points.
La loi prévoit le droit de se concerter avec un avocat avant le premier interrogatoire pour autant que les faits concernés soient passibles d'un emprisonnement d'un an minimum, exception faite des infractions de roulage. La Cour précise que cette exclusion des infractions de roulage n'est pas admissible. Elle accepte toutefois le seuil d'un an d'emprisonnement. En d'autres termes, une concertation préalable avec un avocat devra, dans l'avenir, être également possible en cas d'infraction de roulage punissable d'un an d'emprisonnement minimum. La loi sera adaptée en ce sens.
Ensuite, la loi prévoit que les déclarations faites au mépris du droit à l'assistance ne peuvent servir de preuve pour condamner quelqu'un. La Cour constitutionnelle indique toutefois qu'une condamnation ne peut en aucun cas se fonder sur ces déclarations. La loi sera adaptée en ce sens.
La Cour précise qu'une personne interrogée doit également être informée qu'elle n'a pas été arrêtée et que, par conséquent, elle a à tout moment le droit d'aller et de venir. La loi prévoit déjà que la personne interrogée est informée de ses droits : droit à une assistance médicale, droit d'informer une personne de confiance, droit à l'assistance d'un avocat, droit d'être informée des faits au sujet desquels elle est interrogée. Ces informations sur l'état d'arrestation ou non y seront ajoutées.
Les ordres des avocats exigeaient une annulation quasi totale de la loi Salduz. La Cour constitutionnelle n'a pas accédé à cette demande. Concernant l'exigence la plus importante, à savoir le fait que des avocats doivent être présents lors de tous les interrogatoires et doivent pouvoir y prendre part activement, les avocats n'ont pas été suivis par la Cour qui a estimé que sur ces points la loi suffisait.
Ces modifications ponctuelles doivent évidemment être examinées conjointement avec les propositions formulées dans le cadre d'une réforme de l'assistance judiciaire gratuite. À cet effet, j'ai élaboré un certain nombre de propositions qui font l'objet d'une concertation avec le barreau.
Une réforme fondamentale de notre système juridique doit également être examinée. Le service de la Politique criminelle m'a entre-temps communiqué un cahier des charges pour la rédaction d'une étude scientifique, à savoir une enquête pratique en vue d'une modernisation globale du Code d'instruction criminelle.
Enfin, il convient de tenir compte de l'imminence de la directive de l'UE relative au droit d'accès à un avocat, qui impliquera une réforme plus approfondie de la loi Salduz.
Mme Christine Defraigne (MR). - Vous confirmez, madame la ministre, mon énumération des points annulés par la Cour Constitutionnelle. Effectivement, les avocats n'ont pas gagné sur toute la ligne, mais le balancier s'est plutôt déplacé dans le sens qu'ils souhaitaient.
Ma question demeure : comment allez-vous gérer cette question sur le plan budgétaire ? Vous annoncez une concertation avec le barreau, mais elle est en cours depuis longtemps. Le coût de la letter of rights sera certes limité, mais votre administration a-t-elle déjà chiffré le surcoût des privations de liberté qui pourraient intervenir plus tôt, en particulier pour les infractions de roulage passibles d'une peine d'un an ?
Vous évoquez la directive de l'Union européenne et la refonte du Code d'instruction criminelle - actuellement de bric et de broc - mais sans préciser l'enveloppe budgétaire prévue. C'était l'objet de ma question !