5-1982/1

5-1982/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2012-2013

22 FÉVRIER 2013


RÉVISION DE LA CONSTITUTION


Révision de l'article 23 de la Constitution

(Déclaration du pouvoir législatif, voir le « Moniteur belge » nº 135 —  Éd. 2 du 7 mai 2010)


Proposition de révision de l'article 23 de la Constitution, en vue de le compléter par un droit fondamental supplémentaire, à savoir le droit d'accéder à l'Internet

(Déposée par Mme Martine Taelman et M. Yoeri Vastersavendts)


DÉVELOPPEMENTS


1. INTRODUCTION: NOUVEAUX DROITS FONDAMENTAUX ET L'ACCÈS À L'INTERNET

Au niveau mondial, quatre personnes sur cinq trouvent que le droit d'accès à l'Internet est un droit fondamental au même titre que la liberté d'expression ou le droit à l'eau potable, comme l'indiquent les résultats récents d'un sondage réalisé à l'échelle mondiale (1) . Plus de la moitié des personnes interrogées considèrent, en outre, que l'Internet ne peut en aucun cas être contrôlé ou régulé par un quelconque gouvernement.

Pas moins de 78 % des 26 000 personnes interrogées dans vingt-six pays adhèrent à l'idée selon laquelle l'accès à l'Internet est une évidence. L'on dénombre déjà aujourd'hui plus d'un milliard de personnes connectées à l'Internet.

« Nous nous trouvons dans une société de la connaissance à laquelle tout le monde doit avoir la possibilité de participer. Le droit de communiquer ne peut être ignoré », a déclaré le secrétaire général de l'Union internationale des télécommunications (UIT) à la BBC News.

Il a ajouté que les gouvernements doivent considérer l'accès à l'Internet comme un besoin fondamental, au même titre que la nourriture, l'eau et les routes. L'Union européenne a récemment fait savoir que toutes les mesures introduites par ses États membres au sujet de l'utilisation de l'Internet doivent respecter les libertés et les droits fondamentaux des ressortissants.

Les auteurs sont convaincus de la nécessité de considérer l'Internet et plus particulièrement l'accès à l'Internet comme des droits fondamentaux.

L'Internet devient de plus en plus un instrument indispensable pour favoriser les initiatives démocratiques, un nouveau forum pour le débat politique (par exemple, pour faire campagne et pour voter par voie électronique), un instrument très important au niveau mondial pour l'exercice de la liberté d'expression (en bloguant, par exemple) ainsi que pour le développement d'activités économiques, et un mécanisme de promotion de l'érudition et de la transmission numérique des connaissances (e-learning). L'accès à l'Internet est la clé qui permet de jouir de tous ces droits et libertés. Plus que jamais, les pouvoirs publics doivent tout mettre en œuvre en vue d'éliminer la fracture numérique. L'accès à l'Internet est également crucial dans la politique d'égalité des chances.

En outre, l'Internet offre de plus en plus de possibilités à des personnes de tout áge, par exemple celle de communiquer avec le monde entier.

L'Internet est la fenêtre sur le monde, il favorise les contacts avec d'autres cultures, ce qui permet de mieux comprendre les autres et leur culture.

La quantité d'informations que l'on peut récolter a augmenté de façon exponentielle gráce à l'Internet qui donne accès à des informations de diverses régions du monde.

La nature mondiale, ouverte et participative de l'Internet et le fait que la liberté est le principe qui le sous-tend n'exclut évidemment pas la nécessité de réfléchir (aux niveaux national et international, dans les sphères publique et privée) à la manière de garantir et de protéger les libertés fondamentales et la sécurité des internautes. Ce dernier point ne fait cependant pas partie de la modification proposée de la Constitution.

Les auteurs se bornent à ériger l'accès à l'Internet en droit fondamental.

Les auteurs renvoient à un texte antérieur qui a été adopté au Parlement européen et qui avance lui aussi des arguments sérieux pour inscrire l'accès à l'Internet parmi les droits fondamentaux: « considérant que l'analphabétisme informatique sera l'analphabétisme du XXIe siècle; considérant que garantir l'accès de tous les citoyens à Internet équivaut à garantir l'accès de tous les citoyens à l'éducation et considérant qu'un tel accès ne devrait pas être refusé comme une sanction par des gouvernements ou des sociétés privées (2) . »

Par ailleurs, les autorités considèrent de plus en plus l'Internet comme le point de contact par excellence pour la concertation avec le citoyen. Citons par exemple: la carte d'identité électronique (eID) qui devient de plus en plus le carrefour de différentes voies d'accès aux pouvoirs publics comme tax-on-Web et sur laquelle figureront prochainement les données de la carte SIS, ou encore le Moniteur belge qui n'est plus consultable que sur Internet.

Notre parlement s'ouvre aussi de plus en plus à l'Internet. Les citoyens ont accès aux sites de la Chambre des représentants et du Sénat où ils peuvent retrouver toutes nos questions et, espérons-le, la présente proposition de modification de la Constitution. L'autorité fédérale s'est dotée de son propre portail: www.belgium.be. En outre, chaque ministre et secrétaire d'État possède son propre site.

La plupart des pouvoirs locaux sont également présents sur l'Internet.

Si un citoyen veut participer de manière à part entière à notre démocratie, il ou elle ne peut pratiquement plus le faire sans recourir à l'Internet.

2. L'INTERNET: UN DROIT DE L'HOMME FONDAMENTAL

2.1. L'Internet et les droits à l'information

Le droit à l'accès à l'Internet n'apparaît pas en tant que tel dans les conventions en matière de droits de l'homme qui sont en effet antérieures à l'apparition de cette technologie. Les auteurs se sont abondamment inspirés des travaux de Marcel van Kuijk de la faculté de Droit de l'Université de Tilburg: « Recht op toegang tot het internet ? » (droit à l'accès à l'Internet), publiés dans une étude de 2007 sur l'existence d'un droit (de l'homme) (inter)national relatif à l'accès à l'Internet (3) .

Toutefois, il convient de considérer l'utilisation de l'Internet comme une des manières à la disposition du citoyen pour exercer le droit de recevoir des informations et d'exprimer son point de vue, comme le prévoient entre autres l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et l'article 7 de la Constitution. La Cour européenne des droits de l'homme considère la CEDH comme un instrument vivant. Elle estime que l'usage de nouveaux médias, dont l'Internet, relève dès lors de la liberté d'expression prévue à l'article 10 de la CEDH.

Tout cela n'est toutefois possible que si l'on a effectivement accès à l'Internet. L'accès à l'Internet est la clé de l'exercice de ces libertés.

La fin du XXe siècle a été caractérisée par une prolifération rapide des technologies de l'information et de la connaissance.

Nous sommes arrivés à un carrefour du développement de notre société. Le professeur Mark Bovens parle d'une transition de notre société industrielle et de services établie sur un territoire national clairement délimité vers une société de l'information très internationale. Il fait aussi le lien avec le passé lorsqu'il affirme que: « Par le passé, pareilles transformations de la société ont eu des conséquences importantes pour l'État et le droit, et il est permis de penser que ce scénario va se répéter une fois encore. À l'instar de la transition d'une société agraire vers une société industrielle qui a conduit à l'avènement de l'État de droit démocratique et aussi de l'État de droit social par la suite, la transition vers une société de l'information pourrait donner lieu à la naissance d'un État de droit numérique. »

Dans le rapport final de 2001 présenté par Infodrome, un groupe de réflexion créé par le gouvernement néerlandais, on peut lire ce qui suit: « Infodrome constate que les TIC sont imbriquées dans pratiquement tous les domaines de l'activité humaine et que cette évolution s'enregistre en outre quasi simultanément dans l'ensemble du monde occidental. C'est pourquoi la révolution de l'information, comme l'appelle Infodrome, peut soutenir la comparaison avec la révolution industrielle. »

Cap Gemini a également souligné dès 2002 l'importance de l'accès à l'Internet: les droits à l'information et les principes de « bonne informatisation » gagnent en importance. La réalité virtuelle devient une réalité à part entière ayant ses règles et ses normes propres, et celles du monde réel ne sont plus applicables à ce domaine virtuel, mais requièrent « innovation et rénovation » (4) .

Le professeur Bovens anticipe ces évolutions et affirme que le rôle des pouvoirs publics apparaîtra de façon plus explicite si les TIC et l'accès à l'information deviennent un besoin de première nécessité, a fortiori si les pouvoirs publics utilisent les TIC dans leurs rapports avec les citoyens.

L'accessibilité générale revêt, par conséquent, une importance capitale. Le professeur Bovens pense à l'élaboration d'une nouvelle famille de droits civiques: les droits à l'information. Ces derniers pourraient donner aux citoyens le droit de recevoir des informations adéquates dans le domaine politique.

Par ailleurs, le professeur Bovens voit un rôle plus proactif pour les pouvoirs publics, qui pourrait aussi se traduire par la garantie formelle ou matérielle de l'accès à ces services ou produits d'information essentiels pour permettre aux citoyens de participer à la société.

Steven Hicks déclare à propos de l'Internet: « internet is without a question one of the most important developments of this century. »

2.2. L'Europe et l'accès à l'Internet

2.2.1. La Commission et le Conseil

La Commission a lancé en décembre 1999 l'initiative eEurope qui a pour objectif que l'Europe puisse tirer profit des technologies numériques et que nul ne soit exclu dans la société de l'information qui est en train de se mettre en place. L'eEurope s'inscrit dans le cadre de la « stratégie de Lisbonne ».

Afin de réaliser les objectifs de l'eEurope, le plan d'action sollicite en particulier l'aide du monde politique dans les États membres: « Chacun devra attirer l'attention de sa population sur les possibilités nouvelles des technologies numériques pour aider à assurer une société de l'information réellement inclusive. Seule une action volontariste menée immédiatement peut permettre d'éviter l'exclusion numérique au niveau européen. »

Les termes-clés de ces phrases sont « société de l'information inclusive » et « action volontariste ». Les pouvoirs publics sont encouragés à prendre des mesures visant à créer une société de l'information à laquelle tout le monde peut participer et dont personne n'est exclu. La première impulsion a ainsi été donnée à l'accès à l'Internet pour tous.

La directive « Accès » a été adoptée en 2002 (5) . Selon cette directive, l'accès ne concerne pas l'accès par les utilisateurs finaux, mais s'adresse aux opérateurs ou à d'autres fournisseurs. En 2003, la Commission a précisé son point de vue sur l'accès à l'Internet dans une réponse à une question parlementaire: « Bien que l'on cherche en effet à ce que l'Internet soit accessible à tous, cela ne signifie pas que cet accès doive être forcément gratuit. »

En 2005, la Commission a changé de cap. En effet, dans son plan de 2005 (eEurope 2005), elle propose aussi des points d'accès publics à l'Internet. Il faut que tous les citoyens aient facilement accès à l'Internet dans leur commune au moyen de points d'accès publics à l'Internet, de préférence par des connexions à large bande. Concernant la mise en place de ces points d'accès, les États membres doivent recourir, le cas échéant, aux Fonds structurels et collaborer avec le secteur privé et/ou celui du bénévolat.

Une nouvelle notion voit également le jour: l'eInclusion. La politique d'intégration numérique (« eInclusion ») vise à assurer à tous, à un prix abordable, le même accès aux TIC et la même disponibilité des services TIC. Cette politique prend de plus en plus d'importance à mesure que les TIC s'enracinent dans la société. La citoyenneté, c'est la participation de tous à la société mais l'utilisation accrue des TIC dans la vie quotidienne pose de nouveaux défis à cet égard. En effet, l'apparition de nouvelles technologies complexes risquent de marginaliser certains secteurs de la société qui seront dans l'incapacité de les utiliser. L'eInclusion doit être abordée aux niveaux national, régional et local. »

Finalement, « i2010 Une société de l'information européenne pour la croissance et l'emploi » est lancé. Le chapitre 4 détaille le point Inclusion, Amélioration des services publics et de la qualité de la vie. « Les TIC sont de plus en plus utilisées et profitent à un nombre croissant de personnes. Cependant, à l'heure actuelle, plus de la moitié de la population de l'Union européenne (UE) ne profite pas pleinement des TIC ou n'y a pas du tout accès. Il est impératif sur le plan économique, social, éthique et politique de renforcer la cohésion sociale, économique et territoriale en rendant les produits et services liés aux TIC plus accessibles, y compris dans les régions qui sont en retard en la matière. Dans i2010, l'accent est mis sur la participation pleine et entière et sur l'acquisition de compétences numériques de base. ».

Deux fils rouges sont à distinguer parmi tous ces plans d'action. En premier lieu, la volonté de la Commission est surtout d'inclure tout le monde dans la société de l'information, comme elle se plaît à la rappeler à chaque fois. Cela se fait de manière quasiment systématique dans les différentes citations ci-dessus. La Commission accorde donc une place importante à l'Internet. D'emblée, l'objectif a été de connecter le plus grand nombre de personnes à l'Internet (puis à l'Internet à large bande).

Le deuxième fil rouge est l'accent que met la Commission sur la logique du marché, les efforts doivent surtout viser à créer les préalables les plus favorables possibles, si bien que le marché fera en sorte que les objectifs fixés par la Commission soient atteints. Si le marché ne fonctionne pas de manière optimale, la Commission est prête à intervenir comme elle le fait dans le plan i2010, en affirmant qu'il faut mettre l'accent sur les régions en retard et sur les personnes qui ont des difficultés à participer à la société de l'information par leurs propres moyens.

Il n'est toutefois pas encore question d'un véritable droit à l'accès à l'Internet en ce qui concerne la Commission.

Le document « Internet — une ressource cruciale pour tous » du Conseil de l'Europe du 17 septembre 2008 souligne par contre que la garantie et la promotion de la justice et de la participation au travers de l'Internet est une étape essentielle pour le progrès de la justice et de la participation dans l'ensemble de la société.

En insistant sur la participation à l'Internet, on souscrit implicitement à l'accès à l'Internet.

2.2.2. Le Parlement européen et l'accès à l'Internet

En 2006, le Parlement européen a adopté une résolution sur la liberté d'expression sur Internet (6) .

Celle-ci a été suivie en 2009 par la recommandation du Parlement européen du 26 mars 2009 à l'intention du Conseil sur le renforcement de la sécurité et des libertés fondamentales sur Internet, qui est formulée en des termes particulièrement fermes.

S'agissant de l'accès à l'Internet, elle énonce ce qui suit:

Dans les considérants:

« — considérant que l'analphabétisme informatique sera l'analphabétisme du XXIe siècle; considérant que garantir l'accès de tous les citoyens à Internet équivaut à garantir l'accès de tous les citoyens à l'éducation et considérant qu'un tel accès ne devrait pas être refusé comme une sanction par des gouvernements ou des sociétés privées; considérant que cet accès ne doit pas faire l'objet d'abus aux fins d'activités illégales; considérant qu'il est important de se pencher sur les questions émergentes telles que la neutralité des réseaux, l'interopérabilité, l'accessibilité globale de tous les nœuds d'Internet et l'utilisation de formats et de normes ouverts, ».

Le Parlement européen adresse dès lors les recommandations suivantes au Conseil:

Un accès à Internet sans réserve et sûr

a)  participer aux efforts visant à faire d'Internet un instrument important d'émancipation des utilisateurs, un environnement qui permette l'évolution d'approches « par le bas » et de la démocratie informatique, tout en veillant à l'établissement de garanties significatives, étant donné que de nouvelles formes de contrôle et de censure peuvent se développer dans ce domaine; la liberté et la protection de la vie privée dont les utilisateurs bénéficient sur Internet devraient être réelles et non illusoires;

b)  reconnaître qu'Internet peut être une possibilité extraordinaire de renforcer la citoyenneté active et que, à cet égard, l'accès aux réseaux et aux contenus est l'un des éléments-clés; recommander que cette question continue à être développée en posant comme principe que chacun a le droit de participer à la société de l'information et que les institutions et les acteurs à tous les niveaux ont pour responsabilité générale de participer à ce développement, luttant ainsi contre les deux nouveaux défis de l'analphabétisme informatique et de l'exclusion démocratique à l'ère électronique;

c)  demander instamment aux États membres de répondre à une société de plus en plus sensibilisée à l'information et de trouver des moyens d'assurer une meilleure transparence des décisions gráce à un accès plus large des citoyens aux informations stockées par les gouvernements, afin de permettre à ceux-ci d'en tirer parti; appliquer le même principe à leurs propres informations;

d) veiller, avec d'autres acteurs concernés, à ce que la sécurité, la liberté d'expression et la protection de la vie privée, ainsi que l'ouverture sur Internet ne soient pas considérées comme des objectifs concurrentiels mais soient assurées simultanément au sein d'une vision globale qui réponde de façon appropriée à tous ces impératifs.

2.2.3. Les Nations unies et l'accès à l'Internet

2.2.3.1. Le rapporteur spécial

Le rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression a notamment rédigé une déclaration commune avec la représentante de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour la liberté des médias et le rapporteur spécial de l'Organisation des États américains (OEA) sur la liberté d'expression. La disposition suivante est très pertinente: « the right of freedom of expression imposes an obligation on all states to devote adequate resources to promote Universal access to the Internet, including via public acces points (7) . »

Dans la déclaration, ces représentants du droit à la liberté d'expression s'accordent à dire que les États ont l'obligation de consacrer des moyens adéquats à la promotion de l'accès universel à l'Internet, y compris par le biais de points d'accès publics.

Cette déclaration est une première indication de la haute importance que le droit international accorde à cette liberté.

2.2.3.2. Rapport aux Nations unies du rapporteur spécial: « l'accès à l'Internet est un droit de l'homme dont nul ne peut être privé »

À la suite de divers incidents dont la coupure de l'accès à l'Internet par la Syrie, les Nations unies ont clairement indiqué que l'accès à l'Internet est un droit de l'homme. Cet accès est important pour la liberté d'expression, selon les conclusion du rapporteur spécial du Conseil des droits de l'homme Frank La Rue, dans un rapport présenté au Conseil le 16 mai 2011. Il ressort du rapport que le Conseil des droits de l'homme peut souscrire aux conclusions de M. La Rue.

M. La Rue affirme qu'en privant totalement ou partiellement ses habitants de l'accès à l'Internet, un pays enfreint des traités et des accords internationaux. Le droit de l'homme en question s'applique tant aux grands groupes qu'aux individus: priver ses propres citoyens d'accès à l'Internet, comme le fait la Corée du Nord, est contraire aux accords internationaux, mais il est tout aussi inadmissible de priver d'accès à l'Internet les personnes qui ont été prises trois fois en flagrant délit de téléchargement de matériel protégé par des droits d'auteur sans l'accord de l'ayant droit. La France, entre autres, veut priver de connexion les téléchargeurs illégaux. Couper brièvement l'accès à l'Internet, comme cela s'est produit en Syrie et auparavant en Égypte, est contraire aux lois internationales.

Les passages pertinents sont les suivants:

« The Special Rapporteur considers cutting off users from Internet access, regardless of the justification provided, including on the grounds of violating intellectual property rights law, to be disproportionate and thus a violation of article 19, paragraph 3, of the International Covenant on Civil and Political Rights.

79. The Special Rapporteur calls upon all States to ensure that Internet access is maintained at all times, including during times of political unrest. In particular, the Special Rapporteur urges States to repeal or amend existing intellectual copyright laws which permit users to be disconnected fromInternet access, and to refrain from adopting such laws (8) . »

2.2.4. L'Unesco

L'abréviation Unesco signifie « United Nations Eudcational, Scientific and Cultural Organization », c'est-à-dire l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture. Créée le 16 novembre 1945, l'Unesco a pour mission de promouvoir la paix et le développement durable au moyen de l'enseignement, de la science, de la culture et de la communication. Elle rédige des déclarations et des recommandations sur divers sujets, comme la liberté d'expression et le rôle de l'Internet.

En 1966, l'Unesco a adopté la « Déclaration des principes de la coopération culturelle internationale », dont la disposition la plus intéressante, pour la présente étude, est l'article 4, alinéa 4:

« La coopération culturelle internationale, sous ses formes diverses — bilatérale ou multilatérale, régionale ou universelle — aura pour fins:

4. De permettre à chaque homme d'accéder à la connaissance, de jouir des arts et des lettres de tous les peuples, de participer aux progrès de la science accomplis dans toutes les parties du monde et à leurs bienfaits, et de contribuer pour sa part à l'enrichissement de la vie culturelle; ».

L'Unesco souligne ainsi clairement que tout le monde doit avoir le même accès à la connaissance et devrait participer aux progrès technologiques et aux bienfaits qui en découlent. Il ne s'agit toutefois pas d'un droit contraignant mais plutôt d'une directive, comme on peut le lire dans le préambule: « afin que les gouvernements, les autorités, les organisations, les associations et les institutions responsables des activités culturelles s'inspirent constamment de ces principes. »

En 2003, l'Unesco a adopté une recommandation 138, qui affine encore la déclaration précédente, à savoir la « Recommandation sur la Promotion et l'usage du multilinguisme et l'accès universel au cyberespace » (9) .

Dans cette Recommandation, l'Unesco met d'emblée l'accent sur l'importance d'un Internet accessible en un maximum de langues, pour que toutes les cultures puissent s'exprimer en ligne. La question de l'accès est abordée un peu plus loin:

« 6. Les États membres et les organisations internationales devraient reconnaître et soutenir l'accès universel à l'Internet en tant que moyen de promouvoir le respect des droits de l'homme définis aux articles 19 et 27 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. »

Selon cet article, l'Unesco considère l'Internet en tant que tel comme relevant des articles 19 et 27 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Dans les points suivants de la recommandation, l'Unesco indique qu'il faut tout mettre en œuvre pour garantir l'accès à l'Internet à un coût abordable. À cet égard, il convient d'accorder une attention particulière aux organismes de service public, aux établissements éducatifs et aux groupes défavorisés de la population (point 8).

L'Unesco estime également que les États membres doivent reconnaître et faire respecter le droit d'accès en ligne aux données et documents publics.

En ce qui concerne plus spécifiquement l'accès, l'Unesco souligne l'importance de formations visant à faciliter l'accès actif et passif à tous les modes de communication. Il faudrait, par ailleurs, garantir que les technologies de l'information et de la communication (TIC) atteignent toutes les communautés négligées par les fournisseurs commerciaux, car l'accès passif et actif à l'information est un droit universel dont l'exercice devrait être financièrement abordable pour tous.

3. CONCLUSION: L'ACCÈS À L'INTERNET DOIT ÊTRE INSCRIT DANS LA CONSTITUTION

Ainsi que les récents développements politiques en Tunisie et en Égypte l'ont montré on ne peut plus clairement, l'accès à l'Internet est crucial pour l'épanouissement et la sauvegarde de toute démocratie. L'Internet change notre environnement et notre regard sur le monde à un rythme stupéfiant. Les auteurs de la présente proposition estiment dès lors plus que jamais nécessaire d'inscrire l'accès à l'Internet dans la Constitution, afin de l'ériger en un droit effectif et fondamental. En période d'instabilité politique, certains États n'hésitent pas à priver leurs citoyens de l'accès à l'Internet.

Dans le rapport récent des Nations unies, on peut lire noir sur blanc que l'accès à l'Internet est un droit de l'homme. Les auteurs de la présente proposition entendent le consacrer en tant que droit de l'homme fondamental, vu le rôle de pionnier que notre pays a toujours joué dans le domaine des droits de l'homme.

La présente proposition ancre l'accès à l'Internet dans la Constitution, ce qui ne manquera pas d'avoir certaines implications, en vertu de la doctrine du standstill; telle est d'ailleurs l'intention des auteurs.

Le fait d'ériger l'accès à l'Internet en un droit fondamental renforcera incontestablement les droits de l'internaute, ce qui est aussi le but implicitement visé par les auteurs, comme le confirme d'ailleurs très clairement le rapport des Nations unies du 16 mai 2011.

L'ancrage de l'accès à l'Internet dans la Constitution est la suite logique des évolutions de la jurisprudence concernant les implications du droit à l'information et du droit d'exprimer son point de vue, tels que prévus par l'article 10 de la CEDH. L'utilisation effective des nouveaux médias n'est possible que si l'on a réellement accès à l'Internet. En d'autres termes, l'accès à l'Internet est la clé de l'exercice de ces libertés et de ces droits fondamentaux.

Les auteurs de la présente proposition sont convaincus que la transition de notre société vers une société de l'information donnera naissance à un État de droit « numérique ». Plusieurs professeurs indiquent qu'une nouvelle famille de droits civiques est en train de voir le jour: les droits à l'information. Les auteurs de la présente proposition veulent oeuvrer à l'avènement d'une société de l'information ouverte; ils estiment donc que l'accès à l'Internet et aux informations qui s'y trouvent est crucial. C'est pourquoi ils plaident pour une société de l'information inclusive, qui soit garantie par l'inscription de l'accès à l'Internet dans la Constitution.

Actuellement, seule la Finlande a inscrit l'accès à l'Internet dans sa Constitution. En tant que société ouverte figurant parmi les plus globalisées, la Belgique se doit de jouer un rôle de pionnier en la matière.

Il appartient concrètement aux législateurs compétents de garantir ce droit dans la Constitution.

Martine TAELMAN.
Yoeri VASTERSAVENDTS.

PROPOSITION


Article unique

L'article 23 de la Constitution est complété par un alinéa rédigé comme suit:

« Ces droits comprennent également le droit d'accéder à l'Internet. »

15 juin 2011.

Martine TAELMAN.
Yoeri VASTERSAVENDTS.

(1) http://www.hbvl.be/nieuws/media-en-cultuur/aid908577/internettoegang-is-een-fundamenteel-mensenrecht.aspx.

(2) Recommandation du Parlement européen du 26 mars 2009 à l'intention du Conseil sur le renforcement de la sécurité et des libertés fondamentales sur Internet (2008/2160(INI)), dispositif, point Q.

(3) http://www.internetscriptieprijs.nl/downloads/scriptie_Van_Kuijk.pdf.

(4) H. van Duivenboden, Onderschat debat. Een internationaal vergelijkend onderzoek naar beleidsvisies op informatie- en communicatietechnologie en democratische rechtsstaat, CGE&Y/TNOSTB, février 2002, p. 17.

(5) Directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l'accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu'à leur interconnexion (directive « accès »).

(6) Liberté d'expression sur Internet, résolution du Parlement européen sur la liberté d'expression sur Internet, Strasbourg, 6 juillet 2006.

(7) Déclaration conjointe, « Mécanismes internationaux de promotion de la liberté d'expression » du rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, du représentant de l'OSCE sur la liberté des médias et du rapporteur spécial de l'OEA pour la liberté d'expression, 21 décembre 2005.

(8) http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrcouncil/docs/17session/A.HRC.17.27_en.pdf.

(9) http://portal.unesco.org/ci/en/ev.php-URL_ID=13475&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html.