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Mevrouw Helga Stevens (N-VA), corapporteur. - Ik verwijs naar mijn schriftelijk verslag.
M. Francis Delpérée (cdH), corapporteur. - Je suis amené à faire rapport avec Mme Stevens sur le projet de loi modifiant le livre II, titre Iter du Code pénal. Il s'agit d'un texte qui a trait à la lutte contre le terrorisme. L'objet de ce projet de loi a fait l'objet d'une triple démarche de notre commission : juridique, consultative et proprement politique.
La démarche juridique s'inscrit dans le prolongement de la Convention pour la prévention du terrorisme qui a été élaborée par le Conseil de l'Europe. La Belgique a signé cet instrument le 19 janvier 2006 mais ne l'a pas encore ratifié. Cette convention prévoit l'incrimination pénale de certains actes pouvant conduire à la commission d'infractions terroristes telles que la provocation publique, le recrutement et l'entraînement. Il faut savoir que, de son côté, le Conseil de l'Union européenne a élaboré la législation-cadre 2008/919/JAI du 28 novembre 2008 aux fins d'incriminer des activités terroristes du même ordre : provocation publique à commettre des infractions terroristes, recrutement et entraînement pour le terrorisme.
Il est clair que la Belgique a tardé à transposer cette décision-cadre, ce que n'ont pas manqué de déplorer certains de nos collègues, et notamment Mme Stevens. Toutefois, mieux vaut tard que jamais et trois nouvelles infractions sont envisagées. Elles sont d'une telle gravité que le législateur n'hésite pas à incriminer ces comportements répréhensibles quel que soit le lieu où ils se seraient produits et sans qu'une infraction terroriste proprement dite n'ait été commise.
La ministre de la Justice a insisté sur la complémentarité entre les deux instruments : celui du Conseil de l'Europe et la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne. Je dois signaler que M. Miller avait déposé une proposition de loi allant dans le même sens afin de faire face à la menace terroriste qui pèse sur notre pays. L'auteur de la proposition n'a d'ailleurs pas manqué de relever que le législateur se plaçait ainsi sur le fil du rasoir et qu'il y avait lieu de prévoir toutes les garanties au profit des citoyens.
J'en viens à l'aspect consultatif. La commission a eu l'occasion d'entendre les représentants de la Ligue des droits de l'homme et notamment son président, M. Deswaef. Ce dernier n'a pas manqué de souligner que tant la commission de la Justice de la Chambre des représentants que celle du Sénat avaient déjà émis de sérieuses réserves en 2008. Il a souhaité que la législation anti-terroriste fasse en réalité l'objet d'une évaluation. Celle-ci a d'ailleurs été entreprise au Sénat en 2009, avec un rapport de Mme Nyssens, mais n'a pas été poursuivie et suivie d'effets. Selon M. Deswaef, les interprétations de la loi sont actuellement divergentes quant à la portée de la loi et à la définition des comportements qu'elle incrimine. Selon lui, c'est évidemment contraire au principe de la légalité des infractions pénales. Il conteste tout particulièrement la disposition qui concerne l'incitation à commettre un acte terroriste. À ses yeux, c'est l'exemple type d'une incrimination floue et imprécise. Selon lui, il s'agit d'une menace pour les libertés d'expression et d'association.
Je terminerai par l'aspect proprement politique. La discussion sur le projet de loi ainsi que sur l'exposé de M. Deswaef a permis à plusieurs de nos collègues de faire part de leurs préoccupations et de leurs questions. M. Torfs s'est par exemple interrogé sur l'état de la démocratie parlementaire. Il s'est demandé si le législateur ne faisait pas une oeuvre superflue et donc inutile et si les critiques formulées ont encore un sens dès lors que la Convention européenne des droits de l'homme reste de toute façon d'application.
Mme Khattabi est quant à elle allée plus loin.
Elle a considéré que le projet pourrait avoir un effet nocif, car on ne lutte pas contre le terrorisme en méconnaissant les règles fondamentales de l'État de droit.
M. Mahoux considère que les impératifs de liberté doivent se concilier avec les exigences de sécurité. Il rappelle qu'il y a déjà un certain nombre de lois qui limitent, par exemple, la liberté d'expression lorsqu'elle prend la forme de la diffusion d'un message qui appelle à la violence.
En conclusion, l'ensemble du projet de loi a été adopté par huit voix contre une. À la suite de ce vote, la proposition de loi déposée par M. Miller est devenue sans objet.
Mme Zakia Khattabi (Ecolo). - Comme l'a rappelé le rapporteur, le projet de loi que notre assemblée est invitée à adopter insère donc dans le Code pénal trois nouveaux articles, du 140quater au 140sexies, en vue d'ériger en infraction pénale la provocation publique à commettre une infraction terroriste ainsi que le recrutement et l'entraînement pour le terrorisme.
Je m'en tiendrai à ce qui me semble être le point central et litigieux de ces dispositions : l'érection en infraction pénale de la provocation publique à commettre un acte terroriste.
Je tiens tout d'abord à rappeler qu'il ne s'agit pas d'un débat qui opposerait des tenants et des opposants à la lutte contre le terrorisme. Nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il faut que nos démocraties s'en prémunissent. Le désaccord porte sur les moyens que nous nous donnons pour nous protéger. Or, avec ce texte de loi, en voulant protéger la démocratie, nous nous en faisons les fossoyeurs.
Notre code pénal réprime déjà ceux qui provoquent directement des crimes et des délits, y compris les crimes et délits terroristes. L'article 66 §4 du Code pénal dispose en effet que le provocateur direct est punissable comme auteur du délit. L'arsenal législatif entré en vigueur suite à la première décision-cadre permet déjà de poursuivre efficacement les faits de terrorisme avéré. Or cette législation est elle-même remise en question à cause de son application : flou dans la définition du terrorisme, mise en oeuvre de moyens policiers disproportionnés, acquittement après débauche de fonds publics, condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme, et j'en passe...
Le texte qui nous est soumis aujourd'hui, alors même que nous n'avons pas évalué les dispositifs existants, va encore plus loin en imposant une restriction directe à la liberté d'expression.
L'article 140bis en discussion rend donc punissable l'incitation indirecte à la commission d'infractions terroristes même si cette incitation n'est pas suivie d'effet. Cette disposition est l'exemple type d'un texte flou qui viole dès lors le principe d'égalité. Le seul élément objectivable constitutif d'infraction de ce texte réside dans le fait de savoir si, oui ou non, un message a été diffusé ou mis à la disposition du public.
Pour le reste, le texte contient une accumulation d'imprécisions, ce qui obligera le juge à spéculer sur ce qui s'est passé dans la tête du prévenu mais aussi dans celle de tous les membres du public. Cette disposition, ainsi rédigée, sera inévitablement une source majeure d'insécurité juridique où des juges, en fonction de leurs impressions subjectives et sur la base de spéculations sur ce qui aurait éventuellement pu se passer, vont devoir sonder les intentions non matérialisées du prévenu et celles de ceux à qui le prévenu se serait adressé.
Le Conseil d'État a souligné également que les nouvelles dispositions restreignent la liberté d'association et d'expression et que le projet à l'examen constitue une ingérence dans les libertés d'expression, de presse, d'association et syndicale. Le projet apporte de telles restrictions que, combiné à l'article 137 §2, 3 et 5 du Code pénal, il pourrait mettre en cause l'action syndicale.
Dans ce contexte, soit le texte sera inapplicable et ne sera que difficilement mis en oeuvre par les magistrats, soit il deviendra inévitablement source d'arbitraire et d'atteintes à la liberté d'expression en raison de son imprécision et de son renvoi à des notions subjectives, cumulées de surcroît.
Vous aurez compris que ce texte ne bénéficiera pas du soutien de mon groupe. Afin de répondre aux craintes de mon groupe, relayées tant par la Ligue que par le Conseil d'État, je dépose trois amendements.
Le premier vise à supprimer les mots « qu'il préconise directement ou non la commission d'infractions terroristes » à l'article 140bis proposé.
Le deuxième tend à insérer le mot « manifeste » entre le mot « l'intention » et les mots « d'inciter à la commission d'une des infractions ».
Le dernier amendement vise à insérer le mot « réels » entre les mots « le risques » et les mots « qu'une ou plusieurs de ces infractions ».
Ces amendements visent à renforcer les conditions de pénalisation des messages. Nous pensons qu'on répond ainsi aux objections du Conseil d'État.
M. Philippe Moureaux (PS). - L'absence de la ministre de la Justice pour la discussion d'un projet d'une telle importance m'étonne quelque peu, mais je sais que la vie parlementaire n'intéresse guère certains membres du gouvernement.
Nous sommes devant un nouveau texte inspiré par la nécessité de lutter contre le terrorisme. Je précise qu'historiquement, il existe plusieurs formes de terrorisme et que parfois, le terroriste change de nom quand il l'a emporté. Je pense que le terrorisme auquel on se réfère, c'est surtout celui qui s'attaque aux démocraties telles qu'elles fonctionnent et que nous entrons dans une logique infernale où, pour défendre la démocratie contre le terrorisme, on finit par lui donner raison en restreignant les libertés. Ce n'est peut-être pas un moment fort de cet engrenage, mais il en fait partie.
Durant la législature précédente, j'ai voté des textes allant dans le même sens, avant de lire que la ministre qui les avait proposés concédait qu'ils étaient dangereux. Je crois que nous nous trouvons devant la même situation.
La semaine passée, j'ai entendu beaucoup de beaux discours, y compris de M. Miller - qui n'en est jamais à une contradiction près - sur la liberté en Turquie et sur les journalistes qui y sont poursuivis. Eh bien, c'est sur la base de textes de ce genre qu'on les accuse d'incitation au terrorisme ! En Turquie, ce n'est pas bien, mais chez nous, c'est bien ! Cette vision n'est pas la mienne.
Bien sûr, je pense que tout le monde sera d'accord de lutter contre ceux qui appellent au recrutement, à l'entraînement, à la commission d'actes terroristes. Cependant, aujourd'hui, nous nous trouvons dans un flou qui, comme le disait le représentant de la Ligue des droits de l'homme, va conduire le juge à spéculer sur les arrière-pensées des uns et des autres. Le juge peut agir avec beaucoup de prudence et de modération, mais l'extension est possible. Nous savons que le parquet fédéral applique déjà de manière élargie des textes que nous avons adoptés de bonne foi. Pensons à ces personnes poursuivies pour complicité avec des groupes italiens qui auraient été à deux doigts de commettre des actes inadmissibles. Elles ont été acquittées en Italie. Cependant, bien que le juge ne leur ait pas donné raison, le parquet fédéral va en appel et continue à demander des poursuites pour des actes qui, en droit, n'existent pas dans le pays où ils sont censés s'être produits.
Je crois que nous sommes sur une pente glissante, mais je ne ferai le procès d'aucun d'entre nous. Nous sommes dans une affreuse mécanique. Je sais que mes propos donneront lieu, une fois de plus, à des réflexions désagréables mais cela ne me dérange pas car j'en ai l'habitude. Les défenseurs des libertés sont parfois accusés de complicité avec ceux qui les attaquent ! Je pense qu'il faut être très ferme par rapport à tout ce qui concerne le terrorisme, mais il ne faut pas toucher à nos libertés, c'est-à-dire donner raison aux terroristes.
(Applaus)
M. Richard Miller (MR). - Madame la présidente, je remercie notre excellent collègue, M. Delpérée, pour le rapport qu'il nous a présenté.
Je pourrais polémiquer avec M. Moureaux en essayant de le mettre, lui aussi, face à ses contradictions qui, à mes yeux, sont peut-être plus importantes que les miennes. Je ne le ferai pas car le sujet dont nous débattons est extrêmement difficile. Nous en avons tous bien conscience. Je me souviens des cours de philosophie de M. Haarscher, auteur du livre Les démocraties survivront-elles au terrorisme ? J'ai étudié cet ouvrage et je suis donc tout à fait conscient de la difficulté, de l'ampleur, de la complexité du sujet.
Si l'on peut subodorer l'une ou l'autre contradiction dans ma défense de nos libertés, la contradiction est quelque chose que vous connaissez bien, monsieur Moureaux. C'est l'áme de la dialectique. C'est ce qui fait qu'à un certain moment, l'on prend attitude en sachant bien qu'il y a une thèse, une antithèse, et que l'on essaie d'y répondre le mieux possible. La contradiction est l'áme de la dialectique marxiste, vous le savez.
Chers collègues, force est de reconnaître que durant ces dernières années, le terrorisme s'est intensifié. Il s'est diversifié ; il s'est radicalisé, faisant planer sur la sécurité de nos concitoyens une sorte de menace latente, avec des moments critiques récurrents, particulièrement mortifères. Les événements qui ont eu lieu dans le sud de la France, par exemple, ont marqué les esprits. En parlementaire que je suis, je me suis dit que l'on ne pouvait pas laisser faire cela et j'ai pris la plume. Nous ne pouvons pas rester passifs quand la sûreté de l'État rend public un rapport disant que chez nous, des personnes suivent un entraînement en vue de commettre des actes terroristes dans notre pays.
Je peux comprendre le sentiment qui vous anime, mais je trouve que ...
M. Philippe Moureaux (PS). - J'ai dit que j'étais tout à fait d'accord en ce qui concerne l'entraînement et le recrutement. Vous ne m'avez pas écouté.
M. Richard Miller (MR). - N'ayez crainte, monsieur Moureaux. Il suffit que vous montiez à la tribune pour que je sois tout ouïe.
M. Philippe Moureaux (PS). - Ne jamais écouter l'autre, toujours s'écouter soi-même. Cela fait partie de la dialectique philosophique qui vous anime.
M. Richard Miller (MR). - Je vous ai bien écouté. J'explique les raisons pour lesquelles j'ai été amené à sortir mon porte-plume et à essayer d'écrire une proposition de loi répondant à ce sentiment qui m'a vraiment fait mal. Un type s'est baladé à Toulouse en tuant froidement, avec un revolver, avec des armes, des enfants au motif qu'ils étaient juifs.
La sûreté de l'État nous dit que chez nous, des personnes suivent des entraînements en vue de commettre des actes terroristes, et on ne peut rien faire !
Je me souviens parfaitement avoir interrogé Mme Milquet à ce sujet. Vous aviez indiqué que vous prépariez un texte, madame la ministre, et je vous avais assurée de notre soutien, mais j'ai déposé une proposition de loi en partant du principe que si une personne suit, par exemple, des cours de patinage artistique, c'est pour pratiquer cette activité. Il en va de même de l'entraînement terroriste.
Ma proposition vise donc à incriminer la participation à des camps d'entraînement paramilitaire de type terroriste. Le simple fait de se former dans un tel camp doit, me semble-t-il, être sanctionné. Il ne faut pas attendre qu'il soit trop tard et que l'irréparable ait été commis. En cela, je rejoins donc le projet de loi que nous allons voter aujourd'hui et qui rencontre les objectifs de ma proposition de loi.
Le projet de loi élargit d'ailleurs le spectre des infractions dorénavant considérées comme des actes terroristes. Les mailles se resserrent, mais nous devons bien entendu veiller à ce que cette évolution n'englobe pas nos libertés fondamentales. C'est la raison pour laquelle, comme je l'ai dit en commission, je me réjouis du fait qu'il est prévu qu'aucune des dispositions ne peut être interprétée comme visant à réduire ou à entraver, sans justification, les droits et libertés fondamentales.
M. Philippe Moureaux (PS). - Sans justification... On peut donc justifier la suppression des libertés.
M. Richard Miller (MR). - Non. On ne peut pas entraver, sans justification, les droits et libertés fondamentales. J'insiste sur la présence des virgules.
M. Philippe Moureaux (PS). - C'est cela. Il faut donc une justification.
M. Richard Miller (MR). - Cela veut donc dire que des personnes suspectées ne seront pas simplement arrêtées et jetées en prison. L'application de la loi requiert une enquête, une procédure. Nous vivons dans un État de droit. Il existe des garanties pour les justiciables.
Imaginons toutefois que l'on ait affaire à une personne qui a suivi un enseignement spécialisé pour tuer des enfants dans la rue... Il faut pouvoir agir et protéger ces enfants.
Le texte mentionne donc les droits et libertés fondamentales tels que le droit de grève, la liberté de réunion et d'association, y compris le droit de fonder un syndicat et celui de s'y affilier pour la défense de ses intérêts, et le droit de manifester qui s'y rattache, la liberté d'expression, en particulier la liberté de la presse, et la liberté d'expression dans d'autres médias.
Il me semble que le projet réalise ainsi un équilibre difficile, nous en sommes tous conscients, entre sécurité et liberté.
Vous avez, monsieur Moureaux, évoqué mon attention, ma prédilection, voire une certaine forme de passion, pour le dossier turc. Chacun a évidemment sa propre opinion au sujet de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. À titre personnel, je souhaite fortement que les négociations se poursuivent et j'espère toujours qu'un jour, la lumière se fera.
Il n'empêche que, dans les trois assemblées où je siège en tant que sénateur de communauté, j'ai dénoncé à plusieurs reprises l'attitude de la Turquie à l'égard des journalistes, une centaine d'entre eux étant incarcérés. Lors d'un déplacement en Turquie pour mon parti, je l'ai dit aux différents représentants de l'AKP que j'ai rencontrés.
Mme Zakia Khattabi (Ecolo). - Le texte en discussion risque d'aboutir à ce que des journalistes se retrouvent dans la situation des journalistes turcs que vous soutenez, monsieur Miller.
M. Richard Miller (MR). - Non. La grande différence - c'est la raison pour laquelle j'ai insisté sur ce paragraphe - est que le texte proposé par le gouvernement prévoit une justification « qui tienne la route » avant d'appliquer une loi pénalisant certains actes.
Mme Zakia Khattabi (Ecolo). - Qu'entendez-vous par « qui tienne la route » ?
M. Richard Miller (MR). - En Turquie, cette précaution n'est pas suffisamment de mise en ce qui concerne les journalistes. Dans dix jours, je me rendrai, avec M. Morael, en Turquie pour participer à un symposium relatif au terrorisme et à la défense des personnes. J'y tiendrai le même discours.
Je ne veux nullement protéger l'un ou l'autre acte terroriste éventuel, mais de la même façon, la justice doit pouvoir intervenir à l'égard d'une personne dans le respect de procédures claires, vérifiées démocratiquement et portées par une justice irréprochable.
Ce n'est pas simple, j'en conviens, et je m'interroge moi aussi. Mais en attendant, je défends cette position, tout comme je le ferai encore lors de cette mission pour le Sénat.
Cette disposition rend le projet équilibré, ce qui n'est pourtant pas aisé.
Cette nouvelle législation innovante devra être évaluée mais il est impératif que nous nous dotions d'instruments aussi performants que nos voisins, afin de ne pas devenir une base terroriste, pour cause de laxisme.
M. Philippe Mahoux (PS). - Je me réjouis de l'arrivée de Mme la ministre de la Justice pour participer à cette discussion fondamentale.
Je ne suis pas convaincu que le terrain sur lequel s'est situé M. Miller, lorsqu'il a abordé certaines situations à l'étranger...
M. Richard Miller (MR). - M. Moureaux a également évoqué la Turquie...
M. Philippe Mahoux (PS). - Nous sommes en train de parler d'une incrimination spécifique en droit belge, par rapport à une série de délits tels que la participation à des camps d'entraînement ou l'incitation à la violence, dans le cadre d'une loi sur le terrorisme. Il faut, selon moi, situer le problème dans ce cadre-là.
Si j'avais le sentiment que, de près ou de loin, la loi que nous allons voter porte atteinte à la démocratie - comme ce fut dit, de manière excessive, me semble-t-il, en commission - jamais je ne la voterais, pas plus que je ne proposerais à mon groupe de le faire.
Le principe de la liberté d'expression reste la règle fondamentale. Certes, le texte que nous allons voter y apporte une restriction importante en prévoyant la possibilité d'incriminer sur le plan pénal une certaine forme d'expression : celle qui consisterait à prôner la commission d'actes terroristes. C'est bien de cela dont il est question.
De manière très générale, s'agissant des lois qui limitent la liberté d'expression, mon groupe exprime toutes les réserves possibles. Nous répétons avec force que la liberté d'expression est un droit fondamental mais qu'elle supporte certaines exceptions, comme celle reprise dans le texte que nous examinons.
En ce qui concerne l'appréciation et l'évolution de nos législations, je m'accorde avec M. Moureaux pour souligner l'indispensable équilibre à assurer entre la protection de la liberté d'expression et des libertés individuelles et la protection de nos concitoyens eux-mêmes. Nous devons prendre garde que, sous le prétexte de menaces de terrorisme, le fléau de la balance ne penche pas dangereusement d'un côté en adoptant des législations qui constitueraient systématiquement des entraves à la liberté.
Après avoir entendu les uns et les autres, après avoir écouté avec beaucoup d'intérêt M. Deswaef de la Ligue des droits de l'homme et apprécié particulièrement l'échange d'idées avec lui sur ce sujet, je continue à considérer que le texte qui nous est soumis est fondé et qu'il est justifié de le voter, étant entendu que son application devra faire l'objet d'une évaluation concrète.
J'ai été très frappé par certains événements ayant trait à des législations que nous avons votées ainsi que par des regrets exprimés à leur sujet. Dans l'intervention du président du Ligue des droits de l'homme, j'ai été frappé par ce constat que, finalement, sur l'ensemble des problèmes posés, 95% ont abouti à un non-lieu. Je m'en réjouis évidemment, mais je tiens néanmoins à souligner que c'est l'utilisation abusive de la détention préventive qui doit être dénoncé. En réalité, dans toute une série de problèmes qui ont précisément trait au terrorisme, la détention préventive devient la règle.
Sachant que cette détention préventive est très souvent longue et connaissant l'issue réservée à la plupart de ces procédures, il convient de s'interroger sur cette question, peut-être bien plus que sur le contenu de la législation soumise à notre vote. Cela ne m'empêche pas d'être sensible à l'intervention de M. Moureaux qui dit que nous devrons toujours rester particulièrement attentifs à l'équilibre indispensable entre nos libertés fondamentales et la protection de nos concitoyens.
M. Francis Delpérée (cdH). - Je souhaite fournir une précision. Nous n'apportons pas une exception au principe de la liberté d'expression, nous prévoyons tout simplement qu'une infraction qui est commise dans l'exercice de la liberté d'expression doit pouvoir être réprimée. Cela n'est pas quelque chose d'exceptionnel. Si j'injurie mon voisin, je suis punissable. Ce n'est pas une exception à la liberté d'expression, c'est simplement une infraction dans l'exercice de cette liberté.
M. Philippe Moureaux (PS). - Je pense qu'un fin juriste comme M. Delpérée sait que ce qu'il dit n'est pas vrai.
M. Francis Delpérée (cdH). - C'est ce que dit explicitement la Constitution en son article 19.
M. Philippe Moureaux (PS). - Ici, c'est l'expression indirecte. Demain, quelqu'un signe un manifeste pour l'indépendance du Pays basque. Huit jours plus tard survient un attentat terroriste par l'ETA. Un magistrat peut faire poursuivre l'auteur du manifeste pour incitation alors qu'il s'est contenté de prendre position pour l'indépendance de l'État basque. C'est cette porte-là que vous ouvrez et vous en êtes parfaitement conscient mais vous croyez que c'est nécessaire pour apaiser l'opinion publique qui n'en a pourtant cure.
Mme Zakia Khattabi (Ecolo). - Je regrette que M. Mahoux n'ait pas été aussi sensible à mes arguments qu'à ceux de M. Moureaux.
Il existe un exemple que le président de la Ligue a d'ailleurs évoqué. Il s'agit du cas de Bahar Kimyongür qui a traduit un communiqué et qui, sur cette base-là, a été poursuivi et est resté en détention pendant un an et demi.
Ma critique va donc plus loin que l'amendement que je dépose. En tout cas, dans le texte tel qu'il nous est soumis, la définition n'est pas claire. Ce texte ouvre la porte à l'arbitraire le plus absolu et à l'interprétation la plus absolue. C'est en cela que réside le danger.
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