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Mme Marie Arena (PS). - Cette thématique a déjà été évoquée en commission, mais je souhaiterais l'aborder maintenant sous l'angle de la fraude.
La presse tant du nord que du sud du pays a fait état de la fin de l'instruction judiciaire menée par le Parquet d'Anvers. Celle-ci révèle qu'entre 2003 et 2009, une famille libanaise d'Anvers serait parvenue à importer en Belgique des lots de diamants de contrebande et qu'elle aurait trafiqué sa comptabilité pour échapper au fisc. Selon le quotidien flamand De Tijd, la fraude porterait sur 1,3 milliard d'euros.
Il ressort de cette enquête, mais aussi d'autres sources internationales, que les certificats dits de « Kimberley » visant à bannir les diamants provenant de zones de guerre connaîtraient des failles importantes, notamment quand ceux-ci transitent via la Suisse et les Émirats arabes unis, pourtant signataires du processus de Kimberley.
Ce qui est également interpellant dans cette affaire, c'est l'impunité dont semble avoir bénéficié les auteurs depuis la fin des années nonante. Ce sont les mêmes acteurs et les mêmes sociétés de droit belge qui ont été épinglées, entre 1998 et aujourd'hui, par le Service général du renseignement et de la sécurité (SGRS), le Conseil de sécurité des Nations unies, la Sûreté de l'État, l'Administration américaine du Trésor et, enfin, par la justice anversoise.
La famille en question posséderait une série de sociétés localisées à Anvers, mais aussi de relais en République démocratique du Congo où le lien entre le diamant et la guerre est établi, en Zambie et au Liban. Elle aurait notamment été mise en cause pour ses activités diamantaires au Congo et, plus récemment, en 2006, pour son implication dans les gisements diamantaires de Marange au Zimbabwe où l'essentiel des bénéfices est confisqué par le régime Mugabe et les dirigeants de l'armée.
Je souhaiterais vous poser plusieurs questions.
Tout d'abord, quelles sont les mesures mises en place en Belgique pour lutter contre les fraudes dans ce secteur qui s'apparentent plus à un système qu'à une simple fraude : faux en écriture, usage de faux papiers, fraude fiscale, blanchiment d'argent, appartenance à une organisation criminelle ? N'oublions pas que 70% du diamant mondial sont traités à Anvers. Il serait donc important de pouvoir démanteler ce type de faute.
Par ailleurs, conformément aux termes du système de certification du processus de Kimberley, les États participants sont notamment tenus de prévoir des contrôles des exportations, des importations et des échanges nationaux de diamants bruts. Ils doivent également s'engager à favoriser la transparence et l'échange des données statistiques. Au vu de ce qui précède, comment la Belgique remplit-elle ses obligations par rapport à la convention de Kimberley ?
En outre, il apparaît que les diamantaires sont tenus de faire des « déclarations de soupçon » tant pour leurs fournisseurs que pour leurs acheteurs. Or il semblerait qu'aucune déclaration n'a été rentrée. Puisqu'il est évident qu'une partie des diamants commercialisés dans la capitale mondiale du diamant, à savoir Anvers, est issue de filières illégales et est l'objet de blanchiment d'argent, il est particulièrement étrange qu'aucune déclaration de soupçon n'ait été rentrée à la CTIF. Comment comptez-vous procéder pour que les diamantaires dénoncent ce type de comportement criminel ?
Enfin, des montages fiscaux, avec des systèmes de facturation, semblent exister entre des entreprises belges et des entreprises soeurs situées à Dubaï, ce qui aurait pour effet de réduire au maximum les marges bénéficiaires des entreprises belges du secteur diamantaire et leur permettrait d'éluder le fisc. Confirmez-vous cette information et, dans l'affirmative, cette pratique est-elle légale ? Comment peut-on la combattre ?
M. John Crombez, secrétaire d'État à la Lutte contre la fraude sociale et fiscale. - Nous avons pu nous rendre compte de la complexité du système lors d'une visite que nous avons effectuée à Anvers.
Les contrôles sont effectués par le SPF Économie parce que les diamants bruts sont considérés comme des marchandises interdites quand ils pénètrent sur le territoire de l'Union européenne sans être accompagnés d'un certificat de Kimberley valable.
Lorsque la douane a des doutes quant à la validité dudit certificat, elle contacte le SPF Économie qui contrôle l'authenticité des documents à l'arrivée à Anvers. En cas de soupçon de blanchiment d'argent, faux en écriture ou participation à une organisation criminelle, une collaboration entre la douane, le Parquet et l'ISI est mise en place. En ce qui concerne le dossier bien connu à Anvers, c'est précisément la collaboration entre le Parquet et l'ISI qui faisait l'objet de discussions.
Lors de l'entrée sur le territoire de l'Union européenne, le contrôle est effectué par la douane. Il me semble que le système actuel de contrôle par le SPF Économie fonctionne bien. En cas de découverte de pratiques criminelles ou de financement du terrorisme, d'autres volets de contrôle et d'identification sont importants.
Pour répondre à votre troisième question, depuis 2008, la CTIF n'a effectivement reçu que six déclarations de soupçon de commerçants en diamants et ce, malgré les obligations légales imposées au secteur. En 2012, la CTIF n'a reçu aucune déclaration de soupçon. C'est pourtant la manière la plus efficace de tracer les filières.
Compte tenu de la spécificité et la sensibilité de ce commerce au niveau mondial et des montants concernés, le secteur rencontre des difficultés pour appliquer les dispositions de la loi du 11 janvier 1993.
La CTIF travaille actuellement en étroite collaboration avec l'autorité de contrôle, le SPF Économie, et avec l'organisation professionnelle représentant le secteur, l'AWDC - Antwerp World Diamond Centre - à la mise en oeuvre de solutions pratiques permettant de remédier à cette situation.
La CTIF a récemment rencontré plusieurs représentants de l'AWDC pour les sensibiliser à la problématique du blanchiment d'argent et du financement du terrorisme.
L'AWDC, la CTIF, le SPF Économie et l'Administration des Douanes et Accises participent à l'analyse typologique et stratégique initiée en octobre 2012 par le GAFI. Cette analyse débouchera très probablement sur des recommandations visant à améliorer la transparence des transactions dans le secteur.
Le règlement pris en 2006 par le SPF Économie, en application de la loi du 11 janvier 1993 visant à définir les modalités pratiques d'application de la loi pour le secteur des diamantaires, est actuellement mis à jour. Sa diffusion par le SPF Économie dans le secteur des diamantaires devrait contribuer à sensibiliser le secteur.
Des contrôles visant à s'assurer que les commerçants en diamants appliquent correctement les dispositions de la loi du 11 janvier 1993 ont été programmés par le SPF Économie dans le courant de l'année 2013.
Toutes ces mesures vont déjà permettre d'améliorer la prévention dans le secteur du diamant, par rapport au blanchiment d'argent et au financement du terrorisme.
Le dispositif préventif pourrait encore être renforcé si le champ d'application de l'article 21 de la loi de 1993 était étendu aux achats de diamants. En effet, bon nombre de ces transactions sont payées en espèces. Or l'article 21 précise que le prix de la vente par un commerçant d'un ou plusieurs biens pour un montant de 5 000 euros - 3 000 euros à partir de 2014 - ne peut être acquitté en espèces que pour un montant n'excédant pas 10% de la vente. Cela suppose évidemment de contrôler les transactions. Actuellement, l'article 21 ne s'applique pas aux achats de diamants par les commerçants auprès de particuliers ou de commerçants à l'étranger.
Étant donné les risques de blanchiment et de financement du terrorisme associés à cette forme de payement, il serait opportun d'étendre le champ d'application de cet article 21.
Enfin, la valeur même du diamant est recherchée par les experts du SPF Économie, tant lors de la mise en libre pratique que lors de l'exportation. Il peut arriver que la valeur déclarée soit beaucoup plus élevée que la valeur estimée par les experts. Dans ce cas, un dossier peut être préparé par le SPF Économie pour la douane qui démarre alors une enquête.
Mme Marie Arena (PS). - Si je vous entends bien, vous préconisez une modification de la loi de 1993 afin d'englober la question des achats et de contrôler plus en amont le phénomène de la fraude.
Vous n'avez pas abordé la question de la fraude fiscale pratiquée au moyen de sociétés soeurs situées à Dubaï, c'est-à-dire les mécanismes internes entre sociétés qui permettent d'éluder une partie de l'impôt. À moins qu'il ne s'agisse des systèmes de facturation que vous avez mentionnés. Je ne pense pas que vous ayez mis en évidence la question des montages de sociétés écrans situées à l'étranger.
Une autre critique à adresser au secteur est le manque de fiabilité du processus de Kimberley. Manifestement, les certificats eux-mêmes peuvent être des faux émis par d'autres pays. Ainsi, les diamantaires pourraient recevoir des diamants soi-disant certifiés, qui ne font donc l'objet d'aucune poursuite, alors même qu'en amont, cette certification est biaisée. La Belgique pourrait-elle intervenir dans le processus de Kimberley en tant que place dominante du commerce de diamants, afin que les certificats soient garantis ? Je ne vous ai pas entendu sur ce point, me semble-t-il.
La lutte contre la criminalité et le financement du terrorisme mis en lumière par le cas emblématique d'un Libanais doit faire l'objet de toute notre attention, pour des raisons évidentes, mais aussi parce qu'il serait regrettable que l'image du secteur diamantaire anversois soit entachée par des pratiques frauduleuses et criminelles.