5-200COM

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Commission des Finances et des Affaires économiques

Annales

MERCREDI 23 JANVIER 2013 - SÉANCE DU MATIN

(Suite)

Demande d'explications de Mme Marie Arena au secrétaire d'État à la Lutte contre la fraude sociale et fiscale sur «les travailleurs étrangers détachés en Belgique» (no 5-2779)

Mme Marie Arena (PS). - Monsieur le président, ma demande d'explications tombe à pic dans la mesure où le secteur le plus concerné par la directive relative au détachement, à savoir le secteur de la construction, manifeste en ce moment même auprès des instances européennes. Ce matin, leurs représentants ont dit clairement qu'ils ne s'opposaient pas à la libre circulation des travailleurs, au contraire, mais qu'ils voulaient que des règles adéquates soient appliquées à l'ensemble des travailleurs de l'Union européenne.

Près de 300 000 travailleurs étrangers membres de l'Union européenne sont actuellement « détachés » pour une durée déterminée en Belgique. Selon M. Michel Aseglio, directeur général du contrôle des lois sociales au SPF Économie, la fraude sociale serait de plus en plus présente, malgré un important travail de ses services. « Au fil des ans, il y a de plus en plus de fraudes. J'en distingue deux différentes. Dans le premier cas, le travailleur étranger est simplement sous-payé par rapport aux barèmes belges. Ensuite, il y a le cas des travailleurs correctement payés mais qui exercent bien trop d'heures par rapport à leur salaire. »

Ce ne sont donc pas des illégaux. Les travailleurs dont nous parlons possèdent un permis de travail. Mais ces pratiques mettent en péril le marché de l'emploi belge. Le SPF Économie estime que plus de 100 000 travailleurs étrangers sont sous-payés en Belgique. La fraude se multiplie année après année. Pour les employeurs, c'est une aubaine ; ils réalisent jusqu'à 30% d'économies.

Le rapport 2010 du Centre pour l'égalité des chances dénonçait déjà le recours, par les trafiquants d'êtres humains et les fraudeurs, à des structures et montages juridiques tels que le principe de « détachement » des travailleurs ou le système de « faux indépendants ». Malgré la déclaration Limosa, qui permet effectivement une meilleure vue sur les flux migratoires en ce qui concerne le travail, les abus et les fraudes ne cessent d'augmenter.

Ce rapport soulignait aussi la complexité des dossiers d'exploitation humaine liés au travail. Les systèmes mis en oeuvre pour exploiter les travailleurs reposent souvent sur l'utilisation de sous-traitants en cascade, ce qui complique singulièrement l'action des services d'inspection et de la justice.

Depuis plusieurs années, le Centre pour l'égalité des chances plaide de manière récurrente pour diverses mesures afin de lutter efficacement contre cette fraude qui non seulement nuit à l'emploi à cause d'une concurrence déloyale, mais participe aussi à une véritable traite des êtres humains.

Monsieur le secrétaire d'État, face à ce problème complexe et récurrent, pourriez-vous nous informer sur ce que vous avez entrepris pour lutter efficacement contre cette fraude sociale qui nuit à notre économie, à la préservation de notre système social et aux travailleurs qui en sont également victimes, même si dans certains cas les salaires touchés, tout en étant inférieurs aux salaires fixés par les commissions paritaires belges, sont trois fois supérieurs à ce qu'ils sont dans leur pays d'origine, ce qui est une forme d'incitant pour ces travailleurs ?

Au vu des déclarations faites par les services du SPF Économie, pensez-vous que la législation actuelle est suffisante pour mener une lutte efficace ? Sinon, que faut-il modifier dans l'arsenal législatif ? Par ailleurs, n'y aurait-il pas lieu de négocier à l'échelon européen ?

M. John Crombez, secrétaire d'État à la Lutte contre la fraude sociale et fiscale. - La manifestation en cours met effectivement le secteur de la construction en lumière mais bien d'autres secteurs sont en difficulté. Bon nombre d'entreprises sont victimes d'une concurrence déloyale et beaucoup d'employés perdent leur emploi au bénéfice de personnes qui travaillent à des conditions inacceptables. J'accepte volontiers que des gens viennent travailler dans notre pays pour autant qu'ils soient rémunérés aux mêmes barèmes que les Belges et qu'ils soient assujettis à la sécurité sociale.

Le parlement s'est déjà penché à plusieurs reprises sur la question et le gouvernement a décidé de prendre des mesures sans attendre la réponse de l'Union européenne. Entre-temps, la transposition des nouveaux règlements et des nouvelles lois a été effectuée, à tout le moins pour quelques volets.

En 2009, il y a eu un peu plus de 200 000 déclarations Limosa. En 2011, leur nombre atteignait déjà 330 000, dont 286 000 concernaient des travailleurs salariés d'une entreprise étrangère détachés en Belgique.

La directive du 16 décembre 1996 sur les prestations de services impose que les entreprises étrangères détachant des travailleurs en Belgique leur garantissent des conditions de travail et d'emploi identiques à celles qui sont d'application pour les travailleurs nationaux occupés dans le même secteur, notamment en ce qui concerne les rémunérations prévues par les conventions collectives de travail, mais elle est souvent bafouée.

Les violations sont parfois très graves. Le tribunal de Gand a récemment eu à se prononcer sur une série d'infractions majeures. Aux Pays-Bas, il a finalement été convenu d'aligner la rémunération des transporteurs polonais sur celle de leurs collègues hollandais. Le changement est en marche mais l'évolution est trop lente.

Le contrôle des conditions de travail des travailleurs détachés est une mission particulièrement difficile. Elle nécessite la mise en oeuvre d'une méthodologie particulière en raison des difficultés rencontrées pour obtenir à l'étranger les informations et documents équivalents aux documents belges, pour les analyser et les comparer aux conditions de travail et de rémunération en vigueur en Belgique. Les enquêtes sont longues et les résultats pas toujours garantis. Ce matin encore, un inspecteur soulignait à la radio la difficulté d'obtenir ces informations. Et il ajoutait : « Et quand on reçoit des réponses, on s'aperçoit parfois qu'elles sont inutiles ou manquent de clarté. »

Au problème du respect des conditions de travail par les employeurs étrangers qui détachent des travailleurs sur le territoire national, s'ajoutent des autres fraudes visant à contourner le règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, afin d'échapper au paiement des cotisations sociales en Belgique. Ces fraudes se caractérisent notamment par l'établissement de sièges sociaux fictifs à l'étranger, par de faux détachements et/ou de faux documents A 1. Actuellement, la simple présentation d'un document A 1 suffit à faire échec à la justice.

Lors du débat budgétaire du mois de novembre, nous avons mis au point une mesure destinée à passer outre pour permettre aux magistrats d'indaguer. À présent, il faut l'implémenter.

Le Contrôle des lois sociales du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale et l'Inspection sociale du SPF Sécurité sociale ont constitué des équipes d'inspecteurs spécialisés sociaux oeuvrant de concert en vue de mieux appréhender ces phénomènes. Leur táche principale est le contrôle des entreprises étrangères qui détachent du personnel en Belgique. Les nouvelles lois entrant en vigueur, nous leur avons demandé d'intensifier les contrôles, singulièrement dans les secteurs en péril. Leurs interventions sont de mieux en mieux concertées et la coordination s'étend parfois aux services des SPF Mobilité et Finances.

Nous sommes en train de mettre au point d'autres modifications législatives, souvent avec la participation active des entreprises, qui attendent des changements significatifs.

Au mois d'août 2012, une loi sur la relation de travail a été adoptée pour lutter contre le phénomène des faux indépendants. Le travail a débuté. Il sera poursuivi secteur après secteur, en commençant par les secteurs où le problème est le plus criant.

La loi-programme de mars 2012 a introduit la responsabilité solidaire et la responsabilité solidaire subsidiaire pour le paiement des cotisations sociales. Nous travaillons là aussi secteur par secteur, avec la ferme volonté de faire des contrôles très stricts d'un bout à l'autre de la chaîne mais nous prévoyons d'accorder des dispenses aux « bonnes » entreprises. Il faut absolument mettre un terme aux activités des tricheurs dans les meilleurs délais.

Les services d'inspection sociale disposent donc dès à présent de nouveaux outils. En cas de besoin, ils pourront donc réagir beaucoup plus vigoureusement.

L'année 2013 sera aussi celle de la concrétisation, avec l'assentiment de la plupart des entreprises de la construction, du projet de registre électronique de présence sur les chantiers.

Nous disposons désormais aussi de conventions de partenariat signées par les inspections du travail et plusieurs secteurs d'activité, dont celui de la construction.

La coopération avec les secteurs est cruciale. Nous devons convaincre les entreprises que les nouvelles mesures sont susceptibles d'améliorer sensiblement leur position concurrentielle, faute de quoi les services d'inspection continueront à éprouver des difficultés.

Lors du dernier conclave budgétaire, nous avons décidé de modifier l'article 31 de la loi du 24 juillet 1987 sur le travail temporaire, le travail intérimaire et la mise de travailleurs à disposition d'utilisateurs. L'objectif est de mettre fin aux problèmes d'application générés par cet article et faire clairement la distinction entre les entreprises qui recourent réellement à de la sous-traitance et les entreprises qui effectuent des mises à disposition interdites.

Deuxièmement, la mise en place d'une disposition anti-abus visant à permettre au juge national, aux organismes de sécurité sociale compétents et aux inspecteurs sociaux d'appliquer la législation belge en matière de sécurité sociale à un travailleur « détaché » si un de ces organes constate que celui-ci est assujetti illégalement à la sécurité sociale d'un autre État. Cette nouvelle disposition anti-abus permettra de réagir très rapidement à tout nouveau cas de fraude, ce qui est primordial comme l'a signalé cet inspecteur à la radio.

Je citerai également le projet de directive européenne visant à mieux encadrer les contrôles et l'assistance administrative entre les États membres, ainsi que plusieurs initiatives visant à promouvoir et à soutenir l'échange d'informations entre les inspections du travail des États membres.

À cet égard, le développement du système informatisé d'échanges IMI - Internal Market Information - permet d'améliorer la collaboration entre les inspections du travail des pays membres de l'Union européenne et de contrôler les travailleurs « détachés ».

Le 6 décembre dernier, la Commission a décidé d'utiliser des documents standards pour le volet fiscal, à l'instar de ce qui se fait pour le volet social.

Il y a également eu, en décembre, la suspension du système Limosa pour les indépendants. Ce système permettait aux États membres de prendre des mesures en cas d'abus et de dumping social. Nous ne pouvons donc plus utiliser ce système pour les indépendants ou les faux indépendants.

Une directive montre bien l'existence d'un dumping social mais, malheureusement, depuis l'arrêt rendu en décembre, nous ne pouvons plus appliquer ce système qui, néanmoins, devrait être réactivé à la fin du mois moyennant quelques adaptations.

Cela montre que l'Europe ne propose pas de solution aux problèmes rencontrés, notamment dans le transport, du fait de l'ouverture des frontières.

Ce qui a été fait ces derniers mois pour lutter contre les abus tant au niveau social que fiscal est assez positif. Nous restons confiants puisque la Belgique promulguera en 2013 une série de nouvelles lois qui devraient permettre d'intensifier la lutte contre les abus.

Mme Marie Arena (PS). - Cette réponse très précise montre que la complexité de ce dossier nécessite une intervention tant au niveau national, en collaboration avec les différentes administrations, qu'au niveau européen pour continuer à déterminer les exigences auxquelles doivent satisfaire les pays émetteurs. Le travail à réaliser est considérable.

Le gouvernement a pris un certain nombre de mesures dont la plupart entreront en vigueur en 2013. Ces mesures vont nécessiter du personnel. Malgré certains discours sur les réalités de notre administration, nous aurons besoin d'administrations efficaces, compétentes et en nombre suffisant pour pouvoir défaire les montages qui, comme vous l'avez expliqué, sont vraiment de toute nature. Ces montages très précis permettent à certains de frauder allègrement et d'abuser de notre système de sécurité sociale et de notre modèle social.

Nous ne pouvons donc que vous encourager à poursuivre dans cette voie et ne manquerons pas de vous réinterroger sur le suivi et l'application de ces mesures.