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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 20 DÉCEMBRE 2012 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de Mme Cécile Thibaut à la vice-première ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique sur «l'euthanasie pour souffrance psychique» (no 5-760)

Mme Cécile Thibaut (Ecolo). - Comme la presse l'a annoncé, un débat relatif à l'euthanasie devrait prochainement avoir lieu au Sénat où plusieurs propositions sont sur la table. Avant de pouvoir entamer ce débat, il me semble important d'entendre vos précisions sur certains points.

Notre législation a admis l'acte d'euthanasie par une loi du 28 mai 2002 pour un majeur capable et conscient au moment de sa demande. Cette demande doit être réfléchie et répétée, ne doit pas résulter d'une pression extérieure, la personne devant se trouver dans une situation médicale sans issue, accompagnée d'une souffrance physique ou psychique constante et insupportable.

Bien que la loi précise explicitement que cette souffrance peut être physique ou psychique, différentes expériences dramatiques montrent la difficulté pour un patient atteint de souffrances psychiques de pouvoir bénéficier d'une euthanasie aujourd'hui.

Une telle souffrance s'est exprimée récemment lors du décès d'une jeune femme ágée de 34 ans qui, faute d'être entendue dans ses demandes répétées de mettre fin à ses souffrances, s'est suicidée d'une manière atroce, toute seule dans sa chambre dans l'institution psychiatrique où elle résidait.

Son combat fut relaté lors de l'émission Reyers laat du 29 septembre 2012 sur la chaîne Canvas.

Cet événement dramatique n'est malheureusement pas un cas isolé. Dans son cinquième rapport aux chambres législatives, la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie précise que l'interprétation par la commission de la notion de « souffrance psychique insupportable et inapaisable » ne fait pas l'unanimité.

Difficile de donner des orientations précises pour éviter les incompréhensions vécues entre patients, médecins et équipes soignantes et les drames qui en découlent si l'interprétation pose question même pour les membres de la commission fédérale.

Avant d'entamer un nouveau débat, il vous appartient, madame la ministre, de vous positionner sur la situation actuelle. Cette question sensible mérite la plus grande prudence, mais des solutions sont nécessaires afin d'éviter que de telles situations ne se reproduisent.

Globalement, j'aimerais connaître les pistes que vous poursuivez en vue de répondre au mieux aux attentes de malades en grande souffrance psychique, demandeurs d'une assistance médicale pour mettre fin à leur vie de souffrance.

La dynamique d'information du corps médical est un axe important dans la mise en oeuvre des politiques d'accompagnement de fin de vie. D'une manière générale, pensez-vous qu'il soit nécessaire de rappeler au corps médical son obligation d'informer de manière appropriée les patients et leurs proches sur leurs droits dans le cadre de la loi sur l'euthanasie et de la loi sur les droits du patient ?

Enfin, si, pour diverses raisons, le médecin ne peut donner suite à une demande d'euthanasie pour souffrance psychique alors que le patient remplit effectivement les conditions prévues par la loi, ne pensez-vous pas que celui-ci a le devoir de diriger ce patient là où il pourrait être aidé, par exemple vers des institutions capables de répondre à des questions précises sur la fin de vie ou, plus précisément, vers des médecins et particulièrement des psychiatres sachant comment traiter de telles demandes dans le respect des lois ?

Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, chargée de Beliris et des Institutions culturelles fédérales. - Le cas que vous évoquez est évidemment émouvant, interpellant et préoccupant. Il démontre combien l'application de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie est sensible sur le terrain.

Je partage l'avis que des réponses doivent être trouvées à ces situations. Cependant, vous conviendrez qu'en tant que ministre, il ne m'appartient pas de me prononcer sur l'interprétation à donner à la notion de souffrance psychique insupportable et inapaisable.

Le corps médical est le mieux placé pour analyser ce type de situation et pour prendre les décisions nécessaires.

Plusieurs propositions de loi ont été déposées et devront être analysées et discutées par le parlement. Ce sera l'occasion de débattre du sujet spécifique que vous avez évoqué. Avec mes collaborateurs, je suis à la disposition des sénateurs pour les soutenir dans le difficile débat sur les conditions de l'euthanasie.

L'information dans le cadre de la loi relative à l'euthanasie et de la loi sur les droits du patient est en effet primordiale.

Une campagne d'information relative à la loi sur les droits du patient a débuté en décembre. Pour la loi sur l'euthanasie, je tenterai de trouver des moyens budgétaires pour lancer non pas une campagne d'information mais pour travailler à une information ciblée destinée à ceux qui en ont besoin.

L'une de vos questions porte sur l'obligation éventuelle pour le médecin de rediriger le patient vers un confrère mieux à même de répondre à ses questions. Plusieurs propositions de loi ont été déposées en ce sens. Je reste à la disposition du Sénat qui doit procéder à l'examen de ces textes en commission.

Je suis d'avis qu'il s'agit d'une piste que nous devons examiner attentivement tout en gardant à l'esprit les principes éthiques qui avaient guidé notre réflexion lors de la rédaction initiale de la loi sur l'euthanasie et, plus particulièrement, la liberté pour chaque médecin de pratiquer ou non l'acte d'euthanasie en dehors de toute considération médicale. Cela n'empêche pas de rediriger le patient là où il sera le mieux aidé dans sa quête si les conditions de la loi sont respectées.

Mme Cécile Thibaut (Ecolo). - Nous sommes évidemment ouverts au débat sur l'élargissement de la loi. Ma question visait à faire le point sur la loi et sur la manière dont elle est appliquée actuellement. Vos propos concernant l'interprétation de la notion de souffrance psychique inapaisable constituent un aveu d'échec. Cette question mérite que l'on y travaille. Vous dites que cela ne relève pas de vos responsabilités mais vous êtes interpellée par les parlementaires et certainement aussi par les médecins. Une consultation doit être organisée car il faut pouvoir aller plus loin.

Je me réjouis de votre décision d'affecter des moyens budgétaires à l'information. Des initiatives à ce sujet sont prises en Flandre, dans les pharmacies. Il faut s'en inspirer et mener des actions proches des gens. Cela vaut aussi pour les médecins. J'ignore si vous avez des contacts avec le ministre Marcourt à propos de la formation des médecins. Ne pensez-vous pas qu'il est possible d'améliorer cette formation de manière que nous puissions aller de l'avant avec la loi existante et que l'application de cette loi puisse se faire dans les meilleures conditions ?

Mme Laurette Onkelinx, vice-première ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, chargée de Beliris et des Institutions culturelles fédérales. - Vous serez d'accord avec moi pour dire qu'on peut changer les conditions de la loi, notamment sur la base des évaluations. Par contre, cela n'a pas de sens de me demander de donner des directives aux médecins au sujet de ce qu'ils doivent considérer comme une souffrance psychique inapaisable. Ce n'est évidemment pas à moi mais bien aux médecins qu'il revient de le faire, en tant que professionnels, dans le cadre de la liberté thérapeutique.

Mme Cécile Thibaut (Ecolo). - La loi n'est d'aucun secours pour l'interprétation de ces douleurs aujourd'hui et il n'existe pas de proposition de loi qui permettrait d'améliorer les choses. Nous savions que la loi de 2002 prêtait à diverses interprétations et je pense donc que nous devons prendre conscience de ces faiblesses et aller de l'avant.

Mme la présidente. - Ce débat touche à un thème sensible et ne peut certainement pas être clos aujourd'hui. Je pense toutefois que nous ne pouvons aller au-delà dans le cadre d'une question orale.