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27 NOVEMBRE 2012
I. INTRODUCTION
La commission a examiné le projet de loi qui fait l'objet du présent rapport au cours de ses réunions des 23 octobre et 27 novembre 2012.
II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU REPRÉSENTANT DE M. REYNDERS, VICE-PREMIER MINISTRE ET MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DU COMMERCE EXTÉRIEUR ET DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Le Traité de Singapour sur le droit des marques (en abrégé, le Traité de Singapour), adopté dans le cadre de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), poursuit l'harmonisation du droit des marques au niveau international.
Le Traité répond au souhait des entreprises d'harmoniser les conditions auxquelles un enregistrement de marque peut être obtenu. En effet, la diversité des exigences formelles posées par les pays pour l'enregistrement d'une marque entraîne une charge considérable en temps et en frais pour les entreprises opérant sur le plan mondial et qui ont un intérêt évident à protéger leur marque au niveau international.
Le Traité de Singapour actualise, étend et simplifie le Traité sur le droit des marques (TLT) de 1994. Ces traités ont pour but d'uniformiser et de simplifier les exigences formelles auxquelles doivent satisfaire les demandeurs et titulaires d'un droit de marque dans les relations avec les offices nationaux ou régionaux (Benelux par exemple) des marques des parties contractantes.
Les principales dispositions du Traité de Singapour concernent la possibilité de communications électroniques, l'extension à de nouvelles formes de marques (hologrammes, couleurs, etc.), l'inscription des licences, les mesures en cas d'inobservation de délais et la mise en place d'une Assemblée, compétente pour adapter le règlement d'exécution.
III. DISCUSSION GÉNÉRALE
Mme Piryns renvoie à l'exposé des motifs du projet de loi à l'examen, où l'on peut lire ce qui suit: « Le Traité porte sur tous les signes pouvant être enregistrés comme marque dans un pays partie au Traité, mais sans obliger tous les pays parties au Traité à enregistrer des sortes spécifiques de marques. Ainsi, le Traité reconnaît que les marques ne sont plus limitées à des indications bidimensionnelles sur des produits. Les règles énoncées dans le règlement d'exécution mentionnent explicitement (voir règle 3) de nouvelles sortes de marques comme les marques composées d'hologrammes, mécanismes en mouvement, couleurs et les marques composées de signes non visibles, comme le son ou le goût. » (doc. Sénat, nº 5-1787/1, p. 4). L'intervenante estime qu'il s'agit d'une interprétation trop large du champ d'application du terme « marques ». La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a déjà mené un débat concernant les « couleurs ». S'il n'est pas permis de privatiser des couleurs ou des nuances de couleur, on peut en revanche les laisser à la disposition de tous. Il est en outre très difficile d'enregistrer une odeur ou un son. Mme Piryns cite l'exemple de la publicité pour le chocolat Milka où apparaissent des vaches violettes. Si l'on décidait de déposer et de protéger cette couleur en tant que marque, personne ne pourrait plus porter de vêtement de cette « couleur Milka » spécifique.
Quelle est la définition exacte des couleurs, des odeurs, des goûts et des sons qui peuvent être enregistrés en tant que marque ?
La représentante du SPF Économie précise qu'il n'y a pas d'obligation pour une Partie contractante d'accepter des marques non conventionnelles. Le Traité précise seulement les formalités qui pourront être exigées par un office des marques dans le cas du dépôt d'une telle marque. Les parties contractantes devront appliquer le Traité aux marques autorisées selon les règles de leur législation interne. La législation Benelux permet d'enregistrer tout signe susceptible d'une représentation graphique, mais considère que ce n'est pas possible pour une marque « olfactive ». La résolution qui fait partie du présent Traité prévoit qu'il n'y a aucune obligation pour une partie contractante d'introduire dans sa législation de nouveaux types de marques.
Le Règlement d'exécution prévoit pour la marque sonore que « lorsque la demande contient une déclaration indiquant qu'il s'agit d'une marque sonore, la représentation de la marque doit au choix de l'Office, consister en une notation musicale sur une portée, en une description du son constituant la marque, en un enregistrement analogique ou numérique du son ou en toute combinaison de ces éléments. Si dans une partie contractante, ce type de marque est prévu, le Traité déterminera comment la marque devra être représentée.
Mme Piryns reste d'avis que le champ d'application du terme « marque » est trop large.
Le représentant du ministre des Affaires étrangères répond qu'il ne s'agit pas, en l'espèce, d'une couleur déterminée protégée en tant que marque, mais bien d'une couleur dans un contexte spécifique, comme celui d'un message publicitaire tel que les vaches mauves représentant la marque « Milka ».
M. Anciaux cite le règlement d'exécution du Traité de Singapour sur le droit des marques, règle 3, points 5 et 6: « 5) [Marque hologramme, marque de mouvement, marque de couleur, marque de position].
« Lorsque la demande contient une déclaration indiquant que la marque est une marque hologramme, une marque de mouvement, une marque de couleur ou une marque de position, une Partie contractante peut exiger une ou plusieurs reproductions de la marque et des précisions sur celle-ci, selon ce que prévoit la législation de la Partie contractante.
6) [Marque consistant en un signe non visible]
Lorsque la demande contient une déclaration indiquant que la marque consiste en un signe non visible, une Partie contractante peut exiger une ou plusieurs représentations de cette marque, une indication du type de la marque et des précisions sur celle-ci, selon ce que prévoit la législation de la Partie contractante. » (doc. Sénat, nº 5-1787/1, p. 40).
Comment interpréter cette disposition ?
La représentante du SPF Économie répond que le Traité de Singapour ne contient aucune disposition quant au droit matériel des marques. Le Traité de Singapour prescrit uniquement les formalités que les offices des marques peuvent appliquer au maximum dans le cadre, notamment, de l'enregistrement d'une marque.
L'article 2 du Traité qui définit le champ d'application stipule clairement que toute partie contractante applique le Traité aux signes qui peuvent être enregistrés en tant que marques en vertu de sa législation. Ce n'est donc pas le Traité qui détermine quels signes doivent être acceptés comme marques dans les parties contractantes.
L'article 3 (1) du Traité de Singapour contient une liste (exhaustive, voir alinéa 4) des indications ou éléments qui peuvent être exigés pour un dépôt de marque, et stipule (sous x): « le cas échéant, une déclaration, conformément aux prescriptions du Règlement d'exécution, précisant le type de la marque ainsi que les exigences spécifiques applicables à ce type de marque. »
Les manières de représenter une marque sont fixées à la règle 3 du règlement d'exécution du Traité de Singapour, où l'on trouve des dispositions spécifiques relatives aux différents types de marques dites « non-conventionnelles ». À titre d'exemple, on pourra exiger une reproduction graphique ou photographique en deux dimensions dans le cas d'une marque tridimensionnelle, une notation musicale sur une portée ou une description du son, ou un enregistrement analogique ou numérique du son en cas de marque sonore.
Le but de ces dispositions n'est ni de restreindre les possibilités de déposer des marques, ni d'introduire une obligation d'accepter différents types de marques. Ceci a été expressément souligné dans la Résolution de la Conférence diplomatique complétant le Traité de Singapour sur le droit des marques:
« 3. Considérant que le Traité prévoit pour les Parties contractantes des formalités efficaces et efficientes en matière de marques, la Conférence diplomatique est convenue que les articles 2 et 8 n'imposaient aux parties contractantes aucune obligation concernant respectivement
i) l'enregistrement des nouveaux types de marques (...) » (doc. Sénat, nº 5-1787/1, p. 48).
En conclusion, le Traité de Singapour n'a aucune incidence sur la question de savoir si une marque (non conventionnelle) peut être protégée ou pas. Cela dépend de la législation de la partie contractante concernée.
Au sein de l'Union européenne, le droit des marques a été harmonisé (directive 89/104/CE, remplacée (codification) par la directive 2008/95/CE). Dans l'UE, il n'y a donc pas de différences matérielles entre les différentes législations (UE, Benelux ou nationales) en ce qui concerne la validité et la protection des marques.
La définition d'une marque dans cette directive (article 2) est assez large et est identique à la définition (article 4) du règlement 207/2009 sur la marque communautaire (version codifiée du règlement 40/94): « Peuvent constituer des marques tous les signes susceptibles d'une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises. »
Tout signe peut donc constituer une marque, à condition qu'il soit:
— susceptible d'une représentation graphique (ce qui est évident pour un droit qui est obtenu par l'enregistrement) et
— propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise déterminée (ou en d'autres termes qu'il dispose d'un caractère distinctif).
La jurisprudence de la CJUE en matière de marques non conventionnelles est relativement étendue. En ce qui concerne la représentation graphique, la CJUE a stipulé que celle-ci doit être « claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective ». Concrètement, selon la CJUE, l'enregistrement de marques olfactives n'est pas possible. Par contre, l'enregistrement de marques sonores, et de marques de couleur est possible dans certains cas.
Au niveau mondial, le droit des marques (règles de fond) a également fait l'objet d'une certaine harmonisation.
La Convention de Paris pour la protection de la propriété intellectuelle du 20 mars 1883 et l'Accord de l'OMC (annexe I) sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) du 15 avril 1994 établissent, notamment pour les marques, les normes minimales de protection devant être prévues par chaque État membre (objet de la protection, droits conférés et exceptions admises à ces droits, durée minimale de protection)
Ainsi, l'article 15 de l'Accord ADPIC détermine quel signe peut constituer une marque. Il stipule que tout signe, ou toute combinaison de signes, propre à distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises peut constituer une marque. De tels signes, en particulier les mots, y compris les noms de personne, les lettres, les chiffres, les éléments figuratifs et les combinaisons de couleurs, ainsi que toute combinaison de ces signes, sont susceptibles d'être enregistrés comme marques. Cependant, les membres peuvent exiger, comme condition de l'enregistrement, que les signes soient perceptibles visuellement.
La Belgique a ratifié ces deux traités internationaux et est donc liée par ces dispositions.
Quelle est l'incidence pour la Belgique d'un pays qui reconnaîtrait comme marque par exemple un son, un goût, etc. ?
Une marque enregistrée donne à son titulaire le droit exclusif de l'utiliser. Cela signifie que lui seul a le droit d'utiliser la marque protégée ou d'autoriser l'utilisation par un tiers. Le droit exclusif du titulaire de la marque n'est toutefois pas absolu. En premier lieu, la marque n'est protégée que sur le territoire pour lequel l'enregistrement a été obtenu (principe de territorialité). En d'autres termes, une marque japonaise confère au titulaire un droit exclusif sur le signe, uniquement au Japon, mais par exemple pas en France, en Suède ou au Benelux, à moins qu'un enregistrement ait également été obtenu dans ces pays. D'autre part, la marque enregistrée confère des droits exclusifs uniquement en cas d'usage du signe en relation avec les produits ou services pour lesquels elle été enregistrée. La marque n'est donc jamais protégée dans l'absolu.
Concrètement, si par exemple le Japon autorisait l'enregistrement de marques de goût, cela permettrait aux titulaires de ces marques japonaises d'interdire la commercialisation au Japon de produits ou services identiques ou similaires sous un signe (goût) identique ou similaire, mais cela n'imposerait pas à la Belgique l'obligation de reconnaître la validité de cette marque sur son territoire. Il n'y a donc pas d'incidence pour la Belgique.
M. Morael estime qu'il y a de plus en plus d'abus dans les recours aux droits de propriété intellectuelle. L'orateur se réfère à la protection intellectuelle des semences par les gros producteurs multinationaux qui emprisonnent les petits paysans dans une filière de laquelle ils ne peuvent pas sortir. Il est très difficile voire impossible de définir la notion d'odeur. Comment va-t-on déposer une marque d'odeur ? Le Traité prévoit donc une protection de certaines propriétés intellectuelles qui ne sont même pas définies juridiquement ou techniquement.
Mme Zrihen fait observer que la notion de marque est en évolution, n'étant plus exclusivement liée à l'État producteur. On peut imaginer un dispositif de marque qui comporte toutes les origines des composantes des produits qui y figurent. En fonction de cet élément, le Traité devrait être revu dans le futur. L'intervenante se réfère au point 8 de la Résolution de la Conférence diplomatique complétant le traité de Singapour sur le droit des marques et son règlement d'exécution, qui prévoit que : « La Conférence diplomatique a prié l'Assemblée de surveiller et d'évaluer, à chaque session ordinaire, l'évolution de l'assistance relative aux mesures de mise en œuvre et les avantages découlant de cette mise en œuvre. » (doc. Sénat, nº 5-1787/1, p. 49).
Est-il envisageable que le Traité contienne un dispositif d'information, faisant mention des différends qui peuvent survenir entre les parties ? De cette façon, les rapports de force entre les pays les moins avancés (PMA) et certains autres États peuvent être clarifiés.
La représentante du SPF Économie se réfère à sa réponse ci-dessus et rappelle que le Traité ne règle que les formalités de dépôt et d'enregistrement de marque.
Au niveau de l'assistance technique, prévue au point 8 de la Résolution de la Conférence diplomatique complétant le Traité de Singapour sur le droit des marques et son règlement d'exécution, il y a une procédure d'information, qui se fait à l'Assemblée de l'OMPI chaque année. Ce dispositif concerne l'aide fournie aux pays en développement ou aux PMA pour pouvoir mettre en place un système de marque qui soit conforme aux dispositions de ces traités. La dernière assemblée annuelle a eu lieu au mois d'octobre 2012.
M. Anciaux observe que le texte néerlandais emploie systématiquement le terme « aanvrage ». Il convient de corriger cette erreur.
Le représentant du ministre des Affaires étrangères répond que le terme « aanvrage » est lié au fait que la législation en matière de marque est élaborée au niveau du Benelux. La traduction néerlandaise du Traité a été effectuée par les Pays Bas et revue par la Belgique. Bien que le terme « aanvrage » soit peu usité en Belgique, il a été décidé de la maintenir dans la version du Traité adoptée en Belgique afin de garder une cohérence au niveau du Benelux. Ce choix de terminologie n'a aucun impact sur la Convention du Benelux en matière de propriété intellectuelle et dessins et modèles dans la mesure où en matière de marque, la Convention n'utilise pas le terme « aanvrage » ou « aanvraag » mais uniquement le terme « depot ».
M. Anciaux estime que notre pays ne peut adhérer à des traités non rédigés dans un néerlandais correct. La « Nederlandse Taalunie » doit toujours être consultée pour la terminologie utilisée.
Le représentant du ministre des Affaires étrangères répond que le terme « aanvrage » est effectivement tombé en désuétude et n'est plus utilisé en Belgique.
IV. VOTES
L'article 1er est adopté à l'unanimité des 9 membres présents.
L'article 2, ainsi que l'ensemble du projet de loi, sont adoptés par 8 voix et 1 abstention.
Confiance a été faite à la rapporteuse pour la rédaction du présent rapport.
La rapporteuse, | Le président, |
Marie ARENA. | Karl VANLOUWE. |
Le texte adopté par la commission est identique au texte du projet de loi (voir le doc. Sénat, nº 5-1787/1 — 2011/2012).