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14 NOVEMBRE 2012
1. Principe de la transaction pénale en droit belge
La transaction pénale visée à l'article 216bis de notre Code d'instruction criminelle (ci-après « article 216bis ») est une procédure non juridictionnelle par laquelle le procureur du Roi propose l'extinction de l'action publique à l'égard de l'auteur présumé d'une infraction moyennant le paiement d'une somme d'argent par celui-ci. L'extinction de l'action publique signifie qu'aucune poursuite ne pourra encore être exercée à l'égard de celui qui aura bénéficié de cette extinction, à la condition que le paiement de la somme d'argent soit effectué dans le délai fixé par le procureur.
Le but recherché est de faire l'économie du procès pénal.
Inspiré du système de plea bargaining, fortement utilisé dans les pays anglo-saxon, la transaction pénale existe dans notre pays depuis longtemps (1984) et est une procédure qui peut, dans certains cas, s'avérer intéressante pour les parties car elle est discrète et peu coûteuse.
Jusqu'en 2011, elle était possible pour les infractions punies d'une peine maximale de cinq ans et avant qu'elles ne soient mises à l'instruction. En revanche, il était impossible d'y recourir dans les hypothèses « criminelles » que constituent, par exemple, au sens de notre Code pénal, le faux en écritures, l'usage de faux et le blanchiment.
Cette alternative au procès n'est cependant pas la panacée. La principale critique, et non des moindres, qu'on peut lui adresser est qu'elle n'est accessible qu'aux personnes qui ont les moyens de payer.
Dès lors, si la transaction pénale peut avoir son intérêt pour certains types d'infractions (en matière fiscale, par exemple), il n'est pas souhaitable que celle-ci soit étendue de manière inconsidérée, au risque de sombrer dans une justice de classes.
Or, la loi portant des dispositions diverses du 14 avril 2011, entrée en vigueur le 16 mai de la même année, a modifié, en ce sens, les dispositions de notre procédure pénale.
Le texte du nouvel article 216bis élargit les possibilités de transaction aux crimes et délits pouvant entraîner jusqu'à vingt ans de prison.
Autre nouveauté, il est désormais possible au procureur du Roi de proposer une transaction quand celui-ci a déjà assigné à comparaître devant le tribunal pénal, et même quand un jugement a déjà été rendu et qu'un appel a été interjeté.
Une circulaire commune du ministre de la Justice et du Collège des procureurs généraux près les cours d'appel est venue encore aggraver la situation en précisant la liste des crimes et délits susceptibles d'être réglés par voie de transaction. Celle-ci devient dès lors possible en cas de violences contre les personnes.
2. Rétroactes de la loi du 14 avril 2011
Depuis les années 1990, on assiste à une dépénalisation de fait de la criminalité financière et à une impunité de fait, pour les grands dossiers de fraude fiscale. Cette évolution conduit à minimiser l'impact sociétal néfaste de l'incivisme fiscal et financier.
En mars 2011, les cinq partis de la majorité gouvernementale, après d'âpres négociations, parviennent à un accord pour adopter, ensemble, la levée encadrée du secret bancaire et la transaction pénale en matière fiscale.
Les dispositions légales concernant la transaction sont alors insérées dans une loi portant des dispositions diverses, au milieu donc de toute une série de dispositions budgétaires. Malgré cette tentative d'éviter le débat parlementaire, l'adoption de cette loi ne s'est pas faite sans heurts. En effet, les sénateurs n'ont pas hésité à critiquer tant la méthode (absence de véritable débat) que le fond et ont organisé des auditions pour mieux cerner le problème. À la suite à ces auditions, un nouvel accord est intervenu entre les partis de la majorité sortante pour déposer une proposition de loi « réparatrice », afin de corriger certaines imperfections.
La loi de « réparation » du 11 juillet 2011 a donc reformulé et précisé certaines dispositions de l'article 216bis du Code d'instruction criminelle. Ainsi, elle prévoit notamment que la transaction ne peut être proposée que lorsque le fait ne comporte pas d'atteinte « grave » à l'intégrité physique de la victime. Elle « restaure » également, dans une certaine mesure, le rôle du juge en cas de transaction pénale, en prévoyant que celui-ci, sur réquisition du procureur du Roi, vérifie s'il est satisfait aux conditions formelles d'application d'une transaction pénale, si l'auteur a accepté et respecté la proposition de transaction et si la victime, l'administration fiscale et/ou sociale ont été indemnisées.
3. Conséquences de l'élargissement de la transaction pénale
La ministre de la Justice n'hésite pas à affirmer que l'extension des possibilités de recourir à la transaction pénale permettrait de désengorger les tribunaux afin qu'ils puissent se concentrer sur les fraudes d'une importance considérable, puisque celles de moindre ampleur bénéficieraient de la transaction.
Présentée sous cet angle, on pourrait croire que la loi du 14 avril 2011 précitée semble apporter de réelles améliorations à la procédure en vigueur et à la pratique judiciaire.
Mais, ce serait passer sous silence ses nombreuses imperfections et travers qui demeurent, malgré la loi « réparatrice ».
Ainsi, le nouvel article 216bis, tel qu'interprété par ladite circulaire, permet la transaction pour tous les crimes et délits, donc en ce compris les violences contre les personnes. On a ainsi entendu en commission la représentante du ministre illustrer, avec beaucoup d'aplomb, cet aspect des choses par un exemple malheureux, à savoir le viol.
En matière de fraude fiscale, l'accord à l'amiable rend, de facto, la régularisation permanente obsolète. En 2005, le gouvernement a introduit un système d'amnistie fiscale. Ce système permet aux fraudeurs de régulariser spontanément leur situation, à des taux particulièrement favorables. Avec la transaction pénale, les fraudeurs n'ont plus aucun intérêt à régulariser leur situation. S'ils se font démasquer, il leur suffira de payer une somme d'argent pour éviter les ennuis avec la Justice. En matière de procédure pénale, cette extension de la transaction aboutit au bouleversement de certains principes classiques de notre droit de la procédure pénale.
Ainsi, le principe même de l'élargissement du champ d'application de la transaction en matière pénale met à mal le principe selon lequel nous serions tous égaux devant la loi et instaure une véritable justice de classes. En effet, comment justifier que la personne qui a les moyens de s'offrir une transaction ne verra pas sa faute inscrite dans son casier judiciaire alors que, pour les personnes qui se trouvent dans l'impossibilité de payer le montant de la transaction, les mêmes fautes y apparaîtront...
On ne peut ignorer non plus la question du dessaisissement de la magistrature assise auquel le texte aboutit. Le juge du fond ne peut que constater l'extinction de l'action publique et se voit imposer une solution dégagée en dehors du prétoire. Or, accorder plus de pouvoirs à l'un des acteurs judiciaires, à savoir le ministère public, se fait nécessairement au détriment d'autres acteurs judiciaires, à savoir les magistrats assis (1) . Cela n'est pas sans poser, au minimum, un problème d'équilibre des pouvoirs, voire un problème de constitutionnalité...
Un autre exemple est celui des conséquences de la transaction sur le régime de la peine d'interdiction des droits. En matière de murs, outre la peine d'emprisonnement et d'amende, même en cas de correctionnalisation, le juge doit prononcer une peine d'interdiction des droits civils et politiques. Pour les militaires ou les fonctionnaires publics, une condamnation pour des faits de murs ou pour des faits de corruption entraîne automatiquement une déchéance des droits civils et politiques et l'intéressé doit quitter sa fonction. La sanction professionnelle est parfois la peine la plus importante qui frappe l'auteur. Or, la question des peines accessoires semble avoir été oubliée dans la réforme.
Vu l'atteinte à ces principes fondamentaux, il est inadmissible que la réforme de la transaction pénale n'ait pas fait l'objet d'un projet de loi distinct, avec un débat parlementaire de qualité, car un tel assouplissement du régime de la transaction exigeait un minimum de réflexion et de vision globale de la Justice. C'est pourquoi la présente proposition de loi avance divers aménagements, afin de mieux encadrer l'extension de la transaction pénale, telle qu'instaurée par les lois du 4 avril et 11 juillet 2011.
Article 2, 1º
Pour bénéficier de la transaction, l'auteur ne peut pas avoir déjà été condamné à une peine d'un an ou plus et ne doit pas non plus avoir déjà bénéficié d'une transaction, même pour des faits différents.
Article 2, 2º
Lorsqu'une affaire est mise à l'instruction, le procureur du Roi qui souhaite proposer une transaction doit demander l'accord du juge d'instruction. En outre, la possibilité de recourir à la transaction, une fois que l'affaire est portée devant la juridiction de jugement, est supprimée.
Article 2, 3º
Cet article réinstaure le contrôle de toutes les transactions par le juge du fond. Ce contrôle n'est pas limité aux conditions d'application formelles, mais peut également porter sur l'opportunité et la proportionnalité de la mesure.
Article 2, 4º
Le montant des transactions pour les dossiers de fraude fiscale et sociale n'est actuellement pas encadré par la loi.
Le procureur du Roi pourrait donc proposer un euro symbolique.
En matière de fraude fiscale, très récemment, une circulaire du collège des procureurs généraux et du ministre de la Justice prescrit que le montant des transactions devrait s'élever à, au moins, 10 % pour les personnes physiques et 15 % pour les personnes morales. Ces seuils nous semblent insuffisants, car ils sont inférieurs à l'accroissement d'impôt prévu dans le Code des impôts sur les revenus 1992, qui atteint, au minimum, 50 % dans les cas de fraude et peut aller jusqu'à 200 % pour les cas les plus graves. Nous proposons donc d'inclure une référence aux arrêtés visés.
En matière de fraude sociale, nous avons choisi de nous référer aux catégories d'amendes établies par le Code pénal social. Actuellement, la transaction visée à l'article 216bis du Code d'instruction criminelle ne peut être proposée pour un montant inférieur à 40 % des minima des différentes catégories d'infractions. La présente proposition de loi prévoit que les transactions ne peuvent être d'un montant inférieur aux minimums des différentes catégories d'infractions.
Article 2, 5º
Le rapport de l'enquête parlementaire sur la grande fraude fiscale (mai 2009) (2) relève: « Il convient également d'examiner de manière plus approfondie la possibilité d'introduire un règlement amiable judiciaire. Si un tel cadre est créé, il faut naturellement aussi veiller, en ce qui concerne le règlement amiable administratif, à ce que les transactions conclues puissent être contrôlées. Nous devons veiller à ce que tous les Belges soient égaux devant la loi fiscale. Il serait opportun qu'un organisme public indépendant, tel que la Cour des comptes, effectue un contrôle ex post des transactions conclues. À l'heure actuelle, la Cour des comptes contrôle déjà les recettes fiscales, mais uniquement par le biais de coups de sonde (ce contrôle est réglé dans un protocole conclu entre la Cour des comptes et le ministre des Finances, publié au Moniteur belge du 31 janvier 1996). Le nom des contribuables concernés n'est jamais cité dans le cadre de ce contrôle. »
C'est pourquoi, le rapport recommande (3) d'« instaurer un système général de règlement amiable et/ou de transaction qui, en s'appliquant, met fin aux poursuites pénales en matière de fraude fiscale ». Il ajoute qu'il faudrait « consigner, à partir d'un certain montant, les actes posés par l'administration en terme de règlement amiable dans un registre transmis à la Cour des comptes qui fera rapport annuellement à la Chambre des représentants dans le respect du principe de la vie privée et de l'anonymat des contribuables. » (4)
C'est ce que prévoit cette disposition de la présente proposition de loi.
Article 3
La transaction qui éteint l'action publique en matière de fraude sociale et fiscale est mentionnée au casier judiciaire.
Zakia KHATTABI. | |
Freya PIRYNS. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
À l'article 216bis du Code d'instruction criminelle, inséré par la loi du 28 juin 1984 et modifié en dernier lieu par la loi du 11 juillet 2011, sont apportées les modifications suivantes:
1º le § 1er, alinéa 1er, est remplacé par la disposition suivante:
« Lorsque le procureur du Roi estime que le fait ne paraît pas être de nature à devoir être puni d'un emprisonnement correctionnel principal de deux ans ou d'une peine plus lourde, y compris la confiscation, et qu'il ne comporte pas d'atteinte à l'intégrité physique, il peut inviter l'auteur, si celui-ci n'a pas déjà été condamné à une peine d'un an au moins ou n'a pas déjà bénéficié de la mesure visée au présent article, à verser une somme d'argent déterminée au Service public fédéral Finances. »;
2º au § 2, alinéa 1er, sont apportées les modifications suivantes:
a) les mots « ou lorsque le tribunal ou la cour est déjà saisi du fait » sont abrogés;
b) cet alinéa est complété par les mots suivants:
« L'application du présent paragraphe est dans tous les cas soumise à l'accord préalable du juge d'instruction. »;
3º il est inséré un § 2/1, rédigé comme suit:
« § 2/1. Sur réquisition du procureur du Roi, et après avoir vérifié s'il est satisfait aux conditions d'application du présent article, si l'auteur a accepté et observé la transaction proposée, et si la victime et l'administration fiscale ou sociale ont été dédommagées conformément au § 4 et au § 6, alinéa 2, le juge compétent constate l'extinction de l'action publique dans le chef de l'auteur. »;
4º le § 6 est remplacé par la disposition suivante:
« § 6. La transaction visée au présent article n'est pas applicable aux infractions à propos desquelles il peut être transigé conformément à l'article 263 de l'arrêté royal du 18 juillet 1977 portant coordination des dispositions générales relatives aux douanes et accises.
Pour les infractions fiscales ou sociales qui ont permis d'éluder des impôts ou des cotisations sociales, la transaction n'est possible qu'après le paiement des impôts ou des cotisations sociales éludés dont l'auteur est redevable, en ce compris les intérêts et moyennant l'accord de l'administration fiscale.
Pour les infractions fiscales, le montant de la transaction proposée à l'auteur ne peut être inférieur au montant de l'accroissement d'impôt qui aurait été applicable en vertu des articles 225, sub C et D, ou 226, sub C et D, de l'arrêté royal du 27 août 1993 d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992.
Pour les infractions sociales, le montant de la transaction proposée à l'auteur ne peut être inférieur aux montants prévus par les articles 101 et 103 du Code pénal social. »;
5º cet article est complété par un § 7, rédigé comme suit:
« § 7. Lorsque l'action publique est éteinte par application du présent article, le procureur du Roi transmet les données relatives à la transaction opérée à la Cour des comptes.
Le Roi précise les modalités de la transmission de ces informations.
Une fois par an, la Cour des comptes remet à la Chambre des représentants un rapport sur l'ensemble des transactions conclues durant l'année écoulée. »
Art. 3
À l'article 590 du même Code, le point 2ºbis, abrogé par la loi du 22 avril 2012, est rétabli dans la rédaction suivante:
« 2ºbis. les transactions pénales visées à l'article 216bis, § 6. »
8 novembre 2012.
Zakia KHATTABI. | |
Freya PIRYNS. |
(1) Masset, A. et Forthomme, M., « La transaction pénale de droit commun. La culture judiciaire belge garde-t-elle son âme ? », Justine, n° 33, mai 2012, p. 9 et s.
(2) Chambre des représentants, « Enquête parlementaire sur les grands dossiers de fraude fiscale », DOC 52 0034/004.
(3) Voir document précité, recommandation n° 36, p. 243.
(4) Voir document précité, recommandation n° 37, p. 243.