5-1759/1

5-1759/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2011-2012

17 JUILLET 2012


Proposition de loi modifiant la loi-programme (I) du 29 mars 2012, visant à concrétiser le Plan pour l'emploi des travailleurs âgés

(Déposée par Mmes Cécile Thibaut et Mieke Vogels)


DÉVELOPPEMENTS


La moyenne d'âge de la population européenne augmente de plus en plus rapidement. D'ici 2050: « la population totale dans l'EU-27 se réduira légèrement, mais deviendra beaucoup plus âgée. Sur le plan économique, le changement principal concerne la population en âge de travailler (âgée de quinze à soixante-quatre ans) qui diminuera de 48 millions d'ici 2050. Le taux de dépendance (le nombre de personnes âgées de soixante-cinq ans et plus relativement à celles âgées de quinze à soixante-quatre ans) devrait doubler pour atteindre 51 % d'ici 2050, ce qui signifie que l'UE passera de quatre à seulement deux personnes en âge de travailler pour chaque citoyen âgé de soixante-cinq ans et plus (1) . »

Pour rencontrer l'enjeu du vieillissement de la population, il convient de jouer sur différents leviers, que ce soit le retour progressif à l'équilibre budgétaire, une meilleure contribution des capitaux et de la spéculation financière au financement de l'État et de la solidarité, une lutte plus efficace contre la fraude fiscale ou l'augmentation du taux d'emploi, notamment des aînés.

En ce qui concerne l'augmentation du taux d'emploi, la Belgique s'est engagée, dans le cadre des objectifs de la stratégie Europe 2020, à atteindre d'ici 2020 un taux d'emploi global de 72,3 % pour les vingt à soixante-quatre ans (contre 67,6 % actuellement) et de 50 % pour les cinquante-cinq-soixante-quatre ans (contre 35,9 % actuellement). Pour parvenir à cet objectif, des politiques créatrices d'emploi doivent voir le jour. L'objectif poursuivi doit être d'augmenter l'emploi global et la masse salariale globale, même si, au vu de la situation actuelle et du dernier rapport annuel de l'ONEm par exemple (2) , une attention particulière doit être portée sur la participation des jeunes, des étrangers non-européens et des travailleurs plus âgés au marché du travail.

Or, la participation des travailleurs plus âgés au marché du travail (d'après une récente enquête IDEA Consult, trois travailleurs sur quatre ne sont pas prêts à travailler jusqu'à soixante-cinq ans (3) ), nécessite le développement d'une approche cohérente intégrant l'ensemble de la carrière, la transition entre les temps de vie, la gestion de la fin de carrière et de la prise de la pension. La question du « travailler plus longtemps » ne trouvera en effet une réponse adéquate que si la question du « travailler autrement » est posée et traitée simultanément.

Bien loin de poursuivre ces objectifs, la récente réforme des pensions votée et adoptée à la hussarde fin 2011 par la majorité fédérale s'est, pour l'essentiel, limitée à restreindre l'accès aux prépensions et aux pensions anticipées. Outre son caractère précipité et l'absence de concertation sociale, cette réforme n'apporte pas de réponse structurelle à la question du caractère soutenable du financement de nos pensions. D'après le rapport annuel du Comité d'étude sur le Vieillissement (4) , en l'absence de mesures visant à améliorer de manière structurelle le taux d'emploi, le durcissement des conditions pour accéder aux différents régimes de pension et de prépension ne devrait en effet avoir qu'une incidence limitée sur le coût budgétaire du vieillissement.

De même, cette réforme ne s'accompagne pas d'une amélioration des conditions de travail tout au long de la vie, du nécessaire renforcement des dispositifs visant à concilier vie privée et vie professionnelle et de mesures visant à favoriser le maintien à l'emploi des travailleurs plus âgés. Que du contraire, parallèlement à la réforme des pensions, des arrêtés royaux ont été pris pour restreindre l'accès au crédit-temps et à l'interruption de carrière (des dispositifs qui permettent pourtant, notamment, de lever le pied progressivement en fin de carrière, entre autres dans certains secteurs non-marchand, par le biais du Plan Tandem) et pour assouplir la notion d'emploi convenable, avec des conséquences lourdes, entre autres, pour les travailleurs ayant le plus de difficultés à trouver un emploi.

Or, si on souhaite que les travailleurs plus âgés participent davantage au marché du travail, il convient de veiller à ce qu'il leur soit effectivement possible de travailler plus longtemps. Il ne doit pas uniquement s'agir de prolongation des carrières mais également d'aménagement des carrières.

Dans ce cadre, l'adoption de mesures visant à promouvoir le vieillissement actif est une condition sine qua non permettant cet aménagement des carrières.

De manière plus large, le considérant 9 de la décision nº 940/2011/UE du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2011 relative à l'Année européenne du vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle (2012), souligne que le vieillissement actif permet aux personnes de réaliser leur potentiel en matière de bien-être physique, social et psychique tout au long de leur existence et de participer à la société, tout en garantissant aux intéressés une protection, une sécurité et des soins appropriés lorsqu'ils en ont besoin. Dans ces conditions, la promotion du vieillissement actif exige une approche pluridimensionnelle, une adhésion et un soutien à long terme de la part de toutes les générations.

Il est donc essentiel d'adapter les conditions de travail et l'environnement professionnel à une main-d'œuvre d'âge varié, de lutter contre la discrimination et les stéréotypes négatifs dont sont notamment victimes les travailleurs âgés et de renforcer les compétences des travailleurs à tout âge.

Par ailleurs, au-delà du maintien de la santé et de l'aptitude au travail des travailleurs, il convient également que les emplois offerts soient plus attrayants pour les personnes âgées elles-mêmes. C'est en effet de la qualité de l'emploi que dépend dans une large mesure l'éventuel maintien, voire le retour, des personnes âgées à l'emploi.

Dans ce contexte, seule une politique des compétences, qui tienne compte de l'âge mais également de la nécessité d'une formation continue, de l'innovation dans l'organisation du travail, et de l'aménagement des conditions de travail, contribuera à augmenter durablement le taux d'emploi des travailleurs et, en particulier, des travailleurs plus âgés.

Beaucoup d'entreprises ne sont toujours pas suffisamment conscientes de la valeur des travailleurs âgés et de l'intérêt économique d'un effectif du personnel diversifié quant à l'âge. Les préjugés négatifs par rapport aux travailleurs âgés perdent complètement de vue la valeur importante que représentent ces travailleurs pour les entreprises. Les caractéristiques typiques des travailleurs âgés sont leur grande capacité à résoudre des problèmes, grâce à leur large expérience, une grande loyauté, une grande résistance face au stress, leur grande expérience en matière de coopération, leur ouverture d'esprit pour les attentes des autres, par exemple celles des clients, ...

Dans cette optique, Ecolo et Groen ont déposé un ensemble de propositions de loi qui visent, ensemble, à atteindre cet objectif de manière cohérente.

La présente proposition de loi a pour objectif de rendre le Plan pour l'emploi des travailleurs âgés, institué par la loi-programme (I) du 29 mars 2012, plus ambitieux et plus opérationnel.

L'article 107 de cette loi-programme a introduit l'obligation pour l'employeur d'une entreprise de présenter chaque année au conseil d'entreprise un plan pour l'emploi des travailleurs âgés. L'article 111 de cette même loi-programme limite cependant cette obligation aux seules entreprises occupant plus de vingt travailleurs.

Ce plan contient les mesures qui seront prises au cours de l'année civile en faveur du maintien ou de l'accroissement du nombre de travailleurs âgés de 45 ans et plus.

Aux termes de l'article 107, alinéa 2, de ladite loi programme « sont notamment considérées comme des mesures en faveur du maintien ou de l'accroissement du nombre de travailleurs âgés de quarante-cinq ans et plus, les mesures relatives à:

1. la sélection et l'engagement de nouveaux travailleurs;

2. le développement des compétences et des qualifications des travailleurs, y compris l'accès aux formations;

3. le développement de carrière et l'accompagnement de carrière au sein de l'entreprise;

4. les possibilités d'obtenir via mutation interne une fonction adaptée à l'évolution des facultés et des compétences du travailleur;

5. les possibilités d'adapter le temps de travail et les conditions de travail;

6. la santé du travailleur, la prévention et la possibilité de remédier aux obstacles physiques et psycho-sociaux entravant le maintien au travail;

7. les systèmes de reconnaissance des compétences acquises. »

Le plan pour l'emploi comprend une évaluation du plan pour l'emploi des travailleurs âgés de l'année précédente.

Force est de constater que, en l'état, le Plan pour l'emploi des travailleurs âgés reste purement cosmétique dans la mesure où il ne contient aucune obligation réelle, ni en termes de contenu ni en termes d'objectifs à atteindre.

Partant de ce constat, la présente proposition de loi a pour objectif de concrétiser le Plan pour l'emploi des travailleurs âgés, de manière à le rendre plus ambitieux et opérationnel.

La présente proposition de loi ajoute, d'une part, une mesure supplémentaire aux mesures en faveur du maintien ou de l'accroissement du nombre de travailleurs âgés de quarante-cinq ans et plus, contenues dans la loi-programme du 29 mars 2012.

Cette obligation supplémentaire vise à ce que le Plan pour l'emploi des travailleurs âgés contienne des mesures liées à la transmission des savoirs et des compétences et au développement du tutorat.

En effet, et comme le souligne à juste titre l'avis du Comité économique et social européen relatif à la situation des travailleurs vieillissants face aux mutations industrielles (SOC/297), du 25 mars 2009, les initiatives prises en faveur du tutorat et de la transmission intergénérationnelle de compétences sont bénéfiques à tous les niveaux et indispensables à la poursuite d'une politique de vieillissement actif efficace. Le développement de fonctions professionnelles pour ceux qui deviennent plus âgés, par exemple sous la forme de missions de parrainage, d'accompagnement ou de tutorat, favorise la continuité institutionnelle et la transmission des valeurs de l'entreprise.

Par ailleurs, la présente proposition de loi vise à ce que le Plan pour l'emploi des travailleurs âgés contienne des objectifs chiffrés pour les mesures considérées comme des mesures en faveur du maintien ou de l'accroissement du nombre de travailleurs âgés. Au-delà des mots, il convient en effet de construire des indicateurs aisément comparables dans le temps, afin d'évaluer concrètement les efforts fournis et les progrès réalisés. Il convient en effet de ne pas s'arrêter à des mesures purement cosmétiques.

De plus, la proposition de loi vise à ce qu'une vigilance accrue soit accordée à la catégorie des travailleurs âgés de cinquante-cinq ans et plus. Comme exposé ci-dessus, dans l'UE27, la proportion de la population âgée de cinquante-cinq ans et plus est passée de 25 % en 1990 à 30 %, en 2010, et devrait atteindre 40 % en 2060. Cette catégorie de travailleurs constitue dès lors un défi majeur des politiques d'emploi.

Enfin, la présente proposition de loi vise à ce que le Plan pour l'emploi des travailleurs âgés contienne au minimum cinq des mesures en faveur du maintien ou de l'accroissement du nombre de travailleurs âgés de quarante-cinq ans et plus.

En effet, les dispositions prévues par la loi-programme (I) du 29 mars 2012 ne prévoient aucun contenu contraignant au Plan pour l'emploi des travailleurs âgés. Sans l'imposition d'un contenu minimum, le Plan pour l'emploi des travailleurs âgés n'est que purement théorique.

Par ce biais, on rend, d'une part, le plan réellement concret, à l'instar du plan senior introduit en France et qui prévoit qu'un nombre fixé de mesures soit effectivement contenu dans le plan. Les articles L.2211-1 et L.2233-1 du Code du travail français prévoient en effet que les entreprises, y compris les établissements publics, doivent établir un plan relatif à leurs travailleurs âgés.

Ce dernier doit comporter:

1. un objectif chiffré global de maintien dans l'emploi et de recrutement des salariés âgés; si cet objectif concerne le maintien dans l'emploi, il doit concerner les salariés âgés de cinquante-cinq ans et plus; s'il concerne le recrutement, il doit concerner les salariés âgés de cinquante ans et plus;

2. des dispositions favorables au maintien dans l'emploi et au recrutement des salariés âgés portant sur trois domaines d'action choisis parmi la liste suivante et auxquelles sont associées des indicateurs chiffrés:

a. recrutement des salariés âgés dans l'entreprise;

b. anticipation de l'évolution des carrières professionnelles;

c. amélioration des conditions de travail et prévention des situations de pénibilité;

d. développement des compétences et des qualifications et accès à la formation;

e. aménagement des fins de carrière et de la transition entre activité et retraite;

f. transmission des savoirs et des compétences et développement du tutorat;

3. des modalités de suivi de la mise en œuvre de ces dispositions et de la réalisation de cet objectif.

D'autre part, la présente proposition de loi oblige les entreprises à faire état dans le plan de plusieurs mesures, étant entendu qu'un paramètre essentiel pour influer sur le maintien des salariés plus âgés dans l'entreprise est la souplesse des approches et la diversité des mesures envisagées.

Enfin, il y a lieu de souligner que les entreprises occupant moins de cinquante travailleurs restent exemptées de l'exécution d'un plan pour l'emploi des travailleurs âgés, tel que prévu par la présente proposition de loi.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2, 1º

Le point 8º introduit vise à ce que le Plan pour l'emploi des travailleurs âgés contienne des mesures liées à la transmission des savoirs et des compétences et au développement du tutorat.

Article 2, 2º

Le deux premiers alinéas introduits visent à ce que le Plan pour l'emploi des travailleurs âgés contienne des objectifs chiffrés des mesures considérées comme des mesures en faveur du maintien ou de l'accroissement du nombre de travailleurs âgés et vise de manière particulière la catégorie des travailleurs âgés de cinquante-cinq ans et plus.

Le troisième alinéa introduit vise à ce que le Plan pour l'emploi des travailleurs âgés contienne au minimum cinq des mesures en faveur du maintien ou de l'accroissement du nombre de travailleurs âgés de quarante-cinq ans et plus.

Cécile THIBAUT.
Mieke VOGELS.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

À l'article 107 de la loi-programme (I) du 29 mars 2012 sont apportées les modifications suivantes:

1. l'alinéa 3 est complété par un point 8º, rédigé comme suit:

« 8º la transmission des savoirs et des compétences et le développement du tutorat; »;

2. entre l'alinéa 4 et 5 sont insérés les 3 alinéas suivants:

« Le plan pour l'emploi devra contenir des objectifs chiffrés des mesures considérées comme des mesures en faveur du maintien ou de l'accroissement du nombre de travailleurs âgés.

Ces objectifs chiffrés devront contenir une catégorie spécifique relative aux mesures considérées comme des mesures en faveur du maintien ou de l'accroissement du nombre de travailleurs, prises en faveur des travailleurs âgé de cinquante-cinq ans et plus.

Le Plan pour l'emploi des travailleurs âgés devra contenir au minimum cinq des mesures en faveur du maintien ou de l'accroissement du nombre de travailleurs âgés de quarante-cinq ans et plus, énumérées à l'alinéa 3. »

12 juillet 2012.

Cécile THIBAUT.
Mieke VOGELS.

(1) Commission européenne, 2006, L'avenir démographique de l'Europe, transformer un défi en opportunité, COM 2006) 571.

(2) ONEm, Rapport Annuel 2011: http://www.rva.be/D_stat/Jaarverslag/Jaarverslag_volledig/2011/RapportAnnuel2011/index.html.

(3) IDEA Consult, 2011, Carrières plus longues: facteurs de succès et entraves selon l'avis des travailleurs et des employeurs.

(4) Comité d'étude sur le vieillissement, juin 2011, Rapport Annuel.