5-1698/1

5-1698/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2011-2012

5 JUILLET 2012


Proposition de loi relative au développement des systèmes d'appel unifiés pour les gardes de médecine générale

(Déposée par Mmes Cécile Thibaut et Mieke Vogels)


DÉVELOPPEMENTS


Parmi les divers problèmes que rencontrent les médecins généralistes, celui des gardes prend de plus en plus d'ampleur et l'ensemble de la profession demande une réforme en profondeur du système.

Les généralistes ont l'obligation, pour maintenir leur agrément, de participer à un service de gardes. Même si cette obligation de participation ne signifie pas nécessairement de les réaliser effectivement, il se fait qu'il est de plus en plus fréquent qu'il manque d'effectifs pour réaliser cette tâche et que, par conséquence, elle s'alourdit d'année en année, et ce particulièrement dans les zones rurales. Dans les grandes villes, en effet, ces gardes sont assurées par des médecins qui sont en nombre suffisant pour faire en sorte que les gardes soient suffisamment espacées; par contre, dans certaines zones rurales, certains services de garde comptent moins de dix médecins et la tâche devient alors très lourde.

On assiste également à une profonde évolution des mentalités: si, hier, les médecins acceptaient volontiers d'être très disponibles, les plus jeunes revendiquent de plus en plus un respect de la vie privée et un rythme de travail acceptable, ce qui est parfaitement légitime.

Participer aux gardes peut devenir très lourd, particulièrement là où la pénurie se développe. De nombreux médecins se plaignent de la surcharge de travail. Quand un médecin est de garde le samedi, après une semaine de plus de soixante heures, c'est pénible. Quand il fait la garde le dimanche, s'il est appelé trois fois la nuit après une journée bien remplie, il reprend sa semaine le lundi après une journée quasi ininterrompue de trente-six heures. Les médecins n'ont en effet pratiquement aucune possibilité de récupérer. C'est inhumain. C'est aussi dangereux pour la santé publique: peuvent-ils encore garantir des soins de qualité au bout de trente-cinq heures de travail ?

Selon une enquête réalisée par le forum des associations de généralistes en 2009, 52,3 % des déplacements étaient injustifiés, ce qui représente une perte de temps et d'énergie considérable pour ces médecins sachant que, notamment en zone rurale, ces déplacements peuvent parfois être assez importants.

Ce problème des gardes hypothèque l'avenir de la médecine générale, et donc celui de notre système de santé: le poids de cette obligation constitue un véritable repoussoir à l'installation dans les zones rurales, notamment.

Cette situation n'est pas nouvelle et diverses initiatives ont déjà été prises: honoraires de disponibilité, développement des postes de garde, notamment pour réduire les déplacements inutiles ou mise en place de centraux téléphoniques à titre expérimental via le numéro unique 1733.

Le projet-pilote 1733 a retenu toute notre attention. Les appels au 1733 arrivent au centre 100 et une véritable régulation des appels à la médecine générale est opérée. Cette régulation débouche sur l'envoi du médecin de garde pour les seules situations qui le nécessitent. Les patients pouvant se déplacer sont adressés au poste de garde de médecine générale tandis que le recours à l'aide médicale urgente est proposé aux cas les plus graves.

Mais, dans l'état actuel de la législation, un tel dispositif est délicat, notamment en raison du Code de déontologie médicale qui stipule, en son article 118, que le médecin ne peut se soustraire à un appel urgent qu'après avoir acquis la conviction qu'il n'y a pas de réel danger ou que s'il est retenu par une urgence d'au moins égale importance.

Dans un avis rendu le 6 décembre 2008 et publié dans le nº 123 de son bulletin trimestriel, l'Ordre dit: « En attendant une éventuelle réglementation ambulancière analogue, même dans ce cas encore sous extrême réserve, le médecin généraliste doit donc se déplacer « à domicile », toujours à la demande expresse du patient ou de son entourage. »

Le phénomène de « l'opportunité médicale » ou de la pertinence de la demande d'une visite à domicile ne concerne pas exclusivement le service de garde. Chaque médecin généraliste y est confronté, aussi, quasi quotidiennement dans l'exercice normal de sa pratique durant la semaine. La différence majeure est, ici, que le médecin généraliste peut évaluer et juger, mieux et plus correctement, la demande pour ses propres patients.

La demande de soins médicaux provient du patient (ou de son entourage proche) et le médecin généraliste doit toujours y donner une « suite utile », en particulier durant le service de garde pour des patients qu'il ne connaît pas: non par téléphone ou à distance, sans voir le patient, mais au contraire en procédant à un examen approfondi, personnel et physique afin d'éviter des plaintes du chef d'abstention coupable pour avoir ignoré une éventuelle pathologie grave.

Il découle de tout cela que, lorsqu'un médecin de garde est appelé à domicile, il doit toujours se déplacer, sous peine, au minimum, de sanctions disciplinaires.

En ce qui concerne le tri des appels téléphoniques, le conseil de l'Ordre dit: « Le triage au téléphone, même par un personnel non médical bien formé, n'est une solution ni légale ni déontologique au « rejet au sens strict » par un tiers de la demande de soins d'un patient réclamant expressément une visite à domicile pendant le service de garde, au motif que le patient serait censé pouvoir se déplacer lui-même. »

La loi, pourtant, n'est pas aussi catégorique. Les services de gardes sont instaurés par l'arrêté royal nº 78, article 9. Cet article stipule que les organisations professionnelles peuvent organiser des services de garde, sans toutefois les rendre obligatoires. C'est par le biais de l'arrêté ministériel du 21 février 2006 que les généralistes sont soumis à cette obligation de participer au service de garde local pour pouvoir maintenir leur agrément.

En vertu de l'arrêté royal du 8 juillet 2002 fixant les missions confiées aux cercles de médecins généralistes, ce sont les cercles de médecins généralistes qui sont chargés de l'organisation de ces services. Mais cet arrêté précise aussi que les cercles peuvent créer des systèmes d'appel unifiés selon des normes qui sont régies par un arrêté royal du 4 juin 2006. Toutefois, cette législation ne précise pas que ce système d'appels peut trier et réorienter vers d'autres services pour n'envoyer le généraliste à domicile que si c'est vraiment nécessaire.

Notons encore que, en cas d'accident, en vertu de l'article 422bis du Code pénal, le médecin peut être poursuivi pour non assistance à personne en danger. Dès lors que le médecin a connaissance d'un danger potentiel pour la santé d'une personne qui fait appel à lui, il doit examiner le patient et lui apporter les soins nécessaires et ne peut se soustraire à cette obligation que s'il y a danger pour lui, ou si il est retenu par des obligations au moins aussi importantes.

Selon les auteurs, modifier l'article 422bis du Code pénal ne se justifie néanmoins pas, vu la possibilité d'organisation de systèmes collectifs de garde et vu que, pour qu'un médecin puisse être poursuivi sur la base de cet article, il faut qu'il ait connaissance du danger. Dès lors qu'il y a un système de tri, et que l'appel est réorienté ailleurs, il n'en n'a pas connaissance et donc il ne peut pas être poursuivi. Par contre, à partir du moment où le préposé lui donne l'information, il doit se déplacer.

Il reste la responsabilité du préposé: si celui-ci applique strictement la procédure définie par la loi, il est couvert. Dans le cas contraire, il s'expose à des poursuites.

La présente proposition de loi vise un double objectif: utiliser de manière plus appropriée les ressources humaines en médecine générale, tout en assurant un service optimal à la population.

Elle complète ainsi le cadre juridique qui permet la création de centres de dispatching ou de call center et la possibilité d'un triage des soins par un « tiers », au cadre légal des cercles de médecins généralistes: l'article 5, 8º (complété par l'arrêté royal du 9 décembre 2004 modifiant l'arrêté royal du 8 juillet 2002 précité) de l'arrêté royal du 8 juillet 2002 précité est en effet libellé comme suit « L'utilisation éventuelle d'un système d'appel unifié se fait conformément aux articles 2, 5º, et 4, de l'arrêté royal du 4 juin 2003 fixant les conditions dans lesquelles l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités accorde une intervention financière dans le fonctionnement des cercles de médecins généralistes agréés conformément aux normes fixées sur la base de l'article 9 de l'arrêté royal nº 78 relatif à l'exercice des professions des soins de santé. »

Elle rend légale l'organisation d'un triage des appels selon une procédure stricte. De cette manière, en vertu du principe de la hiérarchie des normes, les dispositions de l'ordre visant à interdire le triage des appels deviennent caduques.

La procédure de triage est clairement définie; il reste toutefois à élaborer le questionnaire standardisé pour compléter le dispositif.

Il importe que le personnel chargé du dispatching des appels soit suffisamment formé: c'est pourquoi, il nous a semblé nécessaire que ce personnel dispose d'un bachelor en soins infirmiers, complété par une formation spécifique de cinquante heures.

Dans le prolongement de cette proposition de loi, c'est à une réelle réorganisation territoriale de la garde à laquelle il faudra veiller. En effet, le système de tri devra permettre de guider au mieux un patient qui appelle, en fonction des ressources du système de soins à l'endroit de l'appel. De la sorte, il devra être envisagé, par exemple, des regroupements des territoires de garde autour d'un poste de garde. Celui-ci devra être lié, en vertu de l'arrêté royal du 13 janvier 2006 (1) , à un hôpital avec lequel il conclut une convention, de façon à pouvoir rediriger rapidement le patient, si nécessaire.

On aurait ainsi une possibilité de modulation selon la géographie, d'une part, et selon les zones horaires, d'autre part. Ce sont en effet, là, les deux paramètres qui permettent de finaliser une partie importante de l'équation qui détermine la charge de travail, et donc les médecins nécessaires pour assurer un service de qualité.

Chaque personne qui appelle la garde via un numéro d'appel national unique (1733) est réorienté vers le service 100 qui dessert sa région (identification via le code postal de l'endroit de l'appel). Le préposé applique la grille d'analyse spécifique (arbre décisionnel) qui a été approuvée par la SSMG (2) . En effet, par exemple, un arbre décisionnel bruxellois serait différent d'un arbre décisionnel pour Gouvy, compte tenu de la densité des services offerts.

Le préposé, après application de cet arbre décisionnel, renvoie vers le(s) cercle(s) de médecine générale organisé(s) autour d'un poste de garde, ou vers l'endroit le plus adéquat (hôpital, SMUR (3) , etc.). De cette façon, ce mécanisme est appliqué avant l'intervention éventuelle d'un cercle de médecine générale, excluant par là toute responsabilité de sa part en ce qui concerne l'orientation du patient.

Des mesures connexes doivent bien entendu être prises en parallèle. Ainsi, le développement des postes de garde doit être poursuivi, de même qu'une amélioration de la sécurité des médecins en visite à domicile et/ou au cabinet de consultation. Une meilleure utilisation par la population du service qui lui est offert peut être obtenue grâce à une information adéquate (messages publicitaires, etc.). En effet, les débordements empiètent sur le temps qui devrait être normalement dévolu aux vrais problèmes de santé, au profit d'actes non urgents et non essentiels (certificats médicaux, nouvelles prescriptions de somnifères, etc.)

De cette façon, on améliore non seulement la qualité de la garde mais également, de façon plus générale, celle des soins. Cela permet de sélectionner les demandes qui relèvent réellement de la garde. Ceci est très important car il faut évidemment mettre le patient au centre du dispositif; c'est à lui que doit revenir, aussi, le bénéfice d'un service mieux organisé.

En dernier lieu, il faut prendre en compte l'impact financier. Si l'ensemble du secteur de la médecine générale (en accord avec les différentes politiques menées pour soutenir la première ligne, et en juste coordination avec les acteurs hospitaliers) met en œuvre une politique intégrée et remaniée de la garde médicale, cela devrait, in fine, générer des diminutions de coûts dans la prise en charge de la grande majorité des urgences, qui se font encore aujourd'hui au niveau hospitalier.

Cécile THIBAUT.
Mieke VOGELS.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 2, 6º, de l'arrêté royal du 4 juin 2003 fixant les conditions dans lesquelles l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités accorde une intervention financière dans le fonctionnement des cercles de médecins généralistes agréés conformément aux normes fixées sur la base de l'article 9 de l'arrêté royal nº 78 relatif à l'exercice des professions des soins de santé, abrogé par l'arrêté royal du 31 octobre 2005, est rétabli dans la rédaction suivante:

« 6º un système d'appel unifié: un central téléphonique où des préposés centralisent les appels des patients durant le service de garde dans une zone de soins, les traitent en fonction des conventions fixées, les transmettent au prestataire le plus approprié suivant une procédure déterminée à l'article 2/1 du présent arrêté et procèdent à un enregistrement interne afin de garantir un suivi de la qualité. »

Art. 3

Dans le même arrêté, il est inséré un article 2/1, rédigé comme suit:

« Art. 2/1. Le préposé qui reçoit un appel d'une personne demandant la visite du médecin interroge cette personne selon un questionnaire standardisé dont le modèle est défini par le Roi afin d'évaluer le degré d'urgence du problème, la capacité du patient de se déplacer.

En fonction des réponses obtenues, il convient avec la personne qui appelle:

1º soit que le problème n'est pas urgent et que le patient pourra consulter son médecin en dehors de la période de garde;

2º soit que le problème nécessite une intervention médicale très urgente, auquel cas il transfère l'appel au service de l'aide médicale urgente;

3º soit que le problème nécessite l'examen par un médecin dans les huit heures au maximum, que le patient peut se déplacer, auquel cas il l'invite à se rendre au cabinet du médecin de garde ou au poste de garde;

4º soit que le problème nécessite l'examen par un médecin dans les huit heures au maximum, que le patient est incapable de se déplacer, auquel cas il transfère l'appel au médecin chargé d'effectuer les visites à domicile; dans ce cas, celui-ci doit se déplacer. »

Art. 4

En cas de système d'appel unifié, l'article 118 du Code de déontologie médicale n'est pas applicable.

Art. 5

Le Roi est habilité à modifier les dispositions visées aux articles 2 et 3.

9 mars 2012.

Cécile THIBAUT.
Mieke VOGELS.

(1)  Arrêté royal du 13 janvier 2006 fixant les conditions auxquelles une intervention de l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités peut être accordée aux postes de garde de médecine générale visés à l'article 56, § 4, de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994.

(2)  SSMG: Société scientifique de médecine générale.

(3)  SMUR: Service mobile d'urgence et de réanimation.