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De voorzitster. - Ik stel voor deze mondelinge vragen samen te voegen. (Instemming)
Mme Zakia Khattabi (Ecolo). - Madame la ministre, vous avez arrêté, avec le Collège des procureurs généraux, la circulaire précisant la portée de l'article 216bis du Code d'instruction criminelle relatif à l'extinction de l'action publique moyennant le paiement d'une somme d'argent.
Hier, à la Chambre, en réponse à des questions parlementaires, vous argumentiez que la transaction pénale visait principalement la grande fraude fiscale. Ce n'est déjà pas rien car l'évolution de la gestion de ces dossiers conduit effectivement à minimiser l'impact sociétal néfaste de l'incivisme fiscal et financier, mais cet élément peut paraître dérisoire par rapport aux autres problèmes posés par l'élargissement de la transaction pénale.
Comme nous le craignons depuis plus d'un an, cet élargissement ouvre la transaction pénale à des actes passibles de peines allant jusqu'à vingt ans d'emprisonnement et visant d'autres délits que la fraude fiscale.
Votre circulaire précise ainsi qu'une transaction est envisageable, dans des cas tant de fraude fiscale que de coups et blessures volontaires, en passant par le harcèlement ou la violation de domicile !
Le principe même de l'élargissement du champ d'application de la transaction en matière pénale soulève des objections, et non des moindres. Je pense notamment à la question du dessaisissement du juge de fond auquel le texte aboutit. Le pouvoir judiciaire doit constater l'extinction de l'action publique et se voit imposer une solution dégagée en dehors du prétoire. N'y a-t-il pas là, madame la ministre, un problème d'équilibre des pouvoirs et, dans la mesure où la solution s'impose au tribunal, n'y a-t-il pas là également un problème de constitutionnalité ?
Cet élargissement met par ailleurs à mal le principe selon lequel nous serions tous égaux devant la loi. En effet, même si la transaction ne peut dépasser le maximum de l'amende prévue par la loi, majorée des décimes additionnels, dans les faits, ce système n'est accessible qu'aux personnes qui ont les moyens d'assumer financièrement la transaction. Il s'agit donc, quoi que vous en disiez, Mme la ministre, d'un pas supplémentaire vers une justice de classe, d'autant plus que, comme je l'ai indiqué, la transaction est possible pour des faits passibles de vingt ans de prison et tant qu'une décision définitive n'est pas intervenue, en ce compris en cas de pourvoi en cassation.
L'argument selon lequel cette procédure permettrait et favoriserait une justice efficace et plus rapide ne tient donc pas.
Autre effet qui renforce la discrimination : la personne qui a les moyens de s'offrir une transaction ne verra pas sa faute inscrite dans son casier judiciaire alors que, pour un même acte les personnes qui se trouvent dans l'impossibilité de payer le montant de la transaction, verront une inscription dans leur casier judiciaire.
Enfin, un tel élargissement, qui affecte la nature même de notre système pénal en le faisant basculer dans un système de plea bargaining propre aux pays anglo-saxons, me semble mériter un débat parlementaire de fond car, contrairement à ce que vous avez affirmé en commission de la Chambre - mais vous n'étiez pas encore ministre de la Justice, à l'époque -, le débat n'a pas eu lieu.
Cette modification de notre système pénal bouleverse certains principes classiques de notre droit de la procédure pénale, interroge les fondements du modèle de justice que nous souhaitons et mérite donc à cet égard plus que les cinq heures de débats techniques que nous avons tenus dans le cadre d'un projet de loi portant des dispositions diverses présenté qui plus est par un gouvernement en affaires courantes...
L'honnêteté intellectuelle m'oblige à reconnaître que certains collègues de la majorité - notamment Mme Defraigne, qui présidait alors la commission de la Justice - ne se sont pas trompés car, dans un sursaut de lucidité et en me suivant dans mon indignation, ils ont exigé une loi réparatrice et l'ont obtenue.
Considérant, entre autres, que la mobilisation citoyenne s'organise, les citoyens s'indignant tant sur le fond que sur la forme, mon groupe plaide pour la réouverture du débat.
Madame la ministre, je voudrais vous poser plusieurs questions.
Tout d'abord, votre majorité est-elle disposée à ouvrir le débat qui n'a jamais eu lieu ?
Qu'en est-il de la prise en compte de la loi réparatrice voulue par la majorité et votée par elle ?
Avez-vous prévu d'évaluer l'application de la transaction pénale élargie ? Dans l'affirmative, de quelle manière et dans quel délai ?
Mme Christine Defraigne (MR). - En droit, quand une personne n'a plus sa pleine capacité juridique, elle a parfois ce que l'on appelle « un intervalle lucide ». Je remercie donc Mme Khattabi de me créditer d'un sursaut de lucidité ; elle pourra même constater qu'il s'agit d'un sursaut prolongé.
Madame la ministre, j'avais eu l'honneur et le plaisir de présider, à l'époque, les débats de la commission de la Justice sur cette matière. Nous connaissons le cadre dans lequel l'extension du champ d'application de la transaction pénale est apparue. Elle était liée, d'une manière ou d'une autre, à la problématique du secret bancaire.
Pour parler franchement, la difficulté du texte qui était parvenu à la commission de la Justice, en provenance de la commission Économie et Finances de la Chambre, résidait dans le fait que l'extension du champ d'application de la transaction était possible, alors même qu'un juge d'instruction était saisi, qu'une affaire était pendante devant le tribunal correctionnel ou même en degré d'appel. De plus et surtout, les infractions concernées par cette extension du champ d'application étaient potentiellement larges.
Auparavant, la transaction était limitée aux infractions dont les auteurs n'encouraient pas une condamnation de cinq ans de réclusion. Or le texte ouvrait véritablement les vannes. En effet, en poussant le raisonnement à l'extrême, on pouvait permettre une transaction pénale pour des crimes de sang, des viols. Il a fallu une loi réparatrice sur laquelle la commission de la Justice a d'ailleurs beaucoup insisté, pour contenir le champ d'application et préciser que la disposition ne pouvait pas s'appliquer en cas d'atteinte grave à l'intégrité physique constatée par un juge.
Il n'en demeure pas moins que cette évolution pose évidemment question puisque ce texte modifie notre équilibre et notre système de procédure pénale. En effet, on confisque le débat d'une justice qui doit s'exercer en toute sérénité, par un juge impartial et indépendant.
Certains opposent le fait que le ministère public exerce d'ores et déjà le monopole des poursuites. Certes, mais je rappelle tout de même que si le ministère public décide du classement sans suite d'une plainte, le justiciable a encore la possibilité de lancer une citation directe ou de déposer une plainte avec constitution de partie civile dans les mains d'un juge d'instruction, pour redonner vie à l'action publique. Or, avec une transaction, l'action publique est éteinte.
Certains m'objecteront que la victime doit marquer son accord. C'est tout de même la moindre des choses. C'est un argument a minima.
Se pose également la question de l'absence de casier judiciaire. Quid en cas de récidives ? Cette notion sera de facto supprimée. On pourrait donc conclure une transaction discrète ou secrète avec un dangereux récidiviste, au sens du droit commun mais pas au sens judiciaire du terme. Il n'en subsistera que quelques mentions sur le bulletin de renseignements, toujours aux mains du parquet.
À l'époque, il avait été décidé que le champ d'application de cette loi qui n'a pas mes faveurs, vous l'aurez compris, serait limité dans la circulaire des procureurs généraux. Mais que voit-on aujourd'hui ? Une circulaire instaurant un champ d'application large : corruption privée, incendie volontaire sauf en cas de blessés, vol simple, association de malfaiteurs, évasion de détenus. Nous assistons à un détournement de notre modèle de procédure pénale.
Je souhaite une justice rapide et efficace, mais par d'autres moyens. La formule proposée se caractérise par un mélange de toutes sortes d'arguments : on veut une justice efficace - mais « efficace » ne signifie pas « expéditif » - et on tient à faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'État.
Madame la ministre, dans quelle mesure avez-vous été partie prenante à l'élaboration de cette circulaire du Collège des procureurs généraux ? Êtes-vous en accord total avec ce champ d'application très large qu'elle instaure ? Dans la négative, comment comptez-vous rectifier le tir ? Allez-vous donner un fil conducteur aux types d'infraction qui sont visés par cette circulaire ? Si cette dernière est appliquée telle quelle, ne craignez-vous pas de créer une justice à deux vitesses ? En effet, ceux qui en auront les moyens pourront payer pour être blanchis, pour ne pas se voir opposer un procès, avec toutes les garanties pénales pour le prévenu, la société, les victimes et les parties civiles.
Je suis favorable à une réforme de notre Code de procédure pénale, mais pas d'une façon incohérente. Il faut garder en point de mire le modèle que l'on souhaite mettre en oeuvre et ne pas déconstruire pan par pan, pour un résultat qui ne ressemblerait plus à rien et où les principes fondamentaux et fondateurs de notre système pénal n'auraient plus cours.
Mme Annemie Turtelboom, ministre de la Justice. - La loi sur la transaction étendue a été approuvée en mars 2011 par tous les partis du gouvernement Leterme après de longs débats durant lesquels on a bien pesé le pour et le contre. Cette circulaire, rédigée par le Collège des procureurs généraux, est la traduction pratique de cette loi, ni plus ni moins.
Comme dans chaque affaire, le ministère public doit examiner s'il convient de renvoyer le dossier au tribunal ou si une autre solution est plus indiquée. Le choix d'une transaction peut uniquement être fait si tous les arriérés auprès des administrations sociales et fiscales ont été payés et si la victime marque son accord sur cette proposition de solution.
Tout le monde dénonce une justice lente et surchargée. En raison des prisons surpeuplées et des procédures souvent longues et compliquées, le sentiment règne que la politique d'exécution des peines n'est pas sans faille. Si nous voulons des peines plus effectives, il faut donc faire preuve de créativité. Les prisons sont surpeuplées et la construction de nouveaux établissements prend des années. Nous devons donc miser davantage sur des sanctions alternatives, comme la surveillance électronique. En outre, les transactions sont admises depuis longtemps dans le cadre d'amendes de roulage. Je défends donc avec conviction la circulaire rédigée par le Collège des procureurs généraux.
Dans des dossiers complexes, nous avons déjà pu constater à plusieurs reprises que l'affaire finissait en queue de poisson pour divers motifs de procédure. Dans ce cas, la transaction est une bonne alternative. Si toutes les parties sont d'accord, on peut parvenir à une solution négociée. Les juges ne seront plus occupés des mois durant par un dossier difficile, les batailles procédurières avec des avocats de haut vol pourront être évitées, les victimes seront indemnisées plus rapidement et nous sommes certains qu'un résultat sera obtenu avant que les faits ne soient prescrits.
Il est exact que la transaction étendue peut être appliquée dans une large mesure mais je tiens tout de même à souligner que cela reste une possibilité et non une obligation.
Ce ne sera une solution réaliste conduisant plus rapidement à un résultat que si toutes les parties, y compris la victime évidemment, y consentent. En outre, la circulaire dit expressément que des faits de violence grave contre l'intégrité physique ne peuvent pas entrer en ligne de compte pour une transaction.
Mme Zakia Khattabi (Ecolo). - Je ne doute à aucun moment de votre bonne foi quand vous dites que vous visez un meilleur fonctionnement de notre justice. Ce que je dénonce, c'est que l'on parle bien d'une certaine justice. Vous ne pouvez nier que vous passez à côté de votre objectif dès le moment où la solution proposée pose plus de problèmes qu'elle n'en résout. J'en veux pour preuve la levée de boucliers de la part des acteurs qui seront chargés de la mise en oeuvre de cet élargissement.
Par ailleurs, vous parlez à nouveau du désengorgement de nos prisons. Ceux qui regardent les séries américaines connaissent bien les tractations à outrance propres à la justice américaine. Mais l'incidence de cette mesure sur la population carcérale n'y est jamais évoquée. Or il est un fait que les prisons américaines sont toujours aussi surpeuplées.
Une fois encore, je regrette que vous apportiez des réponses techniques à des préoccupations davantage politiques. En effet, la proposition actuellement sur la table remet fondamentalement en cause la philosophie qui fonde notre système pénal. Outre la justice de classe, ce qui choque également est la confiscation du débat public et démocratique sur un sujet aussi important.
Mon groupe exige la réouverture de la discussion sur l'élargissement de la transaction pénale. À l'époque, nous avions déposé un amendement visant à supprimer l'article en question. Je prépare actuellement un texte tendant à cette abrogation et nous aurons donc encore l'occasion de discuter de cette question.
Mme Christine Defraigne (MR). - La difficulté réside dans le fait que l'on modifie notre système d'instruction pénale de façon quelque peu erratique et incohérente. Je plaide également pour une réforme de notre code d'instruction criminelle, mais je souhaite qu'elle soit globale et cohérente.
Il serait heureux, madame la ministre, que vous preniez l'initiative de mettre les choses à plat et de réunir une série d'experts de la procédure pénale pour reformuler ce code.
La transaction existait déjà, mais son champ d'application était limité tant sur le plan procédural que ratione materiae. Maintenant, ce champ d'application devient beaucoup trop large. Certaines infractions de droit commun n'y ont pas leur place. Ce faisant, le public a le sentiment que l'on évite le débat contradictoire en présence d'un juge indépendant.
Autant la transaction se justifie pour certains types d'infractions, autant pour les infractions de droit commun, comme les associations de malfaiteurs, on donne l'impression de rendre une justice de classe. Le plus nanti pourra commettre un délit parce qu'il aura les moyens de payer. C'est choquant pour le public.