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7 FÉVRIER 2012
I. INTRODUCTION
Au cours de sa réunion du 7 février 2012, la commission des Affaires sociales a donné l'occasion à M. John Crombez, secrétaire d'État à la Lutte contre la fraude sociale et fiscale, de présenter un exposé sur la politique mise en uvre en matière de lutte contre la fraude sociale. La commission a procédé ensuite à un échange de vues à ce sujet.
II. EXPOSÉ DE M. JOHN CROMBEZ, SECRÉTAIRE D'ÉTAT À LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE SOCIALE ET FISCALE
M. Crombez, secrétaire d'État à la Lutte contre la fraude sociale et fiscale, indique que le Conseil des ministres a adopté récemment une première série de décisions qui portent essentiellement sur la mise en uvre des mesures de lutte contre la fraude sociale, prévues dans l'accord de gouvernement, et d'un certain nombre de mesures fiscales.
Il précise qu'il centrera son exposé sur les mesures approuvées lors du Conseil des ministres puisque ce sont elles qui seront soumises en premier lieu au Parlement.
En ce qui concerne la lutte contre la fraude sociale, l'une des mesures prévues a trait à l'instauration d'un mécanisme de responsabilité solidaire pour les salaires ainsi que pour les dettes sociales et fiscales. Si ce point occupe une place prioritaire à l'ordre du jour, c'est parce que les discussions avec plusieurs secteurs ont révélé l'existence d'un grand nombre de problèmes. Les secteurs eux-mêmes ont aussi signalé de nombreuses difficultés dans le domaine de l'emploi, lesquelles ont pour conséquence de créer une concurrence déloyale et de vider le système de protection sociale de sa substance. Les problèmes revêtent des formes diverses et se traduisent, notamment, par la multiplication des statuts précaires. Les secteurs les plus touchés sont ceux de la construction, du transport et du nettoyage.
Outre le mécanisme de responsabilité solidaire, d'autres mesures encore sont prévues dans la note de politique et l'accord de gouvernement. Citons, par exemple, les mesures concernant les faux indépendants, le non-respect des obligations en matière de travail à temps partiel, l'interruption du délai de prescription des amendes dues à l'ONSS et la mise à disposition. Il s'agit en l'espèce d'un ensemble de mesures qui visent à apporter une réponse aux problématiques sociales.
Le mécanisme de responsabilité solidaire et les dispositions relatives au travail à temps partiel font partie du premier train de mesures approuvées par le Conseil des ministres. Ces mesures ont été soumises au Conseil d'État et devraient être présentées sous peu au parlement. Elles figureront dans la loi-programme.
Dans le secteur des titres-services aussi, des mesures seront prises. On constate en effet qu'un certain nombre d'entreprises de titres-services agissent de manière frauduleuse. Elles reçoivent les subventions mais elles ne versent, en contre-partie, aucune cotisation à l'ONSS et ne s'acquittent pas davantage de leurs dettes fiscales envers l'État. Aujourd'hui déjà, l'ONEm peut bloquer le versement des subventions et donc donner l'ordre à Sodexo de ne rien payer aux entreprises. Des mesures ont été prévues afin d'autoriser aussi l'ONSS à activer ce mécanisme de blocage et ce, indépendamment de la procédure d'agrément des entreprises. On s'est rendu compte en effet qu'il fallait réagir assez rapidement contre les montages réellement frauduleux dans le secteur des titres-services. Après un certain délai, ils disparaissent et sont plus difficilement détectables.
Des mesures ont également été prévues en vue de lutter contre la fraude au domicile. Ainsi, les services concernés auront désormais la possibilité, en cas de présomption de fraude au domicile, de réclamer des données supplémentaires pouvant servir d'indicateurs quant à l'existence ou non d'une fraude au domicile. Les fichiers contenant les données de consommation d'eau, d'électricité et de gaz ne seront donc pas systématiquement passés au crible. Ce n'est qu'en cas de consommation basse que ces données pourront être utilisées afin de démontrer l'existence ou non d'une fraude au domicile.
On s'efforcera aussi de développer le procès-verbal électronique. L'utilisation du PV électronique sera étendue et l'on commencera par quatre administrations. Les PV électroniques sont importants pour plusieurs raisons, tout d'abord parce qu'ils facilitent le traitement des dossiers par les inspecteurs et les contrôleurs. Les dossiers peuvent être traités dans des délais plus courts et la perception des amendes peut être plus rapide. Ainsi, si une amende est infligée à la suite d'une inspection sociale par exemple, sa perception est gérée en partie par l'administration elle-même et en partie par l'administration des Finances. En facilitant le transfert électronique des dossiers pour la perception des amendes, on pourra clôturer ceux-ci plus vite que ce n'est le cas actuellement. La procédure n'est pas nouvelle, mais il faut promouvoir le traitement de dossiers par voie électronique.
L'accord de gouvernement accorde une attention aussi soutenue à la fraude sociale et à la fraude aux allocations qu'à la fraude fiscale. Dans le volet « fraude sociale », il y a une rubrique consacrée à l'utilisation de données, à laquelle M. Crombez a déjà en partie fait référence à propos de la mesure relative à la lutte contre la fraude au domicile. La Banque Carrefour de la Sécurité sociale fonctionne déjà à un niveau très élevé et est d'ailleurs très en avance sur les banques de données fiscales. Toutefois, dans le cadre de la lutte contre la fraude sociale aussi, il est capital de faciliter non seulement la détection des risques mais aussi le traitement des dossiers lui-même et ce, grâce à l'utilisation des données dont les pouvoirs publics disposent déjà.
Le secrétaire d'État cite un exemple qui lui a été fourni par des contrôleurs, à savoir les contrôles sur les chantiers de construction. Ces contrôles sont difficiles, complexes et à haute intensité de main-d'uvre. Il est donc capital de pouvoir déterminer, par un système efficace de détection des risques, à quels endroits un contrôle doit impérativement être effectué. On peut y parvenir en améliorant l'échange de données. Cela illustre bien la manière dont le croisement de banques de données — auquel l'accord de gouvernement et la note de politique consacrent beaucoup d'attention — peut améliorer sensiblement le niveau de détection des risques. À cet égard, il ne faut pas se contenter de croiser les données du secteur social et celles des administrations sociales (la Banque carrefour), mais il faut aussi organiser un échange de données avec d'autres banques de données. Cela permettra d'optimiser le travail des services d'inspection et les contrôles aux endroits où il y a une assez forte présomption de fraude.
À l'heure actuelle, les administrations sociales n'utilisent les données fiscales et financières que dans une mesure très limitée. Un meilleur usage de celles-ci devrait permettre de sélectionner de manière plus ciblée les dossiers problématiques.
M. Crombez souhaiterait ensuite aborder la question de la mesure de la fraude. Il est malheureusement impossible de donner une idée exacte du volume de la fraude sociale et de la fraude aux allocations puisque la fraude est, par définition, un phénomène caché et non connu. Lorsque le nombre d'inspections et de contrôles augmente, qu'il y a une meilleure perception des amendes et une augmentation des recouvrements, on en conclut souvent que la fraude elle-même est en augmentation.
Il faut aussi être conscient du fait que, dans la lutte contre la fraude, l'augmentation du nombre de contrôles a aussi pour finalité d'induire un changement de comportement. En effet, le but ultime est non pas de détecter le plus grand nombre de fraudes possible, mais de faire en sorte idéalement qu'il y ait le moins de fraude possible. Toutefois, pour changer les comportements, il faut investir.
M. Crombez souhaite mettre l'accent sur la nécessité de mettre en place un service d'information qui puisse développer un modèle et une méthode. Il serait indiqué de procéder à une analyse comparative dans le cadre du débat sur l'ampleur de certains types de fraude, l'impact de certains types de contrôles et des investissements réalisés par les pouvoirs publics dans le dispositif de contrôle, etc. En effet, à l'heure actuelle, on confond deux choses: on perçoit l'amélioration des recouvrements comme le signe d'une augmentation de la fraude. Ce n'est pas nécessairement vrai; en fait, on ne sait tout simplement pas ce qu'il en est.
Le secrétaire d'État estime qu'il faudrait se pencher davantage sur la standardisation, l'ampleur et l'impact des mesures ainsi que sur les résultats effectifs. De son côté, l'opposition n'a de cesse de proclamer que la lutte contre la fraude est la clef de voûte du budget. Mais c'est là le discours de tout parti qui siège dans l'opposition. Combien rapportera la lutte contre la fraude ? Quelle est l'ampleur du phénomène ? À combien s'élèvent les montants ? Il s'agit d'une matière qui est, par définition, informelle et non connue. Il est de loin préférable d'examiner la situation sur le terrain, les mesures qui seront prises, le changement de comportement à induire et, enfin, l'impact de tout cela sur le budget.
Il y a certaines mesures dont l'impact budgétaire est quasi impossible à calculer et à définir. Si les mesures visant à induire un changement de comportement sont efficaces, elles devraient alors conduire, dans la masse normale des recettes et des cotisations, à une augmentation de l'un de ces deux postes. Si l'on parvient à réduire sensiblement la fraude aux cotisations, la masse globale des cotisations augmentera. Mais, disons-le une fois encore, il est difficile de savoir ce que les mesures de réduction de la fraude aux cotisations ont comme résultat.
L'important est de fixer un cap précis. Chaque année, la Cour des comptes rappelle qu'elle ne dispose pas de données suffisantes pour chiffrer l'ampleur du phénomène avec certitude. Cela signifie non pas que le débat ne doit pas avoir lieu, mais plutôt qu'il faut le rationaliser. C'est ce que l'on a fait par le passé dans le cadre du débat sur le vieillissement; les premières estimations et les premiers chiffres étaient des plus disparates. Ce n'est que lorsque la commission d'étude sur le vieillissement a entamé ses travaux que l'on a pu rationaliser quelque peu le débat.
Le secrétaire d'État conclut en disant qu'il a mis en lumière quelques-unes des mesures qu'il estime importantes ainsi que leurs objectifs et qu'il est prêt à en discuter avec le Parlement. Il n'a aucune objection contre le fait de passer en revue l'ensemble des mesures de lutte contre la fraude sociale figurant dans la note de politique, mais il ne pense pas que ce soit la manière la plus efficace de travailler.
III. ÉCHANGE DE VUES
A. Questions des membres
Mme Lijnen juge que toute forme de fraude porte atteinte à la solidarité de notre système social. Dès lors, elle estime qu'il est essentiel de prendre des mesures de lutte contre la fraude. Elle se félicite donc des mesures proposées par le secrétaire d'État.
Le volet fiscal a été examiné en commission des Finances et des Affaires économiques. Dans le cadre de la fraude sociale, l'intervenante souhaiterait aborder le volet concernant la fraude au domicile, pour laquelle on prévoit la possibilité de consulter les entreprises d'utilité publique en cas de présomption de fraude. Selon Mme Lijnen, il s'agit d'une avancée importante, mais insuffisante. Il est essentiel de s'adresser préventivement et systématiquement auxdites entreprises, et ainsi non seulement de donner un signal fort aux personnes qui commettent continuellement des abus, mais aussi de pouvoir enregistrer des résultats à très court terme. L'intervenante ne comprend pas pourquoi la proposition du secrétaire d'État se limite aux cas où il existe une présomption de fraude. Si l'on utilise systématiquement les instruments disponibles — naturellement dans le respect nécessaire de la vie privée — il sera possible de dépister beaucoup plus de fraudeurs. L'exemple néerlandais prouve que cela est possible dans le respect nécessaire de la vie privée.
Mme Lijnen renvoie au débat sur la fraude à l'identité qui avait été mené, au cours de la législature précédente, en commission de l'Intérieur. À l'époque, on avait évoqué un système binaire qui avait été introduit aux Pays-Bas. Après avoir introduit une donnée dans ce système, les organismes compétents en matière de contrôle d'identité obtenaient une réponse sous la forme d'un 0 ou d'un 1. Ils n'avaient pas accès à plus de précisions, mais ce résultat leur permettait déjà de continuer leur investigation. Mme Lijnen pense que l'on agite le spectre de Big Brother parce que l'on imagine que toutes les données sont publiées sur internet et accessibles à tout le monde. Tel n'est évidemment pas l'objectif. Le but est de créer un système capable de signaler un problème, permettant ainsi de poursuivre l'enquête.
L'intervenante indique que 28 904 domiciles ont été fouillés en 2010, ce qui signifie que leur intérieur a été passé au peigne fin. Il s'agit d'une intrusion particulièrement brutale dans la vie privée des habitants. Elle est persuadée qu'il est préférable d'effectuer d'abord un contrôle au moyen d'un système qui procède à une sélection sur la base de certains paramètres afin de signaler les problèmes éventuels, plutôt que de frapper à la porte du domicile et de contrôler, dans la chambre à coucher, combien il y a de pyjamas sous l'oreiller.
Au début de sa note de politique générale, M. Crombez indique que, selon les études réalisées ces dernières années, l'État perd l'équivalent de 3 à 8 % du PIB en recettes en raison de la fraude. Autrement dit, la fraude représente des montants énormes, et cela vaut donc la peine de prendre des mesures en vue de la limiter autant que possible. Mme Lijnen relève qu'aux Pays-Bas, on peut traquer la fraude au moyen non seulement de la consommation de gaz et d'électricité, mais aussi de la facture d'eau et de l'immatriculation des véhicules. Tous ces éléments peuvent contribuer à introduire des systèmes poussés visant à éviter que des personnes bénéficient, par exemple, d'une allocation, d'un revenu d'intégration ou d'un logement social sans y avoir droit. En outre, cette manière de procéder profitera aux personnes qui ont, elles, bel et bien droit à ces avantages sociaux, mais qui n'en bénéficient parfois pas à l'heure actuelle. Bien entendu, un contrôle de ce type doit être effectué dans le respect absolu de la vie privée des personnes concernées.
Dans une interview, le secrétaire d'État a déclaré que l'on avait surtout enregistré une hausse des recouvrements ces trois dernières années. Peut-il préciser le ratio entre les recouvrements et les perceptions ? En effet, ce n'est pas parce qu'une somme fait l'objet d'un recouvrement que l'argent a réellement été encaissé. Qu'en a-t-il été au cours des trois dernières années ? Dispose-t-on de chiffres sur la proportion de recouvrements par rapport aux perceptions ? Quelle était la situation dans le passé à cet égard et que prévoit-on pour éventuellement la modifier et l'améliorer à l'avenir ?
Mme Lijnen souhaite ensuite poser une question à propos des inspecteurs, qui seront nombreux à atteindre prochainement l'âge de la retraite. Quel est le pourcentage d'inspecteurs concernés ? Comment empêchera-t-on la perte d'expérience qui résultera de ces départs à la retraite ? En ce qui concerne la fraude fiscale, M. Crombez a précisé le nombre d'inspecteurs supplémentaires qui est prévu. Selon la note de politique générale, il y aura aussi davantage d'inspecteurs affectés à la lutte contre la fraude sociale, mais Mme Lijnen constate que l'on n'en précise pas le nombre. Le secrétaire d'État peut-il donner des précisions à ce sujet ?
M. du Bus de Warnaffe remercie le secrétaire d'État pour son exposé concis. Plusieurs éléments sont très importants pour l'intervenant et son groupe. En premier lieu, la lutte contre la fraude s'inscrit dans la politique budgétaire et permet effectivement de boucler le budget. Néanmoins, la lutte contre la fraude sociale doit surtout être un instrument favorisant le sens de la citoyenneté et de la collectivité. Sans principe de solidarité, une société ne fonctionne pas comme il se doit. Ce principe de solidarité est alimenté par le respect des règles, à condition que ces règles soient acceptées de tous, qu'elles soient pertinentes et perçues comme telles. Sur la base de cette analyse, M. du Bus estime qu'il est nécessaire de prévoir des possibilités de coopération avec les différents secteurs concernés.
Le secrétaire d'État fait ainsi référence au secteur des titres-services et à celui de la construction, dans lesquels la fraude existe effectivement. Que pensent actuellement ces secteurs d'une éventuelle collaboration avec le secrétaire d'État afin d'appliquer sa politique et de lutter contre la fraude ? M. du Bus estime que la politique du gouvernement en vue de lutter contre la fraude doit être soutenue par les fédérations sectorielles. Il imagine que la fédération de la construction constate que certaines firmes adoptent des pratiques frauduleuses, et qu'elle peut aussi identifier des problèmes dans la législation. Quel type de collaboration le secrétaire d'État peut-il mener avec les secteurs afin de rendre la législation plus performante et plus correcte et de lutter contre la fraude ?
M. du Bus cite l'exemple du secteur de la santé, et plus précisément des hôpitaux bruxellois, dans lesquels certains médecins sont scandalisés par le fait de devoir parfois dispenser des soins de santé très spécialisés à des personnes qui n'habitent manifestement pas en Belgique et qui ne le cachent même pas. Ces personnes réclament une prise en charge complète en matière de soins de santé par le biais du regroupement familial, alors qu'elles viennent en Belgique uniquement pour recevoir des soins avant de retourner dans leur pays. Comme elles ne parlent pas la langue, elles doivent être accompagnées par un membre de leur famille qui leur sert d'interprète. En raison des spécificités culturelles, le médecin n'est pas toujours certain que l'interprétation est exacte, ni que les conseils et les soins qu'il prodigue au patient sont expliqués correctement. Il s'agit ici de cas de fraude manifeste qui sont particulièrement choquants pour une partie du personnel soignant.
En ce qui concerne un autre volet important des mesures, M. du Bus renvoie à un article publié dans le journal « Le Soir », dans lequel on rappelle que les fonctionnaires de l'ONEM n'ont plus le droit de contrôler les domiciles depuis 2000. C'est désormais l'agent de quartier qui doit le faire. Quel type de collaboration est mis sur pied entre l'ONEM et les agents de quartier ? D'après la presse, cette collaboration laisse à désirer. Est-ce exact ?
Enfin, dans le monde moderne, il est quasiment impossible de lutter contre la fraude sans échanger des données et sans utiliser de manière optimale les différentes banques de données, dont la Banque-Carrefour. Cela implique que le personnel ait accès aux données. Quels sont les besoins nécessaires pour optimiser l'échange de données que le secrétaire d'État a déjà pu identifier depuis son entrée en fonction ? S'agit-il de besoins en matière de formation, de personnel ou de collaboration plus efficace avec les entités fédérées sur certains aspects ?
Mme Franssen se réjouit de voir la lutte contre la fraude sociale et fiscale occuper une place de choix dans l'accord de gouvernement. Il est en effet important de réduire au maximum les possibilités de fraude. Lutter contre la fraude, tant sociale que fiscale, n'est en fait qu'une question de bonne gouvernance.
Mme Franssen souhaite poser quelques questions spécifiques. En ce qui concerne la responsabilité solidaire et les cotisations sociales, la responsabilité solidaire en cascade pour les cotisations sociales est déjà appliquée dans le secteur de la construction. Dans quels autres secteurs pourrait-elle éventuellement aussi être instaurée ? Une concertation sociale a-t-elle déjà eu lieu au sein des différents secteurs envisagés ?
En ce qui concerne le recouvrement des recettes indues, les mutualités seront obligées de communiquer chaque trimestre à l'INAMI le montant total des paiements indus. Seront-elles sanctionnées si elles omettent de le faire ?
Pour ce qui est de la fraude au domicile et des adresses fictives, Mme Franssen se rappelle que dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, il a été souligné sans cesse que ce problème était indissociable de la problématique des marchands de sommeil. Certaines personnes en situation de pauvreté font parfois l'objet d'une exploitation qui doit être replacée dans un cadre plus complexe. Quelle relation entretient l'approche adoptée en matière de lutte contre la fraude au domicile par rapport à l'approche adoptée en matière de lutte contre les marchands de sommeil ?
En ce qui concerne l'horeca et la recherche d'un statut spécifique pour les travailleurs occasionnels, Mme Franssen souligne que M. Dirk Claes a déposé une proposition de loi à ce sujet. Il serait bon d'entamer la discussion sur le travail occasionnel en commission des Affaires sociales du Sénat.
Mme Temmerman se réjouit, elle aussi, de la grande attention portée à la lutte contre la fraude. Elle souhaite poser trois questions. Elle aimerait savoir, dans les grandes lignes, ce qui est prévu au niveau du calendrier et des modalités de mise en uvre, principalement en ce qui concerne les mesures de lutte contre la fraude aux cotisations présentées au point 3.2 de la note de politique générale. Il serait intéressant d'en savoir un peu plus sur les modalités concrètes de mise en uvre des mesures et sur leur délai d'exécution.
Mme Temmerman est tout à fait d'accord sur le fait qu'une analyse correcte est importante et qu'une bonne communication est nécessaire en ce qui concerne le recueil de données. Lorsque l'on commence à mesurer un phénomène particulier et à établir des rapports, cela peut donner l'impression que le phénomène en question a pris de l'ampleur, en particulier s'il n'existait auparavant aucun chiffre en la matière. Même si l'on doit seulement commencer à développer de bons instruments de mesure, Mme Temmerman estime qu'il existe dans le secteur médical une série de statistiques alarmantes en ce qui concerne le recours/le recours abusif à certaines recherches ou thérapies. Dans certains cas, l'évolution observée est clairement à la hausse par rapport à la situation d'il y a quelques années. M. du Bus a, lui aussi, déjà évoqué ce problème. Même si ces statistiques ne sont pas parfaites, elles ont au moins le mérite d'exister et peuvent incontestablement être analysées plus en détail. En effet, une série d'éléments ne peuvent pas être expliqués par un schéma pathologique en hausse ou une augmentation dans l'épidémiologie d'une maladie donnée.
Dans le prolongement de ce qui précède, il est évident que les données de la Banque-carrefour sont très importantes. Qu'en est-il cependant de la loi sur la protection de la vie privée ? De par son expérience d'autres dossiers, tels que celui de l'interruption volontaire de grossesse, Mme Temmerman sait qu'il est possible de demander une dérogation à la commission de la protection de la vie privée afin de recueillir malgré tout certaines données. Des contacts ont-ils déjà eu lieu ou y a-t-il déjà des projets à cet égard ?
Mme Talhaoui siège au sein du comité de direction de « Woonhaven », une société de logements sociaux à Anvers qui gère plus de 18 000 maisons et appartements. Forte de cette expérience, elle a une question concrète à formuler concernant la liaison de base de données. La société de logements sociaux connaît aussi des cas de personnes ayant occupé un logement social alors qu'elles étaient elles-mêmes propriétaires d'un logement qu'elles louaient à des tiers. Dans la plupart des cas, le pot aux roses a été découvert non pas grâce à un recoupement de données, mais simplement parce que l'assistant social l'a appris par hasard ou qu'une amélioration soudaine du niveau de vie a été constatée, ou encore parce que les voisins ont remarqué que d'autres personnes occupaient le logement social pendant huit mois par an alors que les locataires officiels séjournaient ailleurs. Est-il possible de faire le lien entre les sociétés de logements sociaux et le CPAS ? Est-ce également possible avec Eandis pour les factures de gaz et d'électricité ? Enfin, est-il possible d'avoir accès au cadastre ? Le respect de la vie privée est évidemment une affaire délicate, mais il existe peut-être un moyen de découvrir les abus tout en respectant la vie privée. Mme Talhaoui ne voit d'ailleurs pas comment l'on pourrait combattre de tels abus sans l'aide du cadastre.
Selon Mme Lijnen, les exemples cités par Mme Talhaoui montrent qu'il ne suffit pas toujours d'effectuer ce genre de contrôle uniquement en cas de présomption de fraude. Il doit être possible, d'un point de vue technologique, de procéder systématiquement à un tel contrôle, et ce toujours — bien entendu — dans le total respect de la vie privée. L'exemple néerlandais montre que cela est possible. Nos voisins du nord ont mis au jour de cette manière de très nombreux cas de fraude aux allocations. Mme Lijnen invite le secrétaire d'État à faire effectuer de tels contrôles non seulement en cas de présomption de fraude, mais de manière systématique et préventive.
Mme Sleurs soutient le secrétaire d'État dans la lutte contre la fraude sociale et fiscale. En effet, la fraude est un délit qui touche notre société et notre bien-être social en plein cur. L'intervenante a quelques questions à poser et quelques idées à formuler.
Pourquoi le Service d'évaluation et de contrôle médicaux (SECM) de l'INAMI n'est-il pas associé à la lutte contre la fraude sociale et à la mise en uvre du plan d'action 2012 du Service d'information et de recherche sociale (SIRS) ? Ce service compte, à lui seul, 150 personnes alors que les autres services d'inspection sociale réunis ont un effectif du personnel d'environ 900 personnes. En incorporant ce service, on pourrait peut-être déjà réaliser une grande avancée dans la lutte contre la fraude sociale.
Le deuxième point sur lequel Mme Sleurs souhaite attirer l'attention concerne la responsabilisation des organismes assureurs. C'est absolument nécessaire, mais les mesures qui sont prises actuellement ne s'inscrivent-elles pas plutôt dans le cadre d'un audit ? En effet, il s'agit en l'occurrence d'un contrôle du fonctionnement des mutualités. Grâce aux audits, des fraudes commises par les assurés peuvent être mises au jour, mais un tel constat n'est au fond qu'une conséquence de l'analyse approfondie du fonctionnement. Qu'en est-il s'il s'avère qu'une mutualité alloue depuis longtemps des allocations alors qu'elle dispose de données indiquant que le paiement de ces allocations ne coule pas de source ? Dans ce cas, les mutualités peuvent-elles porter une certaine responsabilité financière ? Peut-on donner aux assurés l'impression que le paiement des allocations est malgré tout régulier ? De quelle manière les mutualités seront-elles responsabilisées sur le plan financier ou autre en ce qui concerne, par exemple, le paiement correct des prestations, l'efficacité et le recouvrement effectif de prestations payées indûment ?
Un autre aspect sur lequel l'intervenante souhaite attirer l'attention concerne la responsabilisation des médecins en cas de fraude aux allocations. Les médecins doivent incontestablement être associés à cette lutte, mais Mme Sleurs aimerait obtenir de plus amples explications à ce sujet. La note de politique générale contient peu d'informations en la matière. Quelles mesures envisage-t-on pour le médecin traitant ou le médecin-conseil ? Vise-t-on uniquement l'établissement de certificats médicaux ou veut-on agir au niveau de la fraude à l'identité pouvant être commise chez les médecins ? Aura-t-on recours aussi à des moyens électroniques tels que des bases de données ou eHealth ?
Enfin, selon la note de politique générale, une section chargée d'examiner l'évolution de l'économie souterraine sera constituée au sein du Conseil supérieur des Finances. Quelle sera la mission de cette section ? Quelle sera la relation de cet organe avec les autres parties prenantes ? Comment la fraude sera-t-elle définie et mesurée ?
Mme Morreale insiste sur l'importance de lutter contre la fraude sociale et fiscale afin d'éviter que des abus ne viennent mettre en danger l'ensemble du modèle performant que nous connaissons, en particulier en matière sociale.
Sa question a trait au contrôle de la police sur les domiciles fictifs. Dans le secteur du logement social, il arrive que les opérateurs — publics ou privés — constatent que la personne n'habite pas réellement à l'adresse à laquelle elle est domiciliée. Si la police se présente à deux reprises ou qu'un recommandé est envoyé sans succès, il y a radiation d'office. Par contre, il est beaucoup plus difficile d'obtenir une domiciliation d'office. La police est réticente quand on lui demande d'effectuer une enquête de voisinage.
Le secrétaire d'État estime-t-il que la législation est suffisante pour excercer un contrôle sur de telles situations de fraude et opérer des domiciliations d'office ? A-t-il connaissance d'une jurisprudence en défaveur de constats posés par des opérateurs, qu'ils soient publics ou privés ?
Mme Saïdi souhaite formuler certaines préoccupations au sujet de l'utilisation des données de la plate-forme eHealth. La plate-forme eHealth n'a pas été conçue comme un instrument de lutte contre la fraude sociale. L'intervenante estime même qu'il y a un risque de rupture de confiance du côté des utilisateurs du système. Des contrôles n'ont-ils pas déjà lieu en cas de suspicion de fraude ? Cette mesure lui paraît particulièrement difficile à accepter et elle appelle de ses voeux la tenue d'un débat approfondi avant que ladite mesure ne soit mise en uvre.
B. Réponses du secrétaire d'État
M. Crombez, secrétaire d'État à la Lutte contre la fraude sociale et fiscale, comprend très bien les nombreuses questions des sénateurs. Il n'a évidemment pas encore pu mettre en uvre tout ce qui est prévu dans sa note de politique. S'il a choisi de prendre rapidement un certain nombre de mesures, c'est pour des raisons spécifiques liées, d'une part, à la faisabilité d'une mesure rapide et, d'autre part, à l'Europe. Non content d'exiger que les mesures soient inscrites dans un accord de gouvernement, l'Europe souhaite en outre qu'elles soient traduites au plus vite en textes législatifs dans une série de domaines. Lorsque l'Europe évalue le budget, elle ne se contente pas de mesures prometteuses, mais elle exige aussi leur concrétisation rapide de manière à montrer que les recettes se situeront dans la ligne des prévisions.
Pour une série de question, la réponse est que la mise en uvre des mesures prévues dans la note de politique se trouve pour l'instant encore au stade initial et est évidemment encore incomplète.
M. Crombez rejoint la majorité des intervenants à propos de la discussion relative à la vie privée. En outre, chaque débat sur la vie privée évoque immédiatement des images de Big Brother. Le secrétaire d'État peut adhérer à de nombreux systèmes proposés en l'espèce afin d'optimaliser l'utilisation de données. Il entend entamer le débat sur cette question avec le Parlement qui est chargé du contrôle en la matière.
Selon M. Crombez, deux points sont essentiels. Premièrement, il faut faciliter les dossiers pour les inspecteurs et les contrôleurs qui doivent disposer des données. Il s'agit, à cet égard, non seulement de données, mais aussi d'informations pouvant être fournies par la police ou les CPAS, à propos des signes extérieurs par exemple. Deuxièmement, il s'agit du datamining, ou de la recherche ciblée de liens dans de grandes compilations de données. En d'autres termes, il doit être possible de réunir un maximum de données dans une blackbox et, grâce à elles, de procéder à la détection de risques. Il s'agit, jusqu'à présent, d'une extension très limitée de l'utilisation et du couplage des bases de données.
M. Crombez donne un exemple de dysfonctionnement. Pour le moment, la plupart des contrôles de la TVA sont basés sur des listes qui ont été dressées à l'aide du datamining. Les contrôleurs sont obligés d'utiliser ces listes lors du choix de leurs contrôles. Mais si le dataming n'est pas efficace, les contrôleurs savent à l'avance que certains contrôles ne seront pas utiles. Or, ils sont tenus de suivre la liste. Lorsque le datamining ne fonctionne pas convenablement, le résultat est précisément le contraire de l'objectif, c'est-à-dire que les contrôleurs aillent là où il y a des risques réels de fraude. En outre, l'objectif est également que les contrôleurs se présentent de moins en moins là où il n'y a pas de problèmes, que ce soit dans des entreprises ou chez des particuliers. Le datamining peut, en effet, fonctionner dans deux sens et détecter tant le risque élevé que le risque faible.
Même à un stade très précoce, la discussion qui a lieu actuellement fait planer pour certains l'ombre de Big Brother. Selon le secrétaire d'État, la solution consiste en une analyse approfondie des dispositifs existants dans le domaine de la régulation et du contrôle de la vie privée. Le système actuel prévoit que la finalité de l'utilisation des données doit être définie, au même titre que les personnes qui peuvent en faire usage, ce qui doit faire l'objet d'une autorisation au cas par cas. Il est permis de se demander si cette façon de procéder est optimale et si un projet très poussé de couplage de bases de données basé sur ces notions légales peut être mis en uvre. M. Crombez constate que la Banque Carrefour de la Sécurité sociale est une réussite. Un projet de ce genre n'a toutefois pas encore abouti au SPF Finances, bien que des investissements aient été consentis et que le système soit en cours de développement. Il y a néanmoins clairement une différence au niveau de la vitesse de mise au point du concept global.
Quant au secrétaire d'État, les choses sont claires: le datamining doit recouper un maximum de données sociales et fiscales afin de travailler de la façon la plus efficace qui soit, ce qui aidera à atteindre l'objectif et créera la possibilité de mobiliser autant de contrôleurs et d'inspecteurs que possible là où les problèmes se trouvent réellement. Ils effectueront, en outre, le minimum de contrôles là où il n'y a pas de problèmes. De cette manière, les ménages et les entreprises, qui font de leur mieux pour suivre les règles, peuvent être exemptés de ce type de contrôles.
Qu'est-ce qui est nécessaire à cet effet ? Il faut, tout d'abord, une réglementation qui crée suffisamment de flexibilité pour utiliser les données, en particulier des données codées. Il faut pouvoir procéder avec plus de flexibilité que ce n'est le cas aujourd'hui. Il n'y a toujours pas de couplage de bases de données qui devraient être couplées les unes aux autres selon la logique des choses.
Un deuxième aspect est la formation qui est certainement nécessaire pour le datamining. Le véritable datamining est une spécialité qui requiert une expertise. Il avait été annoncé aux Finances qu'un groupe d'agents spécialisés dans le datamining serait constitué et qu'ils suivraient une formation spécifique. Ce groupe a déjà été mis sur pied, mais il n'en est pas encore au stade de pouvoir garantir une utilisation optimale dans tous les services.
Troisièmement, une plate-forme standardisée est nécessaire. Au niveau technique, la discussion concernant la façon d'établir une communication entre, par exemple, les bases de données des Finances et les bases de données de la sécurité sociale est toujours en cours. Utilisent-elles la même norme de données ? En cas de couplage, seront-elles compatibles ? Ou, le système doit-il être adapté dans l'une des deux ? Il est encore trop tôt pour donner une réponse détaillée à ces questions. Il n'y a pas de norme uniforme à ce stade et le croisement des données de différentes administrations pose encore problème.
En résumé, on peut dire qu'il y a un besoin de législation, de formation et de standardisation.
Le gouvernement souhaite améliorer autant que possible l'efficacité du système et le fonctionnement de l'inspection et du contrôle, et utiliser les moyens de la manière la plus adéquate. Grâce à la généralisation des dossiers électroniques et à l'utilisation accrue des banques de données, on constate une plus grande efficacité de traitement dans plusieurs administrations. C'est un élément important dans le cadre du vieillissement et de la disponibilité de l'effectif des inspecteurs. Grâce au croisement des banques de données lors des contrôles administratifs, le nombre de dossiers détectés auprès de l'ONEM est passé de 31 000 à 52 000 sur la période 2007-2010, une augmentation qui concerne aussi bien les salariés que les indépendants. Cela ne signifie pas pour autant que l'on a mobilisé beaucoup plus de contrôleurs et d'inspecteurs. Au contraire, on a augmenté le nombre de contrôles effectués en utilisant les données et en traitant les dossiers plus efficacement. 13 millions d'euros ont été recouvrés en 2007, et plus de 27 millions d'euros en 2010.
Le renforcement des banques de données et le traitement plus efficace des dossiers — qui n'impliquent pas nécessairement une forte augmentation du nombre d'inspecteurs — ont été amorcés par les prédécesseurs de M. Crombez. Selon ce dernier, si le fonctionnement est plus efficace aujourd'hui, c'est grâce à la création du Collège pour la lutte contre la fraude fiscale et sociale, au sein duquel les différentes administrations peuvent conclure des conventions sur les systèmes, les normes et l'échange de données. La création de ce Collège a véritablement constitué une grande avancée.
La magistrature est, elle aussi, représentée dans ce Collège. En effet, lorsqu'on parle du fonctionnement plus efficace des contrôles et des inspections, on évoque rarement le feed-back aux inspecteurs concernant l'application des peines. Les inspecteurs tentent de détecter des cas de fraude et saisissent un certain nombre de dossiers, mais ils ne reçoivent que rarement, voire jamais, de feed-back sur le nombre de ces dossiers qui ont réellement donné lieu à un recouvrement et à une perception. On ne dispose souvent pas de statistiques, notamment parce que les diverses administrations (Justice, Finances, Départements sociaux, SPF Économie) ne les traitent pas de la même façon. Il est impossible de mentionner une proportion réaliste du nombre de recouvrements qui donnent lieu réellement à une perception, tellement les données divergent. M. Crombez a déjà participé à un échange de vues à cet égard avec la plupart des administrations et reviendra volontiers sur la question lorsqu'il en saura plus. En effet, pour le bon fonctionnement des inspections, il est fondamental que celles-ci puissent voir dans quelle mesure les sanctions sont appliquées. La lutte contre la fraude s'articule autour de deux axes: le risque de se faire prendre et l'amende. Si le risque de se faire prendre est de 100 % mais qu'aucune amende n'est jamais infligée, le fraudeur continuera allègrement ses pratiques.
En ce qui concerne la fraude au domicile, le secrétaire d'État indique que les mesures proposées constituent une première phase. Il faut partir du principe que tous les cas de fraude aux allocations et aux cotisations mettent en péril le système de protection sociale.
M. Crombez est d'accord sur le fait que la première étape est insuffisante en soi. La fraude au domicile revêt d'ailleurs de nombreuses formes: on distingue ainsi la fraude au divorce, la vente de domiciles, la problématique des marchands de sommeil ou la location d'une boîte aux lettres afin de lier une allocation à une adresse où personne n'habite. En outre, c'est un phénomène en forte expansion qui est beaucoup plus difficile à combattre dans les villes qu'à l'extérieur de celles-ci. La mesure proposée en matière de fraude au domicile concerne une seule forme de ce type de fraude. Une approche efficace requiert absolument une collaboration entre services. Certaines maisons possèdent un grand nombre de boîtes aux lettres, et il faut contrôler si quelqu'un habite bien aux adresses mentionnées. La mesure proposée est certes limitée, mais le secrétaire d'État souhaitait agir sans attendre. De plus, on découragera les fraudeurs potentiels en montrant que l'on agit contre la fraude et que des interventions sont réellement menées dans les villes.
En ce qui concerne les inspecteurs, le gouvernement a prévu initialement 9,5 millions d'euros pour les inspections fiscales et financières. Le SPF Finances a utilisé ce budget en engageant 276 inspecteurs supplémentaires dont 135 à l'ISI, une partie aux Douanes et Accises, et une autre partie comme explorateurs de données et de spécialistes juridiques. Le personnel de l'ISI est nettement en sous-effectif par rapport au personnel qui serait nécessaire idéalement dans les services extérieurs. La Cour des comptes évoque des effectifs de plus de 600 personnes dans les services extérieurs alors qu'ils ne comprennent que 410 personnes en réalité. L'engagement de 135 personnes supplémentaires constitue donc une opération de rattrapage.
2,1 millions d'euros sont prévus pour l'affectation d'inspecteurs supplémentaires aux inspections sociales. Ce chiffre ne figure pas dans la note de politique générale, parce que l'on a pris une décision sur le montant, mais pas encore sur la répartition et l'utilisation de ce budget. La décision sera prise dans les prochaines semaines, en fonction de l'utilisation la plus efficace. Ce point est lié à la question du vieillissement, au sujet de laquelle M. Crombez a déjà reçu une grande quantité d'informations de la plupart des administrations. Il préfère attendre que le projet global soit connu. Néanmoins, dans le contexte plus large d'un meilleur fonctionnement de l'ensemble des inspections et des contrôles, il est logique de renforcer efficacement les administrations qui ont le plus besoin de personnel.
Pourvoir ces postes n'est pas si évident, car la situation diffère considérablement selon le domaine et le type d'inspection. Par exemple, les inspections sociales sur des chantiers de construction, qui peuvent prendre toute une journée, nécessitent des effectifs très importants. Les contrôles de ce type représentent une énorme charge de travail et requièrent encore tout un traitement administratif par la suite. Par contre, certaines inspections fiscales peuvent, pour ainsi dire, être effectuées à distance.
Il est important de favoriser un traitement multidisciplinaire efficace des dossiers. Un dossier essentiellement fiscal qui est traité par l'inspection fiscale contient souvent aussi un volet social. Dans ce cas, il serait bien plus simple qu'une personne possédant une expertise sociale soit associée à l'examen du dossier. Pareille collaboration devrait permettre d'accélérer considérablement le traitement des dossiers. On procède déjà de la sorte au compte-gouttes, mais c'est nettement insuffisant.
Une question a également été posée au sujet de la collaboration avec les secteurs et de la mise en place de partenariats éventuels. L'exemple le plus concret est la responsabilité solidaire, pour laquelle il y a eu une concertation avec les secteurs, qui sont certainement demandeurs et souhaitent qu'une mesure soit prise dans les plus brefs délais. Il en va de même pour certains secteurs au sujet du problème des faux indépendants. Ces deux thèmes sont importants pour les employeurs à cause des responsabilités supplémentaires qui leur sont conférées et de l'instauration d'une présomption réfragable de l'existence du lien de subordination. Il s'agit de deux sujets très délicats pour les employeurs. Quoi qu'il en soit, les secteurs à risque sont particulièrement demandeurs, surtout en raison de la concurrence déloyale que ces pratiques leur font subir et qui a parfois des conséquences fatales.
En quoi consistera exactement la collaboration ? Concernant la responsabilité solidaire et les faux indépendants, il est prévu que les employeurs pourront réagir eux-mêmes. Les instruments nécessaires à cet effet seront mis à leur disposition. Lorsque des entreprises sérieuses seront informées qu'il y a un problème, elles auront un certain délai pour tout remettre en ordre. Le but est de tenter d'éviter que des entreprises malhonnêtes ne créent une concurrence déloyale. Les secteurs à risque sont en grande partie d'accord sur ce point. La lutte contre les entreprises fictives est elle aussi importante, parce que des entreprises malhonnêtes se placent parfois en aval d'une entreprise fictive. Lorsque l'inspection affirme que la responsabilité incombe au contractant, il s'avère alors que ce dernier n'existe pas.
Les secteurs sont donc demandeurs, mais chaque secteur a ses spécificités. Les problèmes rencontrés par le secteur du nettoyage sont fort différents de ceux du secteur de la construction. Dans les différents volets de la problématique des faux indépendants et de la responsabilité solidaire, l'entrée en vigueur des nouvelles lois sera précédée d'une concertation sectorielle sur les aspects propres à chaque secteur. Le but est de réaliser cette concertation le plus rapidement possible.
La question de savoir comment procéder se pose en matière de soins de santé. Compte-t-on utiliser les bases de données pour responsabiliser les médecins ? La réponse de M. Crombez est un oui clair et sans réserve. Les bases de données seront utilisées pour tout le monde, donc aussi pour les médecins.
Beaucoup d'informations sont délicates dans le domaine des soins de santé. La détection du risque doit cependant être possible. L'on doit pouvoir constater si le comportement prescripteur des médecins présente des valeurs anormales, qu'il s'agisse de certificats ou de médicaments. En procédant dans l'ordre décroissant de gravité des abus ou des anomalies, l'on crée en outre un modèle induisant un changement d'attitude. Les données sont effectivement nécessaires afin de pouvoir constater la présence de valeurs anormales. Un vérification de ce genre peut avoir lieu dans une blackbox, elle ne doit pas concerner distinctement et nommément chaque médecin. En procédant au datamining dans une blackbox, l'ensemble des données sont contrôlées afin de trouver des valeurs anormales. Les inspections ne peuvent commencer qu'à partir du moment où il y a un décodage.
Mme Franssen s'est informée au sujet de l'avancement de l'instauration d'un système de responsabilité solidaire en cascade pour les cotisations sociales dans d'autres secteurs que la construction. Selon M. Crombez, plusieurs secteurs sont demandeurs ou sont considérés comme des secteurs avec lesquels il ne faut pas tarder à entamer un dialogue. Il s'agit, en l'occurrence des secteurs de la construction, du transport et du nettoyage, ou du secteur du commerce de la viande, par exemple. Des mesures doivent également être prises au sujet des faux indépendants. Dans le débat relatif à l'emploi d'Européen de l'Est sous des faux statuts, par exemple, l'on peut constater que la fermeture ou la non-ouverture des frontières aux Bulgares et aux Roumains a eu pour conséquence que des travailleurs de ces deux pays emploient des statuts fictifs, comme celui de faux indépendant. L'ouverture des frontières n'induira pas de changement de comportement selon M. Crombez. Ces personnes savent en effet qu'il est possible de travailler dans notre pays de façon relativement sûre sous le statut de faux indépendant. Il convient dès lors de s'attaquer sérieusement au statut de faux indépendant avant d'ouvrir les frontières.
En matière de travail occasionnel, de nombreux points de l'accord de gouvernement doivent être mis en uvre. M. Crombez est disposé à débattre au Parlement de chaque proposition de loi déposée sur cette question. Si des propositions existent, il est bon de mener ce débat. Il est utile de choisir la voie la plus rapide.
Quant au timing en matière de lutte contre la fraude aux cotisations, M. Crombez annonce que la partie sur la responsabilité solidaire sera normalement soumise au Parlement dans le cadre de la loi-programme. Très prochainement donc. Il en va de même pour l'interruption de la prescription en cas d'enquête (des montants dus à l'ONSS) dans un dossier donnant lieu à des investigations supplémentaires. Nombre de ces dossiers sont tombés sous le coup de la prescription parce que l'enquête a dépassé la date de la prescription et a duré plus longtemps que le délai de prescription de trois ans. En ce qui concerne les faux indépendants, le but est de soumettre également un texte au Conseil des ministres au cours des prochaines semaines afin de s'attaquer aux secteurs à risque dans les plus brefs délais. Dès que la responsabilité solidaire sera un fait, un timing sera convenu avec les secteurs afin de prendre ensuite au plus vite les mesures nécessaires relatives aux sociétés fictives.
Quant à la lutte contre l'absence de notification par les mutualités, M. Crombez est favorable aux sanctions. Sigedis (Sociale Individuele Gegevens — Données individuelles sociales) ne prévoit pas de sanctions en cas d'absence de notification. Par conséquent, il n'y a pas de notification et la loi n'est pas respectée. Le dossier Sigedis sera normalement soumis au gouvernement aux cours des prochaines semaines par le ministre des Pensions.
En matière de loi sur la vie privée, il faut surtout s'interroger sur l'existence des dispositions légales nécessaires permettant de coupler aisément les différentes bases de données. Le secrétaire d'État ne se fait d'ailleurs guère d'illusions: toute démarche visant à utiliser de manière plus poussée les données disponibles afin de dépister le risque de fraude suscitera inmanquablement des allusions à Big Brother. La base légale devra être particulièrement solide. Si l'on veut que le système soit efficace, le recoupement de données est en effet indispensable et évident. Cela vaut pour la lutte contre la fraude et même pour la fourniture de services. Pour une demande d'agrément, par exemple, une entreprise doit s'adresser à une série d'administrations, alors que les autorités disposent de toutes les données. Pourquoi une entreprise ne pourrait-elle pas simplement s'adresser à une seule autorité pour obtenir le nécessaire ? Même du point de vue de la position concurrentielle internationale, il est parfois important d'obtenir rapidement un agrément. Bien que la finalité soit totalement différente, il s'agit aussi en l'occurrence du couplage des bases de données et du recoupement des données.
D'après M. Crombez, il est de bon aloi d'avoir une discussion avec plusieurs secteurs, médecins et autres, afin d'expliquer ce qu'est exactement le datamining. De quoi a-t-on peur ? Si les gens savent ce qu'est le datamining, ils demandent ensuite si c'est une bonne chose ou non. Or le système existe déjà, pour les contrôles TVA par exemple, sans qu'il y ait une violation de la vie privée. Le respect de la vie privée serait-il menacé si le comportement prescripteur des médecins faisait l'objet d'une enquête ? Par souci de clarté, il ne s'agit pas d'une inspection dans des dossiers concrets de patients, mais de l'utilisation d'indicateurs. Ces derniers peuvent établir qu'un médecin peut avoir plus de dossiers d'un certain type qu'un autre médecin, ce qui peut avoir une explication parfaitement logique. Aussi convient-il de combiner différentes données, précisément afin de trouver des valeurs anormales.
L'intervenant estime qu'il n'y a aucunement lieu de s'inquiéter du fait que le datamining est déjà utilisé à l'heure actuelle dans certains secteurs publics. Pour commencer, le datamining est effectué dans une boîte noire. L'identité des personnes visées par les recherches n'est pas connue. Deuxièmement, la loi sur le respect de la vie privée doit définir la finalité, laquelle sera examinée par un fonctionnaire. Il n'est donc pas question de créer une base de données croisée librement accessible à tout le monde. Il sera précisément défini quel fonctionnaire sera habilité à consulter quelle base de données et dans quel but. C'est déjà le cas à l'heure actuelle et il en sera de même à l'avenir. En outre, le système pourra enregistrer qui a consulté quelles données afin qu'il soit possible de vérifier, en cas d'abus, qui a eu accès aux données concernées.
Lors d'un contrôle de domicile, l'investigation est menée à l'intérieur même de l'habitation, jusque dans les garde-robes. Ne serait-il effectivement pas préférable de concevoir un pouvoir public plus efficace de telle manière que l'on puisse réduire de telles visites à leur plus simple expression ? Les pouvoirs publics disposent en effet déjà d'une multitude de données.
M. Crombez ne fera plus de déclarations à propos de la plate-forme eHealth pour le moment. La responsabilisation des médecins signifie que l'on tente de détecter les situations anormales. Qu'en est-il si un médecin a plus de prescriptions ou plus de prescriptions d'un certain type ? Il se peut qu'une raison parfaitement légitime le justifie, et il n'est pas correct de considérer un médecin comme suspect pour ce seul motif. C'est justement la raison pour laquelle le croisement de données est dans l'intérêt de la protection de la profession. Le secrétaire d'État sait que chaque mesure débouchera sur ce débat. C'est effectivement une matière délicate, mais M. Crombez ne souhaite pas faire une exception pour les médecins avant même que le débat n'ait véritablement commencé.
La possibilité d'effectuer un contrôle du patrimoine en cas d'abus en matière de logement au sens large est une question très pertinente. L'on envisagera aussi certainement d'associer les entreprises d'utilité publique. M. Crombez a déjà convenu avec Mme De Block, secrétaire d'État à l'Asile et la Migration, qu'un certain nombre de mesures seront également prises en ce qui concerne la fraude aux allocations, les CPAS et la constatation de patrimoines. Les grands CPAS sont en train de créer une cellule d'inspection précisément pour induire un changement de comportement. Ils sont aussi confrontés à la frustration de voir que le statut d'un allocataire auprès d'un CPAS ne correspond pas toujours aux signes extérieurs arborés par l'intéressé, la voiture en étant un exemple typique. Il faut donc veiller à ce qu'ils disposent d'un meilleur instrument d'évaluation à cet égard car, à l'heure actuelle, il est souvent très difficile de juger si les bénéficiaires ont ou non effectivement droit aux prestations revendiquées. On ne sait pas encore clairement si le cadastre pourrait être utilisé également. L'intervenant examinera avec Mme De Block comment il serait possible d'améliorer ce genre d'évaluations. Les CPAS sont également demandeurs. En outre, il s'agit d'un problème qui crée beaucoup de tensions sociales, et un changement de comportement est dès lors indispensable. Le problème est moins important qu'il n'y paraît, mais cela n'enlève rien à son importance.
Le secrétaire d'État s'est déjà entretenu avec le service d'évaluation et de contrôle médicaux de l'INAMI. Aucun accord n'a encore été conclu, mais la question est très légitime.
Pourquoi a-t-il été décidé d'instituer une section au sein du Conseil supérieur des finances ? Pour commencer, il est important de soumettre à la discussion un certain nombre de benchmarks et de normes en ce qui concerne l'ampleur de la fraude, ainsi que l'impact et l'efficacité des mesures. Une commission d'étude sur le vieillissement a déjà été instituée au sein de la section Finances du Conseil supérieur. Il ne s'agit pas d'une nouvelle administration et cela n'engendre pas de coûts supplémentaires. Ce sont les mêmes personnes qui réalisent les études. Selon M. Crombez, créer cette section au sein de la section Fiscalité — en collaboration éventuelle avec un certain nombre d'experts, comme cela se fait également pour le vieillissement — est la meilleure manière de soumettre chaque année à la discussion le benchmarking et la standardisation, sans que cela entraîne un surcoût important. L'expertise existe, d'où la proposition d'intégrer cette section au sein du Conseil supérieur des Finances.
Enfin, d'aucuns se sont interrogés sur la participation de la police. La police est déjà associée au Collège pour la lutte contre la fraude fiscale et sociale. M. Crombez a maintenant également invité l'intégration sociale. Le Collège entretient des contacts avec les magistrats, la police et tous les autres protagonistes. Il s'avère que les différents intéressés ne sont pas toujours bien au courant de la manière dont procèdent les autres. C'est pourquoi le secrétaire d'État a proposé que l'intégration sociale soit intégrée dans le Collège afin de permettre un échange de vues direct avec les départements des Finances et des Affaires sociales ainsi qu'avec la magistrature et la police.
C. Répliques
Mme Lijnen constate que le secrétaire d'État ne dit pas qu'il se limitera aux cas de présomption de fraude, mais qu'un premier pas est actuellement franchi dans sa politique: il est au début de la mise en uvre de celle-ci et doit choisir ses priorités.
Mme Temmerman estime qu'une excellente communication est essentielle. En effet, certains médecins réagiront immédiatement, craignant d'être instrumentalisés en tant que médecins en vue du signalement obligatoire de certains éléments. Or il n'en est rien. Les médecins ont des profils qu'il est possible de contrôler sans porter préjudice au respect de la vie privée ni à la relation avec le patient. Un médecin qui établit de très nombreuses attestations pour l'assistance sociale peut le faire soit parce qu'il soigne une patientèle déterminée soit parce qu'il fraude. Ce n'est pas parce que l'on n'a pas un profil moyen qu'il n'y a pas d'explication logique. Cela peut toutefois constituer un indicateur signalant qu'il serait opportun d'effectuer une visite, après quoi le médecin devra fournir des explications sur les dossiers. Les pouvoirs publics n'utiliseront donc en aucun cas les médecins comme des espions dans un scénario à la Big Brother, et il est important que cela soit clairement communiqué.
La rapporteuse, | La présidente, |
Marleen TEMMERMAN. | Elke SLEURS. |