5-1482/1

5-1482/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2011-2012

10 FÉVRIER 2012


Proposition de loi visant à permettre la récupération des aides publiques octroyées à des entreprises bénéficiaires en cas de réduction socialement injustifiée de l'activité

(Déposée par M. Jacky Morael et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Au cours de ces dernières années, les aides publiques aux entreprises se sont multipliées dans l'objectif légitime de soutenir le développement de l'activité et de l'emploi et, dans certains cas, d'orienter les choix stratégiques des entreprises (investissement en recherche et développement, engagement de travailleurs de catégories particulières, ...).

Ces aides publiques sont toutefois trop peu souvent conditionnées au maintien ou à la création d'emploi, ce qui conduit à des effets d'aubaine choquants. Ainsi, malgré leurs bénéfices importants, certaines entreprises recourant à ces aides publiques décident de procéder à des licenciements collectifs dans notre pays, dans le seul but de maximiser leurs profits, sans prendre en considération les conséquences de leurs décisions sur notre économie. Ce fut le cas de façon spectaculaire très récemment dans le cadre du dossier Arcelor Mittal. Malgré des aides publiques importantes, directes et indirectes, la multinationale a annoncé son intention de ne pas relancer la phase sidérurgique à chaud en région liégeoise. C'est aujourd'hui la prospérité de toute une région qui est menacée par cette décision d'un des plus riches industriels au monde.

La présente proposition de loi vise donc à ce que le maintien ou le développement de l'emploi conditionnent beaucoup plus strictement l'octroi des aides diverses apportées par l'État aux entreprises. L'objectif de cette proposition est d'encourager les entreprises concernées à privilégier la poursuite et le développement des activités à moyen terme, plutôt que la réalisation de bénéfices à court terme.

Un contexte budgétaire particulièrement difficile, menaçant les politiques sociales et d'investissement

L'Europe traverse la pire crise économique, financière et sociale depuis la Seconde Guerre mondiale. La répartition des richesses est de plus en plus déséquilibrée. Cette crise se double par ailleurs de crises démographique et environnementale qui s'accélèrent.

Pour sortir de la crise de la dette souveraine, certains ne jurent que par l'austérité. Mais il est plus que jamais nécessaire de conserver et de dégager des marges de manœuvre pour assurer la solidarité entre les personnes, notamment via un financement suffisant de la sécurité sociale, pour investir dans les emplois de demain et pour réussir la nécessaire transition écologique de l'économie. L'assainissement budgétaire à réaliser pour éviter de léguer une dette insoutenable aux générations futures nécessite une répartition correcte de l'effort et une participation de toutes les catégories sociales, proportionnelle à leur capacité contributive propre.

Des pratiques socialement et éthiquement insupportables de maximisation du profit au détriment de l'emploi, dans le contexte d'une économie de plus en plus financiarisée

Dans un tel contexte, les pratiques de certaines entreprises qui, visant à maximiser à tout prix leur profit, procèdent à des licenciements collectifs, voire à des fermetures ou à des délocalisations alors que, dans le même temps, elles continuent à enregistrer des bénéfices, apparaissent socialement plus injustifiables encore que par le passé et contrastent avec l'état général de l'économie et avec cette nécessité d'une juste contribution de chacun à l'effort général. Ces comportements opportunistes inacceptables vont à l'encontre du principe économique de bon sens selon lequel « les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain ».

Une étude empirique, réalisée par deux chercheurs de la Princeton University, a montré l'évolution des relations entre les marchés boursiers et les annonces de licenciements entre 1970 et 1997 (1) . Alors qu'entre 1970 et 1980, les annonces de licenciements étaient perçues négativement par les marchés, qui avaient tendance à les interpréter comme annonciatrices de difficultés financières plus structurelles pour les entreprises, les chercheurs observent un changement de comportement au fil du temps. Ainsi, durant la dernière décennie, les chercheurs observent que les marchés financiers saluent désormais positivement les licenciements, voyant en eux un signe de contraction des coûts et donc d'augmentation des bénéfices.

Entre-temps, l'économie s'est financiarisée, avec la complicité bienveillante de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher. Cette financiarisation s'est notamment marquée par la publication trimestrielle des résultats des entreprises, dénoncée lors de son introduction par la US Chamber of Commerce comme l'une des pires menaces pour la compétitivité à long terme (2) , ou encore par une rotation beaucoup plus rapide dans la détention des actions (la durée de détention passant de deux à sept années durant la seconde moitié du siècle précédent à 7 mois en 2007) (3) .

Dans la continuité logique de cette financiarisation de l'économie, la pratique visant à licencier afin de satisfaire les actionnaires a pris de plus en plus d'importance au cours des années 2000 et a cyniquement été baptisée « licenciements boursiers ».

Des exemples aussi récents que douloureux, près de chez nous

En Belgique, plusieurs entreprises ont été pointées du doigt au cours des dernières années pour avoir licencié leurs travailleurs tout en réalisant des profits: HP, Inbev, Cartomills (4) , DHL, Bekaert, Arcelor Mittal, Caterpillar, Dow Corning, etc. Plus récemment, en octobre 2011, c'est Kraft Foods qui, en dépit de bénéfices avant impôt pour la dernière année comptable, annonce le licenciement de nonante-neuf travailleurs sur les quatre cent dix-huit occupés à Halle. C'est la conséquence du transfert vers d'autres sites européens d'une partie de la production de cette usine de production de « Mignonnettes », de « Bouchées » et de « Chokotoff ».

Aujourd'hui, c'est le nom d'Arcelor Mittal qui vient le plus naturellement à l'esprit, en raison de l'impact économique et social de la fermeture de la phase à chaud annoncée en novembre 2011: 581 emplois en péril et 200 auprès des sous-traitants, sans compter les emplois indirects et les questions pesant sur l'avenir de la phase à froid. Cette entreprise a réalisé un bénéfice moyen avant impôt de 983 millions d'euros au cours des cinq derniers exercices et a très peu contribué au financement de l'État, grâce au recours aux intérêts notionnels (d'environ 310 millions d'euros par an, soit un bénéfice supplémentaire de 1,5 milliard d'euros, sans création ni maintien de l'emploi), tout en profitant largement de ses infrastructures et services. C'est évidemment choquant et cela appelle à des modifications législatives, telles que proposées en l'occurrence.

Conditionner les aides publiques au maintien de l'emploi

Il convient de mettre un terme à ces pratiques socialement insupportables, qui révèlent le peu de respect de certaines entreprises envers leur personnel et, plus largement, envers les contribuables et l'État. Ces entreprises considèrent les pouvoirs publics comme de vulgaires distributeurs de billets, envers lesquels elles n'ont aucun compte à rendre.

La présente proposition de loi prévoit donc le remboursement des aides publiques perçues lorsqu'une entreprise qui n'est pas en difficulté, effectue un licenciement collectif, arrête ses activités ou les délocalise, alors qu'elle réalise des bénéfices avant impôts d'au moins 5 % de son chiffre d'affaires en moyenne au cours des cinq derniers exercices comptables.

Cette mesure a d'abord et avant tout comme objectif de réduire drastiquement le nombre de « licenciements boursiers ». Le but est d'éviter que certaines entreprises — une minorité visible dans l'ensemble des quelque 200 000 entreprises belges, qui entachent l'image de toutes celles-ci — ne recourent encore à ce type de comportement socialement injustifiable, en particulier en temps de crise. Il ne sera désormais plus possible pour les entreprises multinationales de partir à la pêche aux subventions en Belgique, puis de s'en aller fortune faite. Cette loi sera couronnée de succès si, après son entrée en vigueur, elle ne rapporte rien au budget de l'État. Cela signifierait, en effet, le maintien de l'emploi dans les entreprises bénéficiant d'aides publiques et donc le retour à certaines valeurs de l'économie réelle.

Dans le pire des cas, la récupération de ces aides bénéficiera à l'effort d'assainissement des finances publiques, plutôt que d'augmenter les bénéfices des actionnaires des entreprises concernées.

Quelles aides publiques sont visées ?

Les aides publiques visées par la présente proposition de loi sont celles qui ont été octroyées conformément à la législation européenne et qui prennent la forme de subventions salariales, de réductions de cotisations sociales, de déductibilités fiscales, d'aides en nature ou de garanties. Dans le cas des aides en nature, comme la mise à disposition de terrains, le montant à récupérer sera calculé en fonction des prix du marché pertinent (en l'occurrence, le loyer payé par une entreprise de taille similaire dans la même zone). Dans le cas de garanties, le montant à récupérer est calculé sur la base de la différence entre le taux d'intérêt payé par l'entreprise concernée avant l'apport de la garantie par l'État ou un organisme d'intérêt public et le taux d'intérêt payé après l'apport de la garantie.

Parmi les aides publiques à prendre en considération figurent notamment:

— la déduction fiscale pour capital à risque (intérêts notionnels), telle qu'instaurée par la loi du 22 juin 2005;

— la déduction fiscale pour revenus de brevets, telle qu'instaurée par la loi-programme du 27 avril 2007;

— les réductions structurelles de cotisations de sécurité sociale, telles que visées dans la loi du 24 décembre 2002;

— les réductions groupe-cible pour travailleurs âgés, telles que visées dans la loi du 24 décembre 2002;

— les réductions groupe-cible pour demandeurs d'emploi de longue durée, telles que visées dans la loi du 24 décembre 2002;

— les réductions groupe-cible pour premier engagement, telles que visées dans la loi du 24 décembre 2002;

— les réductions groupes-cibles pour jeunes travailleurs, telles que visées dans la loi du 24 décembre 2002;

— les programmes de transition professionnelle, tels que visés par l'arrêté royal du 16 mai 2003 et l'arrêté royal du 9 juin 1997;

— le plan activa, tel que visé par l'arrêté royal du 19 décembre 2001;

— le plan activa start, tel que visé par l'arrêté royal du 29 mars 2006;

— les dispenses de versement du précompte professionnel pour travail supplémentaire, telles que visées par le Code des impôts sur les revenus;

— les dispenses de versement du précompte professionnel pour travail en équipe ou travail de nuit, telles que visées par le Code des impôts sur les revenus;

— les dispenses générales de versement de précompte, telles que visées par le Code des impôts sur les revenus;

— les déductions de pertes antérieures, telles que visées par le Code des impôts sur les revenus;

— les déductions pour frais de licenciement, telles que visées par le Code des impôts sur les revenus;

— les déductions pour réserves d'investissement, telles que visées par le Code des impôts sur les revenus.

Une conditionnalité déjà appliquée dans le cadre des fonds structurels européens

La présente proposition de loi respecte le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et ne porte nullement atteinte aux libertés de circulation à la base du marché intérieur. Son esprit se retrouve dans le régime juridique régissant les fonds structurels européens, à savoir le règlement (CE) nº 1083/2006 du Conseil du 11 juillet 2006 portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement (CE) nº 1260/1999. Son article 57 stipule en effet que « L'État membre ou l'autorité de gestion s'assure que la contribution des Fonds reste acquise à l'opération uniquement si, dans un délai de cinq ans à compter de son achèvement (...), l'opération cofinancée ne connaît pas de modification importante: a) affectant sa nature ou les conditions de sa mise en œuvre ou procurant un avantage indu à une entreprise ou à un organisme public; et b) résultant soit d'un changement dans la nature de la propriété d'un élément d'infrastructure, soit de l'arrêt d'une activité de production (...). Les sommes indûment versées sont recouvrées conformément aux articles 98 à 102 » Cette clause dite de « pérennité des opérations » a été maintenue dans la proposition de règlement organisant la politique structurelle pour la période 2014-2020 (5) (article 61).

Des modalités adaptées au contexte économique et aux efforts de formation des entreprises

La présente proposition de loi n'a pas vocation à interdire les licenciements individuels, ni même les licenciements collectifs, la fermeture ou la délocalisation d'entreprises, lorsqu'une entreprise fait soudainement face à une contraction brutale de ses débouchés, alors qu'elle a adopté un comportement socialement responsable jusque-là.

Dans ce cadre, outre les dérogations pour les entreprises en difficultés, la présente proposition prévoit que les entreprises puissent bénéficier de dérogations à la récupération des aides publiques perçues si, au sein de l'entreprise, les parties prenantes (c'est-à-dire le conseil d'entreprise ou, pour les entreprises plus petites, la délégation syndicale et si celle-ci fait défaut, les travailleurs eux-mêmes) reconnaissent unanimement la nécessité d'une telle restructuration, en raison des perspectives économiques ou d'un ajustement de la stratégie de l'entreprise.

En cas de désaccord entre les parties prenantes, la dérogation est maintenue à la condition que l'entreprise ait suffisamment investi dans la formation de son personnel, de manière à ce que celui-ci puisse intégrer de nouvelles compétences et se réorienter sur le marché du travail. Pour évaluer si l'entreprise satisfait à cette condition, le gouvernement s'attachera à l'analyse des efforts financiers de l'entreprise en matière de formation des travailleurs, ceux-ci devant avoir progressé d'au moins 0,1 % par an au cours des cinq dernières années pour atteindre l'objectif de 1,9 % de la masse salariale (qui est, pour rappel, la référence arrêtée par les partenaires sociaux au niveau interprofessionnel).

De plus, afin de démocratiser l'accès à la formation et, conformément à l'engagement pris lors de la Conférence nationale de l'emploi de 2003, tant que l'objectif poursuivi de faire participer au moins un travailleur sur deux au programme de formation ne sera pas atteint, l'entreprise devra veiller à augmenter le taux de participation aux formations de 5 % en moyenne annuelle au cours des cinq dernières années. Ces références, arrêtées par le Pacte de solidarité entre les générations, seront ajustées si les partenaires sociaux conviennent de modifier ces paramètres.

Enfin, afin d'éviter que ces efforts de formation ne bénéficient qu'à une certaine catégorie de travailleurs, l'entreprise devra démontrer que le profil des travailleurs ayant participé à une activité de formation correspond au profil global des travailleurs. Ainsi, à titre d'exemple, si l'entreprise compte 40 % de travailleurs peu qualifiés parmi les membres de son personnel, environ 40 % des travailleurs envoyés en formation devraient appartenir à cette catégorie de travailleurs. Une telle similarité devrait également se retrouver au niveau du genre, de l'âge ou du poste de travail.

Une procédure à déclencher et à concrétiser par le ministre de l'Emploi

La présente proposition de loi prévoit que la procédure de recouvrement des aides publiques en cas de comportement opportuniste soit initiée soit par le ministre de l'Emploi, soit par les travailleurs de l'entreprise concernée.

Le ministre de l'Emploi fixe également le montant à récupérer, en tenant compte, d'une part, de l'ensemble des aides publiques perçues et, d'autre part, de la gravité des répercussions du licenciement collectif eu égard à l'importance de l'entreprise pour le tissu économique local, du taux de chômage local, de l'emploi auprès des sous-traitants, etc. Afin de déterminer ce montant, le ministre de l'Emploi s'appuie sur les autres membres du gouvernement responsables de l'octroi d'autres types d'aides (à vocation environnementale, destinée à soutenir les exportations, fiscales, etc.).

Une voie de recours et présentation d'un rapport annuel

Une voie de recours est également prévue. L'entreprise en désaccord avec le montant réclamé peut s'adresser au tribunal de commerce dans les quatorze jours ouvrables.

Par ailleurs, de manière à faciliter la transparence sur les aides publiques octroyées, les entreprises seront désormais tenues de répertorier dans les annexes de leur comptabilité celles dont elles jouissent.

Enfin, la Cour des comptes présentera un rapport annuel au Parlement qui fait le point sur les aides publiques reçues et qui s'assure que les entreprises respectent cette disposition.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

Cet article donne les définitions des termes et expressions utilisés par la présente loi.

Article 3

Cet article présente les trois cas — fermeture, licenciement collectif, délocalisation — qui peuvent donner lieu à un remboursement des aides publiques perçues au cours des cinq derniers exercices comptables.

Ces aides sont, en tout ou en partie, récupérées à la suite d'une action exercée par le ministre ayant l'Emploi dans ses attributions ou par les travailleurs, en fonction de critères et procédures arrêtés par le Roi. Les entreprises en difficultés sont cependant exclues de ce dispositif.

Le ministre ayant l'Emploi dans ses attributions est responsable de l'estimation des aides à récupérer. Les autres membres du gouvernement lui apportent leur concours afin de déterminer le montant global des aides perçues.

L'entreprise visée peut introduire un recours auprès du tribunal de commerce.

Enfin, dans un souci de transparence, les entreprises doivent communiquer dans les annexes de leur comptabilité les aides dont elles ont bénéficié. La Cour des comptes présente au Parlement un rapport annuel sur la mise en œuvre de cette dernière disposition et sur les montants globaux que cela représente.

Article 4

Cet article prévoit des dérogations lorsque l'employeur et les travailleurs sont d'accord sur la décision prise par l'entreprise ou lorsque, en cas de désaccord, l'employeur a pris des mesures suffisantes pour renforcer les compétences des membres du personnel, via une politique de formation ambitieuse.

Article 5

Le présent article prévoit que toute nouvelle aide publique, octroyée par l'État fédéral, fasse référence à la présente loi.

Jacky MORAEL.
Freya PIRYNS.
Cécile THIBAUT.
Mieke VOGELS.
Claudia NIESSEN.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Pour l'application de la présente loi, on entend par:

1º « entreprise en difficultés »: l'entreprise qui:

a) connaît une diminution substantielle de 20 % au moins de son chiffre d'affaires ou de sa production, par rapport au même trimestre de l'année précédente;

b) connaît un nombre de jours de chômage temporaire pour raisons économiques pour les ouvriers à concurrence d'au moins 20 % du nombre total de jours déclarés à l'Office national de sécurité sociale; ou

c) connaît une diminution substantielle de ses commandes de 20 % au moins par rapport au même trimestre de l'année précédente.

La diminution substantielle des commandes visée au c), doit:

— affecter toutes les commandes de l'entreprise;

— être obtenue par une pondération en fonction de l'importance des diverses commandes, et donner lieu à une diminution en conséquence des heures de travail productives des travailleurs.

Le Roi détermine les modalités spécifiques concernant la procédure à suivre par l'entreprise pour prouver qu'elle correspond à l'un des critères susmentionnés;

2º « bénéfice après impôts »: un montant consolidé des bénéfices des cinq derniers exercices comptables de l'entreprise qui dépasse 5 % du chiffre d'affaires, compte tenu des dispositions prévues par le Code des impôts sur les revenus 1992 en matière de prix de pleine concurrence pour les opérations intragroupes;

3º « délocalisation »: le transfert de la production entière ou d'un maillon de la chaîne de production ou de services vers un pays d'accueil, entraînant la cessation ou la réduction des activités et/ou de l'emploi en Belgique;

4º « aides publiques »: les aides individuelles et aides accordées dans le cadre d'un régime d'aide, telles que définies à l'article 2, §§ 1er à 3, du règlement (CE) nº 800/2008 de la Commission européenne du 6 août 2008 déclarant certaines catégories d'aide compatibles avec le marché commun en application des articles 107 et 108 du traité (Règlement général d'exemption par catégorie).

Art. 3

§ 1er. L'entreprise qui procède à une fermeture d'entreprise, telle que visée par la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d'entreprises, alors qu'elle réalise un bénéfice après impôts, est tenue de rembourser les aides publiques perçues au cours des cinq derniers exercices comptables.

§ 2. L'entreprise qui procède à un licenciement collectif, tel que visé par la convention collective du travail nº 10 relative aux licenciements collectifs, alors qu'elle réalise un bénéfice après impôts, est tenue de rembourser les aides publiques perçues au cours des cinq derniers exercices comptables.

§ 3. L'entreprise, au sens d'unité technique d'exploitation, qui occupait en moyenne au cours de l'année civile précédant le licenciement, au moins vingt travailleurs, et qui effectue une délocalisation alors qu'elle réalise un bénéfice après impôts, est tenue de rembourser l'ensemble des aides publiques perçues au cours des cinq derniers exercices comptables.

§ 4. Les entreprises en difficultés sont toutefois exclues des paragraphes 1er à 3.

§ 5. L'action fondée sur la base du présent article peut être exercée par le ministre ayant l'Emploi dans ses attributions, soit d'office, soit à la demande d'un ou de plusieurs travailleurs de l'entreprise concernée.

§ 6. Le Roi arrête dans les trois mois suivant l'entrée en vigueur de cette loi les modalités du recouvrement des aides publiques.

§ 7. Le ministre ayant l'Emploi dans ses attributions détermine pour chaque dossier avec l'aide des ministres concernés le montant à récupérer en tenant compte des critères arrêtés par le Roi. Ces critères incluent notamment les différentes aides publiques reçues, l'importance de l'entreprise concernée pour le tissu économique local, l'emploi auprès des sous-traitants et le taux de chômage local.

§ 8. L'entreprise concernée dispose d'un délai de quatorze jours ouvrables pour introduire un recours auprès du tribunal de commerce. L'action est formée et instruite selon les formes du référé. Le jugement est exécutoire par provision, nonobstant tout recours et sans caution.

§ 9. En cas de recours, l'action visant à récupérer le montant conformément aux paragraphes 5 à 7 s'éteint si l'entreprise renonce à la fermeture, aux licenciements collectifs ou à la délocalisation.

§ 10. Les montants récupérés sont versés au Trésor.

Art. 4

L'article 3 ne s'applique pas si:

1º le conseil d'entreprise ou, à défaut de celui-ci, la délégation syndicale ou, à défaut de celle-ci, les travailleurs de l'entreprise visée à l'article 3, reconnaît que la décision de fermeture d'entreprise, de licenciement collectif ou de délocalisation, est justifiée au regard des perspectives économiques à court et moyen terme ou de la stratégie de redéploiement de l'entreprise;

2º alors que le conseil d'entreprise ou, à défaut de celui-ci, la délégation syndicale ou, à défaut de celle-ci, les travailleurs de l'entreprise visée à l'article 3, est divisé quant à la pertinence de la décision de fermeture d'entreprise, de licenciement collectif ou de délocalisation, l'entreprise a effectué au cours des cinq derniers exercices comptables et en moyenne annuelle:

— des efforts supplémentaires en matière de formation de 0,1 % de la masse salariale pour au moins atteindre 1,9 % de la masse salariale;

— des efforts pour augmenter de 5 % le pourcentage de travailleurs ayant suivi une formation pour au moins atteindre les 50 % des travailleurs concernés.

De plus, l'entreprise devra démontrer que le profil des travailleurs ayant eu accès à ces formations coïncide avec le profil des travailleurs occupés en son sein. Le Roi, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, détermine les modalités permettant de vérifier cette condition.

Les pourcentages « 1,9 % » et « 50 % » visés au présent article seront adaptés si le Roi détermine de nouvelles références, sur avis du Conseil national du travail et du Conseil central de l'économie, conformément à la loi du 23 décembre 2005 relative au Pacte de solidarité entre les générations.

Art. 5

Toute nouvelle aide publique octroyée par l'État fédéral fait référence à la présente loi.

Art. 6

Dans l'article 25, § 3, de l'arrêté royal du 30 janvier 2001 portant exécution du Code des sociétés, les modifications suivantes sont apportées:

1º les mots « , en particulier les aides publiques telles que définies dans la loi du ... ..., » sont insérés entre les mots « les droits et engagements » et les mots « qui ne figurent pas au bilan »;

2º les mots « , en particulier les garanties publiques, » sont insérés entre les mots « droits et engagements importants » et les mots « qui ne sont pas susceptibles d'être quantifiés ».

Art. 7

La Cour des comptes présente avant le 30 septembre un rapport annuel à la Chambre des représentants sur l'application de l'article 25, § 3, de l'arrêté royal du 30 janvier 2001 portant exécution de Code des sociétés.

23 janvier 2012.

Jacky MORAEL.
Freya PIRYNS.
Cécile THIBAUT.
Mieke VOGELS.
Claudia NIESSEN.

(1) Henry S. Farber et Kevin F. Hallock, « Have Employment Reductions Become Good News for Shareholders ? The Effect of Job Loss Announcements on Stock Prices, 1970-97 », Princeton University, Working Paper 417, 1999.

(2) Thomas J. Donohue, « Enhancing America's Long-Term Competitiveness: Ending Wall Street's Quarterly Earnings Game », Wall Street Analyst forum, 2005.

(3) Andrew G. Haldane, « Patience and Finance », Oxford China Business Forum, Pékin, 2010.

(4) Cette entreprise de fabrication de cartons d'emballage, établie à Mettet, en province de Namur, a été absorbée en 2005 par une multinationale basée en Irlande, Cartomills. Par un jeu de relocalisation des dettes, la filiale belge est amenée à payer des intérêts à la société mère irlandaise. Les charges d'intérêts ainsi créées dans le chef de la filiale belge ont réduit le bénéfice imposable en Belgique de moitié. En outre, la filiale belge, qui était largement bénéficiaire avant l'absorption, a dû également payer des redevances plantureuses à la maison mère pour l'utilisation de la marque. De 2007 à 2009, ce sont près de 17 millions d'euros qui sont partis en Irlande sans avoir été imposés préalablement, soit une perte de 5,7 millions de recettes fiscales pour le Trésor belge.

(5) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion, au Fonds européen agricole pour le développement rural et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche relevant du Cadre stratégique commun, portant dispositions générales applicables au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen et au Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement (CE) no 1083/2006, COM(2011) 0276, 6 octobre 2011.