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Mme Zakia Khattabi (Ecolo). - Une dépêche Belga nous apprenait, en septembre dernier, la signature d'un accord bilatéral entre la Belgique et les États-Unis sur le renforcement de la coopération dans la prévention et la lutte contre les crimes graves. Cet accord vise, comme mentionné dans le communiqué, à « permettre aux enquêteurs belges et américains d'échanger, dans le cadre d'enquêtes judiciaires et policières, des données comme les empreintes digitales et génétiques afin d'accélérer et d'améliorer l'identification d'éventuels terroristes et suspects de crimes graves ».
Cet accord fait peser de lourdes inconnues quant au respect de certaines libertés fondamentales et la Commission de la protection de la vie privée, dans son avis du 24 novembre 2010, pointait d'ailleurs d'importantes lacunes en matière de respect de la vie privée ; ainsi, une définition imprécise des infractions visées dans la loi - qu'est-ce qu'un « crime grave » ? - laisse la porte ouverte à une application arbitraire. Par ailleurs, le citoyen ne jouit pas de garanties effectives en matière de transmission et d'utilisation de ses données personnelles et aucune autorité indépendante ne contrôle le mécanisme. Relevons, enfin, l'absence - inévitable mais préjudiciable - de garanties quant à l'utilisation que les autorités américaines feraient des données recueillies.
Il ne s'agit pas ici de remettre en question la légitimité du combat à mener contre la criminalité grave. Mais, comme la Ligue des droits de l'homme, je m'inquiète de la disproportion des moyens mis en oeuvre par rapport à la poursuite de cet objectif et de l'impact de ces moyens sur la protection tout aussi légitime des droits les plus fondamentaux de nos citoyens.
Je m'interroge également sur la raison pour laquelle la simple suspicion de commettre un crime grave - qu'entend-on par « suspicion » et « crime grave » ? - justifie la collaboration des autorités fédérales à la mise sur liste noire de citoyens belges par les autorités américaines.
En outre, malgré ses demandes réitérées auprès du cabinet de votre prédécesseur, la Ligue des droits de l'homme n'a pas réussi à avoir accès au texte final de l'accord. Qu'un tel accord ne puisse être consulté par le public, pourtant directement visé, ne va pas sans poser de questions en matière de transparence démocratique.
Madame la ministre, je souhaiterais savoir s'il a été tenu compte de l'avis de la Commission de la vie privée et des lacunes pointées par celle-ci. Sinon pourquoi pas et que comptez-vous faire pour remédier à ces lacunes ? Pourquoi cet accord n'est-il pas rendu public ? Quand sera-t-il soumis au Parlement ?
Mme Annemie Turtelboom, ministre de la Justice. - Il a effectivement été tenu compte de l'avis de la Commission de la protection de la vie privée.
En ce qui concerne la définition des infractions, l'accord vise des crimes et des délits punissables par des peines de privation de liberté de plus d'un an. Ces infractions sont énumérées dans une annexe qui fait partie intégrante de l'accord.
L'article 11.1 de l'accord a été modifié pour tenir compte de la remarque relative à l'absence de garanties pour le citoyen. Ainsi, les parties reconnaissent l'importance capitale des mécanismes de recours et de la protection de la vie privée des personnes concernées.
L'accord ne crée pas de droits individuels. Chaque personne concernée se voit appliquer son droit national.
En Belgique, la personne concernée s'adresse, conformément à l'article 13 de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel, à la Commission de la protection de la vie privée afin d'exercer son droit d'accès indirect. Si cette Commission estime que les données doivent être corrigées ou effacées, elle s'adresse à son point de contact aux États-Unis, qui sera contraint d'effacer ou de corriger les données.
Par ailleurs, le Memorandum of Understanding, rédigé en concertation avec les représentants du Department of Homeland Security et du Department of Justice, explique que tout citoyen européen dispose d'un droit d'accès à ses propres données.
Le Freedom of Information Act (FOIA) oblige le gouvernement américain à permettre aux personnes concernées d'avoir accès aux données détenues par les différentes agences fédérales. Si ce droit est refusé, le FOIA prévoit un recours judiciaire.
La mise en oeuvre du droit de correction s'effectue grâce à un ou plusieurs recours administratifs soumis à l'Administrative Procedure Act (APA) qui régit la façon dont les agences du gouvernement américain peuvent proposer et établir des règlements.
Il établit également un recours devant les tribunaux fédéraux américains afin de réviser les décisions de ces agences ; ces décisions sont susceptibles d'annulation si elles s'avèrent arbitraires, fantasques, relèvent d'un abus de pouvoir ou sont contraires à la loi.
Le citoyen belge ou européen dispose donc d'une double voie de recours, soit devant la Commission belge de la vie privée qui imposera sa décision à son point de contact américain, soit conformément aux procédures américaines existantes.
Quant au contrôle par une autorité indépendante, un article 18 a été inséré dans le texte de l'accord afin de rencontrer cette condition. Cet article instaure un contrôle par une autorité indépendante de protection des données compétente pour chaque partie.
En Belgique les données sont soumises à la loi du 8 décembre 1992 et au contrôle de la Commission de la protection de la vie privée, organe indépendant institué auprès du Parlement.
Aux États-Unis, la structure des autorités responsables de la protection des données diffère de celle que l'on connaît en Belgique. On peut néanmoins conclure que ces mécanismes de contrôle peuvent se prévaloir d'une indépendance fonctionnelle.
Concernant les garanties quant à l'utilisation des données par les autorités américaines, l'accord prévoit que les parties s'engagent à s'assurer que les données transmises sont adéquates et pertinentes au regard de la finalité déterminée du transfert. Elles s'engagent également à ne conserver les données que le temps nécessaire à la réalisation de la finalité déterminée ainsi qu'à corriger les données qui se révèlent incorrectes.
En ce qui concerne la publicité de cet accord ainsi que sa présentation aux Chambres, je vous renvoie à mon collègue en charge des Affaires étrangères. C'est, en effet, à lui qu'il revient de soumettre cet accord au parlement.
Mme Zakia Khattabi (Ecolo). - Je prendrai contact avec votre collègue des Affaires étrangères pour obtenir le texte ainsi que son annexe.
La question de l'adéquation et de la pertinence de la conservation des informations continue à me préoccuper, car on peut croire que chacune des parties pourra l'évaluer à sa guise.
En ce qui concerne le contrôle par une instance indépendante, vous évoquez un organe institué auprès du parlement. Duquel s'agit-il ? Je ne suis pas sûre d'avoir bien saisi votre réponse.