5-35

5-35

Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 17 NOVEMBRE 2011 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de Mme Caroline Désir à la vice-première ministre et ministre de l'Emploi et de l'Égalité des chances, chargée de la Politique de migration et d'asile sur «le statut d'artiste» (no 5-287)

Mme Caroline Désir (PS). - La presse a publié récemment une note rédigée début octobre 2011 par l'ONEM qui suscite de inquiétude dans les milieux artistiques. Cette note tend à clarifier et à rendre plus stricte et homogène l'interprétation des règles régissant le régime d'assurance chômage du secteur artistique.

Ce régime, appelé également « statut de l'artiste », permet, à ceux qui l'obtienne, un accès plus rapide aux allocations de chômage et leur maintien à leur plus haut niveau, sans dégressivité. Ainsi, l'article 10 de l'arrêté ministériel du 26 novembre 1991 prévoit une règle de calcul spécifique du nombre de jours de travail pour l'admissibilité aux allocations.

La récente note de l'ONEM précise que cette règle, appelée communément « règle du cachet », ne s'applique qu'aux artistes de spectacle et aux musiciens. Il semble que, jusqu'à présent, les bureaux régionaux de l'ONEM aient également permis à certains artistes créateurs et techniciens d'en bénéficier. En revanche, la note de l'ONEM exclut explicitement ces derniers de cette mesure.

De nombreux artistes dits créateurs, auteurs, réalisateurs, illustrateurs ou plasticiens n'ont pas le statut d'indépendant mais sont inscrits dans les bureaux sociaux pour artistes car, bien qu'ils soient actifs dans leur domaine, leur situation est relativement précaire. Ils sont nombreux à témoigner en ce sens.

Vu l'incertitude générée pour de nombreux artistes, l'association SMartbe a lancé une pétition vous demandant, notamment, d'organiser une concertation sociale. Une concertation avec le secteur est-elle envisagée ?

Enfin, l'ONEM fait état d'une augmentation spectaculaire et inexpliquée du nombre de bénéficiaires de ce régime particulier, ce qui justifierait sa volonté de réagir. Pouvez-vous nous préciser combien de bénéficiaires étaient inscrits lors du lancement de cette mesure et combien sont inscrits à l'heure actuelle ?

Mme Joëlle Milquet, vice-première ministre et ministre de l'Emploi et de l'Égalité des chances, chargée de la Politique de migration et d'asile. - Afin d'expliquer la persistance de la distinction entre artistes interprètes et artistes créateurs dans la réglementation du chômage, je souhaiterais vous rappeler l'historique de la réglementation.

L'arrêté royal du 23 novembre 2000 a modifié, avec effet rétroactif à partir du premier janvier 2001, l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage. Le but principal de cette modification était d'apporter une solution aux chômeurs indemnisés percevant des revenus tirés d'une activité artistique.

Cela s'imposait étant donné que la réglementation du chômage ne comportait que des règles relatives aux situations de travail classiques, où il existe une relation directe entre le travail et le salaire et où les prestations peuvent être situées dans le temps, ce qui n'est évidemment pas le cas pour les artistes. L'intention du législateur n'était cependant pas de créer de façon générale une assurance de revenus pour les artistes.

La loi sur l'ONSS a été modifiée par la loi-programme du 24 décembre 2002, avec effet à partir du 1er juillet 2003, afin de remédier en premier lieu à l'insécurité juridique en matière de statut, salarié ou indépendant, des artistes interprètes et, à titre subsidiaire, à permettre l'assujettissement des artistes créateurs à la sécurité sociale des travailleurs salariés. L'exposé des motifs ne citait en aucune manière des modifications de la réglementation du chômage.

En 2003, aucune initiative dans ce sens n'a été prise concernant la réglementation du chômage. La réforme du chômage pour les artistes ayant pris cours au mois de janvier 2001 avait été jugée suffisante. L'existence d'une définition dans la législation relative à l'ONSS n'a donc entraîné aucune conséquence juridique quant à la réglementation sur le chômage, qui fait une distinction, d'une part entre les interprètes et les créateurs et les autres artistes et techniciens du secteur.

La réglementation n'a pas été modifiée depuis lors, que ce soit de manière explicite ou de manière implicite. L'ONEM applique la réglementation, restée inchangée depuis le début des années 2 000.

Nous avons constaté une augmentation considérable du nombre d'artistes pendant la dernière décennie. Ils étaient 2 076 en 2001, 3 000 en 2002, 3 900 en 2003, 6 000 en 2006, 6 600 en 2007. En 2011, le nombre s'élève à 8 700. Il se peut que cette augmentation soit due à un statut plus favorable créant de véritables avantages par rapport à la législation actuelle en matière de chômage, que ce soit pour le nombre de jours prestés ou pour le retour au chômage après une courte période de travail.

Si tout cela s'explique par une explosion de nos talents artistiques, j'en suis ravie. Si cela s'explique par le désir de certains d'échapper à une législation plus contraignante sans être nécessairement artistes, cela pose quelques petits problèmes. C'est la raison pour laquelle l'ONSS a enquêté. Sur la base des résultats de ses investigations, l'Office a refusé les déclarations ne correspondant à des déclarations d'artistes en tant que tels.

La prudence s'impose car je tiens à ce que la législation relative au chômage reste légitime et portée par tout le monde. Or, parfois, des éléments pourraient fournir des arguments à ceux qui voudraient voir cette législation fondamentalement remise en cause.

La circulaire de l'ONEM se borne à rappeler qu'il faut assurer l'application correcte et uniforme de la réglementation par les bureaux de chômage et les organismes de paiement, en évitant les abus. Elle se limite donc à repréciser les règles en vigueur et ne modifie en rien leur interprétation ou leur portée. Les règles sont d'application constante. Elles ont simplement été rappelées de manière très claire.

Le 3 novembre, mon cabinet a rencontré les représentants des associations d'artistes et de l'ONEM pour essayer de leur expliquer la situation. Les règles appliquées par l'ONEM ont été rappelées. D'autres aspects ont été évoqués, notamment la demande du secteur de voir le système applicable aux artistes du spectacle - la règle du cachet - à d'autres artistes. Pour les artistes du spectacle ou assimilés, il est facile de comptabiliser le nombre de prestations payées avec un cachet. Mais comment savoir quand travaillent les écrivains et les sculpteurs ?

Faut-il maintenir cette réglementation ou prévoir des règles spécifiques car la règle du cachet ne peut être appliquée de manière aveugle ? Cette question devra être tranchée par le prochain gouvernement.

Je tiens à vous rassurer quant à l'objectif de la note en question. En fait, l'ONEM ne fait que rappeler la réglementation, laquelle exige un certain nombre de preuves. Il est normal qu'avant d'octroyer des avantages importants, l'ONEM demande certaines informations telles que la nature du contrat, le lieu et la date de la prestation, le montant concerné, etc.

Mme Caroline Désir (PS). - Je me réjouis qu'une concertation ait été organisée avec le secteur et l'ONEM pour expliciter certains points.

Il reste néanmoins un problème majeur : la législation établit une distinction entre les artistes de spectacle et les autres. Ce statut de l'artiste a été élaboré sur base d'une présomption de salariat des artistes de spectacle, tandis que les artistes « créateurs » devraient plutôt être considérées comme des indépendants. Or, une série d'artistes se trouvent dans une « zone grise » située entre les deux ou fonctionnent selon des processus de création cycliques ou plus compliqués.

Je ne veux certainement pas encourager les abus. L'existence d'un statut et d'allocations spécifiques vise à stimuler la création artistique et non à avantager des personnes qui ne présentent pas les caractéristiques requises. Mais il y a matière à débattre, car cette législation devait être adaptée à toutes les spécificités du secteur, ce qui n'est pas encore le cas actuellement.