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21 OCTOBRE 2011
Avec la sortie publique du Livre vert de la Conférence nationale des pensions « Consolider l'avenir des pensions » le 10 février 2010, le débat sur les pensions semble enfin pouvoir commencer concrètement. En vue d'aboutir à un livre blanc contenant une série de recommandations concrètes pour améliorer les pensions dans notre pays, nous disposons à présent d'une fenêtre d'opportunités de quelques mois pour trancher divers débats extrêmement importants. À cet égard, le Livre vert a le mérite de réaliser un état des lieux complet, même si largement connu, et de poser une série de questions, pour la plupart tout à fait pertinentes, en vue d'encadrer les discussions.
Un des grands manques de cet inventaire, et que les questions retenues n'abordent malheureusement pas, est la dimension du « genre », pourtant essentielle dans ce débat.
En divers endroits, le Livre vert met pourtant en exergue certaines différences importantes qui existent entre les pensions octroyées aux hommes et celles octroyées aux femmes. Citons à titre d'exemple, au niveau de la pension légale, que:
— pour les couples mariés bénéficiant de deux pensions, on constate une pension de 948 euros pour l'époux et de 639 euros pour l'épouse;
— pour les personnes isolées, les pensions s'élèvent en moyenne à 1 003 euros pour les hommes et à 693 euros pour les femmes en cas du seul bénéfice de pension de retraite;
— pour les pensions mixtes salariés/indépendants, le niveau moyen s'établit à 1 013 euros pour les hommes et 859 euros pour les femmes.
Plusieurs éléments sont à l'origine de ces différences, notamment les différences salariales qui persistent entre hommes et femmes, mais également une moindre disponibilité des femmes, souvent subie, sur le marché de l'emploi (nombre de femmes, et en particulier de jeunes mamans, optent en effet pour des emplois à temps partiel ou pour des interruptions de carrière pour des raisons familiales qui ne sont pas toujours assimilées à du travail lors du calcul de la pension légale).
Au niveau de la pension complémentaire, dite du deuxième pilier, le Livre vert note aussi des différences marquées. Les apports du deuxième pilier ne bénéficient ainsi qu'à la moitié des hommes environ et à seulement moins d'un tiers des femmes salariées. Par ailleurs, plus le revenu du premier pilier de pension est élevé, plus la proportion de retraités ayant accès au deuxième pilier augmente (ce qui montre que le deuxième pilier de pension tel qu'il fonctionne actuellement accentue les inégalités). Or, seul un groupe limité de femmes retraitées appartient aux catégories de revenus les plus élevées, ce qui explique le faible niveau d'accès de celles-ci au deuxième pilier. En outre, les montants octroyés dans le cadre de ce deuxième pilier sont plus faibles pour les (trop peu nombreuses) femmes qui en bénéficient que pour les hommes.
Si le Livre vert pointe donc ici et là des éléments inquiétants en matière d'analyse genrée et donc d'inégalités de fait, il ne prend pourtant pas la peine d'y consacrer un chapitre à part entière et de poser des questions sur le sujet. C'est d'autant plus dommageable que ce sont ces questions qui sont censées encadrer les débats des mois à venir.
Nous demandons dès lors que:
1) lors des discussions autour du niveau des pensions les plus basses (dont bon nombre concernent des femmes), la dimension du genre soit explicitement prise en compte afin que des solutions adaptées puissent être mises en uvre. Idéalement, il conviendrait de trouver des solutions permettant de gommer en amont les différences salariales inexplicables entre hommes et femmes. Par ailleurs, il conviendrait de revoir la politique des assimilations en assimilant davantage de périodes à du travail, afin de moins pénaliser certains choix, souvent subis, des femmes;
2) lors des discussions autour du deuxième pilier et de l'épargne-pension, la dimension du genre soit également explicitement pris en compte. Les aspects non universels et non solidaires du deuxième pilier de pension apparaîtront en effet alors de manière plus criante encore. Si malgré ces observations, le deuxième pilier devait continuer à se développer, il est à tout le moins souhaitable, au-delà de notre volonté, que le gouvernement fixe des critères en vue d'une orientation éthique et durable des placements réalisés, que tous les travailleurs et travailleuses puissent bénéficier de telles pensions complémentaires et qu'une solidarité soit organisée entre tous les travailleurs cotisants, tel que dans le premier pilier.
Nous souhaitons par ailleurs interdire aux assureurs de tenir compte, dans leurs calculs actuariels, des différences entre l'espérance de vie des hommes et celle des femmes. Si une référence à l'espérance de vie est indispensable aux assureurs, nous pourrions nous inspirer des pratiques suédoises. Dans ce système, pour chaque génération de pensionnés hommes et femmes confondus, il y a prise en compte de l'espérance de vie, mais il est explicitement interdit de tenir compte d'une différence entre hommes et femmes.
De manière plus générale enfin, nous préconisons la mise en place progressive d'un processus d'individualisation des droits. Notre système de protection sociale est indispensable et remarquable. Il est toutefois améliorable, notamment parce qu'il ne protège pas aujourd'hui tout le monde de la même manière. Il a été conçu sur base de l'hypothèse, plus ou moins implicite, d'une dépendance de la femme à son conjoint. Cette conception est aujourd'hui dépassée; il faut donc mettre en place un système qui tienne compte des réalités sociales, dans un contexte où l'égalité entre les sexes doit prévaloir.
Nous revendiquons depuis longtemps le droit des femmes à bénéficier de droits propres, indépendamment de leur situation familiale. Bien entendu, il convient de procéder par étape et d'instaurer une période transitoire afin de ne pas toucher aux droits acquis en matière de droits dérivés. Nous ne pouvons pas brusquement passer d'un système où une partie des droits sont dérivés à un système de droits strictement propres. En effet, de nombreuses personnes bénéficient actuellement de droits dérivés et ne pourraient subvenir à leurs besoins en cas de changement immédiat du système en vigueur. L'individualisation des droits doit donc être mise en uvre de façon progressive, avec des régimes transitoires pour les situations acquises. Cela implique donc une révision en profondeur de la conception « patriarcale » de notre système de sécurité sociale afin d'assurer une égalité de traitement et de mettre fin au système discriminant actuel. L'objectif visé est qu'à contribution égale, l'indemnisation soit égale, quelle que soit la réalité et l'évolution de la situation familiale.
Zakia KHATTABI. | |
Freya PIRYNS. | |
Jacky MORAEL. | |
Mieke VOGELS. | |
Claudia NIESSEN. | |
Cécile THIBAUT. |
Le Sénat,
A. considérant qu'avec la publication officielle du Livre vert « Consolider l'avenir des pensions », le débat sur les pensions va enfin pouvoir commencer concrètement;
B. considérant que la lecture attentive de ce Livre vert permet d'identifier certaines différences très importantes qui existent entre les pensions octroyées aux hommes et aux femmes, tant au niveau des pensions légales que des pensions complémentaires;
C. considérant que les questions identifiées par le Livre vert comme nécessitant réponse dans le cadre du futur Livre blanc n'abordent malheureusement pourtant pas (ou en tout cas pas explicitement) cette dimension du genre, qui est essentielle dans le débat sur les pensions,
Demande au gouvernement:
d'intégrer une lecture genrée de notre système des pensions dans le cadre de ses futures discussions afin:
1. au niveau des pensions légales:
— d'identifier les mesures nécessaires permettant de gommer les différences salariales inexplicables entre hommes et femmes et de proposer leur mise en uvre, de sorte que les montants de pension promérités connaissent la même évolution;
— de revoir la politique des assimilations (périodes d'inactivités professionnelles qui sont tout de même considérées dans le calcul des pensions) afin de moins pénaliser certains choix de vie, souvent subis, des femmes;
2. au niveau des pensions les plus basses:
— de trouver les moyens budgétaires afin d'augmenter les pensions les plus basses, pensions dont on sait qu'elles bénéficient davantage aux femmes;
3. au niveau du deuxième pilier:
— de modifier la législation afin que le deuxième pilier soit plus solidaire qu'actuellement en favorisant notamment la conclusion de plans sociaux dans le cadre du deuxième pilier;
— de faire en sorte que le deuxième pilier, d'autant plus s'il se développe, soit plus universel qu'actuellement en prenant notamment des mesures qui permettent à tous les travailleurs et travailleuses de bénéficier de pensions complémentaires et qui assurent une solidarité entre tous les travailleurs;
— de prendre des dispositions telles que les assureurs ne tiennent plus compte, dans leurs calculs actuariels, des différences entre l'espérance de vie des hommes et celle des femmes;
4. lors des discussions plus générales sur les pensions:
— de mettre progressivement en place un processus d'individualisation des droits en matière de sécurité sociale, tout en garantissant le maintien des droits actuellement acquis.
28 septembre 2011.
Zakia KHATTABI. | |
Freya PIRYNS. | |
Jacky MORAEL. | |
Mieke VOGELS. | |
Claudia NIESSEN. | |
Cécile THIBAUT. |