5-1210/1

5-1210/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

8 SEPTEMBRE 2011


Proposition de loi modifiant la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, visant à prendre en compte les périodes de travail intérimaire dans le calcul de l'ancienneté des travailleurs

(Déposée par M. Jacky Morael et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


1. Cadre général

Ces vingt dernières années, le marché du travail s'est considérablement flexibilisé. Le travail à temps partiel a connu une ascension fulgurante; il atteint aujourd'hui près de 30 % de l'emploi total. De même, le recours aux contrats à durée déterminée (12 % des contrats) ou aux contrats intérimaires est de plus en plus fréquent.

Le nombre d'intérimaires a ainsi augmenté de manière très importante depuis le début des années 80. Comme le montre le graphique ci-dessous, 7 450 intérimaires équivalents temps plein étaient mis au travail, par jour, en 1983, alors qu'ils sont actuellement plus de 81 000 (et ce, malgré la baisse importante intervenue en 2008 suite à la crise économique). En Belgique, la part de l'emploi temporaire dans le total de l'emploi salarié est plus importante qu'au Royaume-Uni (7,6 % contre 5 %) ! (1)

Source: Graphique propre sur base des données de Federgon.

On peut légitimement regretter cette flexibilisation accrue, car elle est souvent synonyme de précarisation et d'insécurité pour les travailleurs. Nous pensons que le contrat à durée indéterminée doit demeurer la référence sur le marché du travail et qu'il est nécessaire de limiter au maximum le recours à des contrats intérimaires, notamment quand ceux-ci se succèdent dans le cadre d'une même entreprise.

Par ailleurs, il convient d'améliorer la situation des nombreux travailleurs concernés par les contrats intérimaires, souvent précaires. Puisque certains travailleurs se voient forcés d'accepter des contrats intérimaires pendant des périodes parfois très longues chez le même employeur (plusieurs années dans certains cas, comme on l'a par exemple constaté il y a quelques années lors de la fermeture de l'usine d'assemblage automobile VW à Forest), il semble pertinent de comptabiliser ces périodes dans le calcul de leur ancienneté.

2. Contenu de la proposition de loi

2.1. Intégration des périodes de travail intérimaire au-delà duquel un contrat à durée indéterminée doit légalement être conclu

Les périodes d'intérim doivent être intégrées dans le calcul de la période au terme de laquelle un contrat à durée indéterminée doit légalement être offert.

Actuellement, la loi du 3 juillet 1978 prévoit à son article 10bis, § 2, qu': « Il peut être conclu au maximum quatre contrats pour une durée déterminée qui ne peut, chaque fois, être inférieure à trois mois sans que la durée totale de ces contrats successifs ne puisse dépasser deux ans. »

Nous proposons de compléter cet article pour prendre en compte les périodes de travail intérimaire de sorte que, une fois la période d'intérim terminée, qui peut, le cas échéant, être supérieure à deux ans, cette durée de travail intérimaire soit intégrée dans le calcul prévu par l'article 10bis, § 2. Dès lors, si la durée d'intérim est égale ou supérieure à deux ans, aucun contrat à durée déterminée ne peut être conclu et seul un contrat à durée indéterminée peut être conclu.

Par ailleurs, si la durée d'intérim est inférieure à deux ans et le nombre de périodes d'intérim inférieur à quatre, il peut alors être conclu un ou plusieurs contrat(s) à durée déterminée, en fonction des possibilités restantes offertes par cette disposition.

2.2. Intégration des périodes de travail intérimaire dans l'ancienneté professionnelle servant de base pour le calcul du délai de préavis

Le délai de préavis doit tenir compte des éventuelles périodes de travail intérimaire prestées pour la même fonction au sein de la même entreprise lorsqu'un travailleur sous contrat à durée déterminée ou indéterminée se fait licencier.

La présente proposition de loi vise à ce que, lorsque le congé est donné par l'employeur pour mettre fin à un contrat à durée indéterminée (CDI) ou à durée déterminée (CDD), toutes les périodes de travail intérimaire soient comptabilisées au niveau de l'ancienneté du travailleur, si les deux conditions suivantes sont remplies:

— les prestations exercées en qualité d'intérimaire étaient les mêmes que celles exercées dans le cadre du CDD ou du CDI;

— les prestations en qualité de travailleur intérimaire étaient exercées chez le même employeur que celui qui donne le congé pour mettre fin au CDD ou au CDI.

Ce faisant, la protection de ces travailleurs sera améliorée, dès lors que les délais de préavis en cas de licenciement de ces travailleurs seront augmentés, via la prise en compte de ces contrats intérimaires.

La durée de préavis (et donc son coût) est un frein aux licenciements et une mesure importante de pérennisation de l'emploi. S'il est difficilement imaginable d'interdire aux entreprises de licencier (notamment à celles dont la survie en dépend), il est essentiel que les entreprises internalisent, en partie, les conséquences négatives de telles décisions.

Si le maintien d'un emploi a un coût, sa suppression également, ce qui est trop souvent sous-évalué par les employeurs. Ces conséquences négatives, aujourd'hui largement reconnues par un nombre de plus en plus important d'études académiques, affectent les travailleurs, les entreprises elles-mêmes et la société dans son ensemble car:

— les licenciements influencent négativement le moral des travailleurs qui demeurent au sein de l'entreprise; des études montrent que ceux-ci deviennent plus anxieux et que cela handicape leur productivité;

— les licenciements influencent négativement le capital humain détenu par les entreprises; ce qui est susceptible de réduire durablement leur rentabilité;

— les licenciements engendrent une série de conséquences dramatiques pour les personnes remerciées: risque de pauvreté plus élevé, risques accrus au niveau de la santé, difficultés à acquérir ou à conserver un logement, ...;

— la flexibilité du marché de l'emploi n'est pas forcément bénéfique pour les pays concernés; une récente étude de l'OCDE a mis en exergue que la croissance de la productivité de la main-d'œuvre était supérieure dans les économies qui comportaient plus d'interdictions formelles au niveau du licenciement des travailleurs;

— les licenciements génèrent une baisse de la consommation, non seulement dans le chef de ceux qui ont perdu leur emploi, mais également dans le chef ceux qui n'ont pas perdu leur emploi mais qui craignent désormais de subir le même sort; en licenciant, les employeurs se tirent donc eux-mêmes une balle dans le pied, puisqu'ils se privent de recettes futures.

Il apparaît donc que les entreprises, elles-mêmes, sont perdantes en cas de licenciements facilités.

Dans ce contexte, lorsque le congé est donné par l'employeur, la prise en compte des périodes de travail intérimaire dans le calcul de l'ancienneté (moyennant les conditions précitées) et, de facto, dans le calcul des délais de préavis des travailleurs licenciés, apparaît comme nécessaire et donc pertinente.

La loi du 12 avril 2011 (2) a permis une première avancée, avec la prise en compte d'une année d'ancienneté dans le cadre de contrats intérimaires pour les ouvriers et pour les employés. Il convient de compléter cette disposition par une prise en compte totale de ces contrats d'intérim.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Articles 1er

Ce article ne nécessite pas de commentaires particuliers.

Article 2

L'article 10bis de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail limite la possibilité de conclure des contrats de travail à durée déterminée successifs.

Afin d'éviter tout problème d'interprétation mais également pour éviter que la présente loi puisse être facilement contournée, cette disposition est modifiée afin de prévoir qu'il faudra tenir compte des périodes d'intérim.

Une fois la période d'intérim terminée, qui peut, le cas échéant, être supérieure à deux ans, cette durée de travail intérimaire sera intégrée dans le calcul prévu par l'article 10bis, § 2.

Si la durée d'intérim est égale ou supérieure à deux ans, aucun contrat à durée déterminée ne peut être conclu et seul un contrat à durée indéterminée peut être conclu.

Si la durée d'intérim est inférieure à deux ans et le nombre de périodes d'intérim inférieur à quatre, il peut alors être conclu un ou plusieurs contrat(s) à durée déterminée, en fonction des possibilités restantes offertes par cette disposition.

L'article 10bis, § 3, ne peut être invoqué pour conclure un, ou des, contrat(s) à durée déterminée après une période d'intérim supérieure à deux ans mais inférieure à trois ans car l'intérim n'a bien sûr pas fait l'objet d'un accord du fonctionnaire désigné par le Roi.

Articles 3 et 4

Ces articles ne nécessitent pas de commentaires particuliers

Article 5

Afin de respecter l'exigence de prévisibilité dégagée par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, selon laquelle toute personne intéressée doit pouvoir connaître en temps utiles les conséquences des actes qu'elle pose, il est important de ne pas prendre en compte les prestations d'intérim prestées avant l'entrée en vigueur de la présente loi.

Il faut en effet éviter qu'un employeur voit soudainement des contrats précaires de certains de ses travailleurs se transformer en contrats à durée indéterminée, de par le double effet, d'une part, de ladite prise en compte des périodes d'intérim et, d'autre part, de l'action des articles 10 et 10bis de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, qui limitent la période durant laquelle il est possible, en dehors des contrats intérimaires, d'employer une personne autrement que dans les liens d'un contrat à durée indéterminée.

Prenons l'exemple d'un employeur qui a occupé à titre d'intérim un travailleur pendant deux ans et qui a conclu par la suite un contrat à durée déterminée d'un an.

En vertu des règles actuelles, à l'issue du contrat à durée déterminée d'un an, du fait de la non prise en compte des deux ans d'intérim, l'employeur peut ne pas renouveler le contrat à durée déterminée, car la période limite de deux ans posée par l'article 10bis, § 2, de la loi précitée du 3 juillet 1978 n'est pas dépassée.

Par contre, si, soudainement, suite à l'entrée en vigueur de la présente loi, les deux ans d'intérim devaient être pris en compte dans la durée d'ancienneté, l'employeur se trouverait alors piégé puisque, à l'issue du contrat à durée déterminée, la période d'occupation totale serait de trois ans, créant par là un contrat à durée indéterminée.

Une telle situation irait à l'encontre du principe de prévisibilité puisque, au moment de la conclusion du contrat de travail à durée déterminée d'un an, il était impossible pour l'employeur de prévoir une telle situation.

C'est la raison pour laquelle une telle période transitoire est prévue.

Jacky MORAEL.
Mieke VOGELS.
Cécile THIBAUT.

PROPOSITION DE LOI


Article premier

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

À l'article 10bis de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, inséré par la loi du 13 février 1998, sont apportées les modifications suivantes:

1. au paragraphe 2, entre les mots « sans que la durée totale de ces contrats successifs » et les mots « ne puissent dépasser », sont insérés les mots « , comprenant les périodes d'intérim précédemment prestées chez le même employeur pour la même fonction, »;

2. le paragraphe 3 est complété par l'alinéa suivant:

« Le présent paragraphe n'est pas applicable lorsque le travailleur a été occupé en tant qu'intérimaire avant le début prévu pour le contrat de travail. »

Art. 3

À l'article 65/4 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, inséré par la loi du 12 avril 2011, les alinéas 2 et 3 sont remplacés par l'alinéa suivant:

« En outre, lorsque le congé est donné par l'employeur, toute période antérieure d'occupation que l'ouvrier a effectuée en tant qu'intérimaire chez l'employeur en qualité d'utilisateur entre en ligne de compte pour le calcul de l'ancienneté pour autant que cet engagement suive la période de travail intérimaire et pour autant que la fonction exercée chez l'employeur soit identique à celle exercée en qualité d'intérimaire. »

Art. 4

À l'article 86/2, § 4, de la même loi, inséré par la loi du 12 avril 2011, les alinéas 2 et 3 sont remplacés par l'alinéa suivant:

« Lorsque le congé est donné par l'employeur, toute période antérieure d'occupation que l'employé a effectuée en tant qu'intérimaire chez l'employeur en qualité d'utilisateur entre en ligne de compte pour le calcul de l'ancienneté pour autant que cet engagement suive la période de travail intérimaire et pour autant que la fonction exercée chez l'employeur soit identique à celle exercée en qualité d'intérimaire. »

Art. 5

À titre transitoire, les périodes de travail intérimaire couvertes par des contrats débutés avant l'entrée en vigueur de la présente loi ne sont pas prises en compte pour le calcul de l'ancienneté.

13 juillet 2011.

Jacky MORAEL.
Mieke VOGELS.
Cécile THIBAUT.

(1) Source: Eurostat

(2) Loi du 12 avril 2011 modifiant la loi du 1er février 2011 portant la prolongation de mesures de crise et l'exécution de l'accord interprofessionnel, et exécutant le compromis du gouvernement relatif au projet d'accord interprofessionnel, publiée au Moniteur belge du 28 avril 2011.