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4 JUILLET 2011
La perturbation endocrinienne est un mécanisme qui influe sur le fonctionnement du système endocrinien. Elle entraine des effets sur le développement, la croissance, la reproduction et le comportement des êtres humains et des animaux. Une inquiétude croissante se manifeste à l'égard d'une série de substances suspectées de perturber le système endocrinien, dénommées « perturbateurs endocriniens ».
Ces substances peuvent avoir des effets néfastes pour la santé, notamment provoquer des cancers, des modifications du comportement et des anomalies de la reproduction. Ce phénomène a beaucoup retenu l'attention des médias. En Belgique comme ailleurs dans l'Union européenne, de plus en plus de questions parlementaires ayant trait à l'utilisation et à la réglementation d'une série de substances susceptibles de perturber le système endocrinien sont adressées aux gouvernements des États membres et à la Commission européenne.
Dès 1999, et suite à l'adoption par la Commission européenne d'une « Communication au Conseil et au Parlement européen sur la stratégie communautaire concernant les perturbateurs endocriniens » [COM (1999) 706], le Conseil invitera la Commission à faire rapport régulièrement sur l'état d'avancement des travaux, et pour la première fois au début de l'année 2001 (Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 14 juin 2001, sur la mise en uvre de la stratégie communautaire concernant les perturbateurs endocriniens [COM(2001) 262]).
S'en suivront les rapports SEC (2004) 1372 et SEC (2007) 1635, intitulés « Community Strategy for Endocrine Disrupters — a range of substances suspected of interfering with the hormone systems of humans and wildlife ».
Dans ses rapports, la Commission européenne différencie deux classes de substances capables de provoquer une perturbation endocrinienne:
a) les hormones naturelles qui comprennent les strogènes, la progestérone et la testostérone, naturellement présentes dans l'organisme des hommes et des animaux, et les phytstrogènes qui sont des substances présentes dans certaines plantes, comme les germes de luzerne et le soja, et qui ont une activité semblable à celles des strogènes une fois ingérées par l'organisme;
b) les substances anthropiques qui comprennent:
— les hormones de synthèse, y compris celles qui sont identiques aux hormones naturelles, telles que les contraceptifs oraux, les traitements hormonaux de substitution et certains additifs alimentaires pour animaux, spécialement conçues pour agir sur le système endocrinien et le moduler; et
— les produits chimiques anthropiques conçus pour être utilisés dans l'industrie (par exemple, dans certains produits d'entretien industriels), dans l'agriculture (par exemple, dans certains pesticides) et dans des biens de consommation (par exemple, dans certains additifs pour plastiques). Cette catégorie comprend aussi les substances chimiques qui sont des sous-produits industriels, comme les dioxines, suspectées d'influer sur le système endocrinien de l'homme et de l'animal.
Et la Commission de conclure:
« Les produits chimiques anthropiques comprennent des milliers de produits nouveaux ou existants conçus pour être utilisés dans l'industrie, l'agriculture et les biens de consommation et qui, en dehors de ces utilisations, peuvent avoir des effets nocifs ou synergiques inattendus. Les informations scientifiques dont nous disposons concernant les mécanismes biochimiques de ces substances chez les humains et dans les écosystèmes sont par ailleurs insuffisantes. » (dans « Stratégie communautaire concernant les perturbateurs endocriniens. Une série de substances suspectées d'influer sur le système hormonal des hommes et des animaux », COM(1999) 706 final, page 7).
Le phénomène de la perturbation endocrinienne n'est pourtant pas nouveau. En 1938, le diéthylstilbestrol (DES) avait été mis au point pour empêcher les avortements spontanés chez la femme et pour stimuler la croissance du bétail. Dans les années 1970/1980, il s'est avéré que cette substance était à l'origine de graves problèmes pour l'appareil reproducteur mâle et femelle, y compris d'anomalies congénitales et de cancers. Il s'agit du premier exemple documenté d'une substance chimique qui, lorsqu'elle est administrée à une femme enceinte, peut induire un cancer chez sa fille.
Le dernier exemple en date est celui du bisphénol A (BPA) qui depuis le 1er mars 2011 est interdit dans les biberons vendus dans les pays de l'Union européenne. Il appartient à la catégorie des reprotoxiques de catégorie 3, autrement dit « préoccupant pour la fertilité de l'espèce humaine ». En Belgique, la proposition de loi (document no 5-821/1 du Sénat) conclut à la nécessité de bannir « le BPA de tout récipient alimentaire pour des raisons de santé publique évidentes ».
Chez l'homme en effet, les voies éventuelles d'exposition aux perturbateurs endocriniens incluent l'exposition directe sur le lieu de travail ou par l'intermédiaire de produits de consommation tels que des denrées alimentaires, certains plastiques, détergents, cosmétiques, certaines peintures, ainsi que l'exposition indirecte via l'environnement (air, eau, sol).
En ce qui concerne les effets sur la faune, des études réalisées en laboratoire montrent clairement que plusieurs substances chimiques présentes dans l'environnement sont susceptibles d'induire une perturbation endocrinienne dans des conditions d'exposition écologiquement réalistes, et que, bien que la plupart des effets observés signalés à ce jour concernent des zones fortement polluées, il existe un problème global potentiel.
L'exposition aux perturbateurs endocriniens est donc multiple et quotidienne. À titre d'exemples, nous citerons:
ORIGINE | FONCTION | COMPOSES |
INDUSTRIE | Incinération, isolation | Dioxines, biphényls polychlorés (PCBs) |
Surfactants, agents nettoyants | Alkylphénols, tributylétain | |
AGRICULTURE | Pesticides organochlorés, insecticides | DDT, méthoxychlor, dieldrine, lindane, chlordécone |
Herbicides, Fongicides | Atrazine, vinclozoline | |
Phytoestrogènes,(naturels) | Génistéine, coumestrol | |
USAGE DOMESTIQUE | Plastifiants | Phtalates |
Résines, matières plastiques | Bisphénol A (BPA) | |
Retardateurs de flamme | Biphényls polybromés (PBBs) | |
Cosmétiques | Parabènes | |
Contraceptives | Oestrogènes synthétiques, DES |
Source: J.-P. Bourguignon & A.-S. Parent.
La Commission européenne, dans sa première Communication concernant les perturbateurs endocriniens, identifiait déjà quatre mesures à prendre à plus ou moins long terme (dans « Stratégie communautaire concernant les perturbateurs endocriniens. Une série de substances suspectées d'influer sur le système hormonal des hommes et des animaux », COM(1999) 706 final, page 10):
1. la nécessité d'approfondir la recherche;
2. la nécessité d'une coordination internationale;
3. la nécessité d'une information de la population;
4. la nécessité d'une action politique.
La présente proposition de résolution a pour objectif premier d'interpeller le gouvernement belge sur ces quatre priorités. Plus particulièrement, les auteurs se permettent d'insister sur la nécessité pour la Belgique d'apporter son soutien à la recherche sur les mécanismes d'action du système endocrinien et sur ses différents effets, y compris le rôle des hormones à certaines étapes clés des cycles biologiques.
Il convient en outre de poursuivre les investigations sur le lien entre les effets nocifs observés chez l'homme et l'animal et l'exposition à certaines substances ou certains mélanges de substances. Cela nécessite des études en laboratoire, des études épidémiologiques, des études sur le terrain et des programmes de surveillance.
Étant donné l'ampleur et la gravité potentielles des effets des perturbateurs endocriniens, il faut se demander comment à court, moyen et long termes, il est possible pour la Belgique — en bonne coordination avec l'Union européenne — de contrôler ces substances de façon plus globale, en prenant notamment en compte leurs effets dans le cadre d'instruments législatifs existants.
Cécile THIBAUT Mieke VOGELS. |
Le Sénat,
A. considérant la Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur la stratégie communautaire concernant les perturbateurs endocriniens [COM (1999) 706]; la Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, du 14 juin 2001, sur la mise en uvre de la stratégie communautaire concernant les perturbateurs endocriniens [COM(2001) 262]; les rapports SEC (2004) 1372 et SEC (2007) 1635 « Community Strategy for Endocrine Disrupters — a range of substances suspected of interfering with the hormone systems of humans and wildlife »;
B. considérant que les informations scientifiques dont nous disposons concernant les mécanismes biochimiques des perturbateurs endocriniens chez les humains et dans les écosystèmes sont insuffisantes;
C. considérant que ces substances peuvent avoir des effets néfastes pour la santé, notamment provoquer des cancers, des modifications du comportement et des anomalies de la reproduction,
Demande au gouvernement:
1. de prendre connaissance des Communications successives de la Commission européenne en ce qui concerne les perturbateurs endocriniens et leurs effets nocifs chez les humains et dans les écosystèmes;
2. de faire siennes les recommandations de la Commission européenne concernant la nécessité d'approfondir la recherche, de se coordonner au niveau international, d'informer correctement la population et de prendre les mesures légales nécessaires afin de protéger notre population et nos écosystèmes des effets des perturbateurs endocriniens;
3. d'apporter son soutien plein et entier à une recherche publique et indépendante sur les mécanismes d'action du système endocrinien et sur ses différents effets, y compris le rôle des hormones à certaines étapes clés des cycles biologiques, comme de poursuivre les investigations sur le lien entre les effets nocifs observés chez l'homme et l'animal et l'exposition à certaines substances ou certains mélanges de substances, dont les modes de transmission de ces substances à l'homme et son environnement.
19 mai 2011.
Cécile THIBAUT. |
Mieke VOGELS. |