5-663/10

5-663/10

Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

28 JUIN 2011


Projet de loi modifiant le Code d'instruction criminelle et la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive afin de conférer des droits, dont celui de consulter un avocat et d'être assistée par lui, à toute personne auditionnée et à toute personne privée de liberté


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA JUSTICE PAR

MME KHATTABI ET M. VANLOUWE


I. INTRODUCTION

Le projet de loi de loi à l'examen, qui relève de la procédure bicamérale facultative, trouve son origine dans une proposition de loi déposée au Sénat le 26 janvier 2011 par Mme Defraigne et consorts (doc. Sénat, nº 5-663/1).

Le Sénat a adopté ce texte le 3 mars 2011 et l'a transmis à la Chambre des représentants.

Le 16 juin 2011, la Chambre des représentants a renvoyé le projet de loi au Sénat après l'avoir amendé (doc. Chambre, nº 53-1279/9).

La commission de la Justice a examiné le projet de loi faisant l'objet du présent rapport lors de ses réunions des 21 et 28 juin 2011, en présence du ministre de la Justice.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU MINISTRE DE LA JUSTICE

Le ministre rappelle que le Sénat a transmis le projet de loi à la Chambre des représentants le 3 mars 2011. Cette dernière a demandé l'avis du Conseil d'État le 18 mars.

L'avis du Conseil d'État confirme les grandes options de la réforme adoptée par le Sénat. Le Conseil d'État a formulé quelques remarques pertinentes qui ont été à la base d'une série d'amendements. Au total, 65 amendements ont été déposés au cours des débats à la Chambre des représentants. Le texte a été légèrement amendé et adopté en séance plénière le 16 juin dernier. Le ministre espère que le Sénat pourra finaliser l'examen du projet de loi dans les meilleurs délais.

Le ministre juge que le Conseil d'État a rendu un avis nuancé, et ce dans la bonne optique.

Le Conseil d'État a rencontré les mêmes difficultés que la commission de la Justice du Sénat.

Ce n'est effectivement pas une sinécure d'élaborer une initiative législative qui, d'une part, réponde à une évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et qui, d'autre part, prenne suffisamment en compte les implications d'ordre pratique, organisationnel et budgétaire.

L'un des points délicats qui revenait toujours dans les discussions au Sénat concernait la conformité de l'ordonnance de prolongation à l'article 12 de la Constitution.

Le Conseil d'État n'a formulé aucune remarque à ce sujet.

Il est dès lors important de noter que le projet de loi est conforme à la Constitution sur ce point et que l'inquiétude des parlementaires et de divers acteurs de terrain à cet égard s'est ainsi dissipée.

Pour ceux qui restent critiques, le ministre précise que le Conseil d'État a explicitement pour mission d'examiner le fondement juridique, c'est-à-dire la conformité aux normes juridiques supérieures (voir avis, point 1). La question de la conformité à la Constitution ayant été abordée pour ainsi dire lors de chaque réunion, le Conseil d'État n'a certainement pas pu ignorer cet aspect dès lors qu'il a examiné minutieusement les documents parlementaires préparatoires, ainsi qu'il ressort de son avis. Traditionnellement, le Conseil d'État énumère, dans son avis, uniquement les points sur lesquels il a des remarques à formuler et pas les points auxquels il souscrit.

Le Conseil d'État n'a pas non plus formulé de remarque à la lumière de la jurisprudence Salduz à propos d'un autre point important, à savoir l'accès au dossier.

Sur plusieurs points, le Conseil d'État indique que le projet de loi semble conforme à l'état actuel de la jurisprudence.

Dans l'état actuel de la jurisprudence Salduz, les options fondamentales qui avaient été prises et développées en commission du Sénat ont pu être conservées.

La commission de la Chambre était du même avis et n'a apporté que quelques modifications ponctuelles, dont il est donné un aperçu ci-après.

Aperçu des modifications

1. La privation de liberté et/ou l'audition comme critère décisif du bénéfice effectif du droit à l'assistance d'un avocat (point 11 de l'avis)

Le Conseil d'État estime que la privation de liberté comme critère décisif du droit à l'assistance est critiquable.

Il fait toutefois lui-même observer que ce critère est également utilisé par la Cour de cassation. Pour être complet, le ministre précise que ce critère est aussi utilisé dans les nouvelles législations française et néerlandaise.

Le projet de loi ne retient d'ailleurs pas la privation de liberté comme seul critère, dès lors que l'assistance à la consultation est également prévue pour les non-détenus.

Le Conseil d'État fait observer que les dispositions de l'article 6 de la CEDH valent d'ailleurs pour tous les prévenus et inculpés, qu'ils soient privés ou non de leur liberté.

Le Conseil d'État renvoie à l'arrêt Zaichenko, cité dans l'exposé des motifs, qui, selon lui, semble s'appuyer davantage sur la nature du contrôle et des déclarations effectuées que sur l'absence de privation formelle de liberté.

Il fait en l'occurrence le lien avec la notion d'audition, estimant qu'il serait opportun de définir cette notion (point 13, dernier alinéa).

Le ministre indique que ses services ont tenté de définir la notion d'audition dans le cadre de la jurisprudence Salduz (voir l'amendement nº 2), ce qui ne fut pas évident.

Au cours de la discussion du texte en commission de la Chambre, il a finalement été décidé de ne pas inscrire de définition dans la loi, mais de préciser intégralement dans les développements ce qu'il y a lieu d'entendre par audition, pour ainsi donner suite à l'avis du Conseil d'État.

2. Mineurs

En ce qui concerne la privation de liberté de mineurs, le Conseil d'État confirme que le Sénat a très justement considéré que la jurisprudence Salduz et l'article 12 de la Constitution s'appliquent également aux mineurs.

Le Conseil indique toutefois que les dispositions du projet de loi doivent être minutieusement confrontées aux dispositions de la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse afin d'éviter les interprétations a contrario.

Cette recommandation a été scrupuleusement suivie et, à la lumière de cette confrontation, force a été de constater que, lues en corrélation avec les dispositions de la loi relative à la protection de la jeunesse, les dispositions du projet forment un bel ensemble conférant au mineur le droit à l'assistance d'un avocat.

Conformément à la circulaire ministérielle du 13 janvier 1995 relative à la protection judiciaire de la jeunesse, publiée au Moniteur belge le 8 février 1995, ceci implique qu'avant de comparaître devant le juge de la jeunesse, le mineur peut s'entretenir avec son avocat, en plus d'être assisté par ce dernier lors de l'audition.

Il a été donné suite à la suggestion du Conseil d'État de prévoir de manière conséquente, dans le projet de loi, que les mineurs ne peuvent jamais renoncer au droit à l'assistance.

Deux amendements ont été préparés à cet effet :

— l'amendement nº 2 prévoit que le mineur qui n'est pas détenu ne peut lui non plus renoncer au droit de concertation préalable avec un avocat

— l'amendement nº 7 contient une disposition analogue pour un mineur qui comparaît devant le juge d'instruction. Un examen plus attentif a en effet montré qu'il y a deux cas exceptionnels où un mineur peut être déféré devant un juge d'instruction, à savoir en cas de dessaisissement et pour les poursuites liées à certaines infractions de roulage.

3. Élargissement du droit à l'assistance lors d'une audition à d'autres situations de privation de liberté régies, à l'instar des situations visées dans le projet, par la loi sur la détention préventive (point 19 de l'avis du Conseil d'État)

Le Conseil d'État signale que l'assistance doit également être réglée clairement pour les situations visées à l'article 15bis en projet (prolongation du délai de 24 heures) et dans le cas d'un mandat d'amener (article 3 de la loi sur la détention préventive).

Il s'agit en effet d'un oubli en l'occurrence et un amendement à ce sujet a également été déposé et approuvé (amendement nº 6).

4. Contenu du droit à l'assistance (points 21 à 24 de l'avis du Conseil d'État)

Le Conseil d'État ne formule aucune observation particulière au sujet de la teneur que donne le projet au droit à l'assistance.

En ce qui concerne le droit de consultation, le Conseil d'État observe, au point 22, que, compte tenu des précisions données, il n'apparaît pas que le droit de consultation (qui n'est accordé que lors de la première audition) ait été organisé avec trop de restrictions.

S'agissant du droit à l'assistance, le Conseil d'État déclare que compte tenu de la finalité de l'assistance au cours de l'audition, la mission de l'avocat, telle qu'elle est définie dans le projet, est suffisamment vaste au regard des exigences de l'article 6, §§ 1er et 3, c), de la CEDH.

Le Conseil d'État peut comprendre le point de vue adopté dans le projet de loi de ne pas prévoir un droit à l'assistance lors des auditions ultérieures, et souligne que, dans sa jurisprudence, la Cour européenne met effectivement l'accent sur la vulnérabilité de l'inculpé dans les premiers stades de la procédure. À défaut d'une jurisprudence claire sur cette question, le Conseil d'État se borne à émettre une réserve à ce propos.

L'observation formulée par le Conseil d'État, au point 24, à propos de l'assistance de l'avocat lors d'autres actes de procédure qui supposent la collaboration active de l'inculpé, comme une descente sur les lieux en vue de la reconstitution des faits, est prise en compte dans l'amendement nº 5 qui insère cette assistance dans l'article 62 du Code d'instruction criminelle.

La nouveauté est donc que tant l'inculpé que la victime ont droit à l'assistance d'un avocat lors de la descente sur les lieux en vue de la reconstitution des faits. Le texte prévoit aussi un devoir de confidentialité par rapport aux informations recueillies lors de la reconstitution.

5. Sanction de la méconnaissance du droit à l'assistance d'un avocat (point 25 de l'avis du Conseil d'État)

Le Conseil d'État met en doute la conformité de la disposition de l'article 47bis, § 6, en projet, du Code d'instruction criminelle avec la jurisprudence de la CEDH, cet article prévoyant que les auditions effectuées en violation des dispositions précédentes ne peuvent être utilisées de manière exclusive, ni dans une mesure déterminante aux fins d'une condamnation de la personne auditionnée.

Un autre amendement a été prévu pour répondre à cette observation (voir l'amendement nº 3 et le sous-amendement nº 55).

Les mots « de manière exclusive, ni dans une mesure déterminante » ont été supprimés.

Dans le projet initial, tel qu'il avait été approuvé par le Sénat, le § 6 ne visait pas uniquement l'assistance par un avocat, mais il faisait aussi référence au § 4 en ce qui concerne la bill of rights. Dans le projet adapté, la sanction « plus lourde » consistant à écarter les preuves en question a été jugée trop lourde dans l'avis du Conseil d'État lorsqu'il s'agit du non-respect de certaines formalités et la sanction a été réservée à ce qui est strictement exigé en vertu de la jurisprudence Salduz.

De manière plus spécifique, le ministre souhaite se référer, pour ce qui est de l'étendue de l'exclusion des preuves, à la justification du sous-amendement nº 55 (doc. Chambre, nº 53-1279/4).

6. Secret de l'instruction — confidentialité

Enfin, le Conseil d'État se réfère encore, au point 29 de son avis, à la disposition de la loi française pour prévoir une exception au secret de l'information et de l'instruction. Un amendement est déposé pour répondre à cette observation (amendement nº 4).

Il est un fait que l'assistance apportée pendant des auditions constitue une exception au secret de l'instruction. La concertation confidentielle préalable est une affaire entre l'avocat et son client.

7. Indépendamment de l'avis du Conseil d'État, la commission a encore adopté l'amendement nº 53 qui prévoit qu'une audition d'une personne détenue peut être interrompue une fois à la demande de la personne interrogée ou de son avocat.

Pour plus de clarté : l'audition ne peut être interrompue qu'une seule fois, soit à la demande de la personne interrogée, soit à la demande de son avocat.

8. Un amendement (l'amendement nº 56) a été déposé en vue de reporter la date d'entrée en vigueur au 1er octobre 2011, afin de permettre aux acteurs de terrain de tout préparer.

9. Il a enfin été tenu compte des observations techniques du service d'Évaluation de la législation.


Le ministre pense que l'on peut aller de l'avant et que, comme les options fondamentales prises par le Sénat ont été confirmées par la Chambre et le Conseil d'État, plus rien n'empêche de finaliser ce projet de loi à brève échéance.

Il s'impose plus que jamais de donner une réponse législative afin de mettre un terme à l'insécurité juridique qui pèse pour l'instant lourdement sur la pratique.

Le ministre souligne qu'il a rencontré des représentants des barreaux qui manifestaient en vue d'obtenir le paiement des prestations pour l'assistance des personnes auditionnées. Il s'est engagé à faire le nécessaire dès que le nouveau régime sera en vigueur. Il est par contre plus compliqué de trouver une solution pour les prestations passées. Comment payer rétroactivement des prestations qui sont difficiles à prouver et qui varient selon les barreaux ? C'est un débat complexe qui devra être mené dans les prochaines semaines.

Le ministre se concertera dans les plus brefs délais avec tous les acteurs de terrain (policiers, ministère public, juges d'instructions, avocats, etc.) pour préparer une mise en œuvre correcte des décisions prises par le législateur. Il fait remarquer que la Chambre a inséré une disposition sur l'entrée en vigueur du nouveau régime « Salduz ». La loi entrera en vigueur le 1er octobre 2011 sauf si le Roi décide une date d'entrée en vigueur anticipée. Ce délai sera mis à profit pour effectuer les concertations nécessaires et assurer les formations.

Avis du service d'Évaluation de la législation du Sénat

Le service d'Évaluation de la législation du Sénat a rendu l'avis suivant sur le texte adopté par la Chambre.

« Article 2, § 6

1. Des auditions effectuées sur la base de la loi relative à la détention préventive sans l'assistance d'un avocat peuvent servir d'élément de preuve

L'article 47bis, § 6, du Code d'instruction criminelle en projet stipule que les auditions effectuées en violation « des §§ 2, 3 et 5 », sans concertation confidentielle préalable ou assistance d'un avocat au cours de l'audition, ne peuvent servir d'élément de preuve aux fins d'une condamnation de la personne interrogée.

Aux termes de cette disposition, il n'est pas clair si des auditions effectuées sur la base des articles 2bis, 15bis et 16 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive sans l'assistance d'un avocat peuvent servir d'élément de preuve.

Sur la base d'une lecture littérale du § 6 en projet, elles peuvent bien servir d'élément de preuve. En effet, seules les auditions effectuées en violation des §§ 2, 3 et 5 ne peuvent servir d'élément de preuve. Cependant, ces paragraphes ne font pas mention du droit d'assistance d'un avocat lors de l'audition visée aux articles 2bis, 15bis et 16 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive.

En outre, le § 3 ne requiert pas que, dans le cadre de la détention préventive, les auditions doivent être effectuées en présence d'un avocat. Le paragraphe 3 prévoit uniquement que la personne concernée doit être informée qu'elle jouit des droits énoncés aux articles 2bis, 15bis et 16 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive.

Donc, si cette information n'a pas lieu, l'audition effectuée dans le cadre des articles 2bis, 15bis et 16 de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive sans l'assistance d'un avocat ne peut servir d'élément de preuve. Si par contre cette information a bien lieu, l'audition effectuée sans l'assistance d'un avocat peut servir d'élément de preuve.

2. Violation du principe d'égalité ?

Selon le texte adopté par le Sénat, une audition effectuée en violant le § 4 ne peut servir comme élément de preuve à une condamnation de la personne auditionnée.

Selon le texte adopté par la Chambre par contre, une telle audition peut bien servir comme élément de preuve. Le paragraphe 4 ne concerne qu'une disposition de forme, et le non-respect de ce paragraphe n'est pas aussi important que le non-respect des dispositions des §§ 2, 3 et 5.

La Chambre semble ignorer que son texte adopté implique qu'une audition effectuée en violation du § 4 ne peut toujours pas servir comme élément de preuve si l'erreur de forme est commise dans le cadre du § 5. En effet, le § 5 prescrit que la déclaration écrite, prévue au § 4, doit être remise. À défaut, le prescrit du § 5 n'est pas respecté et l'audition ne peut servir comme élément de preuve.

Comment peut-on justifier qu'une audition effectuée en violation du § 4 sans concertation préalable ou assistance d'un avocat, puisse en principe servir comme élément de preuve aux fins d'une condamnation, mais qu'elle ne puisse servir à cette fin dans l'unique cas où cette erreur matérielle serait commise dans le cadre du § 5 ?

Article 3

Comme cet article (nouveau) insère une réglementation qui s'applique également en dehors de toute audition et de toute privation de liberté, l'intitulé du présent projet de loi n'est plus correct.

Suggestion :

« Projet de loi modifiant le Code d'instruction criminelle et la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive notamment afin de conférer des droits, dont celui de consulter un avocat et d'être assistée par lui, à toute personne auditionnée et à toute personne privée de liberté »

Article 4

1. L'article 2bis, § 1er, en projet, prévoit à l'attention des personnes privées de liberté une concertation confidentielle avec un avocat de leur choix « préalablement au premier interrogatoire suivant ».

Ceci semble indiquer que le suspect privé de liberté n'a pas droit à une concertation complémentaire préalablement à une deuxième audition ou même à l'interrogatoire par le juge d'instruction.

Une telle façon de voir nous semble difficilement conciliable avec la jurisprudence Salduz qui prévoit l'accès à un avocat à partir de la première audition ou privation de liberté. Dans le projet de loi, seul l'hypothèse où une ordonnance de prolongation serait signifiée est de nature à engendrer un nouveau droit de concertation confidentielle dans le chef du suspect privé de liberté.

Il n'y a pas de communication libre entre le suspect et son avocat avant la délivrance du mandat d'arrêt (art. 20, § 1er, en projet, de la loi relative à la détention préventive).

2. Les versions néerlandaise et française du texte sont discordantes à l'article 2bis, § 2, premier alinéa, dans la mesure où le terme « termijnen » y est traduit par le mot « le délai ».

3. Art. 2bis, § 1er, alinéa premier (version néerlandaise) : « een in artikel 3 bedoelde bevel »

III. DISCUSSION

Mme Faes demande quel est le point de vue du ministre sur l'avis du service d'Évaluation de la législation du Sénat.

M.  Courtois déclare pouvoir se rallier au texte à l'examen qui est un compromis, même si sur certains points il aurait préféré une autre solution. Il pense par exemple au moment à partir duquel le régime Salduz s'applique.

M.  Courtois suppose que si l'on dégage des moyens supplémentaires pour mettre en place une assistance juridique en faveur des personnes auditionnées, des moyens supplémentaires seront également dégagés en faveur des autres éléments de la chaîne pénale et qui sont également concernés par la nouvelle procédure. L'intervenant pense à des moyens techniques, informatiques et financiers supplémentaires pour la magistrature; à des moyens techniques pour la police judiciaire fédérale, etc.

M.  Laeremans renvoie à la position que son groupe a adoptée dès le début de la discussion et qui n'a pas changé. Il reste donc opposé au projet de loi à l'examen qui rendra la procédure infiniment plus formaliste. Il en résultera que le travail des policiers, des magistrats du parquet et des juges d'instruction sera énormément compliqué, voire miné dans plusieurs domaines. Le texte renvoyé par la Chambre est encore plus mauvais que celui qui avait été adopté au Sénat. En effet, la sanction a été fortement alourdie. Alors que le texte initial prévoyait que les auditions ne pouvaient être utilisées comme preuves « déterminantes », la moindre petite erreur concernant le fait de communiquer à temps ses droits au suspect entraîne désormais la nullité de ces auditions. Elles ne peuvent donc en aucun cas constituer un élément de preuve. Cela aura de nombreuses conséquences, la démotivation des policiers et des magistrats n'étant pas la moindre de celles-ci.

Le paragraphe 6 doit être lu conjointement avec le paragraphe 5 qui ouvre une brèche énorme « lorsqu'il s'avère que certains éléments laissent présumer que des faits peuvent lui être imputés... ». Qu'adviendra-t-il, par exemple, lorsqu'un meurtre familial s'est déroulé dans une maison où habitent quatre frères ? La disposition manque de fondement juridique et n'est pas claire. Elle sera interprétée dans tous les sens possibles pour torpiller ainsi le maximum d'enquêtes judiciaires. La combinaison de ces deux paragraphes portera le coup de grâce aux enquêtes en cours. Il sera particulièrement difficile pour les policiers de travailler de manière appliquée et normale. Même lorsqu'ils interrogeront des témoins, ils se sentiront obligés de se couvrir en demandant la présence d'un avocat.

La qualité de l'enquête pâtira certainement de l'explosion du nombre d'avocats à contacter, du manque de locaux d'audition et de policiers, etc. L'on se focalisera sur le strict nécessaire, ce qui nuira à l'efficacité de la Justice. L'intervenant n'est pas rassuré par les déclarations du ministre sur un renforcement de la capacité policière et sur l'octroi de moyens supplémentaires. À cet égard, la question est aussi de savoir s'il est possible de trouver les effectifs nécessaires en très peu de temps, compte tenu de l'entrée en vigueur rapide du texte.

Au niveau de l'infrastructure, il faudra plus de locaux d'audition dans les commissariats de police, ainsi que des salles d'attente pour les avocats, une salle supplémentaire pour un entretien confidentiel entre le suspect et son avocat, etc. Cela vaut aussi pour les palais de justice où les magistrats du parquet et les juges d'instruction procèdent à des auditions. Comment prévoir tout cela en peu de temps ?

Ensuite, la réglementation proposée compliquera surtout le travail du juge d'instruction. Il ne faut quand même pas oublier que le juge d'instruction reçoit déjà l'aide la plus limitée qui soit, en la personne du seul greffier. Que fera-t-on pour l'assister davantage dans le cadre de ce travail supplémentaire ? L'arriéré est déjà immense à l'heure actuelle. Comment évitera-t-on que la justice ne soit engorgée et que toute une série d'affaires ne soient bloquées ?

Même si elle garde certains regrets par rapport au projet de loi à l'examen, Mme Khattabi se réjouit que l'on arrive au bout du parcours parlementaire. L'intervenante trouve que le texte s'est bonifié au cours des travaux. Une série de remarques du Conseil d'État ont été prises en compte et ont donné lieu à l'adoption d'amendements à la Chambre des représentants. Plusieurs amendements déposés par le groupe de l'intervenante y ont d'ailleurs été adoptés. Elle pense notamment à la possibilité donnée à l'avocat d'interrompre pendant quinze minutes l'audition d'une personne arrêtée.

Mme Khattabi pense que le texte à l'examen est nécessaire, non seulement en raison des obligations internationales de la Belgique mais surtout car il permet à la personne interrogée d'être moins vulnérable face à ses interrogateurs. L'égalité des armes s'en trouve renforcée. Cette égalité n'est malheureusement pas complète. Il existe toujours une différence entre les suspects libres et ceux privés de liberté. Il existe toujours une différence entre les suspects en fonction de la nature des faits dont ils sont suspectés.

L'intervenante regrette en outre que le rôle de l'avocat se limite au contrôle du respect de certains droits de la défense et à l'exercice d'une possible contrainte sur son client.

L'intervenante regrette d'autre part le fait que d'aucuns aient profité de la mise en œuvre de la jurisprudence Salduz pour introduire une possibilité de prolonger le délai de garde à vue de 24 à 48 heures, sans permettre un vrai débat sur une modification aussi fondamentale de notre procédure pénale.

M.  Delpérée fait remarquer que le Conseil d'État n'a formulé aucune remarque sur le régime de prolongation du délai d'arrestation tel qu'il est proposé dans le projet à l'examen.

Mme Khattabi ne se place pas sur le plan de la constitutionnalité de la mesure. Elle se place sur un plan politique. C'est une décision trop fondamentale. Il aurait été préférable d'aborder une telle mesure dans le cadre d'une proposition de loi distincte faisant l'objet de débats plus larges.

L'intervenante plaide enfin pour une entrée en vigueur rapide du texte. Le projet prévoit que le nouveau régime entrera en vigueur au plus tard le 1er octobre 2011. Ne serait-il pas possible d'avancer cette date ou, le cas échéante, de travailler de manière phasée. Les juges d'instruction ont déjà pris des initiatives depuis plusieurs mois pour se mettre en ordre par rapport à la jurisprudence Salduz. Il est dès lors possible d'appliquer immédiatement la nouvelle procédure au stade de l'instruction, quitte à ce que l'on prévoit une entrée en vigueur différée pour les interrogatoires de police. On laisse de la sorte le temps aux policiers de se former et de régler leurs problèmes d'infrastructures. Cette solution permettrait de rémunérer les prestations que les avocats effectuent gratuitement depuis plusieurs mois. On rencontrerait ainsi les revendications des avocats qui menacent de suspendre les permanences à partir du 1er juillet, avec le chaos que cela engendrerait pour les procédures.

Pour toutes les raisons qu'elle vient de rappeler, Mme Khattabi déclare qu'elle s'abstiendra lors des votes.

Mme Turan indique qu'avant d'être adoptée au Sénat, la proposition de loi initiale avait fait l'objet de nombreuses auditions, discussions et concertations. Certaines questions restaient entières et toutes les interrogations n'étaient pas dissipées, mais chacun avait pris conscience qu'il était grand temps d'agir car, sans adaptation de la législation, de grands criminels risquaient d'être remis en liberté. C'est alors que la Chambre des représentants a fait le choix de demander l'avis du Conseil d'État. Ainsi que le ministre l'a indiqué, certains éléments ont été adaptés à la lumière de cet avis. L'intervenante continue toutefois à s'interroger. Ainsi, elle renvoie à l'avis du service d'Évaluation de la législation du Sénat, auquel il n'a toujours pas été donné suite. Il importe que la réglementation soit interprétée de la manière la plus univoque possible afin que nous ne soyons pas confrontés trop souvent par la suite à des procédures frappées de nullité et, partant, à des acquittements.

Le Conseil d'État a demandé que l'on définisse le concept d'audition, mais la Chambre a fait le choix de ne pas introduire de définition dans le texte afin d'éviter les nullités. Une définition détaillée figure dans les développements. L'intervenant craint que le législateur n'élude le problème en s'en remettant à la pratique et ne soit confronté par la suite à des jurisprudences divergentes sur l'application de la législation Salduz.

Le Conseil d'État a également demandé pourquoi le législateur n'avait pas prévu un droit à l'assistance lors de l'audition pour les personnes qui sont interrogées par l'Inspection spéciale des impôts. Pourquoi cette option n'a-t-elle pas été retenue ?

Le principal problème, selon l'intervenante, reste la sanction. Le Sénat avait décidé que les pièces en question ne pouvaient pas être utilisées de manière exclusive, ni dans une mesure déterminante aux fins d'une condamnation de la personne interrogée. Cette formulation est tirée de la législation relative aux témoins anonymes. La Chambre ne l'a pas retenue et a renforcé la sanction en prévoyant que les auditions effectuées sans concertation préalable ou assistance durant l'audition ne peuvent servir d'élément de preuve tout court. Cela vaut-il aussi pour les preuves obtenues dans le cadre de l'audition ? Une telle sanction risque de mettre les poursuites pénales gravement en péril dans le futur. L'intervenante déposera un amendement (doc. Sénat, nº 5-663/9, amendement nº 105) en vue de supprimer le § 6 et de revenir ainsi à la jurisprudence constante Antigone. Cela signifie qu'une preuve obtenue irrégulièrement peut être prise en considération comme preuve d'une infraction sauf dans les trois cas limitatifs suivants :

1. le législateur prévoit explicitement la nullité de cette preuve ou;

2. la fiabilité de la preuve a été entachée ou;

3. l'usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable.

Si l'on demande l'exclusion de la preuve, le juge devra d'abord vérifier, concrètement et à la lumière de l'ensemble de la cause, si la fiabilité de la preuve a effectivement été entachée et si l'usage de la preuve nuirait réellement à l'équité du procès, avant de pouvoir exclure la preuve en question.

Le juge ne peut donc pas aller plus loin que ce qu'autorise la jurisprudence Antigone, laquelle vise notamment à prévenir les dérives.

M.  Laaouej rappelle que son groupe avait formulé des réserves lors du premier examen du texte par le Sénat. Ces réserves subsistent par rapport au texte tel qu'il revient de la Chambre des représentants. Le point d'achoppement le plus important est la prolongation de la garde à vue mais également l'évolution du statut de la personne entendue qui, de témoin peut devenir suspect, sans que le texte règle cela de manière précise.

L'intervenant est en outre inquiet par rapport aux aspects organisationnels et budgétaires induits par la nouvelle procédure. Le ministre pourra-t-il régler tous les éléments pratiques d'ici début octobre pour que les choses fonctionnent sur le terrain. L'intervenant pense notamment aux mesures nécessaires pour que les avocats qui interviendront dans le cadre de la nouvelle procédure soient effectivement rémunérés. Il faudra sans conteste examiner l'adéquation de la nomenclature de l'aide juridique pour couvrir les prestations « Salduz » des avocats.

M.  Delpérée rappelle les longs débats consacrés en commission lors du premier examen du texte par le Sénat. Le but n'est pas de reprendre aujourd'hui l'ensemble de la discussion dans le cadre de l'examen du texte tel qu'il a été renvoyé amendé par la Chambre des représentants.

L'intervenant constate que les vives appréhensions formulées par certains membres à propos de la constitutionnalité du texte n'ont pas été partagées par le Conseil d'État. Ce dernier n'a pas vu d'objection constitutionnelle aux dispositions du projet à l'examen.

L'intervenant soutient les amendements qui ont été apportés par la Chambre des représentants. Ce sont des corrections mineures qui améliorent le texte et auxquelles il se rallie.

M.  Delpérée reste attentif au problème du financement de la réforme. Son groupe œuvrera pour obtenir un refinancement des activités de justice, dont la mise en œuvre de la jurisprudence « Salduz » constitue un élément important.

En ce qui concerne l'entrée en vigueur de la réforme, des positions diamétralement opposées ont été défendues. Certains plaident pour une entrée en vigueur la plus rapide possible alors que d'autres doutent que l'on sera prêt le 1er octobre 2011. L'intervenant pense que le délai de trois mois prévu pour l'entrée en vigueur sera bien nécessaire pour prendre les mesures nécessaires à la mise en œuvre du nouveau régime. Par ailleurs, si un policier ou un juge devait déjà appliquer la nouvelle procédure avant même son entrée en vigueur, l'intervenant ne voit pas en quoi il pourrait être sanctionné dans les procédures qu'il a engagées.

Mme de Bethune se réjouit de voir la nouvelle réglementation liée à l'arrêt Salduz sur le point d'aboutir. Dans cette matière, le Sénat a fourni un véritable travail de fond et le texte renvoyé par la Chambre a été inscrit à l'agenda et examiné avec la célérité nécessaire. La Chambre a conservé la plupart des options retenues par le Sénat. Le groupe de l'intervenante peut également souscrire aux modifications apportées par la Chambre pour répondre aux observations du Conseil d'État.

La Chambre a aussi maintenu la possibilité, pour le juge d'instruction, de rendre une ordonnance de prolongation afin que ce dernier ait la possibilité de faire valoir les droits du suspect.

L'intervenante souscrit également à l'extension, prévue par la Chambre, de la présence d'un avocat lors d'une descente sur les lieux en vue d'une reconstitution.

Toutefois, le groupe CD&V tient à demander des précisions au ministre sur un seul point, en l'occurrence la sanction. Dans la proposition initiale que le Sénat a adoptée, il était prévu que les auditions effectuées en méconnaissance de la procédure ne pouvaient être utilisées de manière exclusive, ni dans une mesure déterminante aux fins d'une condamnation de la personne interrogée. Le Conseil d'État avait estimé que cette sanction n'était pas conforme à la jurisprudence découlant de l'arrêt Salduz de la Cour européenne des droits de l'homme. À l'issue du débat, la Chambre a donc décidé que les auditions ainsi effectuées ne pouvaient plus être utilisées comme élément de preuve pour condamner la personne interrogée. L'on peut se demander si cette formule n'aura pas des effets indésirables. Qu'adviendra-t-il des éléments de preuve découlant directement de l'audition ? Pourront-ils quand même servir de preuve ou faudra-t-il les exclure également ? L'intervenante cite l'exemple d'une affaire de meurtre dans laquelle l'enquête a mis en évidence trois éléments de preuve différents : des aveux — le juge du fond estimera ultérieurement qu'ils ont été recueillis de manière irrégulière — mais aussi des empreintes digitales et des traces d'ADN. Et si le suspect a indiqué lors de son audition les endroits où il a dissimulé l'arme du crime et abandonné le corps ? Sans ces indications, la police ne les aurait jamais retrouvés. Ces éléments de preuve ne peuvent-ils quand même pas être utilisés pour une condamnation ou faut-il prononcer l'acquittement ? L'intervenante trouve la formule retenue par le Sénat plus pertinente. Les déclarations effectuées lors d'une audition irrégulière ne peuvent être utilisées comme seul élément de preuve et peuvent être étayées par d'autres éléments de preuve.

En outre, l'article 6 de la CEDH est directement applicable dans notre ordre juridique et en cas de violation du droit à l'assistance d'un avocat, la preuve devra être écartée ou non. La question est de savoir si dans tous les cas où la procédure ne s'est pas entièrement déroulée conformément aux modalités prescrites, la loi doit prévoir une sanction aussi sévère, alors que l'on a pourtant rencontré les objectifs de la loi, à savoir permettre aux droits de la défense de s'exercer pleinement, et bénéficier in casu de l'assistance de l'avocat lors de la première audition. En outre, il convient également de tenir compte du fait que la loi française prévoit que l'audition effectuée dans une telle situation ne peut servir de moyen de preuve unique.

Il faut également examiner en détail les observations du service d'Évaluation de la législation en ce qui concerne la sanction.

Mme Taelman déclare que son groupe peut également se rallier en grande partie aux modifications apportées par la Chambre des représentants à la suite des observations du Conseil d'État.

Deux questions subsistent néanmoins.

N'est-il vraiment pas possible de définir l'audition ?

D'autre part, l'intervenante est aussi particulièrement préoccupée par la modification apportée par la Chambre en ce qui concerne la sanction. De plus, l'objectif précis de cette modification ne ressort pas clairement du rapport fait au nom de la Commission. Le rapport indique que les députés souhaitent quand même faire appliquer la jurisprudence Antigone, c'est-à-dire que l'audition ne peut être utilisée de manière exclusive ni dans une mesure déterminante.

D'autre part, l'intervenante se réfère également à la note du service d'Évaluation de la législation qui trouve que la disposition à l'examen pose vraiment problème.

En dépit de l'urgence, le texte se doit d'être clair. Il faut veiller à son applicabilité sur le terrain.

Réponses du gouvernement

Le ministre répartit les questions en différentes catégories : il y a les questions qui concernent l'entrée en vigueur et le budget, les questions relatives à la note du service d'Évaluation de la législation du Sénat, et les questions qui portent sur la sanction et sur la définition de l'audition.

A. L'entrée en vigueur

À titre de compromis, la date d'entrée en vigueur a finalement été fixée au 1er octobre 2011. Elle pourrait toutefois être anticipée par arrêté royal si tout le processus devait être finalisé plus tôt.

Si l'on a opté pour un délai de trois mois, c'est parce qu'il reste encore énormément de travail à accomplir. Ainsi, il y a un arrêté royal à élaborer sur la « déclaration des droits ». De plus, celle-ci doit encore être traduite au moins dans les trois langues nationales ou mieux encore dans septante langues et être mise en application dans les ordinateurs de la police. Le calendrier est donc très serré, et les mois de vacances à venir n'y sont pas étrangers non plus.

Il faut aussi élaborer un arrêté ministériel en vue de fixer les points qui seront attribués aux prestations de l'avocat, ce qui ne pourra se faire qu'au terme de négociations avec les barreaux.

En outre, le Collège des procureurs généraux doit encore rédiger des circulaires et la police doit suivre des formations.

Par ailleurs, il faut veiller à ce que la loi entre rapidement en vigueur.

On peut donc difficilement prétendre que le délai prévu n'est pas raisonnable.

Sur la question du budget, il est clair qu'il faudra prévoir les budgets nécessaires dès que la loi entrera en vigueur. On peut difficilement budgéter des montants pour des mesures qui n'ont pas encore été votées. Il faudra prévoir les moyens nécessaires pour l'ensemble des acteurs et donc pas uniquement pour les barreaux.

B. La note du service d'Évaluation de la législation du Sénat

Le ministre passe la note en revue et donne la réponse suivante :

« Article 2, § 6 : la sanction

La disposition afférente à la sanction a fait l'objet de longues discussions à la Chambre et est un texte de compromis.

Le service d'Évaluation de la législation du Sénat indique ne pas savoir clairement si des auditions effectuées sur la base de la loi relative à la détention préventive relèvent de cette sanction. La réponse est affirmative.

Cette question a déjà été traitée à de multiples reprises, y compris au Sénat. Des amendements ont d'ailleurs été déposés à ce sujet par le PS.

L'article 47bis, § 2, renvoie aux articles de la loi relative à la détention préventive.

On a procédé par le biais de références croisées.

En réalité, le Conseil d'État a déjà répondu à l'observation formulée par le service d'Évaluation de la législation du Sénat.

Voici l'avis du Conseil d'État nº 25 :

« L'article 47bis, § 6, du Code d'instruction criminelle, en projet, s'énonce comme suit : « Les auditions effectuées en violation des dispositions des paragraphes 2 à 5 ne peuvent être utilisées de manière exclusive, ni dans une mesure déterminante aux fins d'une condamnation de la personne interrogée.

L'article 47bis, § 3, en projet, du même Code prévoit que cette même sanction s'applique aussi aux auditions de personnes privées de leur liberté. ». »

Dans une note en bas de page, le Conseil d'État fait toutefois remarquer qu'il serait judicieux, pour des raisons de clarté, de mentionner aussi explicitement le régime de sanctions dans l'article 2bis en projet de la loi relative à la détention préventive.

Avec le recul, il apparaît que cela eût sans doute été préférable.

Nous ne l'avons quand même pas fait car la philosophie du projet était de recourir à des renvois. D'autres paragraphes contiennent également des renvois, par exemple les §§ 4 et 5. Il faut rester conséquent : si nous changeons la méthode pour la sanction, nous créerons des ambiguïtés pour les autres articles.

L'intention du législateur est clairement attestée par les textes.

Un autre argument peut aussi être invoqué. À la Chambre, l'article relatif à la sanction a d'abord été adapté en renvoyant seulement aux §§ 2 et 3, et pas aux §§ 4 et 5.

Il n'a pas été jugé opportun de renvoyer au § 4. Cet article porte sur la « déclaration des droits » (« bill of rights ») et relève d'une obligation qui ne découle pas de la jurisprudence Salduz, mais anticipe sur une directive européenne en préparation.

Dans le projet initial, il avait été prévu que si des éléments de preuve venaient à poser problème, ils ne pourraient être utilisés de manière exclusive, ni dans une mesure déterminante aux fins de la condamnation de la personne interrogée.

La sanction a été alourdie en réponse aux observations du Conseil d'État.

Il n'a pas été jugé opportun de prévoir une telle sanction pour les formalités prescrites au § 4 car la jurisprudence découlant de l'arrêt Salduz ne l'exige pas. En outre, le § 4 fait également référence à un arrêté royal, de sorte que cette sanction très sévère devrait être appliquée à toutes les dispositions de cet arrêté royal.

Telle ne saurait être l'intention du législateur. Le § 4 a donc clairement été exclu.

Le § 5 n'a pas été mentionné puisque les §§ 2 et 3 sont clairs. La Chambre y a cependant vu une pierre d'achoppement et a fini par l'ajouter.

Certes, le § 5 fait désormais référence au § 4, mais cela ne constitue pas un problème insurmontable puisque le § 6 poursuit en parlant clairement des « auditions effectuées en violation des dispositions des ..., sans concertation confidentielle préalable ou assistance d'un avocat au cours de l'audition ».

Il est donc clair que l'article qui prévoit la sanction ne fait pas référence à la « déclaration des droits » ni au § 4 (l'article sur la déclaration des droits a été formellement exclu).

La formulation n'est peut-être pas parfaite, mais l'intention du législateur est claire.

Article 3

Le ministre souscrit à la modification proposée pour l'intitulé du projet de loi.

Article 4

Cet article a été voté sous cette formulation au Sénat et n'a pas été adapté à la Chambre.

L'expression « au premier interrogatoire suivant » a déjà été introduite et commentée dans le cadre de l'amendement nº 89 (doc. Sénat, nº 5-663/3), déposé au Sénat.

La jurisprudence découlant de l'arrêt Salduz accorde le droit d'être assisté par un avocat dès la privation de liberté et indépendamment de toute audition (cf. arrêt Dayanan).

C'est la raison pour laquelle le législateur a choisi d'introduire dans le droit procédural le droit à une concertation confidentielle préalablement au premier interrogatoire par les services de police.

Les dispositions sont donc bel et bien en conformité avec la jurisprudence découlant de l'arrêt Salduz. À cet égard, l'on peut également se référer à l'avis du Conseil d'État, nos 21 et 22.

« Le projet de loi prévoit un droit de consultation et un droit d'assistance au cours de l'audition. Ces deux droits peuvent être regardés comme des éléments du droit à l'assistance d'un avocat. »

Dans la mesure où ils s'appliquent, le Sénat a donné à ces deux droits un contenu spécifique.

Ainsi, le droit de consultation pour les personnes non privées de leur liberté est uniquement accordé « avant la première audition » et pour les personnes privées de leur liberté à partir de la privation de liberté et « préalablement au premier interrogatoire ».

En ce qui concerne la concertation préalable à une audition, il ressort des développements de la proposition initiale que ses auteurs sont partis du principe que la concertation confidentielle doit principalement être garantie à l'occasion de la première audition, « compte tenu de la situation précaire dans laquelle se trouve alors la personne entendue puisque c'est la première fois qu'elle entre en contact avec les autorités policières et judiciaires ». Ceci ne signifie nullement qu'il n'y ait pas de concertation possible avant toute audition suivante. C'est toutefois à l'intéressé même qu'il incombe alors d'organiser cette concertation. En d'autres termes, les services de police, le parquet ou le juge d'instruction ne doivent plus garantir que l'inculpé puisse exercer son droit à la concertation préalable.

Compte tenu de ces précisions, il n'apparaît pas que le droit de consultation ait été organisé avec trop de restrictions. »

En ce qui concerne les personnes privées de leur liberté, il convient de tenir compte du délai de 24 heures. Il n'a pas été jugé opportun d'organiser une concertation confidentielle à plusieurs reprises étant donné que cela serait difficilement réalisable pour des raisons pratiques et des motifs d'organisation.

En revanche, la possibilité d'une concertation confidentielle est prévue si le délai est prolongé de 24 heures.

Les points 2 et 3 sont des remarques d'ordre technique.

Article 6

Il s'agit d'une observation purement technique.

C. La sanction

Le ministre se réfère à l'amendement nº 55, déposé à la Chambre par M. Terwingen et consorts (doc. Chambre, nº 53-1279/4), qui répond aux questions posées.

Le principe de la jurisprudence Salduz est qu'une audition ne peut pas servir aux fins d'une condamnation si elle s'est déroulée sans concertation préalable ou sans l'assistance d'un avocat. À l'inverse, cela signifie que l'audition peut servir de preuve si toutes les formalités ont été respectées, y compris lorsque l'intéressé renonce à l'assistance d'un avocat.

Il n'est pas question ici de nullité, ce qui signifierait que l'on enlève des pièces du dossier. Il s'agit d'une exclusion de la preuve, ce qui se situe au niveau de l'administration de la preuve et ce qui signifie que le juge ne peut en tenir compte.

Le Conseil d'État relève, à juste titre, que la sanction implique aussi la possibilité de réparer la violation. Si une audition a été effectuée sans l'assistance d'un avocat, il est encore possible de procéder ultérieurement à une audition avec l'assistance d'un avocat.

Le Conseil d'État a encore formulé une autre remarque concernant l'exclusion de la preuve. Mais qu'en est-il lorsque l'audition permet de révéler d'autres éléments matériels, comme l'arme du délit ? Doivent-ils être exclus eux aussi ? Bien entendu, tous les éléments de preuve obtenus indépendamment de l'audition peuvent servir aux fins d'une condamnation. C'est une évidence. L'amendement nº 55 nuance la position du Conseil d'État sur l'étendu de l'exclusion de la preuve. Ce que le Conseil d'État dit à ce sujet ne découle pas nécessairement de la jurisprudence de la CEDH. Il renvoie notamment à l'arrêt Gäfgen contre Allemagne du 1er juin 2010 de la Grande chambre de la CEDH. Gäfgen a enlevé et assassiné un garçon de 11 ans. La police présumait que le garçon était encore vivant et, lors de l'interrogatoire, elle menaça Gäfgen de lui faire très mal s'il ne révélait pas où se trouvait l'enfant. De peur d'être torturé, celui-ci avoua avoir tué l'enfant et aida la police à réunir les preuves matérielles. C'est ainsi que le corps a été trouvé. Bien que la méthode employée viole manifestement l'article 3 de la CEDH, la Cour a décidé que les éléments de preuve qui avaient été obtenus en violation de l'article 3 ne devaient pas être exclus du procès.

L'on peut donc en déduire que la Cour européenne des droits de l'homme ne requiert pas explicitement la nullité ou l'exclusion des moyens de preuve obtenus illégalement, pour autant qu'il n'y ait aucun lien direct entre la condamnation et les moyens de preuve illégaux et pour autant que les droits de la défense aient été respectés dans le cadre de la contestation des moyens de preuve illégaux. La Cour européenne admet donc que l'exclusion soit quelque peu nuancée.

Cela s'inscrit d'ailleurs dans le droit fil de la jurisprudence Antigone de la Cour de cassation, qui laisse aussi au juge une certaine marge en ce qui concerne le sort à réserver aux preuves obtenues illicitement.

À cet égard, il faut également se référer à l'arrêt Lee Davis contre Belgique du 28 juillet 2009, dans lequel la Cour confirme la jurisprudence Antigoon.

L'intervenant estime donc qu'il convient de laisser aux cours et aux tribunaux la possibilité de tenir compte de la jurisprudence évolutive de la CEDH et d'apprécier la situation à la lumière de cette jurisprudence. Cette question fera encore couler beaucoup d'encre.

La question est de savoir s'il faut maintenir la sanction.

Selon la jurisprudence Antigone, l'exclusion est nécessaire dans trois cas. Le troisième cas concerne l'exclusion en cas de violation des règles d'un procès équitable. L'on vise donc ici la violation de l'article 6 de la CEDH. Que l'on applique la jurisprudence Antigone ou que l'on inscrive cette exclusion dans la loi, le résulat est le même. Par souci de clarté, il serait peut-être même préférable d'inscrire l'exclusion dans la loi, afin que chaque juge sache clairement que les moyens de preuve obtenus illégalement ne peuvent pas servir aux fins d'une condamnation.

Mme de Bethune estime que la torture constitue un cas particulier. Néanmoins, il peut s'agir de déclarations faites dans des circonstances normales sans que des abus aient été commis.

Le ministre concède que l'arrêt Gäfgen concerne une situation plus grave; il ne s'agit pas d'une audition sans l'assistance d'un avocat, mais d'une audition contraire à l'article 3 de la CEDH. Cependant, même dans cette situation, la Cour rend un arrêt nuancé.

Mme Taelman pense qu'il existe clairement un consensus sur le fait que le juge doit pouvoir analyser les conséquences concrètement et que l'on ne peut prononcer une condamnation uniquement sur la base d'une audition illégale. La jurisprudence Antigone portait cependant sur la fouille illégale d'un véhicule. Dans l'arrêt en question, l'un des premiers moyens de la Cour concernait le fait que l'article 29 de la loi sur la fonction de police ne précise pas quelle doit être la conséquence de la fouille illicite d'un véhicule. A contrario, on pourrait affirmer que la Cour n'aurait pas pu élaborer cette jurisprudence si la loi avait prévu une sanction. Il serait donc peut-être préférable de ne pas inscrire la sanction dans la loi.

Le ministre maintient que le fait d'inscrire ou non la sanction dans la loi ne fait pas une grande différence. En effet, la jurisprudence de la Cour européenne est très claire.

M.  Delpérée renvoie à la remarque relative à l'intitulé de la loi. Le service d'Évaluation de la législation estime que l'intitulé du projet devrait être adapté à la suite de l'ajout, par la Chambre des représentants, d'un nouvel article 3, qui vise la descente sur les lieux. L'intervenant rappelle que l'intitulé d'une loi n'a pas de portée normative. On ne vote d'ailleurs pas sur l'intitulé d'un texte mais bien sur les articles et sur l'ensemble du texte.

Par ailleurs, le projet à l'examen modifie d'autres lois. Les dispositions qu'il contient seront intégrées dans d'autres lois existantes. Par conséquent, l'intitulé n'aura, à terme, plus d'utilité. Enfin, l'intitulé d'une loi n'est pas la table des matières des dispositions qu'elle contient. Pour toutes ces raisons, M. Delpérée juge que la critique sur l'article 3 n'est pas justifiée.

Mme Turan pense que la réponse du ministre va dans le sens de son amendement. La Cour européenne des droits de l'homme autorise même certaines nuances, y compris dans des situations très graves. Les membres de la commission semblent également vouloir conserver la jurisprudence Antigone. Mais l'intervenante trouve que le texte à l'examen, tel qu'il a été renvoyé par la Chambre des représentants, est assez peu nuancé. Les auditions effectuées en violation des dispositions des paragraphes 2, 3 et 5, sans concertation confidentielle préalable ou sans assistance durant l'audition, ne peuvent servir d'élément de preuve à l'appui d'une condamnation. Cette formulation ne laisse apparamment guère de place à la nuance. Peut-être faudrait-il demander l'avis du Conseil d'État sur ce point spécifique ?

M.  Laeremans souligne que la vision des commissaires diffère clairement de celle des membres de la Chambre des représentants. Le Sénat doit faire preuve du courage qui s'impose pour modifier cet élément crucial, pierre angulaire de la législation à l'examen. L'on peut soit supprimer la disposition — cette solution a la préférence de l'intervenant — soit trouver une formulation qui fait expressément porter la responsabilité par le juge. Aujourd'hui, le juge du fond est tenu d'exclure les éléments de preuve. Si l'on dispose que le juge peut exclure l'audition en tant qu'élément de preuve, les policiers en tiendront compte et appliqueront aussi les règles dans la pratique.

M.  Delpérée fait remarquer que si l'on supprime le § 6 de l'article 47bis, proposé, comme le suggère Mme Turan, lorsqu'une audition a eu lieu sans l'assistance d'un avocat, les éléments recueillis au cours de ladite audition pourront être utilisés comme éléments de preuve. Une telle solution va totalement à l'encontre de la jurisprudence Salduz.

Mme Turan répond que l'intention n'est pas de passer outre à l'essence de l'arrêt Salduz ni de partir du principe que les règles ne seront pas appliquées. L'intervenante renvoie à la jurisprudence Antigone qui prévoit aussi une possibilité d'exclusion, mais il faut examiner la situation concrète. Il ne s'agit pas de miner la jurisprudence Salduz. D'un autre côté, il ne s'agit pas non plus de rendre les poursuites pénales impossibles et il faut éviter que de grands criminels soient tout bonnement acquittés.

Mme Defraigne trouve qu'il serait dangereux de supprimer purement et simplement le § 6 de l'article 47bis, proposé. Dans une telle hypothèse le magistrat pourrait décider d'invalider toute la procédure. C'est un risque majeur. L'intervenante pense qu'il faut maintenir le § 6. Toute la question est de savoir quel type de sanction y prévoir. Rien ne s'oppose à ce que la loi fixe une sanction spécifique.

Le texte adopté par le Sénat en première lecture a fait l'objet de remarques du Conseil d'État et a été amendé par la Chambre. Le § 6 précise que les auditions effectuées en violation des nouvelles règles ne peuvent servir d'éléments de preuve aux fins d'une condamnation. Mme Defraigne déduit du texte que les autres éléments du dossier restent valables. Et si ces autres éléments de preuve sont de nature à forger l'intime conviction du magistrat, celui-ci pourra trancher sans invalider la totalité de la procédure mais après avoir écarté l'audition irrégulière.

M.  Delpérée partage l'interprétation donnée à l'article 47bis, proposé par la préopinante. Il cite l'hypothèse suivante : une personne est auditionnée une première fois, en présence de l'avocat et selon une procédure conforme au régime Salduz. Par contre, lors du deuxième interrogatoire, l'avocat n'est pas présent. Pour les interrogatoires subséquents, les nouvelles règles sont à nouveau respectées. Le juge décidera que le deuxième interrogatoire n'est pas un élément de preuve. Ce n'est cependant pas l'ensemble de la procédure et des auditions qui seront rejetés. L'intervenant fait remarquer que le § 6 précise que les auditions faites en violation de la nouvelle procédure ne peuvent servir d'élément de preuve. Les mots « éléments de preuve » sont fondamentaux.

Mme Defraigne pense que même si toutes les auditions ont été faites sans respecter les règles Salduz mais que le dossier contient des éléments matériels solides (tests ADN, témoignages concordants, etc.), le magistrat du fond écartera les auditions mais pourra condamner sur la base des autres éléments concordants du dossier.

M.  Delpérée partage cette interprétation sous la réserve que les autres éléments matériels du dossier ne peuvent résulter d'une audition irrégulière.

Mme Defraigne précise que son interprétation n'est pas une incitation à ne pas se conformer au régime « Salduz ». La préoccupation est de garder une certaine souplesse dans le respect de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Il faut qu'il y ait une sanction si les règles « Salduz » ne sont pas respectées. On ne peut cependant pas en déduire que toute la procédure serait nulle. Elle pense que dans l'hypothèse évoquée par M. Delpérée, les enquêteurs seraient avisés de procéder à une ré-audition dans les bonnes conditions.

M.  Laeremans estime que la réparabilité n'est que purement théorique. Un avocat malin n'objectera pas d'entrée de jeu, avant le début de la procédure, que l'audition n'a pas eu lieu dans les règles.

Mme de Bethune renvoie à la législation française. Celle-ci n'est-elle pas contraire à la jurisprudence de la Cour européenne ? Y a-t-il des arrêts fondés sur cette législation qui ont été annulés ?

Le ministre objecte que la législation française est, elle aussi, récente puisqu'elle remonte à deux mois.

Mme de Bethune maintient qu'il ne faut pas exagérer. Il ne faut pas non plus que les éléments de preuve qui sont apparus directement ou indirectement au cours de l'audition soient considérés comme non valides. Le mieux est l'ennemi du bien.

Mme Defraigne renvoie à l'avis du Conseil d'État. Celui-ci précise que « la loi devrait disposer que des déclarations faites en violation des garanties formelles qui ressortent de l'arrêt Salduz, ne peuvent en aucun cas être utilisées pour condamner l'intéressé » (doc. Chambre, nº 53-1279/02, p. 25). Tel est l'objectif à atteindre.

Mme Turan se réfère à un arrêt de la Cour de cassation de janvier 2011 dans lequel la Cour considère que « l'absence de l'avocat à une audition de police effectuée pendant le délai de garde à vue ne peut faire obstacle à une éventuelle déclaration de culpabilité que dans la mesure où celle-ci s'appuierait exclusivement ou de manière déterminante sur des déclarations auto-accusatrices obtenues à la faveur d'une telle audition,... ». Pourquoi veut-on déroger ici à cette règle ?

Le ministre confirme que le Sénat s'est effectivement basé sur ces considérations lors de l'élaboration du texte. Le Conseil d'État a cependant estimé que cela n'est pas conforme aux exigences de la Cour européenne.

L'intervenant souligne que la loi prévoira en tout cas clairement l'assistance par un avocat. Il n'est donc pas exact d'affirmer que la police ne l'appliquera pas. Il n'y aura que dans des cas exceptionnels que l'assistance par un avocat ne sera pas appliquée et cela sera passible d'une sanction. L'impact de la sanction doit donc être relativisé.

M.  Laeremans objecte que la formulation vague du § 5 est donc en tout cas à revoir, sans quoi elle suscitera d'énormes problèmes d'interprétation. L'intervenant propose de limiter la référence aux §§ 2 et 3.

M.  Mahoux précise que la position de son groupe n'a pas changé depuis l'examen du texte en première lecture. Les amendements apportés par la Chambre des représentants n'ont pas modifié fondamentalement la nature du texte qui reste insatisfaisant, principalement quant au rôle de l'avocat et quant à la prolongation du délai d'arrestation. L'intervenant renvoie pour le surpus au rapport des débats lors du premier examen par le Sénat (doc. Sénat, nº 5-663/4).

Mme Defraigne admet que le texte qui a été renvoyé par la Chambre des représentants ne modifie pas l'essence de la proposition initiale. Les deux modifications les plus importantes visent la nature de la sanction en cas d'interrogatoire irrégulier ainsi que la possibilité pour l'avocat de demander d'interrompre l'audition pendant quinze minutes en vue d'une concertation supplémentaire avec son client. Pour le reste, les options prises par le Sénat ont été confirmées. Il est vrai que l'avis rendu par le Conseil d'État sur le projet adopté par le Sénat était plutôt favorable.

IV. DISCUSSION DES ARTICLES

Article 2

Amendements nos 105 et 106

Mme Turan dépose l'amendement nº 105 (doc. Sénat, nº 5-663/9) qui tend à supprimer le § 6 de l'article 47bis, 2º, proposé.

Cet amendement vise à faire en sorte qu'aucune sanction ne soit prévue dans la loi et qu'en cas de non-respect des exigences de l'arrêt Salduz, la jurisprudence constante Antigone de la Cour de cassation soit appliquée.

Mme de Bethune et consorts déposent l'amendement nº 106 (doc. Sénat, 5-663/9) qui vise à remplacer le § 6 proposé dans le 2º de l'article 2.

Mme de Bethune souligne que cet amendement fait suite à la discussion générale consacrée à la sanction consistant à écarter des preuves. Elle estime que cette sanction est trop radicale.

L'amendement propose de s'inspirer de la disposition de la loi française en la matière, qui prévoit qu'une condamnation ne peut pas être fondée uniquement sur une audition effectuée en violation de la législation Salduz.

Il s'ensuit que les éléments de preuve indirects recueillis dans le cadre de pareille audition, comme l'arme du crime ou le cadavre, peuvent bien être pris en considération.

Ainsi formulé, le texte est moins radical que le texte renvoyé par la Chambre.

Mme Faes souligne que le texte de l'amendement est conforme à la législation française, laquelle a déjà franchi le cap du contrôle de la Cour constitutionnelle française.

M.  Mahoux rappelle qu'en matière de sanction, il a toujours plaidé pour la nullité lorsque les formalités "Salduz" n'étaient pas respectées. Les nouvelles formalités sont en effet imposées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et il est dès lors fondamental que leur non-respect soit sanctionné par la nullité. Les amendements à l'examen restent bien en deçà de ce principe.

M.  Delpérée partage, sur le fond, l'idée des auteurs de l'amendement nº 106. Si une audition a été faite de manière irrégulière — par exemple car l'avocat n'a pas pu s'entretenir préalablement avec son client —, cette audition n'est pas valable. Cela ne signifie cependant pas que toute la procédure pénale engagée contre cette personne est nulle et sans effet.

La question est de savoir comment traduire cet objectif en termes juridiques. Les auteurs de l'amendement nº 106 déclarent s'être inspirés de la loi française. M. Delpérée rappelle que la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue a complété l'article préliminaire du Code de procédure pénale français en y insérant l'alinéa suivant : « En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites sans avoir pu s'entretenir avec un avocat ou être assisté par lui ».

Si l'on veut reprendre l'idée du texte français, il faudrait modifier le dernier membre de phrase du paragraphe 6 proposé et le rédiger comme suit : « ..., ne peuvent à elles seules servir de preuve aux fins d'une condamnation de la personne interrogée. ».

M.  Delpérée souligne ensuite que le projet transmis par la Chambre des représentants précise que les auditions irrégulières ne peuvent servir d'élément de preuve aux fins d'une condamnation de la personne interrogée. Les mots « élément de preuve » sont importants.

En droit de la preuve, on distingue les « moyens de preuve » (tels que l'aveu, les témoignages, les présomptions, etc.) des « éléments de preuve », qui se situent à l'intérieur de chaque moyen de preuve. L'utilisation des mots « élément de preuve » illustre la volonté d'aborder le problème sous son angle particulier. L'audition irrégulière ne peut pas servir d'élément de preuve. A contrario, cela signifie que tous les autres éléments de la procédure restent valables.

M.  Delpérée en déduit que le paragraphe 6 tel qu'il a été adopté par la Chambre des représentants et le paragraphe 6 tel qu'il est proposé dans l'amendement nº 106 de Mme de Bethune aboutissent au même résultat. Pourquoi faudrait-il dans ce cas amender le texte ?

Mme Defraigne s'interroge également sur la portée de l'amendement nº 106. Elle comprend l'intention des auteurs mais elle pense qu'il n'y a pas de gradation entre le texte du paragraphe 6 tel qu'il est libellé dans l'amendement et le texte du paragraphe 6 en projet. Elle partage l'analyse de M. Delpérée sur ce point.

Mme Khattabi ne soutient pas les amendements. L'amendement nº 106 marque un recul par rapport aux principes. On reconnaît que les formalités « Salduz » ont été violées mais, si l'interrogatoire n'est pas le seul élément de preuve, on pourra malgré tout condamner la personne interrogée.

Mme Defraigne demande pourquoi, dans le paragraphe 6 proposé à l'amendement nº 106 on ne fait référence qu'aux violations des formalités prévues aux paragraphes 2 et 3. Pourquoi le paragraphe 5, qui règle le changement de statut de la personne entendue, n'est-il pas également visé ? Faut-il en déduire qu'aucune sanction n'est prévue pour les auditions faites en violation du paragraphe 5 ?

Mme de Bethune signale que le § 5 a été supprimé sur avis du service d'Évaluation de la législation.

Mme Taelman s'en réfère à la genèse de l'amendement nº 106, dont l'objectif était de permettre encore un contrôle d'opportunité par le juge pour ce qui concerne les éléments de preuve dérivés d'une audition. Si la jurisprudence européenne estime que l'audition proprement dite ne peut pas servir d'élément de preuve, la jurisprudence de la Cour de cassation estime en revanche qu'il en va autrement d'autres éléments de preuve découlant indirectement de cette audition. L'intervenante cite l'exemple d'une audition non effectuée dans le respect des exigences de la jurisprudence Salduz mais au cours de laquelle des indications ont pu être obtenues à propos de l'endroit où se trouvait l'arme du crime. Il s'agit alors d'une preuve dérivée. Pris au sens strict, cet élément ne pourrait pas non plus servir de preuve. L'arrêt Gäfgen cité par le ministre démontre cependant que la Cour européenne a également adopté une attitude plus nuancée et admet que des éléments dérivés puissent servir de preuve. Contrairement aux preuves dérivées, les déclarations à charge effectuées lors d'une audition ne respectant pas les dispositions découlant de la jurisprudence Salduz ne peuvent pas servir de preuve. La sanction de la Cour européenne est maintenue, mais l'on ne ferme pas la porte aux preuves dérivées. D'après des spécialistes du droit pénal, cette ouverture sera toutefois très difficile à formuler.

Le texte de la Chambre est trop radical et semble porter sur l'ensemble de l'audition.

Si l'on supprime simplement le § 6, comme le propose l'amendement nº 105 de Mme Turan, on laisse le soin au juge de trancher au cas par cas. L'amendement se base sur la jurisprudence Antigone, mais rien ne dit qu'elle sera maintenue à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne.

L'amendement nº 106 apporte un certain équilibre.

Mme Taelman dépose l'amendement nº 107 (doc. Sénat, nº 5-663/9) qui vise à sous-amender l'amendement nº 106 et à remplacer les mots « les auditions effectuées » par les mots « les déclarations à charge faites ». Les mots « ne peuvent servir de seul élément de preuve » peuvent dès lors être remplacés par les mots « ne peuvent servir d'élément de preuve ».

Étant donné la difficulté à trouver une formulation adéquate, l'intervenante estime qu'il serait pertinent d'obtenir rapidement une évaluation de cette législation.

Mme Faes estime qu'en introduisant de nouveaux termes, tels que « les déclarations à charge », on risque de rendre les choses encore plus compliquées et d'ouvrir la porte aux interprétations. Qu'est-ce qui est à charge et qu'est-ce qui ne l'est pas ?

Le ministre attire l'attention sur le fait que le texte tel qu'il a été approuvé par la Chambre ne fait pas état d'éléments de preuve dérivés.

Mme Taelman maintient que l'exclusion pure et simple de l'audition, dans sa globalité, implique le risque d'écarter également ces éléments de preuve dérivés. Toutefois, la jurisprudence européenne exclut clairement les déclarations à charge qu'une personne dépose contre elle-même lors d'une audition sans l'assistance d'un avocat. Une personne peut par exemple donner des indications sur l'endroit où se trouve l'arme du crime, sans préciser qu'elle l'a utilisée.

Le ministre observe que les déclarations à charge concernent donc des aveux.

Mme Turan maintient son amendement nº 105. Elle n'accepte pas le caractère trop radical du texte de la Chambre et pense que ce sentiment est également partagé par la majorité des membres de la commission de la Justice du Sénat.

Si l'on tient également compte de l'arrêt Gäfgen évoqué par le ministre, il paraît très difficile de conserver le texte de la Chambre.

De même, ce texte rendra les poursuites pénales en Belgique impossibles.

Trouver la formulation idéale relève néanmoins d'un exercice de haute voltige.

Même le service d'Évaluation de la législation n'offre pas vraiment de solution. En attendant, la Justice sera effectivement contrainte de relâcher de nombreux grands criminels.

L'intervenante garde toute confiance dans la jurisprudence de la Cour de cassation, en l'occurrence la jurisprudence Antigone, qui n'a pas encore été contestée par la Cour européenne.

De plus, une directive européenne est en préparation.

La question se pose aujourd'hui de savoir si, compte tenu de tous ces éléments, il faut ou non instaurer une exclusion formelle de la preuve. Ou doit-on alléger la sanction, comme le propose l'amendement nº 106, dans l'attente d'une directive européenne ? Il ne faut pas oublier que la Cour de cassation devra s'incliner devant la directive.

Tout le monde s'accorde à dire que l'intéressé ne peut plus être entendu sans l'assistance d'un avocat. Il subsiste néanmoins des zones d'ombre quant aux moments exacts où la présence de l'avocat est requise. L'audition n'a pas été définie.

L'amendement nº 106 apporte incontestablement une amélioration par rapport au texte adopté à la Chambre.

On ne sait toutefois pas clairement à quel moment il faudra invoquer la nullité de l'audition. Le juge devra-t-il la soulever d'office ?

Étant donné la formulation délicate et les risques liés à une formulation ambiguë, il vaut mieux laisser au juge le soin de trancher la question.

M.  Laeremans trouve qu'il est hasardeux de s'en remettre totalement à la jurisprudence étant donné qu'on ignore dans quel sens elle va évoluer. Il se pourrait qu'elle finisse par considérer toutes les auditions comme non avenues, ce qui ne saurait être l'intention du législateur. L'intervenant estime donc que l'amendement nº 106 constitue sans nul doute une amélioration tant vis-à-vis du texte approuvé par la Chambre que vis-à-vis de celui approuvé par le Sénat. Dans ce cas, la législation française semble être une bonne solution.

En revanche, l'intervenant peut difficilement souscrire au sous-amendement nº 107 de Mme Taelman. Il faudra vérifier dans chaque audition ce qui est valide et ce qui ne l'est pas, ce qui donnera lieu à une casuistique considérable.

Le ministre dresse la liste des possibilités de sanctions. On peut tout d'abord opter pour la nullité formelle inscrite dans la loi. Ce n'est pas le cas en l'espèce. L'on peut également opter pour l'irrecevabilité de l'action publique, comme dans le cas de la provocation policière. La sanction de l'exclusion de la preuve est une troisième possibilité; dans ce cas, le juge ne peut tenir compte de l'élément en question lorsqu'il prend sa décision. Enfin, on peut très bien ne rien inscrire dans la loi et laisser au juge le soin de décider de la sanction. C'est ce qui a donné naissance à la jurisprudence Antigone.

Au Sénat, l'on a choisi de considérer que la preuve illicite pouvait constituer une preuve corroborante. Cela suppose l'existence d'autres preuves en marge de la preuve en question. Cette option est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation. Le Conseil d'État a toutefois estimé que les prescriptions européennes en la matière sont plus sévères; de tels éléments de preuve doivent être écartés totalement, y compris comme preuves corroborantes. La jurisprudence européenne opte donc pour l'exclusion de la preuve. Si l'on veut quand même inscrire l'option de la preuve corroborante dans la loi, on s'expose donc à un risque qui ne sera en l'occurrence pas réparable si l'on comparaît, tout en fin de procédure, devant la Cour européenne. Il en va de même pour la jurisprudence Antigone, qui considère que la preuve illicite ne peut contribuer à prouver une infraction si son utilisation est contraire au droit à un procès équitable. La Cour européenne estimera qu'une audition sans assistance ou sans concertation préalable viole le droit à un procès équitable. De plus, l'on court également le risque que certains juges adoptent une position encore plus sévère que ce que prévoit la loi. C'est la raison pour laquelle la formulation à l'examen constitue une bonne solution. Les auditions recueillies sans respecter les dispositions légales ne sont pas valides, mais l'exclusion ne s'applique que vis-à-vis de la personne entendue; les coïnculpés ne sont donc pas concernés. De même, le texte reste muet sur les éléments de preuve dérivés.

M.  Laeremans trouve que le texte reste ambigu sur ce qu'il adviendra si l'audition en question débouche sur un aveu décisif, par exemple en ce qui concerne l'arme du crime. L'on risque d'entendre les avocats plaider qu'il ne peut en être tenu compte et qu'il faut également écarter toutes les auditions qui continuent de se baser sur la première audition. Dans ce cas, l'intéressé devra être libéré. La sanction reste trop lourde.

Le ministre répond que la loi ne précise rien à ce sujet. Cela signifie que l'on pourra éventuellement invoquer la jurisprudence Antigone et la jurisprudence européenne en pleine évolution.

Amendement nº 108

M.  Delpérée et consorts déposent l'amendement nº 108 (doc. Sénat, nº 5-663/9) visant à remplacer le § 6, proposé par ce qui suit : « Aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu'elle a faites en violation des §§ 2, 3 et 5 à l'exclusion du § 4, en ce qui concerne la concertation confidentielle préalable ou assistance d'un avocat au cours de l'audition ».

Mme Defraigne demande pourquoi il faut exclure le § 4 alors que l'on vise les déclarations faites en violation des §§ 2, 3 et 5.

M.  Delpérée répond que cette exclusion se justifie car dans le § 5 proposé, in fine, on fait un renvoi au § 4.

M.  Laeremans aimerait obtenir quelques éclaircissements au sujet de la signification des mots « concertation confidentielle préalable ou assistance d'un avocat au cours de l'audition ». Est-ce à dire que la sanction ne s'appliquera pas si l'on omet, dans le cadre de l'audition, d'appliquer par exemple le prescrit du § 2, 2º et, partant, de préciser à la personne interrogée qu'elle ne peut pas s'accuser elle-même ou qu'elle a le droit de garder le silence ? La sanction concerne donc uniquement la concertation confidentielle et l'assistance au cours de l'audition. Le fait d'oublier de mentionner certains droits n'aura pas pour effet d'affaiblir la force probante de l'audition.

Le ministre le confirme.

M.  Laeremans poursuit en prenant l'exemple d'une personne qui, après une audition non valide effectuée en violation des exigences légales de l'arrêt Salduz, est de nouveau interrogée après avoir comparu devant le juge d'instruction alors qu'elle est placée en détention préventive et qui, à cette occasion, confirme ses aveux. Dans ce cas, la présence d'un avocat n'est pas requise. Les déclarations faites dans ces conditions seront alors suffisantes pour que l'intéressé soit condamné.

Le ministre le confirme.

M.  Laeremans conclut que texte ainsi amendé est incontestablement meilleur que le texte initial. Il précise toutefois qu'il s'abstiendra lors du vote, compte tenu de la formulation du § 5.

V. VOTES

L'amendement nº 105 est rejeté par 9 voix contre 2 et 5 abstentions.

Les amendements nos 106 et 107 sont retirés.

L'amendement nº 108 est adopté par 10 voix contre 3 et 3 abstentions.

L'ensemble du projet de loi amendé est adopté par 10 voix contre 3 et 3 abstentions.

Confiance a été faite aux rapporteurs pour la rédaction du présent rapport.

Les rapporteurs, La présidente,
Karl VANLOUWE. Zakia KHATTABI. Christine DEFRAIGNE.