5-1111/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

22 JUIN 2011


Proposition de loi modifiant la loi du 5 juillet 1994 relative au sang et aux dérivés du sang d'origine humaine en vue de relever l'âge maximum autorisé pour le don de sang et de dérivés de sang

(Déposée par M. Louis Ide, Mme Marleen Temmerman et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi a pour finalité ultime, conformément à un avis du 15 décembre 2009 du Conseil supérieur de la Santé (CSS), de porter de 65 à 70 ans, plus spécifiquement jusqu'au jour du septante-et-unième anniversaire du donneur, l'âge maximum autorisé pour le don de sang et de dérivés du sang. L'âge maximum pour les nouveaux donneurs est également porté de 60 à 65 ans, plus précisément jusqu'au jour où le donneur atteint son soixante-sixième anniversaire.

Ce relèvement de la limite d'âge pourrait, au vu de l'allongement de l'espérance de vie, avoir des retombées très positives pour l'approvisionnement en sang, sans pour autant mettre en péril la qualité du sang collecté. En effet, le premier des droits en matière de dons de sang est celui de bénéficier d'un sang sain.

En Belgique, la transfusion de sang de quelque origine que ce soit est réglementée par la loi du 5 juillet 1994 relative au sang et aux dérivés du sang d'origine humaine. La réglementation vise à protéger tant le donneur de sang que le receveur.

Si elle laisse aux États membres la liberté de fixer les modalités de la collecte de sang, la réglementation européenne prévoit toutefois que lorsque le donneur atteint l'âge de 65 ans, le prélèvement ne peut être effectué qu'avec l'autorisation — à renouveler chaque année — du médecin de l'établissement de transfusion sanguine. En l'espèce, la Belgique impose des règles plus strictes que les exigences européennes, à savoir une limite d'âge de 60 ans. C'est pourquoi la présente proposition de loi prévoit un relèvement de l'âge maximum à 65 ans, moyennant l'autorisation annuelle à délivrer par le médecin de l'établissement de transfusion sanguine.

Amélioration de l'espérance de vie

En Belgique, l'espérance de vie augmente tant pour les femmes que pour les hommes. En 1998, elle était de 74,31 ans pour les hommes et de 80,58 ans pour les femmes et elle est passée respectivement à 77,15 ans et à 82,43 ans en 2009 (1) .

Dans le même temps, la population vieillit. Selon les chiffres du Bureau fédéral du plan, 17 % de la population belge se trouve en 2010 dans le segment des 65 ans et plus. Ce pourcentage grimpera jusque 23 % en 2030 et même 26 % en 2060 (2) .

Il importe que nous préparions les réponses nécessaires pour faire face au vieillissement de notre société. En effet, l'accroissement du nombre de personnes âgées de 65 ans et plus — et, au sein de ce groupe, du nombre de personnes de 80 ans et plus — placera notre système de soins de santé devant de nouveaux défis.

Les auteurs de la présente proposition de loi entendent adapter la loi en fonction des évolutions démographiques en cours en Belgique. Sous l'effet des progrès constants de la médecine, l'espérance de vie de la population augmente. Nous sommes de plus en plus nombreux à vivre plus longtemps et en bonne santé. En maintenant la limite d'âge légale à 65 ans, nous nous privons d'un pool important de donneurs potentiels, c'est-à-dire des donneurs qui donnent du sang depuis de longues années déjà, mais qui ne sont plus autorisés à le faire pour la simple raison qu'ils ont atteint la limite d'âge. C'est ainsi que, par un critère d'âge arbitraire, on limite l'afflux de nouvelles quantités d'érythrocytes.

L'augmentation du nombre de personnes âgées et, en particulier, des personnes âgées dépendantes, fera croître la demande de soins au sens large. Tout le monde n'a toutefois pas la chance de rester en bonne santé jusqu'à la fin de ses jours, et, logiquement, la demande de sang et de dérivés du sang ira croissante elle aussi. Le Conseil supérieur de la santé fait remarquer que les besoins transfusionnels ne pourront qu'augmenter de manière significative sous l'effet des pathologies associées au vieillissement. Cela signifie en d'autres termes que l'impact sur l'approvisionnement en sang se fera sentir aux deux extrémités du cycle du don de sang. D'un côté, la demande de sang sain augmentera mais, d'un autre côté, elle pourra être satisfaite en acceptant les donneurs sains vieillissants.

Europe: état des lieux

La directive européenne 2004/33/CE de la Commission du 22 mars 2004 portant application de la directive 2002/98/CE du Parlement européen et du Conseil concernant certaines exigences techniques relatives au sang et aux composants sanguins prévoit que les donneurs de plus de 65 ans peuvent donner du sang moyennant l'autorisation du médecin de l'établissement de transfusion sanguine, renouvelée chaque année. Cela signifie que la Belgique peut relever l'âge maximum autorisé pour le don de sang afin de faire en sorte que les donneurs soient admissibles jusqu'à l'âge de 70 ans (et, plus précisément, jusqu'à leur 71e anniversaire) et ce, moyennant l'examen clinique requis effectué par le médecin de l'établissement (3) .

Dans certains pays européens comme la France, le Portugal, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Norvège et la Suisse (mais aussi dans des pays hors Union européenne comme l'Australie et les États-Unis), on a créé la possibilité pour les donneurs réguliers de continuer à effectuer des dons de sang jusque l'âge de 70 ans. Dans certains pays, les donneurs réguliers de plus de 65 ans doivent se soumettre chaque année à un examen clinique supplémentaire s'ils veulent continuer à donner du sang.

Forte chute des dons de sang

Le problème de la baisse des dons de sang se manifeste par le fait que les établissements de transfusion sanguine perdent chaque année environ 10 % de leurs donneurs parce que ceux-ci ont atteint la limite d'âge ou parce qu'ils souffrent d'une affection contre-indiquant le don de sang. À cet égard, il peut être renvoyé aussi au rapport annuel 2009 de la Croix-Rouge flamande, selon lequel le fait qu'un donneur de sang atteint la limite d'âge de 65 ans constitue le principal motif de sa suspension. Sur la base du diagramme présentant la distribution des donneurs en fonction de leur âge, on peut supposer qu'il en sera de même à l'avenir. Ainsi, les personnes de 50 ans et plus représentent 25 % de l'ensemble des donneurs, tandis que le groupe des 36-50 ans représente 39 % de ceux-ci. Sur la base de ces chiffres, sachant que notre société vieillit, on peut en conclure qu'à l'avenir, la situation en matière de don de sang sera problématique.

Les chiffres de la Croix-Rouge montrent aussi une diminution alarmante du nombre annuel de dons. La Croix-Rouge tente de remédier au problème en lançant des actions de sensibilisation destinées à attirer de nouveaux donneurs. À ce jour, elle ne peut que constater qu'en Flandre le nombre de dons de sang a sensiblement diminué entre 2000 et 2009. Si nous ne parvenons pas à inverser cette tendance, nous serons confrontés à de graves pénuries à moyen et long terme. Selon le rapport annuel 2009 de la Croix-Rouge flamande, le nombre de dons de sang s'élevait encore à 481 947 en 2000 et il est tombé à 411 315 en 2007. En 2008, on a enregistré 407 059 dons de sang et seulement 343 786 en 2009.

Selon des statistiques détaillées établies par l'Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS), la Belgique comptait 283 820 donneurs en 2009 et ceux-ci ont effectué au total 555 378 dons au cours de cette même année (4) . Si nous extrapolons ce chiffre sur la base des chiffres de population avancés par le Bureau fédéral du plan, nous constatons que d'ici 2030, on risque de perdre environ 6 % des 283 820 donneurs. En termes absolus, cela représente la perte de quelque 19 876 donneurs de sang ou de 33 322 dons. Dans cinquante ans, ce pourcentage atteindra 9 %, soit une perte de 25 543 donneurs de sang ou de 49 984 dons (5) .

... et augmentation de la consommation de sang

On considère que 75 % environ des stocks de sang seraient utilisés par le groupe de population composé des personnes de plus de 65 ans.

En 2009, 283 820 donneurs ont effectué 555 378 dons. Les personnes de plus de 65 ans ont donc bénéficié d'une quantité de sang équivalant à 416 533 dons. Cela signifie qu'à l'horizon 2060, on aura besoin de 37 488 dons supplémentaires par an. Compte tenu de la perte prévue de 49 984 dons, on peut donc supposer que l'on sera confronté à une pénurie de donneurs en 2060.

Dans un rapport de 2005 (« Étude d'une méthode de financement alternative pour le sang et les dérivés sanguins labiles dans les hôpitaux », KCE rapport 12 A), le Centre fédéral d'expertise des soins de santé (KCE) a, lui aussi, souligné l'importance de la disponibilité du sang et de dérivés du sang. Il y précise notamment que le vieillissement de la population provoquera une augmentation non seulement des besoins mais aussi, proportionnellement, du nombre de donneurs de sang atteignant la limite d'âge. Dans ce rapport, on peut lire également que le renforcement des normes et la demande croissante de produits sanguins sûrs entraînera une diminution du nombre de donneurs. Le nombre de contre-indications au don de sang ne fera qu'augmenter.

Relèvement de l'âge maximum autorisé

Dans son avis, le Conseil supérieur de la Santé précise explicitement que « les politiques en matière de sélection et d'exclusion au don devraient être établies sur des bases médicales scientifiques ». Or, dans le contexte de la transfusion, il y a peu d'études cliniques randomisées. C'est pourquoi le CSS propose qu'en l'absence d'un nombre suffisant de preuves scientifiques solides, des avis soient formulés sur la base de l'expérience acquise et de l'opinion des experts (ce qui correspond au niveau le plus bas de la médecine factuelle ou « EBM »). Les bases scientifiques doivent donc provenir davantage d'autres sources (telles que des analyses de risque, un suivi de réactions secondaires lors du don de sang, etc.).

Le CSS précise aussi, se fondant sur une étude de Goldman et al., qu'étant donné que les facteurs « donneur » permettant de prédire les effets secondaires ne sont pas complètement compris, certains critères de sélection choisis pour protéger le donneur, notamment la fixation de la limite d'âge actuelle à 65 ans, sont arbitraires. Dans son avis, le Conseil supérieur de la santé écrit: « Face à l'allongement de l'espérance de vie moyenne de la population, associée à l'amélioration de l'état de santé des personnes de plus de 65 ans, et devant le caractère arbitraire et médicalement non fondé de la limite d'âge à 65 ans, il est donc autorisé de revoir cette limite, ce qui permettrait d'élargir le pool de donneurs de sang réguliers et de participer à une meilleure prévention de la pénurie de composants sanguins, telle qu'observée en période de vacances ou d'épidémie. » L'impact des dons fait par les donneurs de la tranche 65-70 ans sur l'approvisionnement en érythrocytes peut être considéré comme substantiel. Selon la médecine factuelle, les critères de sélection actuels ne garantissent aucune sécurité supplémentaire au donneur.

De surcroît, certains des critères de sélection introduits il y a plusieurs années n'ont jamais été soumis à une analyse scientifique critique et restent pourtant d'application. Il n'est pas certain que les mesures de sélection améliorent la sécurité pour le donneur et le receveur. Leur impact sur l'approvisionnement en produits sanguins peut en revanche être substantiel. Il n'existe pas d'arguments médico-scientifiques interdisant aux personnes de plus de 65 ans de donner du sang.

Dans le même avis, le CSS précise explicitement que l'âge maximum autorisé pour le don de sang peut être porté à 70 ans révolus. Il se base à cet effet sur le nombre limité d'études scientifiques disponibles sur le sujet et sur les expériences des organismes de collecte de sang qui ont été menées à l'étranger. Les arguments en faveur du relèvement de l'âge maximum des donneurs de sang sont fondés:

— les donneurs âgés sont des donneurs particulièrement réguliers, ce qui renforce la sécurité transfusionnelle; le CSS renvoie à une étude selon laquelle si, avant 20 ans, les personnes donnent en moyenne 1,5 fois leur sang par an, cette fréquence atteint 3 chez les personnes âgées de 66 à 70 ans;

— les donneurs âgés sont des donneurs plus sûrs et moins souvent refusés pour des comportements à risque en termes de transmission de maladies infectieuses; cet argument repose sur un grand nombre d'études américaines qui montrent que le don de sang allogénique est plus sûr chez les donneurs plus âgés;

— le sang des donneurs âgés ne suscite pas plus de réactions indésirables chez les receveurs; cependant, un suivi renforcé de l'hémovigilance chez ces donneurs est souhaitable, comme c'est le cas lors de chaque modification de critère; c'est un constat que l'AFMPS confirme également dans son rapport annuel 2008 sur l'hémovigilance. Les réactions indésirables graves n'y sont jamais imputées à l'âge. Selon ce rapport, des complications ont été rapportées pour un don de sang sur 3 896. La complication la plus fréquente est la perte de conscience. L'âge médian auquel elle survient est de 38 ans et ne diffère pas entre les hommes et les femmes;

— comme il est d'usage de le faire chez tous les donneurs, il faut vérifier que les donneurs âgés ne développent pas une anémie par carence martiale (6) .

La procédure ordinaire de sélection des donneurs sur la base d'un questionnaire, d'un entretien et d'un examen clinique, et après approbation par le médecin de l'établissement de transfusion, conformément à la directive européenne 2004/33/CE et à la législation belge, est suffisante. Le questionnaire, l'entretien et l'examen médical précités suffisent pour évaluer l'état de santé du donneur et déceler la présence éventuelle d'une maladie cardiovasculaire ou neurologique. Il n'est donc pas nécessaire de recueillir un avis médical supplémentaire. La seule observation formulée par le Conseil supérieur de la Santé porte sur le fait qu'il n'est pas raisonnable d'enregistrer des nouveaux donneurs au-delà de 65 ans, critère que les auteurs reprennent dans leur proposition.

Les auteurs de la présente proposition de loi souhaitent, au vu de ce qui précède, relever l'âge maximum autorisé pour le don actif de sang et de plasma afin de faire en sorte que les donneurs connus soient admissibles jusqu'à l'âge de 70 ans (étant entendu que les nouveaux donneurs ne sont admis que jusqu'à l'âge de 65 ans). Les donneurs doivent avoir donné du sang durant les trois dernières années au moins précédant leur soixante-sixième anniversaire.

La présente proposition permet aussi de « récupérer » des donneurs qui ne donnaient plus leur sang pour avoir dépassé la limite d'âge de 65 ans. Elle fixe également des conditions en ce qui concerne la régularité avec laquelle les donneurs doivent donner leur sang pour entrer à nouveau en considération à un âge ultérieur.

La Croix Rouge considère comme donneur régulier toute personne qui a fait son dernier don de sang au moins dans les deux années qui précèdent. Mais durant les vacances d'été, lorsque le pool des donneurs se réduit, on convoque parfois des donneurs qui ont effectué leur dernier don jusque quatre ans auparavant. Il paraît dès lors équitable aux auteurs de prendre un intervalle moyen de trois ans comme critère pour être considéré comme donneur régulier.

Enfin, pour le prélèvement érythrocytaire double, les auteurs souhaitent maintenir la limite d'âge à 65 ans en raison des risques cardiaques. Il importe en effet pour les auteurs de la présente proposition de loi que lorsque quelqu'un effectue un don de sang, sa santé n'ait pas à en pâtir.

Louis IDE.
Marleen TEMMERMAN.
Jacques BROTCHI.
Rik TORFS.
Nele LIJNEN.
Fatiha SAÏDI.
André du BUS de WARNAFFE.
Cécile THIBAUT.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Dans l'article 9 de la loi du 5 juillet 1994 relative au sang et aux dérivés du sang d'origine humaine, modifié par l'arrêté royal du 1er février 2005, les modifications suivantes sont apportées:

1º à l'alinéa 1er, les mots « de plus de 65 ans » sont remplacés par les mots « ayant atteint l'âge de 71 ans révolus, »;

2º l'alinéa 1er est complété par la phrase suivante: « En cas de prélèvement érythrocytaire double, les prélèvements sur des personnes ayant atteint l'âge de 66 ans révolus doivent satisfaire aux conditions fixées par le Roi. »;

3º à l'alinéa 2, les mots « après l'âge de 65 ans » sont remplacés par les mots « après avoir atteint l'âge de 71 ans révolus »;

4º l'alinéa 4 est remplacé par les alinéas suivants:

« L'autorisation de donneurs ayant atteint l'âge de 66 ans révolus est soumise à l'appréciation du médecin de l'établissement de transfusion sanguine. Cette autorisation est donnée uniquement s'il s'agit d'un donneur dont le dernier don de sang ne remonte pas à plus de trois ans.

Les nouveaux donneurs ayant atteint l'âge de 66 ans révolus ne sont pas autorisés. »

20 juin 2011.

Louis IDE.
Marleen TEMMERMAN.
Jacques BROTCHI.
Rik TORFS.
Nele LIJNEN.
Fatiha SAÏDI.
André du BUS de WARNAFFE.
Cécile THIBAUT.

(1) http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/chiffres/population/deces_mort_esp_vie/tables/.

(2) http://www.plan.be/press/press_det.php ?lang=fr&TM=46&IS=67&KeyPub=649.

(3) http://www.fagg-afmps.be/search ?language=fr&search_field=sang&search_submit=Chercher.

(4) http://www.fagg-afmps.be/fr/binaries/HV %20Rapport %20annuel %202008 %20201004_tcm291-99824.pdf.

(5) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do ?uri=OJ:L:2004:091:0025:0039:FR:PDF.

(6) http://www.health.belgium.be/internet2Prd/groups/public/@public/@shc/documents/ie2divers/19058346_nl.pdf. (= avis CSS)