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1er JUIN 2011
La plupart des cafetiers ne sont pas propriétaires de l'immeuble dans lequel ils exploitent leur commerce. Nombre d'entre eux louent cet immeuble à une brasserie ou à un négoce de bières qui est propriétaire ou locataire principal de l'immeuble. Les contrats de bail contiennent toujours, en plus d'une énumération des droits et devoirs afférents à la location de l'immeuble, des obligations d'achat.
Les obligations d'achat sont des engagements unilatéraux à charge du locataire. Le cafetier s'engage à acheter certaines boissons, certains produits et, éventuellement, certains services auprès de la brasserie ou du négoce de bières qui lui loue l'immeuble ou auprès d'un tiers désigné par le bailleur.
Bien que ces obligations d'achat soient totalement étrangères à la manière dont le cafetier pourra ou devra utiliser l'immeuble, elles font partie intégrante du contrat de bail. La liaison de ces obligations au contrat de bail va parfois si loin qu'il est stipulé dans celui-ci que le bailleur peut résilier le bail si le cafetier manque à ses obligations d'achat.
Le sort du bail est ainsi lié à celui des obligations d'achat et y est subordonné. Cela s'explique par le fait que le bénéfice économique provenant des obligations d'achat est nettement plus important que le produit de la location. Pour une brasserie et un négociant en bières, un bail ne constitue qu'un moyen d'imposer des obligations d'achat, afin de vendre de cette manière un volume aussi important que possible de boissons, d'autres produits et même de services au cafetier.
La doctrine souscrit également à ce point de vue. « Un bail conclu avec un brasseur n'a, initialement, pas tant pour but de faire naître des obligations locatives que d'imposer un contrat d'approvisionnement exclusif. » (traduction) (Pauwels P. et Raes P., Bestendig handboek huishuur en handelshuur, tome 3, 1989, p. 3).
En liant les obligations d'achat au bail, on crée une situation très dangereuse pour le cafetier. S'il ne respecte pas ou ne peut pas respecter les obligations d'achat, il court le risque de voir le bailleur mettre fin au bail et de perdre de ce fait le capital qu'il a investi et la source de ses revenus. Le cas échéant, le cafetier doit en outre payer des dommages-intérêts, parce que le bail contient généralement une clause pénale.
L'instauration subite d'une interdiction générale de fumer risque d'entraîner une baisse considérable du chiffre d'affaires des « bars à bières ». Or, beaucoup de ces bars sont encore tenus au respect d'obligations d'achat qui ne tenaient pas compte de cette perte de chiffre d'affaires. Les exploitants passeront donc deux fois à la caisse: une première fois par le biais d'une baisse de leur chiffre d'affaires et une seconde fois par le biais de la résiliation du contrat de bail.
Qui plus est, outre la limitation de la déductibilité des frais de restaurant à 69 %, les frais de TVA élevés pour le consommateur entraînent aussi implicitement une lourde ponction pour les exploitants d'établissements horeca.
En mars 2009, la Commission européenne a donné son feu vert à un abaissement de la TVA dans le secteur horeca. En dépit de la promesse, faite depuis des années par le ministre des Finances, Didier Reynders, et l'Open Vld, d'abaisser la TVA dans l'horeca, l'intervention n'est guère allée plus loin qu'une mesure limitée aux restaurants. Le 1er janvier 2010, le taux n'a en effet été ramené de 21 % à 12 % que pour les seuls services de restaurant et de restauration. Une ventilation pour les restaurants ne sert cependant pas les intérêts du secteur horeca. Il est absurde de faire payer 6 % sur un verre de bière consommé chez un traiteur chinois et de faire 21 % sur cette même bière, consommée dans un café.
Pour faire face à la limitation de la déductibilité, le Vlaams Belang a déjà déposé plusieurs propositions de loi (doc. Sénat, nos 5-770/1 et 5-594/1). Le Vlaams Belang a également déposé une proposition de loi visant à abaisser à 6 % le taux de TVA pour les restaurants, les cafés et les services de restauration (doc. Sénat, nº 5-794/1). Dans le même ordre d'idées, afin d'accroître la rentabilité et les chances de survie de nombre d'entreprises du secteur horeca, le Vlaams Belang entend faire en sorte, par le biais de la présente proposition de loi, que le non-respect de l'obligation d'achat minimal du fait de l'interdiction de fumer n'entraîne pas immédiatement la résiliation du contrat de bail commercial, et ce, durant une période transitoire de trois ans.
1. Analyse des obligations d'achat
L'obligation d'achat minimal est l'engagement d'un cafetier d'acheter une quantité de bière minimale (exprimée en hectolitres).
Le respect d'une obligation d'achat minimal est indépendant de la volonté d'un cafetier. Quels que soient les efforts consentis par un cafetier, on ne sait jamais s'il satisfera à l'obligation d'achat minimal. La quantité vendue peut aussi être influencée de manière négative par des facteurs sur lesquels le cafetier n'exerce aucun contrôle, tels que le mauvais temps et des travaux publics.
Nous constatons en outre parfois dans la pratique que les brasseries et les négociants en bières imposent des obligations d'achat irréalistes et déséquilibrées. Bien qu'il s'agisse généralement d'une minorité, des exemples pratiques montrent que cela se produit malgré tout.
Étant donné qu'un manquement à une obligation d'achat minimal est sanctionné de manière contractuelle par des amendes très lourdes et la résiliation du bail, le preneur n'a aucune sécurité locative.
L'équilibre que la loi sur les baux commerciaux tend à établir entre les droits du bailleur et ceux du preneur n'est, de la sorte, pas atteint dans le secteur horeca. Le cafetier qui est soumis à une obligation d'achat minimal n'a aucune sécurité locative, a fortiori lorsque l'interdiction de fumer risque de faire chuter très fortement son chiffre d'affaires.
2. Interdiction de résilier un bail commercial pour non-respect d'une obligation d'achat
Les obligations d'achat inscrites dans un contrat de bail ont une influence très négative sur la compétitivité du preneur de bail et précarisent considérablement ses droits locatifs.
On peut toutefois admettre qu'un brasseur ou un négociant en bières stipule pour l'octroi d'un bail commercial un avantage qui n'a rien à voir avec le bail commercial, même si cet avantage influence négativement la compétitivité du cafetier.
Mais il est inadmissible que l'avantage stipulé prive le cafetier de toute forme de sécurité locative. Un pareil avantage brise en effet entièrement le subtil équilibre que tend à réaliser la loi relative aux baux commerciaux.
Le preneur-exploitant est soumis à des obligations supplémentaires, qui sont tout à fait disproportionnées par rapport aux obligations qui s'appliquent dans le chef du bailleur et dont le respect ne peut en outre être garanti, du fait de circonstances indépendantes de la volonté du preneur — comme l'interdiction de fumer.
Aussi proposons-nous d'insérer dans la loi sur les baux commerciaux un article prévoyant qu'un manquement à une obligation d'achat ne constitue pas un motif légitime de résiliation d'un bail, ce qui signifie qu'une brasserie ou un négociant en bières ne pourra plus se fonder sur le non-respect d'une obligation d'achat minimal pour résilier le bail.
Étant donné que les dispositions de la loi sur les baux commerciaux sont impératives, un bailleur ne pourra invoquer à l'encontre du preneur une clause contractuelle prévoyant que tel peut être le cas.
Il est primordial d'être conscient du fait que la présente proposition ne limite en aucune façon les obligations d'achat mêmes. Les obligations d'achat qui peuvent être imposées aujourd'hui sans enfreindre la loi restent d'application et pourront également être prévues à l'avenir en échange de l'octroi d'un bail commercial.
La présente proposition de loi vise à interdire la résiliation du bail commercial en tant que sanction pour manquement à une obligation d'achat prévue dans le bail.
Ce n'est que si le non-respect d'une obligation d'achat est imputable à un manquement grave et délibéré du preneur que le bailleur pourra mettre fin au bail commercial. La charge de la preuve de ce manquement incombera au bailleur.
Enfin, nous tenons à souligner qu'il est également primordial d'être conscient du fait que le bailleur ne pourra compenser l'interdiction de résilier un bail commercial pour sanctionner un manquement à une obligation d'achat minimal prévue dans le bail en infligeant au preneur des amendes excessivement élevées. Tel ne saurait évidemment être l'objectif poursuivi. Les conséquences financières pour le preneur-cafetier seraient dans ce cas, au moindre revers, énormes et peut-être même insurmontables, de sorte que la survie du commerce serait menacée.
À cet égard, nous renvoyons aux dispositions de la section 6 « Des obligations avec clauses pénales » du chapitre IV, titre III, du Code civil, telles qu'elles ont été modifiées par la loi du 23 novembre 1998.
L'article 1226 du Code civil définit la clause pénale comme étant une clause « par laquelle une personne s'engage à payer, en cas d'inexécution de la convention, une compensation forfaitaire pour le dommage éventuellement subi par suite de ladite inexécution ».
Mais une clause pénale ne peut avoir qu'une fonction compensatoire. Elle ne peut être que l'indemnisation préétablie du dommage prévisible et potentiel (et non du dommage réel).
Si la clause pénale (l'amende infligée par le fournisseur) excède manifestement le dommage potentiel, le juge pourra, d'office ou à la demande du débiteur, faire usage de son pouvoir de modération et réduire la clause, et ce, conformément à l'article 1231, § 1er, du Code civil, ou réduire la clause en cas d'exécution partielle de l'obligation principale (article 1231, § 2).
Anke VAN DERMEERSCH. Yves BUYSSE. Filip DEWINTER. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Dans le livre III, titre VIII, chapitre II, section IIbis, § 2, du Code civil, il est inséré un article 3/1 rédigé comme suit:
« Art. 3/1. Toute clause qui donne au bailleur le droit de mettre fin au bail pour non-respect d'une quelconque obligation d'achat par le preneur est réputée non écrite, à moins que ce non-respect soit imputable au manquement grave et délibéré du preneur.
Le bailleur fournit la preuve du manquement grave et délibéré visé à l'alinéa précédent. »
30 mai 2011.
Anke VAN DERMEERSCH. Yves BUYSSE. Filip DEWINTER. |