5-998/1

5-998/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

4 MAI 2011


Proposition de loi modifiant l'article 335 du Code civil relatif aux effets de la filiation et l'article 356 du Code civil relatif aux effets de l'adoption, en ce qui concerne le nom de l'enfant

(Déposée par MM. Guy Swennen et Bert Anciaux)


DÉVELOPPEMENTS


Depuis plusieurs années, des propositions de loi sont régulièrement déposées à la Chambre et au Sénat en vue de modifier le régime juridique actuel du nom tel qu'il est fixé dans le Code civil. Par le passé déjà, les auteurs de la présente proposition furent les premiers à déposer des propositions de loi visant à régler l'attribution du nom aux enfants de manière plus correcte et plus équitable. Ils y plaidaient pour un respect fondamental à l'égard des deux parents, en tenant compte de l'évolution réelle, mais incomplète, du principe de l'égalité de genre. Les deux propositions en question (déposées par Bert Anciaux le 26 septembre 1995, doc. Sénat, nº 1-112/1, et le 5 août 1997, doc. Sénat, nº 1-719/1) étaient basées sur un droit d'attribution d'un double nom de famille identifiant et légitimant le père et la mère à travers le nom de l'enfant. La première proposition prévoyait que le nom du père précède celui de la mère, et la deuxième accordait la préséance au nom de la mère.

Un enfant a droit, dès sa naissance, à une identité, dont le prénom et le nom de famille sont les marques les plus importantes. L'attribution du nom fait donc partie intégrante des droits de la personne.

Le choix du prénom est un droit qui revient aux parents; la loi les laisse libres d'agir comme bon leur semble en cette matière.

Pour ce qui est du patronyme, qui renforce le lien entre parents et enfants, on ne peut pas parler de liberté.

Le régime juridique belge du nom est resté fondé longtemps sur le décret du 6 fructidor an II (23 août 1794) et l'article 57 du Code civil, selon lequel l'enfant porte le nom du père. Le fondement de cette règle est une conception patriarcale profondément enracinée de la famille.

Ce régime juridique du nom est resté inchangé dans son essence même jusqu'à nos jours. Aujourd'hui encore, l'enfant se voit attribuer automatiquement, à de rares exceptions près, le patronyme du père.

À la suite de la réforme de la législation en matière de filiation, la législation relative à l'attribution du nom est inscrite dans l'article 335 du Code civil, selon lequel, un enfant porte, dans la grande majorité des cas, le patronyme de son père. C'est seulement dans un nombre limité de cas qu'il porte le nom de sa mère, à savoir:

— lorsque seule la filiation maternelle est établie (article 335, § 2, du Code civil);

— lorsque la filiation maternelle et la filiation paternelle sont établies en même temps, mais que l'enfant est un enfant adultérin du père (article 335, § 1er, in fine, du Code civil);

— lorsque la filiation paternelle est établie après la filiation maternelle et que:

* les parents n'ont fait, devant l'officier de l'état civil, aucune déclaration selon laquelle l'enfant portera le nom de son père (article 335, § 3, alinéa 1er, du Code civil);

* les parents ont fait une telle déclaration, mais que, s'agissant d'un enfant adultérin du père, la conjointe avec laquelle celui-ci était marié au moment de l'établissement de la filiation refuse de consentir à ce que l'on attribue à l'enfant le nom de son père (article 335, § 3, alinéa 2, du Code civil).

Ce régime est critiqué depuis longtemps: on lui reproche de n'être pas compatible avec le lien spécifique existant entre la mère et l'enfant. C'est la mère qui porte l'enfant et qui le met au monde; c'est la mère aussi qui prend soin de l'enfant dans la mesure la plus large. La législation rigide et obsolète qui règle l'attribution du nom aux enfants suscite beaucoup de dépit et d'incompréhension chez de nombreux citoyens. Au terme d'une enquête du Juristenkrant, en décembre 2010, l'obligation de donner à l'enfant le nom de famille du père a été désignée comme la disposition légale fédérale la plus contestable.

Bien des personnes approuvent les critiques à l'égard du régime existant, mais estiment aussi que l'heure n'est pas encore venue de modifier de manière radicale un usage séculaire.

D'un autre côté, on peut considérer qu'une nouvelle réglementation qui place l'homme et la femme sur un pied d'égalité en ce qui concerne la question du nom de famille de l'enfant importe plus que le maintien de la tradition patriarcale.

Sur le plan international, la discrimination entre les hommes et les femmes en matière de régime juridique du nom a déjà été pointée du doigt à diverses reprises dans nombre de législations nationales. Le 27 septembre 1978, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a adopté la résolution (78)37 sur l'égalité des époux en droit civil, dans laquelle il recommandait entre autres aux États membres d'éliminer toute discrimination entre l'homme et la femme dans le cadre du régime juridique du nom. La Convention de l'ONU du 18 décembre 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes oblige elle aussi, en son article 16, les États parties à prendre toutes les mesures nécessaires pour supprimer toutes les inégalités en la matière.

Dans la recommandation 1271 du 28 avril 1995, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a rappelé que le nom est un élément qui caractérise l'identité des personnes et a affirmé que « la perpétuation de discriminations entre les hommes et les femmes dans le régime juridique du nom est donc inacceptable ». C'est pourquoi elle a appelé le Comité des ministres à demander aux États membres dont la législation comporte des discriminations entre les hommes et les femmes de les supprimer pour ce qui est du choix du nom de famille.

Ce dernier a ensuite transmis la recommandation 1271 (1995) de l'Assemblée parlementaire aux gouvernements des États membres du Conseil de l'Europe. Dans sa recommandation 1362 du 18 mars 1998, l'Assemblée parlementaire a attiré l'attention sur le fait que bon nombre d'États membres ne s'étaient toujours pas attelés à modifier le régime juridique du nom.

En Belgique, le Conseil de l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a émis, le 21 mars 1997, l'avis nº 14 concernant le nom de l'enfant. Il y a déclaré que le système actuel, qui maintient une discrimination entre hommes et femmes en ce qui concerne le nom de famille, est inacceptable. Diverses organisations, telles que le Vrouwenraad, ainsi que plusieurs auteurs ont également formulé des critiques stigmatisant le régime juridique du nom en Belgique.

À la lumière de ce qui précède, il est toutefois étonnant que la Cour constitutionnelle (alors qu'elle s'appelait encore « Cour d'arbitrage ») ait conclu dans son arrêt 161/2002 du 6 novembre 2002 que l'article 335, § 1er, du Code civil ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. La Cour constitutionnelle tient compte de la considération selon laquelle la préférence accordée au nom de famille paternel s'explique par les conceptions patriarcales de la famille et du ménage qui ont été longtemps dominantes dans la société. La Cour affirme que dans les conceptions de la société contemporaine (c'est-à-dire de 2002), d'autres régimes pourraient répondre aux objectifs de l'attribution du nom, mais que cette constatation ne suffit pas pour considérer que le régime actuellement en vigueur serait discriminatoire. Elle estime qu'en attribuant le nom du père à un enfant ayant un double lien de filiation, le législateur n'a pas pris une mesure qui ne reposerait pas sur un critère objectif et ne serait pas adéquate; en outre, les droits des intéressés ne s'en trouvent pas affectés de manière disproportionnée.

Mais, en l'espèce également, on peut à nouveau arguer que l'instauration d'un nouveau régime plaçant les hommes et les femmes sur un pied d'égalité en matière de patronyme prime la question de savoir si le régime actuel viole ou non le principe constitutionnel d'égalité.

Quoi qu'il en soit, plusieurs États membres de l'Union européenne ont adapté leur législation dans le sens d'une plus grande égalité entre les hommes et les femmes en ce qui concerne le régime juridique du nom.

Le système appliqué par l'Espagne est celui du double nom. En vertu de l'article 53 de la loi sur le registre de la population, les personnes sont appelées par leur prénom et par les noms de famille de leur père et de leur mère. Le (premier) nom du père vient en premier lieu et le (premier) nom de la mère en second lieu.

Comme le nom de la mère disparaît ainsi inéluctablement dès la deuxième génération, l'on a prévu, à l'article 109, que l'ordre des noms pouvait être adapté par une simple déclaration de l'intéressé.

Au Portugal, les enfants portent les noms de leur père et de leur mère ou d'un seul d'entre eux. Le choix appartient aux parents. En cas de désaccord, le juge statue dans l'intérêt de l'enfant.

En vertu du nouveau régime juridique applicable aux Pays-Bas en ce qui concerne l'attribution du nom (loi du 10 avril 1997), les parents peuvent décider d'attribuer à leur(s) enfant(s) soit le nom de la mère soit celui du père. Faute de choix, l'enfant né pendant le mariage reçoit le nom du père. Par contre, un enfant né hors mariage garde le nom de sa mère si l'on n'a pas choisi de lui attribuer le nom de son père lors de la reconnaissance.

En Allemagne, les personnes qui se mariaient devaient adopter un nom de famille commun. En cas de désaccord entre elles, le nom du mari devenait automatiquement celui du ménage. La Cour constitutionnelle allemande (« Bundesverfassungsgericht ») a déclaré que la règle subsidiaire qui imposait le nom du mari était incompatible avec le principe constitutionnel de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes.

Dans un arrêt du 5 mars 1991, elle a affirmé que le principe de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes vaut aussi, en Allemagne, en ce qui concerne le régime juridique du nom et que les conjoints ont le droit, l'un comme l'autre, d'attendre que l'on utilise leur propre nom.

Dans notre pays, plusieurs tentatives parlementaires ont déjà été faites en vue de supprimer le caractère rigide et patriarcal du régime juridique relatif à l'attribution du nom. Certaines propositions de loi optent pour l'attribution, à l'enfant, du seul nom de famille de la mère. Selon les arguments avancés à l'appui de celles-ci, le choix du nom de la mère est le plus conforme à la réalité biologique (cf. l'adage « mater sempre certa est ») et est celui qui tient le mieux compte du lien spécifique qui existe presque toujours entre la mère et l'enfant.

D'autres plaident pour le libre choix des parents (choix entre le nom de famille de la mère, le nom de famille du père ou les noms de famille des deux parents), complété par un régime légal et la possibilité de porter l'affaire devant le tribunal de la jeunesse en cas de désaccord.

Enfin, certaines propositions de loi optent pour l'attribution, à l'enfant, d'un nom de famille à deux composantes, la première étant le nom de son père, la seconde celui de sa mère, solution qui permet d'exprimer le lien qui unit l'enfant à chacun de ses parents. Comme souligné plus haut, les auteurs de la présente proposition ont été les premiers à prendre des initiatives législatives en la matière.

Selon eux, quatre options sont envisageables en ce qui concerne la législation relative à l'attribution du nom:

1. l'attribution du nom du père, qui, comme cela a déjà été amplement commenté, constitue une discrimination pour la mère;

2. l'attribution du nom de la mère, qui constitue bien évidemment une discrimination pour le père et — élément à ne pas sous-estimer — va à contre-courant d'une tradition bien ancrée dans la société. L'adage « mater semper certa est » risque également de perdre de sa pertinence à l'avenir en raison de la possibilité d'accoucher dans la discrétion;

3. l'attribution du double nom, selon un ordre bien défini et un régime s'appliquant aux générations futures;

4. le libre choix des parents d'opter pour le nom de l'un d'entre eux ou pour leurs deux noms.

Comme il y a toujours un parent « perdant » dans les deux premières options, les auteurs de la présente proposition estiment qu'il faut rechercher une solution dans les possibilités 3 et 4. L'option consistant à laisser aux parents le libre choix du nom est bien évidemment attrayante de prime abord, mais le professeur Senaeve (entendu le 15 mars 2011 en commission de la Justice du Sénat) a convaincu les auteurs de la présente proposition de loi de ne pas privilégier ce système. Ceux-ci souscrivent aux arguments du professeur Senaeve, à savoir:

« 1. Tout d'abord, un tel système qui oblige les parents à poser un choix implique que l'un des deux doit accepter expressément, d'une part, que son nom disparaisse à la prochaine génération (s'ils optent soit pour le nom du père soit pour le nom de la mère) ou en tout cas à la deuxième génération (s'ils optent pour un nom composé) et, d'autre part, qu'il ne soit pas utilisé dans la pratique de tous les jours (1) .

Comme le dit le proverbe, « choisir, c'est renoncer ». Peut-on s'imaginer la pression énorme que l'on ferait peser sur les couples (généralement jeunes) en les obligeant, pendant la première grossesse de la femme, à déterminer lequel des deux renoncera à ce que son nom soit transmis à la génération suivante ou, au moins, à la deuxième génération ? Peut-on s'imaginer à quels reproches de la part de sa propre famille et de son entourage s'exposera le parent qui acceptera de ne pas transmettre son nom ou de ne le transmettre que comme second élément du nom ? L'intervenant peut comprendre qu'étant donné la réglementation actuelle, il est parfois difficile pour une mère d'accepter que ses enfants ne porteront pas son nom, mais au moins, elle ne peut strictement rien se reprocher puisque c'est la loi qui l'y oblige. La situation sera cependant fort différente lorsque, dans le cadre d'un système de libre choix, la mère acceptera que son nom ne soit pas transmis ou ne le soit que comme second élément (ce qui sera sûrement le cas en pratique, comme le montre notamment l'expérience néerlandaise).

En d'autres termes, l'instauration de n'importe quel système de liberté de choix aura inévitablement pour effet de déclencher des discussions et des contestations dans les ménages (qui sont déjà confrontés à suffisamment de difficultés dans notre société actuelle) alors que les pouvoirs publics ont précisément pour tâche de renforcer la cohésion des familles. En outre, la discorde entre les parents n'est pas, par définition, dans l'intérêt de l'enfant.

2. Le deuxième inconvénient non négligeable de tout système de liberté de choix est qu'il rend extrêmement compliquée l'identification des personnes au sein d'une famille: dans une famille, les enfants porteront le nom du père; dans une seconde, où c'est la femme qui tient les rênes du ménage, les enfants porteront le nom de la mère; dans une troisième, ils porteront un nom composé commençant par le nom du père et dans une quatrième, un nom composé commençant par le nom de la mère.

En outre, sachant que beaucoup de personnes porteront un nom composé à partir de la prochaine génération, il faut tenir compte du fait que si les parents ont tous deux un nom composé (évidemment, dans la seule hypothèse où les parents souhaitent chacun transmettre leur nom à l'enfant) — même si la transmission du nom est limitée à un seul élément par nom composé mais que cet élément est laissé au libre choix des parents comme le prévoient la proposition de loi de Mme Khattabi et celle de Mme Faes —, le système offre pas moins de quatorze possibilités (sachant qu'il n'est possible d'attribuer à l'enfant, au maximum, que deux des quatre éléments composant les noms des parents).

Exemple pratique: si le nom du père est Decoster-Decat (P1-P2) et celui de la mère Flamant-Lechat (M1-M2),

l'enfant pourra s'appeler:

1) Decoster-Decat (le nom — composé — du père)

2) Decoster (un des noms du père)

3) Decat (un des noms du père)

4) Flamant-Lechat (le nom — composé — de la mère)

5) Flamant (un des noms de la mère)

6) Lechat (un des noms de la mère)

7) Decoster-Flamant (P1-M1: nom composé avec un élément provenant du nom de chacun des parents)

8) Flamant-Decoster (M1-P1: idem)

9) Decat-Flamant (P2-M1: idem)

10) Flamant-Decat (M1-P2: idem)

11) Decat-Lechat (P2-M2: idem)

12) Lechat-Decat (M2-P2: idem)

13) Decoster-Lechat (P1-M2: idem)

14) Lechat-Decoster (M2-P1: idem) (2)

Ce système finira par entraîner une situation passablement chaotique dans laquelle on ne pourra plus déterminer de quelle famille un enfant provient d'après son nom, et cela constitue, selon l'intervenant, une régression.

En outre, il serait peu élégant qu'en raison du choix exercé par leurs parents, certaines personnes doivent ainsi se contenter d'un nom simple alors que d'autres porteront un nom composé.

3. Une troisième et dernière objection que l'on peut adresser à tout système de liberté de choix pour les parents est qu'il est extrêmement difficile de trouver un système acceptable si les parents ne parviennent pas à se mettre d'accord.

a) En droit néerlandais, c'est uniquement le nom patronymique du père qui est applicable dans ce cas. C'est aussi le système retenu dans la proposition de loi de Mme Faes (article 335, § 2, proposé du Code civil). L'objectif sous-jacent est de souligner que le père de l'enfant a une grande responsabilité et une mission éducative à remplir vis-à-vis de celui-ci, car le lien spécifique qui unit la mère à son enfant n'existe en définitive pas entre le père et l'enfant (3) . Si le législateur optait pour le libre choix du nom de famille, cela constituerait finalement, aux yeux du professeur, le moins mauvais système, mais celui-ci risquerait néanmoins de ne pas être accepté par tout le monde. Par ailleurs, l'argumentation précitée peut tout aussi bien justifier le maintien du système juridique actuel, qui prévoit la transmission du nom du père.

b) Dans le cadre des débats parlementaires aux Pays-Bas, il a également été proposé qu'à défaut d'accord, les parents devraient tirer au sort pour décider si leur enfant portera le nom de son père ou celui de sa mère: un système de « pile ou face » donc (4) . Le principe du tirage au sort n'a rien d'exceptionnel dans la tradition des pays d'Europe occidentale. Dans un certain nombre de pays (dont la Belgique et les Pays-Bas), c'est de cette manière, par exemple, que l'on désignait les hommes appelés sous les drapeaux. La proposition a toutefois suscité une telle réaction aux Pays-Bas qu'elle a été bien vite enterrée (5) . La proposition de loi de Mme Khattabi intègre une version édulcorée de ce principe. Elle prévoit en effet qu'en cas de désaccord entre les parents, l'enfant se verra obligatoirement attribuer un nom composé dont l'ordre des éléments (et lui seul) sera déterminé par tirage au sort.

Un système de tirage au sort présente un inconvénient fondamental, à savoir que si un parent a de bonnes raisons de plaider pour la transmission de son nom et que l'autre parent refuse ce choix pour des motifs infondés, c'est le hasard qui tranchera qui des deux obtiendra finalement satisfaction: celui qui a toutes les raisons de vouloir que son nom soit transmis ou celui qui s'y oppose. Une telle solution ne contribue assurément pas à l'humanisation du droit des personnes et de la famille, que l'on ne cesse de réclamer.

Le problème réside dans l'absence d'alternatives satisfaisantes pour déterminer le nom de l'enfant lorsque les parents ne parviennent pas à se mettre d'accord. Il a été proposé par le passé que l'enfant se voie automatiquement attribuer un nom composé, mais dont l'ordre serait déterminé par le sexe de l'aîné: si l'aîné est un garçon, il recevra automatiquement le nom du père suivi du nom de la mère, de même que tous ses frères et sœurs à venir; si c'est une fille, on appliquera l'ordre inverse (6) . On peut se demander si finalement, il ne s'agit pas là non plus d'un système arbitraire. Dans le cas de jumeaux garçon et fille, l'ordre du nom serait en effet déterminé par l'enfant mis au monde en premier lieu. » Voilà pour ce qui est des arguments avancés par le professeur Senaeve.

Vu la nécessité évoquée précédemment que le nom patronymique soit imposé par le législateur sans que les parents aient la possibilité de le choisir, la seule solution semble être l'attribution d'un double nom, composé du nom de chacun des parents.

Reste à savoir dans quel ordre les composantes de ce nom seront apposées. Compte tenu, d'une part, de l'historique de l'actuelle législation relative à l'attribution du nom et, d'autre part, de l'avantage qu'elle offre en matière d'identification, les auteurs de la présente proposition ont opté pour l'attribution, à l'enfant, d'un nom composé du nom du père suivi du nom de la mère.

L'attribution d'un double nom à l'enfant pose évidemment problème lorsque la filiation de l'enfant n'est établie que du côté d'un seul parent. En cas d'attribution d'un seul nom, l'on s'expose à une réelle discrimination de l'enfant. C'est la raison pour laquelle nous proposons que l'enfant acquière le double nom de ce parent. Évidemment, nous avons dû imaginer une solution pour le cas où le parent en question ne porterait lui-même qu'un seul nom: dans ce cas, pour que l'enfant reçoive quand même un double nom, il est proposé d'ajouter au nom du parent le nom de la mère ou, à défaut, celui du père du parent concerné.

Par la suite, en cas de deuxième établissement de la parenté, le principe appliqué sera que le nom (ou plutôt « les noms ») de l'enfant resteront inchangés, mais que les parents pourront encore modifier l'ordre nom du père-nom de la mère en introduisant une déclaration à cet effet. Signalons au passage que le paragraphe 6 de l'article 335 modifié du Code civil prévoit que s'il a atteint l'âge de douze ans, l'enfant devra consentir au changement de nom.

Le cas de figure de deux parents du même sexe représente une autre difficulté. Il est prévu ici que le premier nom est celui du parent avec lequel il existe un lien biologique, suivi du nom de l'autre parent.

Enfin, il est prévu que lors de la transmission d'un double nom par les deux parents, seule la première partie des noms respectifs est transmise, afin d'aboutir dans ce cas au double nom de l'enfant.

En ce qui concerne les conséquences spécifiques de l'adoption (simple ou plénière), les auteurs estiment qu'il y a également lieu, dans ces cas, de modifier l'attribution actuelle du nom, en particulier conformément à l'article 335 du Code civil proposé ici. Dans ce cas, il reste un problème à résoudre, en l'occurrence en cas d'adoption par un couple de même sexe, puisqu'aucun des deux parents n'a de lien biologique avec l'enfant adopté. C'est la raison pour laquelle il est proposé de donner à ces parents une possibilité de choix, mais uniquement pour ce qui concerne l'ordre des deux noms et à condition de communiquer préalablement au tribunal un accord en ce sens.

Guy SWENNEN.
Bert ANCIAUX.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 335 du Code civil, remplacé par la loi du 31 mars 1987 et modifié par la loi du 1er juillet 2006, est remplacé par les dispositions suivantes:

« Art. 335. § 1er. L'enfant dont la filiation paternelle et la filiation maternelle sont établies en même temps porte le nom de son père suivi du nom de sa mère.

Lorsqu'un parent porte lui-même un double nom, seul le premier de ces deux noms est transmis à l'enfant.

§ 2. L'enfant dont seule la filiation paternelle ou maternelle est établie porte les deux noms du parent concerné.

Toutefois, si le parent ne porte pas de double nom, le nom du parent est complété par le nom de la mère de ce parent et, à défaut, par le nom du père.

§ 3. Si l'une des deux filiations est établie après l'autre, aucune modification n'est apportée au nom de l'enfant. Toutefois, les parents peuvent déclarer, dans un acte dressé par l'officier de l'état civil, que l'enfant portera le nom de son père, suivi du nom de sa mère.

Cette déclaration doit être faite dans l'année à compter du jour où les déclarants ont eu connaissance de l'établissement de la filiation et avant la majorité ou l'émancipation de l'enfant. Mention de la déclaration est faite en marge de l'acte de naissance et des autres actes concernant l'enfant.

§ 4. Si les parents de l'enfant sont du même sexe, l'enfant reçoit le nom du parent avec lequel un lien biologique est établi, suivi du nom de l'autre parent.

§ 5. Les noms que porte le premier enfant devront être donnés dans le même ordre aux enfants qui naîtront par la suite des mêmes parents.

§ 6. Si la filiation d'un enfant est modifiée alors qu'il a atteint l'âge de douze ans, aucune modification ne pourra être apportée à son nom sans son consentement. »

Art. 3

L'article 353-1 du même Code est remplacé par la disposition suivante:

« Art. 353-1. L'adoption confère à l'adopté, en le substituant au sien, le nom de l'adoptant ou des adoptants, conformément à l'article 335 du présent Code.

En cas d'adoption simultanée par deux personnes de même sexe, celles-ci déclarent devant le tribunal, de commun accord, l'ordre des noms qui seront donnés à l'adopté. »

Art. 4

Les articles 353-2 à 353-6 du même Code sont abrogés.

Art. 5

L'article 356-2 du même Code est remplacé par la disposition suivante:

« Art. 356-2. L'adoption plénière confère à l'enfant, en le substituant au sien, le nom de l'adoptant ou des adoptants, conformément à l'article 335 du présent Code.

En cas d'adoption simultanée par deux personnes de même sexe, celles-ci déclarent devant le tribunal, de commun accord, l'ordre des noms qui seront donnés à l'adopté. »

5 avril 2011.

Guy SWENNEN.
Bert ANCIAUX.

(1) En effet, dans la vie de tous les jours, seule la première composante d'un nom composé sera en général utilisée.

(2) Les seules combinaisons que ne permettent pas les propositions de loi précitées sont les noms composés du père ou de la mère dans l'ordre inversé, à savoir, dans notre exemple, Decat-Decoster et Lechat-Flamant.

(3) Développements de la proposition de loi no 5-628/1, pp. 2-3.

(4) Deuxième Chambre, 1992-1993, 22 408, no 7.

(5) Voir E.H. Hondius et E. Loeb, « Gelijke behandeling en de naam van het kind », Nederlands Juristenblad 1994, 195.

(6) Proposition de loi de Mmes Drion et Talhaoui (du 24 novembre 1999), doc. Chambre no 50-283/1 (1999-2000).