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3 MAI 2011
C'est en novembre prochain, qu'auront lieu, en principe, les deuxièmes élections présidentielles démocratiques depuis l'indépendance du Congo. De l'avis de nombreux observateurs, celles-ci se tiendront dans un contexte difficile et tendu. En effet, le bilan du gouvernement de Joseph Kabila, président depuis 2006, est critiqué sur de nombreux aspects: économie congolaise au bord du gouffre financier, retard dans les travaux d'infrastructure, corruption, justice inefficace, armée qui échappe au contrôle de l'État, etc. En outre, l'Est du pays connaît toujours des conflits armés même si la paix est globalement revenue ailleurs. De plus, le processus électoral, tel que prévu par l'accord global et inclusif de 2002, accord qui a marqué le début de la transition démocratique, n'a pas été mené à bien puisque, à ce jour, les élections locales n'ont toujours pas été organisées et la décentralisation tarde à se mettre en place. Du côté des autorités congolaises, l'analyse de la situation est évidemment différente: on met en avant les aspects positifs de l'action du gouvernement en évoquant l'annulation d'une part importante de la dette extérieure congolaise (7,35 milliards de dollars), des décisions sur l'assainissement de l'appareil judiciaire, l'accélération des travaux de reconstruction des infrastructures. On se félicite aussi de la fin de la renégociation des contrats miniers avec la Chine en 2008 qui avaient été contestés par les bailleurs de fonds occidentaux. Difficile donc d'avoir un avis tranché sur l'évolution de ce qui est une toute jeune démocratie et sur l'action d'un gouvernement qui aura été le premier à essuyer les plâtres. Ceci étant, la modification, toute récente, de la loi électorale qui prévoit de ramener l'élection à un seul tour n'est pas de nature à apaiser les adversaires de Joseph Kabila. Pour ces derniers, en effet, il ne s'agit de rien d'autre que d'une manuvre politique pour affaiblir l'opposition.
Compte tenu des liens forts et amicaux qui unissent nos deux pays et des accords de partenariats importants en matière de coopération au développement, la Belgique porte une attention particulière aux prochaines élections présidentielles. Elle souhaite tout mettre en uvre pour apporter un soutien aux autorités congolaises en vue de renforcer l'état de droit en République démocratique du Congo (RDC).
L'organisation des élections
Il nous semble important de souligner l'importance de faciliter l'organisation et l'expression de l'opposition démocratique. Concernant l'organisation de ces élections, des aspects importants n'ont pas encore pu être finalisés et risquent de mettre à mal le processus électoral. Il s'agit notamment des aspects suivants:
— la CENI
Formée le 30 juillet 2010, la CENI (Commission électorale nationale indépendante) remplace la CEI (Commission électorale indépendante) issue des accords de paix intercongolais de 2002. Sa mission est d'organiser « en toute indépendance, neutralité et impartialité, des scrutins libres, démocratiques et transparents ». Elle est composée de sept représentants des partis politiques, dont quatre désignés par la majorité présidentielle et trois autres par les partis d'opposition représentés au Parlement. Contrairement à la CEI, la CENI n'a pas opté pour une représentation de la société civile.
— le financement des élections
Le coût du prochain cycle électoral 2011-2013 en RDC est estimé à plus de 715 millions de dollars. Ce cycle comprend des élections générales (présidentielle, législatives, provinciales, sénatoriales, locales, municipales et urbaines) entre le 27 novembre 2011 et le 8 août 2013. Ces fonds proviendront tant du gouvernement congolais — pour plus de la moitié — que de la communauté internationale, selon le président de la Commission électorale indépendante (CEI) sortante, l'abbé A. M. Malumalu. Afin de soutenir la RDC, la Belgique contribuera à hauteur de 14 millions d'euros au financement de ces scrutins avec des crédits provenant de la diplomatie préventive. Selon la Monusco, l'Union européenne a prévu, quant à elle, une enveloppe de 47,5 millions. Ces montants seront gérés par le Projet d'appui au cycle électoral (PACE) du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Le précédent scrutin avait coûté plus de 500 millions de dollars et était financé en quasi-totalité par la communauté internationale. Les difficultés économiques du Congo permettront-elles de prendre en charge une telle somme ? De nombreux analystes en doutent et demandent d'attirer l'attention des bailleurs de fonds sur ce problème.
Des institutions à renforcer
La justice
Nous l'évoquions plus haut, il importe de renforcer l'état de droit et les institutions de la RDC. Or, actuellement, peu d'institutions ont été rénovées par l'action des autorités. Le pouvoir judiciaire notamment n'a pas pu être réformé et souffrirait d'une ingérence constante des autorités. En 2008, explique par exemple le rapport de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), « 89 magistrats se sont plaints d'avoir été mis à la retraite sur base d'aucun critère si ce n'est le fait qu'ils sont originaires de l'Ouest du pays, région qui a soutenu Bemba aux élections de 2006 tandis que ceux nommés à leur place sont pour la plupart originaires de l'Est du pays (soutenant Kabila), et/ou ont un lien avec les autorités ou le parti présidentiel » (La dérive autoritaire, 2009). À cet égard, il convient aussi d'attirer l'attention sur la décision toute récente du gouvernement congolais de mettre le parquet sous l'autorité du ministre de la Justice. Par ailleurs, la corruption de la justice est régulièrement dénoncée. Dans son dernier rapport sur la RDC, le rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats explique que: « Des magistrats, notamment militaires, ont indiqués avoir été informés par leur hiérarchie qu'ils devaient prendre une certaine décision pour pouvoir aspirer à une promotion. » Le même rapporteur s'inquiète aussi « de la part presque insignifiante du budget qui est allouée au pouvoir judiciaire (environ 0,6 %) ».
Les forces et services de sécurité
En avril 2006, le Comité des Nations unies contre la torture déclarait: « Le Comité a pris note avec préoccupation du grand nombre de forces et de services de sécurité dotés de pouvoirs d'arrestation, de mise en détention et d'enquête (1) ». Il recommandait en conséquence à l'État congolais de « limiter au strict minimum le nombre de forces et de services de sécurité dotés de pouvoirs d'arrestation, de détention et d'enquête et veiller à ce que la police reste la principale institution responsable de l'application des lois ». En effet, il existe toujours une multitude de forces de sécurité dont, d'après le rapport (précité) de la FIDH, on ne sait pas réellement quelles sont les attributions et pouvoirs. Pour la FIDH, « cela ne rappelle que trop bien aux militants congolais des droits de l'homme, la situation qui prévalait à l'époque mobutiste ».
Répression des droits de l'Homme
Les constats que fait la société civile concernant la situation des droits de l'homme actuellement en RDC sont accablants: arrestations et détentions arbitraires; utilisation de la torture par les forces de sécurité; lieux de détention illégaux; conditions déplorables de détention; insuffisance des moyens de la justice; violations des droits des défenseurs des droits de l'homme; atteintes à la liberté d'expression; non-accès aux médias, impunité des auteurs des violations des droits de l'homme, etc. Toujours d'après le rapport de la FIDH, il apparaît que le gouvernement utilise tous les moyens à sa disposition pour faire taire les voix dissidentes: les défenseurs des droits de l'homme et la presse sont les premiers visés. Les constats faits par la société civile n'ont pourtant pas empêché le gouvernement congolais de demander au Comité des droits de l'homme des Nations unies, en 2008, de mettre fin au mandat de l'expert indépendant des Nations unies arguant d'une amélioration de la situation. Et, chose surprenante, alors que les organisations non gouvernementales (ONG) étaient unanimes pour dire que la répression s'était aggravée, le Conseil des droits de l'homme a accédé à la demande des autorités congolaises... Les défenseurs des droits de l'homme continuent courageusement à dénoncer mais « à quel prix et pour combien de temps ? », se demandait, en 2009, la FIDH dans son rapport. Moins d'un an plus tard, Floribert Chebeya, un des défenseurs des droits de l'homme les plus estimés pour son travail et son courage était assassiné et son chauffeur enlevé (il n'a toujours pas été retrouvé). Après de nombreuses lenteurs, le procès a débuté en novembre 2010. Le témoignage du Général Numbi, mis en cause notamment par un des huit accusés, est évidemment très attendu. Actuellement, ce dernier est suspendu. En revanche, la carrière des policiers accusés suit son cours: deux viennent d'être promus alors que cela fait six mois qu'ils sont en prison, accusés de meurtre... Il va sans dire que cet événement a effrayé le milieu des défenseurs des droits de l'homme qui craignent pour leur vie et celle de leur famille.
Marie ARENA. |
Le Sénat,
A. vu la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,
B. vu la Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948,
C. vu la Constitution congolaise de 2006,
D. vu la loi organique nº 06/020 du 10 octobre 2006 portant le statut des magistrats,
E. vu la loi organique nº 08/013 du 5 août 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature,
F. vu le rapport de la FIDH, République démocratique du Congo, « La dérive autoritaire du régime », 2009,
G. vu les conclusions du Comité contre la torture des Nations unies, 2005,
H. vu les conclusions du Comité des droits de l'homme des Nations unies, 2006,
I. vu la note de l'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l'homme, 2008,
J. vu le rapport de Journalistes en danger, « La liberté de la presse en Afrique Centrale », 2008,
K. vu le rapport de la Division des droits de l'homme de la MONUC sur la situation des droits de l'homme en République démocratique du Congo, 2007,
L. vu la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
M. vu le rapport de Avocats sans frontières, « État des lieux de la détention provisoire en République démocratique du Congo », 2008,
N. vu le rapport du rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats, L. Despouy, Mission en RDC, Doc. A/HRC/8/4/Add.2, 2008,
O. vu le rapport national sur le développement humain 2008 du programme des Nations unies,
Demande au gouvernement:
1. en tant que partenaire du Congo et la RDC étant le premier pays bénéficiaire en matière de coopération au développement, de soutenir le bon déroulement du processus électoral en République démocratique du Congo dont les élections présidentielles sont prévues pour novembre 2011;
2. de soutenir l'envoi d'observateurs parlementaires et d'observateurs de la société civile dans le cadre de la préparation des élections de 2011;
3. de soutenir l'envoi d'observateurs parlementaires et d'observateurs de la société civile lors des élections de 2011;
4. d'attirer l'attention des autorités congolaises en leur suggérant:
a) de faire en sorte que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) fonctionne de manière optimale;
b) de faire en sorte que les élections soient transparentes, libres et équitables et que les droits de l'opposition politique soient respectés;
c) de faire en sorte que l'inscription des femmes sur les listes électorales et leur présence à tous les échelons de la vie publique soient favorisées par une politique active et volontariste;
d) de veiller au bon déroulement des élections du point de vue du financement de celles-ci;
e) de veiller au respect de la bonne tenue d'un agenda électoral prenant en compte l'ensemble des procédures restant à mettre en uvre (mise en place de la CENI, identification des électeurs, etc.) et ce, le plus rapidement possible;
f) de veiller à ce que le cycle électoral aille jusqu'à son terme, notamment par la tenue d'élections locales et municipales;
g) d'accorder une priorité à la lutte contre la dégradation de la situation des droits de l'homme et de garantir l'intégrité physique et psychologique des défenseurs des droits de l'homme, des journalistes et des opposants;
h) de mettre en uvre les réformes judiciaires prévues et de contribuer à la formation et au respect de l'indépendance du pouvoir judiciaire. À cet égard, il convient d'attirer l'attention des autorités congolaises sur la décision récente de mettre le parquet sous l'autorité du ministre de la Justice;
i) de doter le pouvoir judiciaire d'un budget adéquat, nécessaire au fonctionnement d'une administration de la justice indépendante et impartiale;
j) de veiller à l'aboutissement du processus d'intégration dans l'armée;
k) de mettre en uvre les recommandations du Rapporteur spécial des Nations unies sur l'indépendance des juges et des avocats;
l) d'adopter une loi incriminant la torture conformément aux dispositions de la Convention contre la torture et de faire en sorte que des enquêtes soient menées contre toute personne, y compris des membres des forces de sécurité, soupçonnée d'actes de torture;
m) de réformer le secteur de la sécurité et particulièrement, de limiter aux seules forces de police, les pouvoirs d'enquête, d'arrestations et de détention;
n) de permettre l'accès des observateurs internationaux et des organisations locales nationales de défense des droits de l'homme aux lieux de détention;
o) de ratifier la Convention de l'Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption;
p) de garantir un égal accès aux médias aux partis politiques;
5. de suggérer au Conseil des droits de l'homme des Nations unies d'adopter une résolution prenant acte de la gravité de la situation des droits de l'homme dans le pays et de nommer à nouveau un expert indépendant sur la situation des droits de l'homme en RDC.
6 avril 2011.
Marie ARENA. |
(1) Interviennent entre autres, la police nationale congolaise et ses unités et services spéciaux tels que la Police d'intervention rapide (PIR) et la direction générale des services spéciaux de la police, la Garde présidentielle, l'État major des renseignements militaires, l'Agence nationale de renseignements.