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28 AVRIL 2011
Lors de chaque grève du personnel pénitentiaire, en particulier des agents des services extérieurs de la direction générale des Établissements pénitentiaires (EPI) du Service public fédéral Justice, la surveillance des prisons doit être assurée par la police. Cela représente un lourd surcroît de travail pour les services de police, tant au niveau fédéral qu'au niveau local. Dans sa réponse à une question écrite nº 5-833 du sénateur Karl Vanlouwe sur le recours aux services de police lors de grèves, la ministre de l'Intérieur en affaires courantes, Annemie Turtelboom, a fait savoir qu'il y avait eu, en 2010, pas moins de cent cinquante-deux jours de grève, répartis sur vingt-six des trente-quatre prisons belges. Dans le cadre de ces grèves, 6 099 agents de police (3 430 de la police locale et 2 669 de la police fédérale) ont été réquisitionnés pour assurer la sécurité dans les prisons.
Pendant qu'ils sont mobilisés dans les prisons, les agents de police concernés ne sont plus disponibles pour assurer leurs tâches de maintien de l'ordre public et de la sécurité. De plus, ils n'ont pas suivi de formations spécifiques les préparant au travail de gardien de prison, pas plus qu'ils ne sont familiarisés avec l'univers carcéral, les détenus ou encore les tensions et rapports de force qui règnent dans les prisons. La simple présence de policiers accroît par ailleurs le risque de voir les esprits s'échauffer parmi les détenus. À cela s'ajoutent les tensions suscitées au sein de la prison en raison de la suspension du régime pénitentiaire normal en période de grève, notamment en ce qui concerne les visites et les possibilités de détente. La police peut seulement assurer le maintien de la sécurité.
Il ne fait dès lors pas l'ombre d'un doute que les membres du personnel pénitentiaire restent les personnes les mieux placées pour assurer le maintien de l'ordre et de la sécurité dans les prisons lors de grèves. En effet, ils sont parfaitement familiarisés avec l'univers carcéral et sont en particulier rompus aux situations de fortes tensions. La présente proposition de loi, sans vouloir toucher au fondement du droit de grève, vise à établir un équilibre entre le droit de grève, d'une part, et la nécessité de garantir la continuité du service public et le maintien de l'ordre public et de la sécurité, d'autre part.
Pour ce faire, la présente proposition de loi s'appuie sur le régime actuel régissant le service minimal des fonctionnaires de police en cas de grève (défini à l'article 126 de la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux). À l'instar de cette loi, elle prévoit des conditions procédurales à l'exercice du droit de grève ainsi que la faculté, pour le ministre de la Justice, d'ordonner au personnel pénitentiaire de continuer à accomplir certaines missions qu'il lui appartient de déterminer. Si l'on se base sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, cette limitation du droit de grève est autorisée car la nécessité de préserver l'ordre public dans une société démocratique justifie la nécessité d'une plus grande disponibilité du personnel pénitentiaire par rapport à d'autres agents publics (1) .
Les auteurs de la présente proposition de loi optent pour l'élaboration d'un texte de loi distinct plutôt que pour l'insertion des dispositions proposées dans la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus. En effet, cette loi s'inscrit principalement dans la perspective de la protection juridique des détenus. Même si la présente proposition de loi, quant à elle, influence bien évidemment aussi le statut des détenus, elle vise surtout à assurer la continuité du service public et la sécurité de l'État.
Karl VANLOUWE. Inge FAES. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
L'exercice du droit de grève des agents des services extérieurs de la direction générale des Établissements pénitentiaires (EPI) du Service public fédéral Justice, ci-après dénommés les agents, est soumis aux conditions suivantes :
1º l'annonce préalable de la grève par une organisation syndicale agréée;
2º la discussion préalable, avec l'autorité compétente, de la question pour laquelle la grève est envisagée.
Le Roi détermine les modalités relatives au préavis et à la discussion visés à l'alinéa 1er et le délai dans lequel ils doivent avoir lieu.
Art. 3
Le ministre de la Justice peut ordonner aux agents qui font usage ou qui désirent faire usage du droit de grève, de continuer ou de reprendre le travail pendant la période et pour les missions pour lesquelles leur engagement est nécessaire et qu'il désigne.
Le ministre de la Justice qui souhaite donner l'ordre visé à l'alinéa précédent est tenu de communiquer au préalable aux organisations syndicales représentatives des agents et, le cas échéant, à l'organisation syndicale agréée qui a déposé le préavis de grève, les missions pour lesquelles il estime que l'ordre est nécessaire.
Art. 4
L'agent qui ne donne pas suite à l'ordre d'une autorité visée à l'article 2 est puni d'une peine d'emprisonnement de huit jours à un mois et d'une amende de cent à dix mille euros, ou d'une de ces peines seulement.
Est puni des peines visées à l'alinéa précédent, celui qui, sciemment et volontairement, amène de quelque manière que ce soit un agent à qui l'ordre d'une des autorités visées à l'article 2 a été donné, à ne pas donner suite à cet ordre.
Les dispositions du livre Ier du Code pénal, en ce compris le chapitre VII et l'article 85, sont d'application pour les infractions visées aux alinéas 1er et 2.
31 mars 2011.
Karl VANLOUWE. Inge FAES. |
(1) Cour d'arbitrage, arrêt no 42/2000 du 6 avril 2000. Dans cet arrêt, dans lequel la Cour devait statuer sur des recours introduits contre la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré structuré à deux niveaux, elle a estimé que la limitation du droit de grève prévue par ladite loi ne violait pas l'article 8 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ni l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme, ni l'article 6 de la Charte sociale européenne.