5-927/1

5-927/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

31 MARS 2011


Proposition de résolution relative au bilan à mi-parcours du dixième Fonds européen de développement

(Déposée par Mmes Olga Zrihen et Marie Arena)


DÉVELOPPEMENTS


Le Fonds européen de développement (FED) est l'instrument principal de l'aide de l'Union européenne (UE) pour la coopération au développement avec les pays d'Afrique, Caraïbe et Pacifique (ACP). De nature extrabudgétaire, cet instrument est financé par les contributions volontaires des États membres de l'UE et est soumis à ses propres règles financières tout en étant dirigé par un comité spécifique.

Le FED est composé de plusieurs instruments, notamment l'aide non-remboursable, les capitaux à risque et prêts au secteur privé. Les instruments tel le STABEX et le SYSMIN (visant à aider respectivement les secteurs agricole et minier) ont, quant à eux, été supprimés par l'Accord de partenariat de Cotonou en 2000. Cet accord a également rationnalisé les instruments du FED et introduit un système de « programmation glissante » supposant plus de flexibilité et accordant une responsabilité plus importante aux États ACP.

Chaque FED est conclu pour une période de cinq ans. Actuellement, le dixième FED couvre la période 2008-2013 (une révision à mi-parcours a d'ores et déjà été entamée). Une enveloppe budgétaire à hauteur de 22,6 milliards d'euros a été arrêtée. Les documents de stratégie par pays et région (DSP et DSR) définissent les principales priorités et orientations qui seront soutenues et financées par le FED pour chaque pays et chaque région. Ils s'accompagnent d'un plan indicatif national (PIN) pour les uns et régional (PIR) pour les autres.

Il est un fait que le dixième FED présente en son budget une hausse de 61 % par rapport au Fonds précédent. Ce montant de 22,6 milliards d'euros vient à point nommer pour redorer les politiques européennes en la matière qui, depuis 2000, ne s'étaient aventurées qu'à de faibles engagements financiers. Dès lors, faut-il considérer ce dixième FED comme le témoignage d'une volonté européenne de renforcer les efforts en matière de coopération au développement avec les pays ACP ? Les principes de partenariat, de transparence et d'appropriation mis en exergue par l'Accord de Cotonou laissent cependant penser que le FED demeure encore un instrument de coopération non partagé.

Par ailleurs, les objectifs du dixième FED devaient consacrer 50 % de son enveloppe à l'appui budgétaire dans plus ou moins quarante-quatre pays. De fait, cette montée en puissance de l'aide budgétaire témoigne d'une volonté de replacer les institutions, longtemps délaissées, au cœur des dynamiques de développement. Cependant, ce revirement stratégique en faveur de « plus d'État » pourrait bien se transformer en un puissant instrument de pression sur certains pays ou encore en un outil n'ayant qu'un faible impact sur les populations qui en ont le besoin.

Processus de revue à mi-parcours

Ce processus de révision à mi-parcours du dixième FED devait constituer une occasion importante de réfléchir attentivement à l'esprit de partenariat et à la nécessité de refléter les aspirations portées par l'Accord de Cotonou. D'autant que de nouvelles problématiques sont venues compliquer et fragiliser les relations entre les deux groupes d'États: crise alimentaire et financière, élargissement de l'Union européenne, accords commerciaux « passés en force ».

Dès juillet 2009, le dixième FED a été soumise à une procédure de révision à mi-parcours. La Commission européenne (CE) a adopté quelques lignes directrices de révision permettant des changements stratégiques et des ajustements dans l'allocation des enveloppes financières en fonction des évolutions des besoins et des critères de performance des pays, en prenant notamment en compte l'impact de la crise globale sur les pays ACP.

La performance des pays devait être évaluée par le prisme de quatre dimensions clefs: (a) la situation de la bonne gouvernance; (b) la situation économique; (c) la pauvreté et la situation sociale; (d) la performance dans la mise en œuvre de la coopération de la Commission européenne. Par ailleurs, cette dernière a unilatéralement décidé d'avancer le processus de revue à mi-parcours du FED en raison de la crise. Cet avancement n'est pas sans conséquences puisque le temps disponible pour une consultation de qualité de tous les acteurs — en ce compris ceux de la société civile — a fortement été réduit. En outre, cette révision a commencé alors que la mise en œuvre de ce dixième FED venait à peine de débuter.

Préoccupations majeures face à ce processus de revue à mi-parcours

Divers constats s'imposent:

— La société civile est peu incluse et écoutée dans le processus de révision du FED tout comme dans son élaboration initiale. Pourtant, l'Accord de Cotonou repose sur les principes d'« appropriation » et de « partenariat », mais tant le processus d'élaboration que celui de révision n'a pas offert une tribune suffisante à l'expression des revendications de la société civile. Tout processus de consultation s'avère être de mauvaise qualité ou, dans le pire des cas, totalement absent. La révision à mi-parcours n'a donc pas permis une réelle application des principes de l'Accord de Cotonou et montre à quel point des efforts significatifs en matière de prise en compte des recommandations de la société civile, de communication et de transparence de l'information doivent être initiés par les délégations de la Commission européenne;

— Le manque de transparence et d'appropriation démocratique est réel. Le débat sur la programmation et la mise en œuvre de l'aide du FED exclu le Parlement européen, les parlements ACP nationaux, les autorités locales et la société civile. Ce manque de transparence entraîne une uniformisation des priorités des DSP et DSR sur base de critères et intérêts économiques et géopolitiques de quelques pays européens (lutte contre le terrorisme, lutte contre les migrations illégales, commerce, grandes infrastructures, etc.);

— Une tendance à l'instrumentalisation de l'aide est constatée. De nouvelles conditionnalités sont ainsi apparues sous le dixième FED. Le nouveau cadre pour le dialogue en matière de gouvernance en est un exemple et conditionne l'accès au fonds au respect par les pays ACP des demandes européennes — notamment en matière de politiques économiques, migratoires ou commerciales. De par le recours à ces nouvelles modalités de l'aide (cf. bonne gouvernance) ou le recours systématique à l'aide budgétaire globale s'en suit une « redevabilité » croissante des gouvernements ACP envers les bailleurs de fonds plutôt qu'envers les populations ACP elles-mêmes. De même, le dialogue politique vient à intégrer certaines formes de « conditionnalité politique » à l'exécution de l'aide.

La présente proposition de résolution tend à rappeler que les principes de partenariat, de transparence et d'appropriation s'imposent comme des critères à l'avenir essentiels dans les processus d'élaboration ou de révision du FED.

Olga ZRIHEN
Marie ARENA.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

A. considérant le FED comme l'instrument principal de l'aide communautaire à la coopération au développement aux États ACP et rappelant que le dixième FED couvrant la période 2008-2013 prévoit d'octroyer une enveloppe budgétaire de 22,6 milliards d'euros aux États ACP;

B. considérant le FED comme un instrument budgétaire extracommunautaire financé par des contributions volontaires des États membres de l'Union européenne (sur base quinquennale) et rappelant également que ces sources de financement sont depuis longtemps au centre de nombreuses controverses;

C. considérant le souhait de la Commission européenne de réintégrer le FED dans le budget de l'Union européenne et supposant qu'une telle initiative replacerait ce fonds sous le contrôle du Parlement européen;

D. considérant que l'Accord de Cotonou reposant sur les principes d'« appropriation » et de « partenariat/égalité des partenaires » suppose que la société civile doit être pleinement associée au processus d'élaboration et de révision du FED;

E. rappelant que les acteurs de la société civile du Nord comme du Sud considèrent le FED comme un instrument de pression sur les pays ACP, que ses priorités ne prennent pas assez en compte les attentes des populations et que la complexité ainsi que l'opacité de sa gestion occasionnent tant des retards de décaissement que des limites sensibles à l'efficacité des actions initiées;

F. considérant que la programmation du dixième FED a mis l'accent sur des thèmes tels que la gouvernance, les infrastructures ou encore la compétitivité;

G. considérant les risques d'instrumentalisation de l'aide tout en prenant en compte les préoccupations émises par les membres de la société civile ainsi que par divers experts indépendants selon lesquelles le FED pourrait devenir un outil de conditionnalité à géométrie variable permettant d'exercer d'importantes pressions sur les gouvernements les plus faibles;

H. rappelant que la transparence et le dialogue politique doivent être plus systématique afin d'éviter que l'instrument budgétaire qu'est le FED ne soit associé à un pur rapport de force;

I. soulignant que des montants de plus en plus conséquents du FED transitent par des appuis budgétaires qui peuvent renforcer légitimement le rôle des États ACP mais qui exigent une transparence encore accrue en vue de permettre le contrôle des parlements et organisations de la société civile,

Demande au gouvernement:

Dans le cadre de futures élaborations et révisions à mi-parcours des prochains FED

1. de plaider, au sein de l'Union européenne, pour que l'aide du FED soit de meilleure qualité, orientée vers la promotion de l'égalité homme-femme et des droits humains, vers le secteur de la santé et de l'éducation, de l'agriculture et garantisse une allocation adaptée des ressources pour ces secteurs afin de réaliser les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Au regard du contexte de crise financière et alimentaire mondiale, toute future programmation et/ou toute révision à mi-parcours du FED doit répondre aux priorités des pays ACP et favoriser les secteurs cruciaux au développement humain;

2. d'initier une réflexion permettant l'émergence de garanties juridiques pour que la possible intégration du FED au sein du budget communautaire ne signifie nullement une réorientation de celui-ci aux profits d'États autres que les pays ACP ou d'autres initiatives politiques de l'Union européenne risquant de menacer l'intégrité et la spécificité de cet instrument financier (via notamment une baisse systématique des enveloppes globales allouées);

3. d'appuyer le rôle du Parlement européen auprès de la Commission européenne et garantir le plein exercice de son droit de contrôle sur le FED ainsi que sur le processus de réalisation des documents de stratégie/pays. Un contrôle accru du Parlement européen permet en effet d'introduire davantage de transparence dans la programmation et la définition des priorités. De même, il revient prioritairement aux Parlements ACP nationaux ainsi qu'au Parlement européen d'adopter les prochains DSP et DSR. Enfin, le rôle de l'Assemblée parlementaire paritaire UE-ACP doit être renforcé et soutenu afin de donner à cette instance les moyens d'assurer un réel suivi des DSP/DSR et d'orienter leurs priorités;

4. de rappeler les exigences de « transparence », d'« appropriation » et de « partenariat » tels que définis au sein du cadre juridique dont dépend le FED, à savoir l'Accord de Cotonou (2000). La transparence totale est nécessaire durant toute procédure d'élaboration et de révision en cours (discussions au niveau des ACP entre les délégations de la Commission européenne et les gouvernements, examen sélectif des DSP et DSR par le siège de la Commission européenne, etc.). De même, l'appropriation démocratique suppose que les gouvernements ACP doivent ensemble, avec leurs parlements nationaux et la société civile, décider librement des secteurs d'aide prioritaire pour leurs pays. Enfin, le principe de partenariat implique la participation de la société civile, des parlements nationaux, des autorités locales, des ministères sectoriels ACP et du Parlement européen lors de toutes les étapes du cycle du FED (programmation, mise en œuvre, révision à mi-parcours, en fin de parcours, etc.).Ces principes sont d'autant plus indispensables lorsque l'aide transite par des programmes d'appui budgétaire;

5. de prôner l'établissement de cadres de dialogue régulier et transparents entre la Commission européenne et les pays ACP afin de garantir la participation des parlementaires et des acteurs de la société civile de manière permanente;

6. de défendre une révision en profondeur du mécanisme de la tranche incitative pour « bonne gouvernance » afin d'éviter l'émergence de nouvelles conditionnalités économiques et géopolitiques pour accéder à l'aide européenne (migration, lutte contre le terrorisme, etc.). Il s'agit aussi d'approfondir avec les États ACP la définition même des principes de gouvernance afin que celle-ci reflète les approches et expériences de ces pays et pas seulement une vision européenne de la gouvernance, ce qui ne peut que favoriser l'appropriation de ces principes par les États concernés.

28 janvier 2011.

Olga ZRIHEN
Marie ARENA.