5-49COM | 5-49COM |
Mme Marie Arena (PS). - Le Collège pour la lutte contre la fraude fiscale et sociale, créé par l'arrêté royal du 29 avril 2008, a rédigé une note finale, le 3 décembre 2010, dans laquelle figurent les conclusions du Groupe de travail sur la thématique « Una via ».
Ce document met en lumière, entre autres, les causes qui entravent actuellement l'efficacité des poursuites dans le domaine de la grande fraude fiscale.
Je mentionnerai ici plus particulièrement les compétences en matière de police, qui relèvent de votre autorité, sachant que dans ce document figurent aussi des recommandations qui concernent les ministres de la Justice et des Finances.
Dans ce rapport, le Collège relève le manque de capacité policière dans le domaine de la grande fraude fiscale ; le refus de traiter un dossier par un service de police, sans doute par manque de moyens ; des problèmes de compétence policière spécialement face à des mécanismes complexes mis en oeuvre en matière de grande fraude fiscale ; l'absence de coopération possible fisc/police.
Dans un article publié dans La Libre Match, un policier se confiait en ces termes : « C'est un ensemble de pratiques qui visent à dépénaliser de facto la fraude fiscale ». Il relevait lui aussi le fait qu'ils sont pour la plupart diplômés en droit ou en criminologie mais parfaitement incapables de pénétrer dans les arcanes d'une comptabilité d'entreprises.
La plupart de ces constats avaient été formulés en 2009 dans les 108 recommandations de la commission d'enquête « lutte contre la grande fraude fiscale » et, pour une bonne partie des faiblesses de notre système qui sont présentées ici par le Collège, il ne s'agit pas de modifier des textes législatifs mais bien de formuler des priorités, et d'organisation et de moyens à affecter aux services concernés.
L'avocate Martine Bourmanne a déclaré, à juste titre : « Au nom du principe d'égalité des délinquants devant la loi, on ne peut accepter l'impunité de la criminalité en col blanc ». Or à la lecture de ce rapport, on peut dire que le chemin est encore long et que l'on constate « deux poids deux mesures » en matière de criminalité, celle des pauvres et celle des riches.
Par conséquent, madame la ministre, pouvez-vous me dire ce que vous avez mis en oeuvre en concertation avec vos collègues de la Justice et des Finances depuis 2009 en matière de lutte contre la grande fraude fiscale et qui réponde directement aux faiblesses citées par le Collège ?
Mme Annemie Turtelboom, ministre de l'Intérieur. - Tout d'abord, je souhaiterais préciser le concept de « grande fraude fiscale ». En effet, cette appellation recouvre plusieurs facettes, de la fraude à l'impôt sur le revenu à la fraude TVA, en passant par la fraude aux droits d'enregistrement, la fraude aux droits de succession, et aux taxes assimilées à l'impôt sur le revenu.
La mission de base de recherche de la fraude fiscale incombe aux divers services de l'administration fiscale, en ce compris l'Inspection spéciale des impôts qui compte environ 400 fonctionnaires fiscaux hautement qualifiés.
La police, dans son tandem police-justice, intervient dans les cas où des infractions à la législation fiscale et en présence d'éléments intentionnels ont été communiquées par l'administration fiscale.
Le ministère public et les services de police sont confrontés principalement à deux types de dossiers : la fraude organisée à la TVA, d'une part, et la fraude à l'impôt sur le revenu, d'autre part.
Notons que la Belgique est l'un des États les plus performants de l'Union européenne en matière de lutte contre la fraude organisée à la TVA : alors que le préjudice pour le Trésor belge s'élevait à 1 100 millions d'euros en 2001, il est retombé à 14,6 millions d'euros en 2009.
Ce résultat est également dû au fait que par le passé, une cellule d'appui fraude TVA a été créée et que la police a pu consacrer du personnel en nombre suffisant à ce phénomène prioritaire du Plan national de sécurité, tout comme la lutte contre le blanchiment.
La commission d'enquête parlementaire chargée d'examiner la fraude fiscale organisée a formulé 108 recommandations en mai 2009. L'une de ces recommandations vise à déterminer la capacité policière disponible en matière de fraude fiscale. Ainsi, selon le point 3.5. du plan d'action 2009-2010 de mon collègue le secrétaire d'État Devlies, il s'agit de « revoir la capacité policière spécialisée dans les dossiers économiques et financiers et, le cas échéant, l'augmenter ». Cette question de capacité doit encore être tranchée.
L'objectif du groupe de travail « Una Via » auquel vous faites référence est précisément de parvenir à une bonne répartition de la capacité entre les administrations fiscales et le tandem justice-police, tout en respectant les caractéristiques et les moyens de chaque service.
Comme dans d'autres services publics, les départs à la retraite jouent évidemment un rôle important. Du personnel qualifié, souvent de niveau universitaire, doit être remplacé. Un plan d'action a été développé à cet effet à la police judiciaire fédérale.
En outre, seize fonctionnaires fiscaux ont été détachés à la direction de la lutte contre la criminalité économique et financière de la police judiciaire fédérale. Le savoir-faire policier est ainsi combiné à des connaissances en matière de législation fiscale dans une équipe unique.
Enfin, je souhaiterais réagir à votre remarque sur la prétendue absence de collaboration entre le fisc et la police. Depuis l'entrée en vigueur de la Charte du contribuable, les fonctionnaires de l'administration fiscale sont les seuls autorisés à intervenir comme témoins. Comme vous le savez, le secrétaire d'État Clerfayt a été chargé de moderniser la Charte susnommée. La charte repose sur le principe que le sujet de droit est tenu de coopérer avec l'administration en matière fiscale. En droit pénal, une telle attitude est inconciliable avec les conventions précitées. À l'heure actuelle, un échange spécifique de données est possible. L'administration fiscale peut transmettre des dossiers au parquet et consulter des dossiers répressifs, et le ministère public peut indiquer ses soupçons de fraude.
La jurisprudence, en pleine évolution, de la Cour européenne des Droits de l'Homme précise également le non bis in idem qui a mené à la création du groupe de travail « Una Via » auquel appartenaient de hauts fonctionnaires de la police. C'est la raison pour laquelle la police me semble suffisamment préparée à l'approche de la fraude fiscale organisée.
Mme Marie Arena (PS). - Je tiens à confirmer les travaux réalisés en matière de lutte contre la fraude à la TVA dont on s'inspire d'ailleurs souvent pour avancer dans la lutte contre la fraude fiscale organisée.
Je vous fais confiance et j'espère que nous enregistrerons rapidement les mêmes résultats dans la lutte contre la fraude fiscale organisée que dans la lutte contre la fraude à la TVA.
En ce qui concerne la collaboration fisc-police, ce n'est pas moi qui ai dit qu'il n'y avait pas de partenariat mais le Collège. Or le collège « Una Via » estime que ce partenariat est essentiel si l'on veut lutter efficacement contre la fraude fiscale organisée. Reste à déterminer la manière dont ce partenariat doit être mis en oeuvre en fonction des conventions internationales.