5-932/1

5-932/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

5 AVRIL 2011


Proposition de loi complétant le Code pénal par des dispositions relatives à la commercialisation de la maternité de substitution et à la médiation aux fins de celle-ci

(Déposée par M. Wouter Beke et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend — en grande partie — le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 20 juillet 2005 (doc. Sénat, nº 3-1319/1 - 2004/2005) et redéposé le 12 février 2008 (doc. Sénat, nº 4-555/1 - 2007/2008).

L'affaire du bébé Donna a montré qu'en ce qui concerne la maternité de substitution, des abus sont possibles et qu'il faut agir au plus vite pour les réprimer.

L'affaire du bébé Donna n'est plus un cas isolé en Belgique, loin de là. On entend chaque année de plus en plus d'affaires de mères porteuses dans lesquelles les enfants deviennent l'objet des intérêts commerciaux de la mère porteuse et des candidats parents, avec, de temps en temps, l'intervention de personnes de mauvaise foi contre lesquelles il convient de protéger les candidats parents. Un cadre légal clair s'impose.

Les auteurs de la présente proposition de loi comprennent les couples qui souhaitent avoir un enfant. En effet, le désir d'enfant confère un caractère particulier à une relation. Les auteurs comprennent parfaitement que les couples qui ne parviennent pas à concevoir des enfants de manière naturelle cherchent des alternatives. L'expression « procréation médicalement assistée » est l'expression générique qui désigne l'ensemble des techniques de procréation assistée qui entrent de plus en plus dans les mœurs et qui permettent de remédier aux problèmes d'infertilité.

Certains couples ou individus qui sont confrontés à un problème d'infertilité ont recours à une mère porteuse pour pouvoir concevoir quand même un enfant qui leur soit apparenté génétiquement. Par maternité de substitution, on entend la situation par laquelle une femme accepte de devenir mère porteuse, c'est-à-dire de tomber enceinte en vue de porter un enfant pour le compte d'autrui (les parents demandeurs).

En Belgique, la maternité de substitution n'est pratiquée que dans deux centres et requiert des indications médicales strictes. Le chiffre exact n'est pas connu dans la mesure où une forme particulière de maternité de substitution, à savoir l'auto-insémination, s'inscrit tout à fait en marge du contexte médical. Il y a probablement aussi des couples qui s'adressent à une mère porteuse qui va accoucher, par exemple, en France dans l'anonymat.

Dans certains pays qui ont légiféré en matière de maternité de substitution, on observe parfois une véritable commercialisation de la cession de l'enfant conçu. Aux États-Unis, la grossesse pour autrui est fortement régulée et ce, sur une base commerciale: des entreprises, qui obéissent aux impératifs du marché, font office de médiateurs entre des parents demandeurs et une mère porteuse. Il ressort de jugements de tribunaux de Californie et du Massachusetts, ainsi que de la législation de l'Utah qu'il y a une tendance à reconnaître juridiquement les actes gestationnels et à inscrire les noms des parents demandeurs sur le certificat de naissance de l'enfant.

Aux États-Unis, plutôt que de fonder les choses sur la confiance entre des parties qui se connaissent ou non, on a tendance à « contractualiser » les relations entre celles-ci, et cela va de pair avec la reconnaissance du caractère commercial de la cession. Il en résulte une véritable dépersonnalisation des attitudes à l'égard du corps humain, de la procréation et de la grossesse. En effet, dans l'optique précitée, les « services » de procréation fournis dans le cadre d'une maternité de substitution font l'objet de contrats à caractère commercial et donnent lieu au paiement d'indemnités de compensation et, parfois, aussi de salaires, des institutions commerciales assurent une médiation entre la mère porteuse et les parents demandeurs et, enfin, il y a un « produit », à savoir l'enfant, qui change de parents.

Les auteurs de la présente proposition de loi entendent s'opposer à cette évolution. Ils estiment que l'intérêt de l'enfant doit primer et ils s'opposent à « l'instrumentalisation » du corps maternel. La présente proposition de loi vise à interdire toute forme de trafic, de commercialisation et de médiation en matière de maternité de substitution. Un enfant n'est pas une marchandise et il faut dès lors interdire toute transaction commerciale et toute médiation préalable à la naissance. Ce principe doit être inscrit dans la législation pénale, comme on l'a fait aux Pays-Bas (article 151 b, alinéas 1er et 2, et article 151 c du « Wetboek van Strafrecht ») et en France (article 227-12 du Code pénal).

Le Code pénal interdira et sanctionnera alors la maternité de substitution commerciale. On entend plus spécialement par là toute forme de médiation dans le cadre d'une maternité de substitution, même non commerciale, l'offre publique de médiation et la publication d'une information faisant savoir qu'une femme se propose comme mère porteuse ou que l'on recherche une mère porteuse.

Les auteurs de la présente proposition ne veulent pas toucher aux règles du droit de la famille, du droit de la filiation ou du droit de l'adoption. Sur le plan du droit de la famille, on maintient la règle selon laquelle la mère qui accouche est la mère juridique de l'enfant. L'enfant a droit à la sécurité que lui apporte cet ancrage dans le droit de la famille. La pratique qui consiste à conclure, avant la naissance, des contrats concernant la cession de l'enfant est proscrite. Ces déclarations d'adoption prénatales ne peuvent pas être imposées juridiquement. En principe, ni le corps humain, ni la filiation, ni l'autorité parentale ne sont dans le commerce (article 1128 du Code civil). Cela signifie que les droits relatifs au corps humain (droits de la personnalité) et les droits et devoirs des parents (droits familiaux) ne peuvent pas être traités, en principe, comme des droits patrimoniaux (par exemple, sous la forme de contrats).

Par respect pour la mère, il est prévu que nul ne peut la forcer à renoncer juridiquement au préalable à son nouveau-né; en d'autres termes, il n'existe aucun droit de cession préalable. Le contrat de grossesse est un contrat sui generis dont l'objet — la cession de l'enfant — ne peut pas être obtenu par la contrainte. Contraindre une mère porteuse à céder son enfant est un acte inhumain. Pouvoir garder l'enfant qu'elle met au monde est un droit fondamental reconnu à toute femme.

Les auteurs s'en tiennent à l'actuel droit belge de la filiation, qui considère comme la mère juridique de l'enfant non pas la mère demandeuse, mais la mère porteuse. Le respect des conventions de maternité de substitution ne peut pas être forcé en justice: le droit de la mère à faire établir sa maternité à l'égard de l'enfant doit être considéré comme inaliénable. On ne peut pas déroger par convention aux dispositions impératives de l'article 312, § 1er, du Code civil, qui sont d'ordre public. La nullité d'une convention de maternité de substitution a également pour conséquence que lorsqu'une des parties contractantes refuse de respecter son engagement, l'autre partie ne peut pas l'y contraindre en justice. Les auteurs de la présente proposition entendent donc s'opposer au caractère contraignant des conventions concernant la cession d'un enfant qui sont conclues avant la naissance de celui-ci.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

Les dispositions pénales en matière de maternité de substitution sont insérées dans le chapitre II rétabli du livre II, titre VII, du Code pénal.

Article 3

Cet article concerne l'incrimination de la commercialisation de la maternité de substitution.

Article 4

Cet article punit la femme qui se propose publiquement comme mère porteuse et qui reçoit un paiement en contrepartie de la maternité de substitution.

Article 5

Cet article pénalise la médiation en matière de maternité de substitution. Les peines sont plus sévères en cas de récidive ou de poursuite d'un but lucratif. Pour la fixation de la peine, les auteurs se sont inspirés de celle qui s'applique à la traite des êtres humains (loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers): il s'agit en effet en l'espèce de trafic d'enfants à naître.

Article 6

Cet article punit quiconque incite une mère à céder son futur enfant, que ce soit avec ou sans but lucratif, au moyen de dons, de promesses, de menaces ou d'abus d'autorité.

Wouter BEKE.
Sabine de BETHUNE.
Cindy FRANSSEN.
Dirk CLAES.
Jan DURNEZ.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'intitulé du livre II, titre VII, chapitre II, du Code pénal, abrogé par la loi du 28 novembre 2000, est rétabli dans la rédaction suivante:

« Chapitre II. De la maternité de substitution ».

Art. 3

L'article 354 du même Code, abrogé par la loi du 28 novembre 2000, est rétabli dans la rédaction suivante:

« Art. 354. — Il est interdit, de rétribuer une personne pour qu'elle agisse à titre de mère porteuse. Il est interdit d'offrir de verser une rétribution. Il est interdit de faire, de charger de faire, d'éditer, de distribuer ou de diffuser, de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, de la publicité pour le versement d'une telle rétribution.

Le non-respect d'une quelconque de ces dispositions est puni d'un emprisonnement de deux mois à deux ans et d'une amende de 200 euros à 2 000 euros. »

Art. 4

L'article 355 du même Code, abrogé par la loi du 28 novembre 2000, est rétabli dans la rédaction suivante:

« Art. 355. — Il est interdit de se faire connaître publiquement comme mère porteuse. Il est interdit de se faire rétribuer pour une maternité de substitution.

Le non-respect d'une quelconque des ces dispositions est puni d'un emprisonnement de deux mois à deux ans et d'une amende de 200 euros à 2 000 euros. »

Art. 5

L'article 356 du même Code, abrogé par la loi du 28 novembre 2000, est rétabli dans la rédaction suivante:

« Art. 356. — Il est interdit de servir d'intermédiaire en vue de la conclusion d'une convention ayant pour but ou effet direct ou indirect de réaliser une grossesse pour le compte d'autrui.

Le fait de s'entremettre entre un (des) parent(s) demandeur(s) et une mère porteuse acceptant d'abandonner son enfant à naître est puni d'un emprisonnement de un à cinq ans et d'une amende de 500 à 25 000 euros.

Si les faits sont récurrents ou commis dans un but lucratif, la peine sera un emprisonnement de cinq ans à dix ans. »

Art. 6

L'article 357 du même Code, abrogé par la loi du 28 novembre 2000, est rétabli dans la rédaction suivante:

« Art. 357. — Quiconque aura incité, soit dans un but lucratif, soit par don, promesse, menace ou abus d'autorité, une femme à abandonner son enfant à naître est puni d'un emprisonnement de un à cinq ans et d'une amende de 500 à 25 000 euros. »

7 mars 2011.

Wouter BEKE.
Sabine de BETHUNE.
Cindy FRANSSEN.
Dirk CLAES.
Jan DURNEZ.