5-877/1

5-877/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

21 MARS 2011


Proposition de loi modifiant la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, en ce qui concerne le libre choix des conseils dans le cadre de l'assurance protection juridique

(Déposée par M. Wouter Beke)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend, en l'actualisant, le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat par Mme Els Schelfhout le 7 octobre 2008 (doc. Sénat, nº 4-948/1 - 2007/2008).

Conformément à l'article 90, alinéa 1er, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre (ci-après dénommée LCAT 1992), l'assurance protection juridique se définit comme suit: « les contrats d'assurance par lesquels l'assureur s'engage à fournir des services et à prendre en charge des frais afin de permettre à l'assuré de faire valoir ses droits en tant que demandeur ou défendeur, soit dans une procédure judiciaire, administrative ou autre, soit en dehors de toute procédure. »

L'assurance protection juridique remplit une fonction sociale et offre au citoyen la possibilité de s'assurer pour couvrir le coût d'une procédure en justice. S'il est confronté au coût d'une procédure judiciaire, l'assuré sera en effet moins enclin à faire valoir pleinement ses droits. Même si les frais d'une procédure judiciaire sont en grande partie récupérables auprès de la partie succombante, le demandeur doit quand même d'abord avancer les fonds. Mais l'assurance protection juridique s'avère aussi utile lorsque le citoyen est mis en cause en tant que défendeur. Exemple: vous circulez sur l'autoroute et un des véhicules qui vous précèdent ralentit brusquement. Vous ne pouvez plus freiner à temps et entrez en collision avec la voiture devant vous. Vous n'aviez bien sûr pas l'intention de blesser le conducteur qui vous précédait, mais ce dernier ressent des douleurs cervicales consécutives à l'accident. Même si l'assurance en responsabilité civile de votre voiture a indemnisé entièrement le préjudice subi par cette personne, le parquet peut décider de vous poursuivre pour coups et blessures involontaires (1) . En pareil cas, votre assurance protection juridique interviendra pour couvrir les frais de procédure (2) .

L'assurance protection juridique permet donc à une grande partie de la population de s'assurer contre le risque d'être impliqué comme demandeur ou comme défendeur dans une procédure judiciaire ou administrative. Le but est de garantir à tout citoyen d'un État de droit moderne un accès correct à la justice. C'est la raison pour laquelle chaque justiciable peut bénéficier gratuitement de l'aide juridique de première ligne. De plus, il est également prévu d'offrir aux plus démunis de notre société une aide juridique de deuxième ligne totalement ou partiellement gratuite. Les franges de la population qui n'entrent pas dans les critères pour bénéficier de l'aide juridique de deuxième ligne peuvent se tourner vers la solution de l'assurance protection juridique (3) . Cette dernière doit donc répondre de manière suffisante à la nécessité d'offrir à l'assuré une défense appropriée. C'est aussi cette optique qui prend le mieux en compte le droit à un procès équitable, inscrit à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (pour les affaires pénales).

L'assuré a la possibilité de s'assurer auprès d'un assureur spécialisé en protection juridique, qui s'occupe exclusivement de ce type de risques. Toutefois, dans de nombreuses polices, l'assurance protection juridique est une couverture facultative qui fait partie d'une autre police d'assurance, comme l'assurance auto ou l'assurance familiale. Ces différentes couvertures doivent être gérées séparément conformément à la réglementation légale afin de prévenir les conflits d'intérêts.

L'article 92 de la LCAT 1992 prévoit que l'assureur doit stipuler explicitement dans les conditions générales du contrat d'assurance que l'assuré a le libre choix des conseils lorsqu'il faut recourir à une procédure judiciaire ou administrative, ou lorsque surgit un conflit d'intérêts avec l'assureur. L'assuré est ainsi informé de son droit au libre choix au moment de la souscription du contrat d'assurance. Nombreux sont toutefois ceux à penser que cette information est insuffisante. En effet, au moment où un sinistre se produira, l'assuré ne se souviendra pas toujours qu'il a le libre choix d'un avocat. En outre, les assurés n'ont pas tous les mêmes capacités pour déchiffrer les conditions générales de leur assurance protection juridique. Il est vrai que certains de nos concitoyens n'ont soit pas les capacités soit pas la formation suffisantes pour saisir toutes les finesses contenues dans les conditions générales d'un contrat d'assurance. Il y a là une réalité sociale dont il faut tenir compte.

Certains assureurs de la protection juridique profitent habilement de la situation de l'assuré pour retarder la désignation d'un avocat afin de pouvoir régler l'affaire à l'amiable. En pareil cas, l'assuré est souvent confronté à des solutions qui, pour lui, ne sont pas toujours aussi avantageuses qu'il n'y paraît.

Le secteur de l'assurance a lui-même déjà compris qu'une meilleure information est effectivement nécessaire. L'assureur de la protection juridique est soumis aux règles de conduite suivantes:

« L'assureur s'engage à énoncer explicitement dans le contrat d'assurance protection juridique le principe du libre choix de l'avocat. L'assureur s'engage en outre à le rappeler lorsqu'il est fait appel à un avocat en cas de procédure judiciaire ou administrative ou en cas de conflit d'intérêt entre l'assuré et l'assureur. L'assureur s'engage à respecter ce libre choix de l'assuré. L'assureur s'engage, dans le cas où l'assuré ne connaîtrait pas d'avocat susceptible de le défendre, et à sa demande, à mettre à sa disposition les coordonnées d'avocats (4) . »

Mais un tel code de conduite n'a aucune force obligatoire si l'assureur n'y adhère pas. En outre, aucune sanction n'est prévue si le code de conduite n'est pas respecté. Rien n'est prévu non plus quant aux modalités suivant lesquelles l'assureur doit rappeler à l'assuré qu'il a droit au libre choix. Pour garantir qu'au moment où l'assuré doit faire appel à un avocat, il soit pleinement conscient qu'il dispose de la liberté de choix et qu'il peut ainsi faire valoir ses droits de manière optimale, la proposition prévoit d'instaurer une obligation légale d'information à propos de ce droit au libre choix lorsqu'il faut recourir à un avocat dans le cadre d'une procédure judiciaire ou administrative ou dans le cadre d'un conflit d'intérêts.

Certains assureurs tentent d'imposer à l'assuré un conseil repris sur la liste des avocats avec lesquels ils collaborent. Ceux-ci travaillent la plupart du temps sur la base d'un abonnement annuel ou à un tarif forfaitaire fixe par affaire et sont donc généralement moins chers que le conseil de l'assuré lui-même. Mais la qualité du service est parfois aussi à l'avenant. C'est la raison pour laquelle l'auteur de la proposition suggère que l'assureur ne puisse proposer un avocat à l'assuré qu'après que celui-ci le lui a demandé au préalable et par écrit. En France, cette disposition a déjà été inscrite dans le Code des assurances. L'article L 127-3, alinéa 4, de la loi du 19 février 2007 réformant l'assurance de protection juridique prévoit désormais ce qui suit: « L'assureur ne peut proposer le nom d'un avocat à l'assuré sans demande écrite de sa part. »

Conformément à l'article 140 LCAT 1992 et à l'article 45, 7º, de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers, la Commission bancaire, financière et des assurances peut contrôler le respect de ces nouvelles dispositions et prévoir des sanctions éventuelles en cas de non-respect de la loi.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

L'article prévoit que l'assureur doit explicitement informer l'assuré de sa liberté de choix lorsqu'il faut recourir aux services d'un avocat dans le cadre d'une procédure judiciaire ou administrative ou dans le cadre d'un conflit d'intérêts.

En outre, l'assureur doit informer l'assuré « par écrit » de son droit au libre choix, de manière que l'assureur et l'assuré soient tous deux certains que la notification a bien été effectuée.

L'article prévoit également que l'assureur ne peut imposer son propre avocat à l'assuré. Désormais, l'assureur ne peut encore proposer un avocat à l'assuré qu'après que ce dernier en a fait la demande préalablement et par écrit.

Wouter BEKE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 92 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, est complété par deux alinéas, rédigés comme suit:

« L'assureur informe l'assuré par écrit de son droit visé à l'alinéa précédent lorsqu'il faut recourir à un avocat dans le cadre d'une procédure judiciaire ou administrative ou dans le cadre d'un conflit d'intérêts entre l'assuré et l'assureur.

L'assureur n'est autorisé à proposer un avocat que lorsque l'assuré en a fait la demande préalablement et par écrit. »

24 février 2011.

Wouter BEKE.

(1) Article 418 du Code pénal.

(2) Pour autant du moins que les conditions de la police n'excluent pas explicitement cette couverture. Les amendes sont toujours exclues de la couverture, conformément à l'article 91 LCAT 1992.

(3) Afin d'encourager la souscription d'une assurance protection juridique, l'arrêté royal du 15 janvier 2007 déterminant les conditions auxquelles doit répondre un contrat d'assurance protection juridique pour être exempté de la taxe annuelle sur les opérations d'assurance prévue par l'article 173 du Code des droits et taxes divers, prévoit que dans certaines conditions, l'assurance protection juridique n'est pas soumise au paiement de la taxe d'assurance de 9,25 %.

(4) Assuralia, Union professionnelle des entreprises d'assurances, « Règles de conduite de l'assureur de protection juridique », SVC06118, 14 décembre 2006, p. 3.