5-852/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

16 MARS 2011


Proposition de loi renforçant les peines prévues par la loi du 24 février 1921 concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques et de substances pouvant servir à la fabrication illicite de substances stupéfiantes et psychotropes

(Déposée par M. Bart Laeremans et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Dans les années soixante et septante, la drogue faisait de temps à autre l'objet d'un article de presse, mais la consommation de stupéfiants restait limitée à un groupe très marginal d'« initiés ».

Depuis, la situation a toutefois évolué rapidement de manière alarmante: en l'espace de quelques décennies, la consommation de drogue a pris l'ampleur d'un véritable fléau, qui cause des ravages dans de larges couches de la société. À défaut d'inverser cette évolution, nous risquons de léguer des problèmes quasi insurmontables aux générations du vingt et unième siècle.

Le trafic et la consommation de stupéfiants prennent en effet des proportions dramatiques, notre pays ne comptant pas moins de 20 000 toxicomanes (surtout des jeunes) consommant des stupéfiants tels que l'héroïne, la cocaïne, les amphétamines, ... La drogue constitue par ailleurs la cause directe d'une part importante de la criminalité et impose un lourd coût social à la collectivité (jeunes à problèmes, absentéisme au travail, accidents de la route, accueil des toxicomanes, soins médicaux, ...). De plus, les cartels internationaux de la drogue sont si puissants qu'ils risquent de disloquer la société, non seulement dans des pays fortement touchés comme les États-Unis et plusieurs États d'Amérique latine et d'Asie, mais aussi chez nous. Comme on le voit, il y a une foule de raisons d'étudier ce problème social d'une extrême gravité et, surtout, d'y apporter des solutions.

Tous les chiffres qui ont été publiés ces dernières années indiquent que la consommation et le trafic de drogue se sont accrus dans des proportions telles qu'il n'est pas excessif de parler de « fléau ». Il ressort du rapport annuel 2010 sur « L'état de la problématique de la drogue dans l'Union européenne » de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), établi à Lisbonne, qu'au cours de la période 1995-2007, entre 6 400 et 8 500 européens sont mort chaque année d'une overdose. Quatorze millions d'européens, soit 4,1 % de la polulation, ont un jour consommé de la cocaïne. Parmi les jeunes adultes, cette proportion atteint même 5,9 %.

On estime à environ un million le nombre d'Européens qui suivent un traitement pour des problèmes liés à la drogue

Les statistiques criminelles de la police recensent, pour 2009, 47 100 infractions liées à la drogue, dont 22 496 pour possession, 10 555 pour usage, 12 241 pour trafic et importation et exportation, 1 045 pour fabrication et 763 pour d'autres faits.

L'enquête de santé belge de 2008 est très clair en ce qui concerne l'augmentation de la consommation de drogues et toutes les conséquences personnelles et sociales qui en découlent.

On constate même aujourd'hui que des jeunes de douze-treize ans consomment déjà de la drogue, y compris en Flandre ! Les revendeurs s'enhardissent du reste de plus en plus pour « fidéliser » les jeunes. Ce groupe cible est en effet très docile et influençable. Une enquête effectuée à la côte flamande a montré que les revendeurs fournissent aux jeunes des produits stupéfiants en leur assurant que ce n'est pas de la drogue, font pression sur des enfants en groupe et forcent même, dans certains cas, des jeunes prendre de l'héroïne. « De Sleutel », une association des « Broeders van Liefde » active en matière de prévention et de traitement de la toxicomanie l'âge moyen auquel les jeunes commencent à consommer des drogues illégales était tombé, en deux ans à peine, de quinze à douze ans. La situation s'est aggravée au point que d'aucuns demandent même de faire débuter la prévention dès l'école maternelle.

Pendant de nombreuses années, on n'a manifestement pas réagi de manière adéquate à cette évolution et nombreux sont les jeunes qui, à l'heure actuelle encore, deviennent tocicomanes du fait qu'ils fréquentent des milieux sociaux où non seulement la toxicomanie est tolérée, mais où prévaut même un contexte relationnel qui incite à prendre de la drogue ou, du moins, à se livrer à des « expériences » en ce domaine. Il en va notamment ainsi de certaines maisons de jeunes.

Le Collège des procureurs généraux a en outre lancé un signal tout à fait inapproprié à la jeunesse en diffusant en avril de l'année dernière une circulaire invitant les parquets à donner la priorité la moins élevée à la poursuite des consommateurs de drogues douces. Étant donné la surcharge des parquets, une telle consigne revient de facto à dépénaliser la toxicomanie. La police et la justice n'interviendront plus guère non plus en ce qui concerne la consommation de drogues dures. Dans le texte adopté du rapport du groupe de travail de la Chambre des représentants chargé d'étudier la problématique de la drogue, il est en effet précisé que « la poursuite de la consommation de drogues dures (...) n'est recommandée que lorsqu'il y a nuisance sociale ».

Il convient de souligner à cet égard que cette politique de tolérance n'est pas soutenue par une majorité démocratique. Un sondage d'opinion concernant une légalisation éventuelle de la toxicomanie a en effet révélé que les trois quarts de la population ne souhaitent pas que l'on modifie la loi.

Il est erroné de supposer que ce sont les problèmes sociaux auxquels les jeunes sont confrontés, qui poussent ceux-ci à se droguer. La société « coupable » doit leur laisser cette possibilité d'évasion et, au lieu d'intervenir dans un sens répressif, décriminaliser certaines formes de consommation de drogue. Il va sans dire que nous ne partageons pas cette vision des choses qui a du reste de moins en moins de partisans en Europe et ailleurs. Le nœud du problème est qu'il faut résoudre les problèmes sociaux des jeunes et punir sévèrement ceux qui profitent de ces problèmes pour se livrer à leurs odieuses activités commerciales. Ce n'est qu'à ces conditions qu'il sera possible d'arrêter la descente aux enfers que nous vivons actuellement.

Le lien — nous dirons même la symbiose — qui existe entre la drogue et la criminalité est un argument supplémentaire qui vient renforcer notre conviction selon laquelle la répression est en effet la seule approche correcte du trafic de drogue. On constate par exemple que de 60 à 70 % de la criminalité urbaine est liée à la drogue. Et il ressort même de plusieurs études (notamment celle du criminologue gantois De Ruyver) que 82 % des héroïnomanes se procurent l'argent nécessaire à leur dose en commettant des actes criminels. En résumé, on peut affirmer que le problème de la drogue contribue dans une large mesure à l'augmentation de l'insécurité dans nos villes et communes.

Il est claire que la présente proposition de loi vise avant tout à réprimer plus sévèrement le trafic de drogue et doit, par conséquent, être lue conjointement avec notre proposition assouplissant les règles relatives aux poursuites et aux recherches dans le cadre de la politique en matière de drogue. Nous introduisons, en revanche, une nette distinction entre le trafic et la consommation de drogue, distinction qui n'apparaît guère dans la législation actuelle. C'est sur cette base que nous souhaitons prévoir un droit légal à l'assistance. Il convient, en effet, de considérer plus particulièrement les grands toxicomanes comme des malades, qui n'ont pas leur place dans les prisons (où ils causent de graves problèmes), mais doivent au contraire bénéficier d'une assistance psychomédicale dans des centres d'accueil ou de désintoxication créés à cet effet. La désintoxication à court terme suivie, à long terme, par la réintégration des toxicomanes, tels sont les objectifs de cette politique.

Les drogues et les substances psychotropes constituent une menace grave et permanente pour la santé et le bien-être de l'humanité, pour la stabilité des nations, pour les structures politiques, économiques et sociales de toute société et pour la vie et la dignité de millions de personnes, en particulier les jeunes. Tel est le constat que faisait un rapport de l'Assemblée générale des Nations unies il y a quelques années.

Bart LAEREMANS.
Jurgen CEDER.
Anke VAN DERMEERSCH.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 2bis, § 3, c, de la loi du 24 février 1921 concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques et des substances pouvant servir à la fabrication illicite de substances stupéfiantes et psychotropes, est abrogé.

Art. 3

Il est inséré dans la même loi un article 2quinquies, libellé comme suit:

« Art. 2quinquies. La vente d'une dose mortelle d'une des substances visées à l'article 2bis, § 1er, est assimilée au meurtre commis avec préméditation et sera punie de la réclusion à perpétuité conformément l'article 394 du Code pénal. »

Art. 4

À l'article 4, §§ 1er, 3 et 6, les mots « aux articles 2, 2º, 2bis, 2quater et 3 » sont remplacés par les mots « 2, 2º, 2bis, 2quater, 2quinquies et 3 ».

Art. 5

La même loi est complétée par un article 13, libellé comme suit:

« Art. 13. Le condamné qui purge une peine principale d'emprisonnement de deux ans au moins en vertu de la présente loi a droit à une assistance psychomédicale si le médecin spécialiste constate qu'il est en état de dépendance vis-à-vis d'une ou de plusieurs des substances visées à l'article 2bis, § 1er.

Cette assistance est organisée dans un centre d'accueil fermé spécialement créé à cet effet, sous la responsabilité du ministère de la Santé publique et à charge du département précité et de celui de la Justice, qui en partageront les frais. »

7 mars 2011.

Bart LAEREMANS.
Jurgen CEDER.
Anke VAN DERMEERSCH.