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16 MARS 2011
Le non-respect de la législation linguistique à Bruxelles est une problématique qui ne date pas d'hier et, ces dernières quarante années, la situation n'a guère évolué. Nombre d'études et de témoignages individuels ont confirmé, ces dernières années, que la présence de personnel néerlandophone — tant des médecins que du personnel infirmier — dans les établissements de soins bruxellois laisse fortement à désirer.
En dépit des obligations légales en la matière, de graves dysfonctionnements sont à déplorer en ce qui concerne le traitement (dans tous les sens du terme) des néerlandophones dans les hôpitaux bruxellois. Alors que les patients turcs et arabes peuvent avoir recours à des accompagnateurs qui s'expriment dans leur langue, depuis des années, les Flamands sont laissés pour compte dans leur propre capitale. Tant le personnel infirmier que les médecins sont souvent des francophones unilingues ou refusent purement et simplement de parler le néerlandais. Le fait qu'ils ne puissent pas ou pratiquement pas communiquer avec leurs patients flamands a bien entendu des conséquences — sérieuses — pour la dispensation des soins médicaux. Le fonctionnement des services d'urgences des hôpitaux francophones, tels qu'Érasme à Anderlecht et Saint-Luc à Woluwe-Saint-Lambert, est, depuis des années, une cause d'exaspération pour de nombreux Flamands. Ces services interviennent dans la région unilingue néerlandophone sans que le personnel connaisse un mot de néerlandais.
Les reportages montrant des témoignages poignants qu'ont diffusés certains médias sont là pour en témoigner. On ne peut plus tolérer que les coûteux hôpitaux bilingues de la capitale de la Flandre emploient du personnel n'ayant aucune connaissance du néerlandais.
La non-mise en place d'un point de contact pour les plaintes concernant l'emploi des langues, prévu par un précédent gouvernement, parce que le ministre bruxellois de l'époque, M. Gosuin, refusait de signer le protocole établi, en dit long également sur le total irrespect avec lequel la majorité bruxelloise entend traiter durablement les néerlandophones.
Il y a quelques années, plusieurs de ces plaintes ont été rassemblées dans un rapport qui a été transmis à un représentant du Conseil de l'Europe. Cette enquête, qui a été initiée par quelques représentants des partis traditionnels, n'a toutefois rien changé aux faits. Elle n'a donc qu'une valeur symbolique et sert surtout de camouflage. En effet, là où ces mêmes partis peuvent réellement imposer le respect de la législation linguistique — à savoir au sein du gouvernement bruxellois, où certains de leurs membres siègent depuis des années en tant que ministres —, ils ont toujours brillé par leur inertie et leur silence lâche. Qui plus est, l'application de la législation linguistique se heurte chaque fois, en raison notamment des accords de courtoisie linguistique, au veto des ministres bruxellois francophones.
Sur la base d'informations publiées dans la revue Artsenkrant du 10 septembre 2010, nous avons pu lire sur le site http://www.zorgzoeker.be que le réseau Iris, qui regroupe les hôpitaux publics bruxellois, a récemment de nouveau été condamné pour non-respect de la législation linguistique en ce qui concerne la politique du personnel: « Le Vlaams Komitee voor Brussel obtient pour la deuxième fois consécutive gain de cause dans le litige qui l'oppose à Iris. Auparavant, le Conseil d'État avait déjà donné raison aux plaignants: les hôpitaux du réseau Iris doivent prouver que leur personnel est bilingue, ce qu'ils refusent actuellement de faire. Jusqu'à ce jour, personne — en dehors des directions des hôpitaux — ne savait réellement si le personnel en service dans les hôpitaux du réseau était réellement bilingue. L'arrêt rendu par le Conseil d'État donne un droit de regard au Vlaams Komitee voor Brussel (VKB), ce qui constitue un pas en avant. Mais les hôpitaux Iris persistent dans leur attitude. Et le VKB n'a donc toujours pas pu contrôler quels étaient les membres du personnel qui avaient réussi un examen linguistique. Le VKB a dès lors saisi le tribunal civil, qui lui a de nouveau donné raison. Mais cette victoire n'est qu'apparente. La condamnation du juge n'a en effet été assortie d'aucune astreinte, de sorte que le réseau Iris continuera sans doute allègrement à violer les lois linguistiques. Et dire, comme l'ont déjà relevé de nombreux observateurs, que les hôpitaux publics reçoivent chaque année des millions d'euros de deniers publics dans une Région qui est constitutionnellement bilingue. Dans le contexte politique actuel, où Bruxelles réclame plus d'argent à la Flandre, ce constat pourrait peser dans la balance. »
Les hôpitaux ont eu près de cinquante ans pour respecter la législation linguistique; un nouveau report leur accorderait à nouveau un sauf-conduit pour enfreindre la législation linguistique de la manière la plus flagrante pendant quatre ans de plus et pour se défausser finalement du problème sur un prochain gouvernement.
Il ressort clairement de ce qui précède que l'obligation légale de bilinguisme dans les hôpitaux publics bruxellois est restée, au sens propre comme au sens figuré, lettre morte au cours des cinquante dernières années.
Nous estimons dès lors qu'il y lieu, lorsque des dispositions législatives, réglementaires et administratives ne sont d'aucune utilité dans une matière aussi importante pour les Flamands, d'avoir recours au droit pénal.
Quand on fait la sourde oreille, il faut en subir les conséquences.
La présente proposition de loi vise à insérer un article 422quater dans le Code pénal, article qui prévoit une nouvelle infraction en matière de négligence. Cet article érige en infraction le fait de négliger d'organiser ou de faire fonctionner les services d'urgence ou les services mobiles d'urgence (services 112 et SMUR) des hôpitaux de la région bilingue de Bruxelles-Capitale, de manière telle que les patients transportés, amenés ou entrants puissent être accueillis convenablement dans leur langue par les médecins et le personnel soignant, pour autant qu'il s'agisse de l'une des deux langues de la région bilingue de Bruxelles-Capitale.
Il convient de souligner que les conditions posées par la présente proposition de loi sont minimalistes. La proposition de loi n'a trait qu'aux services d'urgence ou aux services mobiles d'urgence (services 112 et SMUR) des hôpitaux de la Région de Bruxelles-Capitale. On ne demande donc, dans le cadre de la loi pénale proposée, qu'un effort minimal aux hôpitaux bruxellois.
Conformément aux articles 30, 39 et 129 de la Constitution et à l'article 5, § 1er, I, 1º de la loi spéciale du 8 août 1980, c'est le pouvoir législatif fédéral qui est compétent pour édicter la réglementation proposée, laquelle a en effet trait à l'usage des langues et vise à adapter et à compléter la loi organique sur les hôpitaux.
On peut affirmer sans hésiter que la présente proposition de loi complète la législation organique des établissements de soins, de sorte que le législateur fédéral est manifestement compétent.
Différentes notions de la présente proposition sont issues de cette législation organique et, plus particulièrement, de la loi sur les hôpitaux, coordonnée le 7 août 1987.
Article 2
Cet article modifie l'article 5, alinéa 4, du Code pénal. Cet article est libellé comme suit:
« Art. 5. Toute personne morale est pénalement responsable des infractions qui sont intrinsèquement liées à la réalisation de son objet ou à la défense de ses intérêts, ou de celles dont les faits concrets démontrent qu'elles ont été commises pour son compte.
Lorsque la responsabilité de la personne morale est engagée exclusivement en raison de l'intervention d'une personne physique identifiée, seule la personne qui a commis la faute la plus grave peut être condamnée. Si la personne physique identifiée a commis la faute sciemment et volontairement, elle peut être condamnée en même temps que la personne morale responsable.
Sont assimilées à des personnes morales:
1º les associations momentanées et les associations en participation;
2º les sociétés visées à l'article 2, alinéa 3, des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, ainsi que les sociétés commerciales en formation;
3º les sociétés civiles qui n'ont pas pris la forme d'une société commerciale.
Ne peuvent pas être considérées comme des personnes morales responsables pénalement pour l'application du présent article: l'État fédéral, les Régions, les Communautés, les provinces, l'agglomération bruxelloise, les communes, (les zones pluricommunales,) les organes territoriaux intra-communaux, la Commission communautaire française, la Commission communautaire flamande, la Commission communautaire commune et les centres publics d'action sociale. »
Le dernier alinéa de cet article est modifié afin que les communes et les centres publics d'action sociale qui (co)gèrent un hôpital puissent être sanctionnés en cas d'infraction à l'article 422quater proposé.
Article 3
Cet article est la clef de voûte de la présente proposition de loi. Il propose d'insérer dans le Code pénal un nouveau délit d'omission, dans un nouvel article 422quater remplaçant l'article actuel.
En son paragraphe 1er, cet article incrimine le fait de négliger d'organiser ou de faire fonctionner, dans la région légalement bilingue de Bruxelles-Capitale, les services d'urgence ou les services mobiles de secours (services 112 et SMUR) des hôpitaux, de manière telle que les patients qui y sont conduits ou amenés ou qui s'y présentent puissent y être accueillis adéquatement dans leur langue usuelle par les médecins et par le personnel infirmier, pour autant que cette langue soit l'une des deux langues de la région bilingue de Bruxelles-Capitale.
Les personnes suivantes, qu'il s'agisse de personnes physiques ou de personnes morales, peuvent se rendre coupables du nouveau délit d'omission: les médecins qui exercent une fonction dirigeante dans un service d'urgence ou dans un service mobile de secours (services 112 ou SMUR) au sein d'un hôpital, ainsi que les personnes qui assurent effectivement le fonctionnement d'un service d'urgence ou d'un service mobile de secours (services 112 ou SMUR) au sein d'un hôpital (que l'hôpital soit géré par des personnes morales de droit public ou privé ou par le ministère de la Défense), les personnes morales de droit privé ou de droit public qui gèrent l'hôpital, les propriétaires de l'hôpital, les gestionnaires, la ou les personnes chargées par le gestionnaire de la direction générale du fonctionnement journaliser de l'hôpital, ou l'organe qui, selon le statut juridique de l'hôpital, est chargé de la gestion de l'exploitation de l'hôpital, ainsi que les membres de ces organes.
Les règles normales en matière d'abstention coupable, et plus précisément celles prévues à l'article 422bis du Code pénal, s'appliqueront au délit proposé. Lorsque des néerlandophones pourront être accueillis correctement dans leur propre langue dans les services d'urgence des hôpitaux bruxellois, il n'y aura plus la moindre raison d'engager des poursuites.
Dans le cas inverse, en revanche, la justice devra examiner à l'inaction de quelle personne la situation dénoncée est imputable. Toutes les personnes qui ont failli à leurs obligations, qu'il s'agisse de personnes physiques ou de personnes morales, seront alors passibles de poursuites.
Au paragraphe 2, il est expressément dérogé à la règle de l'article 5, alinéa 4, du Code pénal. En vertu de l'article 422quater, § 1er, proposé, du Code pénal, des personnes morales de droit public pourront donc également être sanctionnées. Sans cette dérogation aux principes généraux, la réglementation proposée serait en effet restée lettre morte dans un certain nombre de cas et le principe d'égalité aurait en outre été mis en cause.
Article 4
Du point de vue du contenu, l'actuel article 422quater du Code pénal est remplacé par le nouvel article 422quinquies.
Le nouvel article 422quater est ajouté à l'énumération figurant au début de l'article 422quinquies. En outre, la langue est ajoutée à la liste des causes d'hostilité.
Article 5
Cet article comporte une disposition transitoire. Il a pour but de donner aux hôpitaux suffisamment de temps pour adapter leurs cadres. Pendant une période d'un an qui suit l'entrée en vigueur de la loi proposée, certaines peines prévues dans le nouvel article 422quater ne seront pas prononcées lorsque les personnes visées dans l'article ou l'une d'entre elles, ou même un membre du personnel soignant ou administratif, constatant l'absence de médecins ou d'infirmiers capables de s'adresser correctement au patient dans sa langue maternelle, soit en français, soit en néerlandais, appellent pour toute plainte, même verbale, du patient qui ne peut se faire comprendre d'un médecin ou d'un membre du personnel infirmier, de leur propre initiative et dans les plus brefs délais, un médecin et, au besoin, également les infirmiers nécessaires pour soigner le patient dans sa langue maternelle, pour autant que les honoraires éventuels des personnes appelées ne soient pas mis à la charge du patient.
Article 6
Cet article concerne l'entrée en vigueur. Pour donner aux hôpitaux le temps d'enfin satisfaire aux exigences qui découlent de leur vocation de capitale, un délai d'au moins six mois leur est accordé pour réaliser, sous peine de sanctions pénales, ce qu'ils auraient déjà dû accomplir depuis longtemps.
Bart LAEREMANS. Jurgen CEDER. Anke VAN DERMEERSCH. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
À l'article 5, alinéa 4, du Code pénal, les mots « Ne peuvent pas être considérées comme des personnes morales responsables pénalement pour l'application du présent article: » sont remplacés par les mots « Sauf dans les cas prévus par la loi, ne peuvent pas être considérées comme des personnes morales responsables pénalement pour l'application du présent article: ».
Art. 3
L'article 422quater du même Code, inséré par la loi du 25 février 2003 et remplacé par la loi du 10 mai 2007, est remplacé par la disposition suivante:
« Art. 422quater. § 1er. Sont punis des mêmes peines, les médecins qui exercent une fonction dirigeante dans un service d'urgence ou dans un service mobile de secours au sein d'un hôpital, ainsi que les personnes qui assurent effectivement le fonctionnement d'un service d'urgence ou d'un service mobile de secours au sein d'un hôpital, les personnes morales de droit privé ou de droit public qui gèrent l'hôpital, les propriétaires de l'hôpital, les gestionnaires, la ou les personnes chargées par le gestionnaire de la direction générale du fonctionnement journalier de l'hôpital, ou l'organe qui, selon le statut juridique de l'hôpital, est chargé de la gestion de l'exploitation de l'hôpital, ainsi que les membres de cet organe, qui, dans la région de Bruxelles-Capitale, négligent d'organiser ou de faire fonctionner le service d'urgence ou le service mobile de secours de leur hôpital de manière telle que les patients qui y sont conduits ou amenés ou qui s'y présentent puissent y être accueillis adéquatement dans leur langue usuelle par les médecins et par le personnel infirmier pour autant que cette langue soit l'une des deux langues de la région bilingue de Bruxelles-Capitale.
§ 2. Par dérogation à l'article 5, alinéa 4, peuvent être considérées comme des personnes morales responsables pénalement pour l'application du présent article: l'État fédéral, les régions, les communautés, les provinces, l'agglomération bruxelloise, les communes, les zones pluricommunales, les organes territoriaux intracommunaux, la Commission communautaire française, la Commission communautaire flamande, la Commission communautaire commune et les centres publics d'action sociale. »
Art. 4
Un article 422quinquies, libellé comme suit, est inséré dans le même Code:
« Art. 422quinquies. Dans les cas prévus par les articles 422bis, 422ter et 422quater, le minimum des peines correctionnelles portées par ces articles peut être doublé lorsqu'un des mobiles du crime ou du délit est la haine, le mépris ou l'hostilité à l'égard d'une personne en raison de sa prétendue race, de sa couleur, de son ascendance, de son origine nationale ou ethnique, de sa langue, de son sexe, de son orientation sexuelle, de son état civil, de sa naissance, de son âge, de sa fortune, de sa conviction religieuse ou philosophique, de son état de santé actuel ou futur, d'un handicap ou d'une caractéristique physique. »
Art. 5
Pendant une période d'un an suivant l'entrée en vigueur de la présente loi, les peines portées par l'article 422quater du Code pénal ne sont pas prononcées lorsque les personnes visées à cet article ou une d'entre elles ou même un membre du personnel soignant ou administratif, constatant l'absence de médecins ou de personnel infirmier capables de s'adresser correctement au patient dans sa langue maternelle, soit en français, soit en néerlandais, appellent pour toute plainte, même verbale, du patient qui, de ce fait, ne peut se faire comprendre, de leur propre initiative et dans les délais les plus brefs, un médecin et, au besoin, également les infirmiers nécessaires capables de soigner le patient dans sa langue maternelle, pour autant que les honoraires éventuels des personnes appelées ne soient pas mis à la charge du patient.
Art. 6
La présente loi entre en vigueur le premier jour du septième mois qui suit celui au cours duquel elle aura été publiée au Moniteur belge.
9 mars 2011.
Bart LAEREMANS. Jurgen CEDER. Anke VAN DERMEERSCH. |