5-594/1

5-594/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

10 DÉCEMBRE 2010


Proposition de loi instaurant dans le Code des sociétés la possibilité d'intenter une action minoritaire au sein de la société coopérative à responsabilité illimitée

(Déposée par MM. Peter Van Rompuy et Wouter Beke)


DÉVELOPPEMENTS


Par action minoritaire, il faut entendre l'action en responsabilité qu'un actionnaire/associé détenant une participation minoritaire (à hauteur de 49 %, par exemple) intente contre les administrateurs de la société, pour le compte de celle-ci, lorsque les actionnaires majoritaires restent en défaut de le faire.

L'action minoritaire a été instaurée dans la société anonyme (SA) (articles 562 à 567 actuels du Code des sociétés) et dans la société privée à responsabilité limitée (SPRL) (articles 290 et 291 actuels du Code des sociétés) par la loi du 18 juillet 1991. L'article 657 du Code des sociétés, qui énonce que les dispositions relatives aux sociétés anonymes sont applicables aux sociétés en commandite par actions, a pour conséquence que l'action minoritaire existe aussi au sein de la société en commandite par actions. En ce qui concerne la société coopérative à responsabilité limitée, l'action minoritaire a également été prévue et ce, par la loi du 20 juillet 1991 (articles 415 à 417 actuels du Code des sociétés). Dans la société coopérative européenne aussi, une action minoritaire peut être intentée contre les administrateurs, les membres du conseil de direction et les membres du conseil de surveillance (article 993 du Code des sociétés).

Les travaux préparatoires de la loi ne précisent pas les raisons pour lesquelles les associés minoritaires d'une société coopérative à responsabilité illimitée ne disposent pas de la possibilité d'intenter une telle action minoritaire.

Dans un arrêt récent, daté du 16 septembre 2010, la Cour constitutionnelle a estimé que l'absence de possibilité, pour les associés minoritaires d'une société coopérative à responsabilité illimitée, d'intenter une action minoritaire viole les principes d'égalité et de non-discrimination consacrés par les articles 10 et 11 de la Constitution (arrêt nº 102/2010 du 16 septembre 2010, numéro de rôle 4817).

La Cour constitutionnelle a dit pour droit:

« L'absence de possibilité pour les associés minoritaires d'une société coopérative à responsabilité illimitée d'intenter une action minoritaire viole les articles 10 et 11 de la Constitution. »

La Cour a motivé sa décision comme suit:

— Quant au critère objectif et pertinent:

« B.8.3. Il ressort des travaux préparatoires, cités en B.6, de la loi du 20 juillet 1991 que le législateur avait en particulier pour but d'éviter que les formalités souples qui s'appliquaient aux sociétés coopératives ne fassent l'objet d'abus pour éluder certaines réglementations en matière de droit des sociétés et de droit social. À cet égard, le législateur visait principalement la société coopérative à responsabilité limitée.

Au cours des mêmes travaux préparatoires, un texte a été adopté, résultant d'un amendement verbal du représentant du ministre compétent, à la suite duquel l'action minoritaire a été instaurée dans la société coopérative à responsabilité limitée. La justification de l'introduction d'une action minoritaire dans la SCRL semble uniquement résider dans un engagement pris antérieurement par le gouvernement d'harmoniser la législation relative aux SCRL avec celle qui s'applique aux SA et aux SPRL. Aucune justification du fait qu'une action minoritaire n'a pas été prévue pour la société coopérative à responsabilité illimitée ne figure dans ces travaux préparatoires.

B.8.4. L'argumentation avancée par le Conseil des ministres pour justifier la différence de traitement en cause ne trouve par conséquent aucun fondement dans les travaux préparatoires précités des lois des 18 et 20 juillet 1991.

La distinction entre les sociétés dotées de la personnalité juridique, selon qu'elles sont à responsabilité limitée ou illimitée, ne constitue pas un critère objectif et pertinent pour prévoir uniquement en faveur des associés minoritaires d'une société coopérative à responsabilité limitée — et non en faveur des associés minoritaires d'une société coopérative à responsabilité illimitée — la possibilité d'intenter une action minoritaire. »

— Quant au caractère raisonnablement justifié de la distinction:

« B.9. Le fait de prévoir une action minoritaire en faveur des actionnaires ou des associés minoritaires permet à ceux-ci d'intenter, pour le compte de la société, une action en responsabilité contre les administrateurs ou les gérants, spécialement en cas d'inaction ou de refus de la majorité de l'assemblée générale de la société concernée de prendre une telle initiative.

Il n'est pas raisonnablement justifié d'offrir cette possibilité uniquement aux actionnaires ou associés minoritaires d'une SA, d'une SPRL ou d'une SCRL et d'en priver les associés minoritaires d'une SCRI. Il en va d'autant plus ainsi que les associés minoritaires d'une société coopérative à responsabilité illimitée répondent personnellement et solidairement des dettes sociales, tandis que les associés minoritaires d'une société coopérative à responsabilité limitée, entre autres, ne sont passibles des dettes sociales qu'à concurrence de leur apport (article 352 du Code des sociétés), de sorte que les associés minoritaires d'une SCRI courent, le cas échéant, un risque patrimonial plus important en cas de fautes éventuelles de leurs gérants que les associés minoritaires d'une SCRL.

En outre, la Cour constate qu'il est possible d'intenter une action minoritaire dans la société coopérative européenne contre les administrateurs, les membres du conseil de direction et les membres du conseil de surveillance (article 993 du Code des sociétés). »

Pour les motifs précités, la présente proposition de loi vise à faire en sorte qu'au sein des sociétés coopératives à responsabilité illimitée, il soit également possible d'intenter, pour le compte de la société, une action minoritaire contre les administrateurs ou les gérants.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er

En vertu de l'article 83 de la Constitution, toute proposition de loi doit préciser si elle règle une matière visée à l'article 74, 77 ou 78 de la Constitution.

Article 2

Cet article vise à introduire, dans le Code des sociétés, la possibilité pour les actionnaires minoritaires d'une société coopérative à responsabilité illimitée (SCRI) — comme c'est déjà le cas pour les actionnaires minoritaires d'une société coopérative à responsabilité limitée — d'intenter une action en responsabilité (action minoritaire) contre les administrateurs ou les gérants, pour le compte de la société.

À cet effet, il insère dans le chapitre V (« Organes et contrôle »), titre I (« Dispositions communes à toutes les sociétés coopératives »), livre VII du Code des sociétés, une nouvelle section III réglant les modalités de l'action sociale et de l'action minoritaire pour toutes les sociétés coopératives. Le texte actuel des articles 415 à 417 du Code des sociétés relatifs à la société coopérative à responsabilité limitée est repris dans les dispositions communes à toutes les sociétés coopératives.

Le législateur répond ainsi tant au dispositif qu'à la motivation de l'arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 16 septembre 2010 (arrêt nº 102/2010, numéro de rôle 4817).

Article 3

Cet article introduit une modification technique due au fait que l'article 2 instaure la possibilité, dans toutes les sociétés coopératives — qu'elles soient à responsabilité limitée ou illimitée — d'intenter une action minoritaire.

Peter VAN ROMPUY.
Wouter BEKE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Dans le livre VII, titre I, chapitre V, du Code des sociétés, il est inséré une section III intitulée « De l'action sociale et de l'action minoritaire », comprenant les articles 384/1 à 384/3 et rédigée comme suit:

« Section III. — De l'action sociale et de l'action minoritaire.

Sous-section I. — De l'action sociale.

Art. 384/1. L'assemblée générale décide s'il y a lieu d'exercer l'action sociale contre les administrateurs ou les commissaires. Elle peut charger un ou plusieurs mandataires de l'exécution de cette décision.

Sous-section II. — De l'action minoritaire.

Art. 384/2. § 1er. Une action peut être intentée contre les administrateurs, pour le compte de la société, par des associés minoritaires.

Cette action minoritaire est intentée par un ou plusieurs associés possédant, au jour de l'assemblée générale qui s'est prononcée sur la décharge des administrateurs, des titres auxquels sont attachés au moins 10 % des voix attachées à l'ensemble des titres existant à ce jour ou possédant à ce même jour des titres représentant une fraction du capital égale à 1 250 000 euros au moins.

L'action ne peut être intentée que par ceux qui n'ont pas voté la décharge et par ceux qui ont voté cette décharge pour autant, dans ce cas, que celle-ci ne soit pas valable.

§ 2. Le fait qu'en cours d'instance, un ou plusieurs associés cessent de représenter le groupe d'associés minoritaires, soit qu'ils ne possèdent plus de titres, soit qu'ils renoncent à participer à l'action, est sans effet sur la poursuite de ladite instance ou sur l'exercice des voies de recours.

§ 3. Si les représentants légaux de la société exercent l'action sociale et que l'action minoritaire est intentée également par un ou plusieurs porteurs de titres, les instances sont jointes pour connexité.

§ 4. Toute transaction conclue avant l'intentement de l'action peut être annulée à la demande des porteurs de titres réunissant les conditions prévues au paragraphe 1er si elle n'a point été faite à l'avantage commun de tous les porteurs de titres.

Après l'intentement de l'action, la société ne peut transiger avec les défendeurs sans le consentement unanime de ceux qui demeurent demandeurs de l'action.

Art. 384/3. Si la demande minoritaire est rejetée, les demandeurs peuvent être condamnés personnellement aux dépens et, s'il y a lieu, aux dommages-intérêts envers les défendeurs.

Si la demande est accueillie, les sommes dont les demandeurs ont fait l'avance, et qui ne sont point comprises dans les dépens mis à charge des défendeurs, sont remboursées par la société. »

Art. 3

Dans le livre VII, titre II, chapitre II, du même Code, la section IV intitulée « De l'action sociale et de l'action minoritaire » est abrogée.

17 novembre 2010.

Peter VAN ROMPUY.
Wouter BEKE.