5-11COM

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Commission des Relations extérieures et de la Défense

Annales

MERCREDI 8 DÉCEMBRE 2010 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Demande d'explications de M. Jacky Morael au ministre de la Coopération au développement sur «l'attitude du gouvernement belge face à la situation des droits de l'homme en République Démocratique du Congo» (nº 5-49)

Demande d'explications de Mme Marie Arena au vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères et des Réformes institutionnelles sur «la situation des défenseurs des droits de l'homme en République Démocratique du Congo» (nº 5-97)

Mme la présidente. - Je vous propose de joindre ces demandes d'explications. (Assentiment)

M. Olivier Chastel, secrétaire d'État aux Affaires européennes, répondra.

M. Jacky Morael (Ecolo). - Je commencerai par un point de procédure. Ma demande d'explications aurait dû avoir lieu voici deux semaines. Cependant, deux autres demandes d'explications ayant été retirées de l'ordre du jour et la mienne restant seule en lice, les services du ministre de la Coopération m'ont demandé de bien vouloir la postposer, ce que j'ai fait avec plaisir. J'aurais toutefois souhaité que le ministre réponde aujourd'hui en personne à ma demande d'explications. La prochaine fois, je me montrerai plus circonspect avant d'accepter un report. Cela n'a bien entendu rien à voir avec l'estime que je porte à M. Chastel.

Le 27 octobre dernier, la commission Relations extérieures et Défense du Sénat a reçu en audition M. Dismas Kitenge, vice-président de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, à propos de la situation des droits de l'homme en République démocratique du Congo.

Les médias, et parfois les chancelleries, ont le regard braqué sur les zones les plus conflictuelles, à savoir l'Est du pays, en particulier, le Kivu. Malheureusement, la situation est préoccupante sur l'ensemble du territoire, jusque dans la capitale où l'on constate des intimidations et des morts suspectes d'opposants politiques et de militants des droits de l'homme, des brimades envers des associations et la société civile, l'absence totale d'indépendance de la Justice, par ailleurs mal équipée et irrégulièrement rémunérée, des entraves répétées au travail des journalistes, l'impunité quasi totale des services de renseignement et de protection du président Kabila et la création de forces de sécurité parallèles. Autant d'indices qui montrent que le pays ne se trouve pas dans une phase d'amélioration des processus démocratiques et de la démocratie interne ; tout au plus s'agit-il d'une stabilisation d'une situation en tous points intolérable.

J'avais été frappé du fait que, lors de sa conférence de presse au Sommet de la francophonie à Montreux, le président Joseph Kabila avait annoncé sa ferme intention de « mettre fin au régime d'impunité qui sévissait en RDC ». La Ligue des droits de l'homme s'est montrée très circonspecte et pour le moins sceptique face à cette annonce vu les antécédents du pouvoir en place et vu le peu d'empressement à prendre des mesures concrètes pour mettre en oeuvre cette déclaration.

J'ai été tout aussi surpris, quelques jours plus tard, par les déclarations de l'ambassadeur de Belgique à Kinshasa qui annonçait que la Belgique plaiderait au Club de Paris l'annulation de la dette multilatérale du Congo.

J'avais donc déposé la présente demande d'explications et entre-temps, le 23 novembre, j'ai appris par la presse, qu'une semaine plus tôt, le Club de Paris - je ne sais s'il a suivi les injonctions de notre ambassadeur - venait effectivement de décider l'annulation de la totalité de la dette du Congo à l'égard de ses bailleurs de fonds, soit 7,35 milliards de dollars, ce qui n'est pas négligeable.

Par ailleurs, cette annulation de la dette s'est faite en l'absence de toute conditionnalité. Je ne suis pas un fervent partisan de la conditionnalité à tout prix, mais il faut savoir qu'à partir de la fin novembre 2011 jusqu'en août 2013, se succéderont en RDC pas moins de sept rendez-vous électoraux - deux tours des élections présidentielles, élections sénatoriales, élections locales pour les gouverneurs, maires, maires adjoints, etc. Ce processus sera difficile à mettre en place et impliquera des coûts pour la RDC. Celle-ci a déjà sollicité et obtenu dans le passé l'aide financière de la Belgique, ce qui est une bonne chose.

Le gouvernement belge donne l'impression de privilégier à tout prix ses bonnes relations avec le régime du président Kabila et de vouloir éviter autant que faire se peut les sujets qui risquent de fâcher. Il me semble pourtant que ce calendrier électoral très fourni lui donne l'occasion de demander des efforts concrets au régime congolais afin de mettre en oeuvre des avancées concrètes et vérifiables en matière de démocratie, de respect des droits de l'homme, de respect de la société civile, du travail des journalistes, de bonne gouvernance et de bon fonctionnement de la justice.

Le gouvernement belge a-t-il déjà fait part d'un tel souhait au régime de la RDC ? La Belgique n'a-t-elle pas commis une erreur lorsqu'elle s'est associée aux pays membres du club de Paris pour demander une annulation sans conditions de la dette multilatérale de la RDC envers ses bailleurs de fonds ?

Vous aurez compris que ma demande d'explications ne se veut aucunement agressive à l'égard des autorités de la République démocratique du Congo, bien au contraire, mais tout en veillant à la stabilité politique sur place, nous devons essayer d'obtenir des avancées concrètes, vérifiables, en matière de bonne gouvernance et de démocratie. Je remercie le gouvernement pour sa réponse qui, je l'espère, apaisera mes doutes.

Mme Marie Arena (PS). - Selon les défenseurs des droits de l'homme que nous avons rencontrés, la situation des droits humains au Congo s'est détériorée de manière inquiétante ces derniers mois. M. Floribert Chebeya, président de la « Voix des sans voix », une organisation de défense des droits de l'homme, a été assassiné au mois de juin, à quelques jours des festivités de l'Indépendance du Congo. La disparition de cet homme estimé et apprécié dans le monde entier pour son engagement a créé un grand choc et a beaucoup inquiété toutes les organisations internationales.

La répression contre les activistes des droits humains au Congo se serait amplifiée depuis l'année dernière. Ils seraient arrêtés arbitrairement, intimidés et régulièrement menacés de mort. « Les autorités gouvernementales ont radicalisé leur position vis-à-vis des voix contestataires, qu'elles soient politiques, associatives ou syndicalistes », indique la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme dans un rapport intitulé « La dérive autoritaire ».

De plus en plus d'ONG craignent que le contexte électoral - des élections sont prévues en 2011, 2012 et 2013 - renforce les violations des droits humains. Les observateurs des Nations unies ont confirmé cette situation. Le rapporteur spécial de l'ONU sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Philip Alston, est allé jusqu'à déclarer que les circonstances du meurtre de M. Floribert Chebeya « suggèrent fortement une responsabilité officielle ». M. Ban Ki-moon, secrétaire général de l'ONU, a quant à lui attiré l'attention sur la nécessité de faire en sorte que l'enquête sur la mort de M. Chebeya ainsi que sur tous les cas similaires soit menée de manière approfondie, transparente et indépendante, et dans le plein respect des procédures en vigueur dans un État de droit.

Le soutien des défenseurs des droits de l'homme fait partie intégrante de la politique extérieure de l'Union européenne en matière de droits de l'homme. L'Union européenne a élaboré des orientations visant à émettre des suggestions concrètes pour améliorer son action dans ce domaine. Pour l'Union européenne, un des objectifs de ces guidelines est d'aider les missions de l'Union européenne, c'est-à-dire notamment les ambassades et les consulats des États membres, à définir leur approche à l'égard des défenseurs des droits de l'homme.

En effet, dans de nombreux pays tiers, ces ambassades et consulats constituent la principale interface entre l'Union européenne et ses États membres et les défenseurs des droits de l'homme sur le terrain.

L'Union européenne invite notamment les ambassades et les consulats à élaborer des stratégies locales de mise en oeuvre de ces lignes directrices et à organiser au moins une réunion annuelle réunissant défenseurs des droits de l'homme et diplomates afin de discuter, entre autres, de la situation locale en la matière. Elle les invite aussi à agir en coopération étroite et à échanger des informations concernant les défenseurs des droits de l'homme et à prévoir des mesures rapides pour aider et protéger les défenseurs des droits de l'homme en danger dans des pays tiers, en délivrant, par exemple, lorsque cela s'avère opportun, des visas d'urgence et en favorisant leur accueil provisoire dans les États membres de l'Union européenne.

J'aimerais poser plusieurs questions concernant cette détérioration des droits de l'homme et l'application de ces guidelines.

De quelles informations disposez-vous concernant la situation des défenseurs des droits de l'homme au Congo ? Confirmez-vous les difficultés évoquées dans cette demande d'explications et, de manière plus générale, par les organisations de défense des droits de l'homme ?

Comptez-vous aborder la question des droits de l'homme avec votre homologue congolais lors de vos prochains entretiens ?

Comment la Belgique met-elle en oeuvre les lignes directrices de l'Union européenne en RDC ?

Qu'en est-il du déroulement de l'enquête concernant la mort de Floribert Chebeya et la disparition de son chauffeur ?

Pouvez-vous aussi fournir des éclaircissements concernant la famille de Floribert Chebeya et celle de son chauffeur ? Ces familles auraient demandé l'aide de notre ambassade. On sait que la famille de M. Chebeya a finalement été accueillie au Canada. Par contre, les demandes formulées à la Belgique concernant la famille de son chauffeur n'ont apparemment pas encore reçu de réponse. Quelle décision a-t-elle été prise concernant l'accueil de ces personnes qui sont également en danger ?

Mevrouw Sabine de Bethune (CD&V). - Ook de CD&V-fractie maakt zich zorgen over de evolutie van de mensenrechten in Congo en over het lot van de heer Chebeya en zijn chauffeur. We betuigen onze solidariteit met hun families. Ik kijk uit naar het antwoord van de minister van Buitenlandse Zaken.

M. Olivier Chastel, secrétaire d'État aux Affaires européennes. - Je vous lis les réponses des ministres Michel et Vanackere, en commençant par celle du ministre de la Coopération au développement.

Les dimensions de gouvernance et de démocratie n'ont absolument pas été délaissées dans la politique de coopération au développement menée vis-à-vis de la République démocratique du Congo. Au contraire, elles se situent au centre du programme indicatif de coopération que nous avons arrêté avec la RDC en décembre dernier. Les questions de renforcement institutionnel et de gouvernance sont donc au centre de l'action et du dialogue politique de la Belgique avec les autorités congolaises. Cela signifie notamment, à titre d'exemple, que la Belgique mène des études de gouvernance dans les trois principaux secteurs d'intervention - pistes, agriculture et formation professionnelle - afin de mieux répondre au besoin de renforcement institutionnel et de gouvernance.

C'est pour rappeler l'importance de la gouvernance pour le développement de la RDC que l'on a introduit une tranche incitative dans le programme indicatif de coopération. Cette tranche incitative est liée à la réalisation d'avancées concrètes dans le domaine de la gouvernance et de la démocratie.

Pour rappel, les critères retenus conjointement avec les autorités pour cette tranche incitative sont les suivants : le bon déroulement, avant la fin 2011, du processus électoral, la volonté d'améliorer substantiellement le classement de la RDC dans le rapport Doing Business de la Banque mondiale, la volonté d'arriver à un indicateur Country Performance and Institutional Assessment - CPIA - supérieur ou égal au niveau actuel et, enfin, la volonté de poursuivre les progrès avec le FMI et d'arriver à des révisions positives successives, par le FMI, de la Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance ou FRPC.

La Belgique entretient un dialogue politique régulier avec la RDC sur ces différents éléments. Avant la fin de 2011, une réunion spéciale du Comité des partenaires évaluera l'évolution des engagements des deux parties.

La Belgique n'a pas attendu l'organisation des élections générales de 2011 pour lier notre appui à la RDC à des progrès concrets en matière de gouvernance et de démocratie. Il est vrai que ces élections offriront une opportunité supplémentaire de dialogue sur ces questions, avec notre partenaire congolais. Les premières élections locales, par exemple, seront sans conteste un pas important de la RDC vers plus de démocratie locale, plus proche du citoyen. La Belgique appuiera ces élections en tant que membre du comité de pilotage et suivra de près leur préparation et leur bon déroulement. Tout cela constitue un critère pour la tranche incitative du programme.

Dans cet esprit, le ministre de la Coopération au développement n'a pas plaidé pour une annulation inconditionnelle de la dette de la RDC. Ce pays a atteint le point d'achèvement, dans le cadre de l'initiative « Pays pauvres très endettés ». En juin dernier, il était éligible pour des annulations de dettes, y compris dans notre pays.

Lors des réunions du Club de Paris, plusieurs bailleurs ont fait état de leurs inquiétudes, notamment quant à l'évolution du climat des affaires. À l'instar de la politique qu'il a toujours menée à l'égard de la RDC, le ministre porte une grande attention à la gouvernance économique et aux inquiétudes soulevées par certains bailleurs, dont la Banque mondiale. Même si la Belgique était globalement en faveur de l'annulation de la dette de la RDC, elle a rappelé, lors des réunions du Club de Paris, l'importance de cette gouvernance, y compris de la gouvernance économique, pour le développement de ce pays.

La situation des défenseurs des droits de l'homme au Congo fait elle aussi l'objet d'une attention constante de la Belgique. Le ministre des Affaires étrangères confirme tous les problèmes que vous avez évoqués, en particulier la crainte d'une aggravation des difficultés rencontrées par les défenseurs des droits de l'homme, plus on se rapproche des prochaines élections.

La question des droits de l'homme et en particulier le sort réservé à leurs défenseurs constitue un thème récurrent de toutes les discussions officielles de la Belgique avec le gouvernement congolais. La mise en oeuvre des lignes directrices de l'Union européenne en ce qui concerne les défenseurs des droits de l'homme est gérée de manière coordonnée par les ambassades européennes présentes dans les pays tiers. À Kinshasa, la dernière réunion annuelle entre les diplomates européens et les défenseurs a eu lieu le 27 mai 2010. La stratégie locale de mise en oeuvre des lignes directrices a été actualisée pendant le premier semestre de cette année.

Plusieurs représentants des ambassades européennes sur place ont par ailleurs été désignés officiers de liaison européens, avec les défenseurs des droits de l'homme. L'ambassade maintient des contacts directs avec les défenseurs des droits de l'homme et la Belgique soutient l'ONG Protection International en RDC, qui vise à aider les défenseurs des droits de l'homme. Un appui financier en faveur d'ONG congolaises de défense des droits de l'homme est actuellement à l'étude.

Le procès des meurtriers présumés de Floribert Chebeya s'est ouvert, comme vous le savez, le 12 novembre, devant la Cour militaire de Kinshasa. L'Union européenne comme la Belgique suivent le procès de très près. Les chefs de mission de l'Union européenne en RDC se sont ainsi mis d'accord pour assurer la présence d'un délégué de l'Union européenne à chaque séance du procès, afin d'en surveiller le bon déroulement.

Le chauffeur de Floribert Chebeya, Fidèle Bazana, est toujours porté disparu et l'enquête ne semble malheureusement pas progresser. Très vite, le Canada s'est porté candidat pour accueillir la famille de M. Chebeya. La Belgique, quant à elle, avait pris toutes les dispositions pour que le transit de la famille se passe dans notre aéroport national. C'est finalement via Paris que la famille a rejoint le Canada.

Quant à votre question complémentaire relative à la famille du chauffeur de M. Chebeya, je ne dispose pas ici d'éléments de réponse mais je peux évidemment demander au département de vous les transmettre par écrit.

M. Jacky Morael (Ecolo). - Les réponses que vient de nous transmettre le secrétaire d'État ne me rassurent guère. Sous réserve d'une lecture plus détaillée de la version écrite de ces réponses, la conclusion que je tire est que nous assistons à la poursuite pure et simple de la politique menée depuis quelques années par le gouvernement belge à l'égard de la République démocratique du Congo. Si cette politique, née d'une bonne volonté, a souvent été positive, on ne peut pas dire qu'elle ait vraiment porté ses fruits et qu'elle ait donné des résultats concrets et tangibles. Au contraire, comme Mme de Bethune l'a rappelé, nous constatons plutôt une dégradation en termes de droits de l'homme, de démocratie et de gouvernance.

J'espère que nos interventions respectives seront de nature à susciter dans le chef du gouvernement la question de savoir s'il n'est pas temps d'infléchir quelque peu la politique belge à l'égard de la RDC de façon à inciter davantage la République démocratique du Congo à redoubler d'efforts dans le domaine du respect des droits de l'homme. Les faits évoqués montrent bien qu'il subsiste des choses que ne peut tolérer un État de droit et que ne sauraient accepter ni la Belgique ni l'Union européenne.

Mme Marie Arena (PS). - Je me joins à cette inquiétude. J'entends bien que les différentes commissions, concernant les guidelines de l'Europe, ont été mises en place en mai mais l'assassinat a eu lieu en juin. Des mesures plus contraignantes ont-elles été prises concernant la dégradation des droits de l'homme ? Nous parlons de l'assassinat de Floribert Chebeya, de la disparition de son chauffeur en juin mais aussi d'arrestations, de menaces de mort. Il est donc essentiel que nous adoptions un dispositif de crise pouvant être actionné face à une telle détérioration des droits de l'homme dans un pays comme la RDC.

Il serait donc intéressant que nous puissions débattre de ces problèmes avec les deux ministres compétents pour voir dans quelle mesure la Belgique pourrait rendre ses exigences plus contraignantes en matière de respect des droits de l'homme.