5-593/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

10 DÉCEMBRE 2010


Proposition de loi modifiant la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financiers, en vue de limiter le champ d'application personnel

(Déposée par M. Wouter Beke)


DÉVELOPPEMENTS


La loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financiers (Moniteur belge du 1er février 2005) (ci-après la « loi relative aux sûretés financières ») mettait en œuvre la directive européenne 2002/47/CE du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière (« directive collatérale »).

Mais dans son exécution, cette loi va nettement au-delà de la directive précitée, qui vise uniquement à soumettre les professionnels à la réglementation. Le champ d'application personnel de la « directive collatérale » se limite aux conventions constitutives de sûreté réelle qui sont conclues entre un constituant de garantie et un preneur de garantie qui appartiennent tous deux à l'une des catégories visées à l'article 1.2 (1) . La loi, quant à elle, possède un champ d'application ratione personae beaucoup plus étendu que celui de la directive:

« La loi est, en effet, toujours applicable lorsque les deux parties aux conventions constitutives de sûreté réelle sont des personnes morales, sans qu'il soit requis qu'une des parties au moins appartienne à une catégorie spécifique. En outre, à une exception près, la loi est également applicable aux conventions constitutives de sûreté réelle auxquelles une ou plusieurs personnes physiques sont parties. » (traduction) (2)

Cette loi a donc pour effet de permettre non seulement aux entreprises industrielles et commerciales, mais aussi à des personnes physiques d'avoir accès à des opérations très complexes et risquées sur des produits dérivés. La seule exception au champ d'application général de cette loi est prévue à l'article 12, § 4, qui règle le transfert de propriété à titre de garantie et qui ne s'applique pas aux conventions conclues entre ou avec des personnes physiques (3) .

Selon l'exposé des motifs du projet de loi, le projet en question doit permettre aux entreprises qui présentent des excédents de caisse:

1. d'investir dans divers instruments financiers offrant des rendements financiers plus importants;

2. de bénéficier d'une liquidité de marché plus élevée; et

3. d'accéder aux opérations sur instruments dérivés (4) .

S'agissant des personnes physiques, les arguments avancés sont les suivants:

1. seules des personnes physiques fortunées sont visées par la loi;

2. les personnes physiques peuvent, en tant qu'acheteurs de risques, enregistrer un rendement plus élevé sur leurs investissements et exercer une influence baissière sur le prix de la cession des risques;

3. les personnes physiques peuvent, de ce fait, participer à des opérations sur les marchés des capitaux (5) .

Lors des débats parlementaires concernant le projet de loi, un intervenant s'était déjà ouvertement demandé si les dispositions du projet tenaient suffisamment compte des différences en termes de connaissances et de compétences entre, d'une part, les professionnels et, d'autre part, les personnes physiques (6) . Cette question a d'ailleurs aussi été posée au niveau européen. Un consensus s'est rapidement dégagé sur la nécessité de limiter la réglementation aux entreprises financières et de prévoir des règles particulières pour garantir la protection des personnes physiques (7) .

Durant ces mêmes travaux préparatoires du projet de loi, le gouvernement a rappelé, par la bouche du ministre des Finances, que, sur le plan économique, la loi poursuivait deux objectifs principaux: d'une part, veiller à la stabilité financière en maîtrisant le risque de contagion selon lequel la défaillance d'un établissement peut s'étendre à d'autres avec lesquels des liens étroits existent et, d'autre part, assurer la croissance économique (8) .

Récemment toutefois, tout le monde a pu se rendre compte des conséquences des pratiques spéculatives portant sur les produits dérivés, qui ont valu des pertes considérables à plusieurs entreprises clientes des banques et à un certain nombre de particuliers fortunés. La loi qui visait avant tout à garantir la stabilité financière en prévenant la contagion financière a créé les conditions propices à une plus grande dispersion des risques parmi les personnes non financières, produisant ainsi l'effet contraire à celui recherché.

En investissant dans certains produits dérivés, les entreprises non financières et les personnes physiques peuvent sans doute générer des bénéfices potentiellement plus élevés qu'en recourant aux méthodes d'investissement classiques. Mais il ne faut pas perdre de vue la logique financière selon laquelle des bénéfices potentiellement plus élevés vont de pair avec des risques plus élevés. Étant donné qu'il est préférable de laisser aux investisseurs professionnels et aux institutions financières le soin de prendre ces risques élevés, puisqu'ils disposent de l'expertise suffisante et d'un personnel formé techniquement pour estimer adéquatement le risque lié à certains instruments financiers et à certaines sûretés financières, le champ d'application ratione personae de la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières est défini plus clairement et limité aux entreprises financières.

La Cour constitutionnelle a récemment dit pour droit, en réponse à une question préjudicielle posée par le juge des saisies du Tribunal de première instance de Neufchâteau, qu'« en ce qu'ils sont applicables à des personnes physiques qui n'ont pas la qualité de commerçant au sens de l'article 1er du Code de commerce, les articles 14 et 15, § 1er, de la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financiers violent les articles 10 et 11 de la Constitution (9) . » L'affaire en question concernait un établissement de crédit qui affirmait qu'une convention de netting était opposable aux autres créanciers d'une personne physique qui avait introduit une requête en règlement collectif de dettes. L'établissement de crédit tentait d'échapper ainsi à la règle du concours. La Cour a examiné la différence de traitement entre les créanciers qui peuvent se prévaloir d'une telle convention de netting et ceux qui ne le peuvent pas et qui se voient dès lors appliquer la règle du concours en application des articles 1675/7 et 1675/9 du Code judiciaire. Elle a confirmé, ainsi qu'il est précisé ci-avant, qu'il y avait bien discrimination en l'espèce.

Pour toutes les raisons précitées, une modification du champ d'application personnel de la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières s'impose.

La directive 2009/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 modifiant la directive 98/26/CE concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres et la directive 2002/47/CE concernant les contrats de garantie financière, en ce qui concerne les systèmes liés et les créances privées, a été publiée le 10 juin 2009 au Journal officiel de l'Union européenne (JO, 10 juin 2009, L 146/37). Elle doit être transposée en droit belge au plus tard le 30 décembre 2010 et ses dispositions doivent être applicables à partir du 30 juin 2010.

La directive précitée modifie notamment le champ d'application personnel tel qu'il est défini à l'article 1er, alinéa 2, de la directive 98/26/CE concernant le caractère définitif du règlement dans les systèmes de paiement et de règlement des opérations sur titres et dans la directive 2002/47/CE concernant les contrats de garantie financière, en ce qui concerne les systèmes liés et les créances privées. Le texte de la présente proposition de loi tient déjà compte des dispositions de la directive en question.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er

En vertu de l'article 83 de la Constitution, toute proposition de loi doit préciser si elle règle une matière visée à l'article 74, 77 ou 78 de la Constitution.

Article 2

Cet article limite le champ d'application personnel de la loi relative aux sûretés financières du 15 décembre 2004 aux catégories de professionnels qui relèvent du champ d'application de la directive européenne 2002/47/CE du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière.

Étant donné que l'article 1er, 3º, alinéa 1er, de ladite directive prévoit que les États membres peuvent exclure certaines personnes du champ d'application de la directive et que ces catégories n'entrent pas dans le champ d'application de la présente proposition de loi, la Commission européenne doit en être informée, conformément à l'alinéa 2 de l'article précité.

Article 3

Comme l'article 2 de la proposition de loi définit clairement le champ d'application ratione personae, il n'est plus nécessaire qu'un paragraphe distinct dispose que les contrats entre ou avec des personnes physiques sont exclus du champ d'application de l'article 12 de la loi précitée, qui règle le transfert de propriété à titre de garantie.

Article 4

Cet article règle la date d'entrée en vigueur des nouvelles dispositions légales.

Wouter BEKE.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 4 de la loi du 15 décembre 2004 relative aux sûretés financières et portant des dispositions fiscales diverses en matière de conventions constitutives de sûreté réelle et de prêts portant sur des instruments financiers est complété par un paragraphe 3 rédigé comme suit:

« § 3. La présente loi s'applique aux catégories de personnes suivantes:

1º une autorité publique (à l'exception des entreprises bénéficiant d'une garantie de l'État, sauf si elles relèvent des catégories 2º, 3º, 4º ou 5º), y compris:

a) les organismes du secteur public des États membres chargés de la gestion de la dette publique ou intervenant dans ce domaine, et

b) les organismes du secteur public des États membres autorisés à détenir des comptes pour leurs clients;

2º une banque centrale, la Banque centrale européenne, la Banque des règlements internationaux, une banque multilatérale de développement définie dans la partie 1, section 4, de l'annexe VI de la directive 2006/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, le Fonds monétaire international et la Banque européenne d'investissement;

3º un établissement financier soumis à une surveillance prudentielle, y compris:

a) un établissement de crédit au sens de l'article 1er, alinéa 2, de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit, à l'exception des établissements définis à l'article 2, § 1er, de la même loi;

b) une entreprise d'investissement au sens de l'article 44 de la loi du 6 avril 1995 relative au statut et au contrôle des entreprises d'investissement, à l'exception des établissements visés à l'article 45 de la même loi;

c) un établissement financier au sens de l'article 4, point 5, de la directive 2006/48/CE;

d) une entreprise d'assurance au sens de l'article 2 de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurances;

e) un organisme de placement collectif en valeurs mobilières au sens de l'article 4 de la loi du 20 juillet 2004 relative à certaines formes de gestion collective de portefeuilles d'investissement;

f) une société de gestion au sens de l'article 4 de la loi du 20 juillet 2004 relative à certaines formes de gestion collective de portefeuilles d'investissement;

4º une contrepartie centrale, un organe de règlement ou une chambre de compensation, au sens de l'article 2, respectivement les 3º, 4º et 5º, de la directive 98/26/CE, y compris les établissements assimilables régis par la législation nationale, opérant sur les marchés de contrats à terme et d'options et sur les marchés de produits financiers dérivés ne relevant pas de ladite directive, et une personne autre qu'une personne physique qui agit en qualité de fidéicommis ou de représentant pour le compte d'une ou plusieurs personnes, y compris tout porteur d'obligations ou tout porteur d'autres formes de titres de créance ou tout établissement défini aux points 1º à 4º. »

Art. 3

L'article 12, § 4, de la même loi, est abrogé.

Art. 4

La présente loi entre en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant l'expiration d'un délai de dix jours qui prend cours le lendemain de sa publication au Moniteur belge.

17 novembre 2010.

Wouter BEKE.

(1) C. Boddaert, « De wet op de financiële zekerheden van 15 december 2004 », dans X., Financieel recht. Artikelsgewijze commentaar met overzicht van rechtspraak en rechtsleer, Kluwer, 2005, 69-70 et M. Tison, « De wet Financiële Zekerheden en de notariële praktijk », novembre 2007, WP, 2007-09, 2. Voir aussi: W. Bossu, « De richtlijn betreffende financiële zekerheidsovereenkomsten: inhoudelijke analyse », dans AEDBF (red.), Bancaire en financiële zekerheden, Bruxelles, Bruylant, 2004, 240-243; M. Van Der Haegen, « Impact de la directive concernant les garanties financières de lege ferenda », dans AEDBF, Bancaire en financiële zekerheden, Bruxelles, Bruylant, 2004, 275 et F. T'kint et W. Derijcke, « La directive 2002/47/CE concernant les contrats de garantie financière au regard des principes généraux de droit de sûretés », Euredia, 2003, 45.

(2) V. Sagaert et H. Seeldrayers, « De wet financiële zekerheden », RW, 2004-2005, no 39, 1524, point 12.

(3) Ibidem, p. 1525, point 14.

(4) Doc. Chambre, no 51-1407/001, p. 10.

(5) Doc. Chambre, no 51-1407/001, p. 11.

(6) Doc. Chambre, no 51 1407/002, p. 11, intervention de M. Carl Devlies (CD&V).

(7) G. Morton, « Modernization of EU financial law: the directive on financial collateral arrangements », Euredia, 2003, 25.

(8) Doc. Chambre, no 51-1407/002, p. 5.

(9) Cour constitutionnelle, arrêt no 167/2008 du 27 novembre 2008, no de rôle 4345.