5-9COM

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Commission des Affaires sociales

Annales

MERCREDI 1er DÉCEMBRE 2010 - SÉANCE DU MATIN

(Suite)

Demande d'explications de Mme Fabienne Winckel à la vice-première ministre et ministre de l'Emploi et de l'Égalité des chances, chargée de la Politique de migration et d'asile et à la ministre de la Fonction publique et des Entreprises publiques sur «le curriculum vitae anonyme» (nº 5-47)

Mme Fabienne Winckel (PS). - Un rapport de l'OCDE de 2008 a mis en évidence, pour la Belgique, de faibles taux d'emploi pour les immigrés venant de pays n'appartenant pas à l'Union européenne. Plusieurs études récentes soulignent également que l'origine des demandeurs d'emploi a un impact significatif sur les chances de trouver un travail.

Selon certaines informations, plusieurs communes bruxelloises et entreprises privées testeraient actuellement un système de CV anonyme pour lutter contre les discriminations à l'embauche. Les communes utiliseraient ces CV pour des fonctions de niveau B et plus spécialement pour le recrutement de contrôleurs d'horodateurs. Les entreprises ayant accepté de se prêter à l'expérience auraient pour leur part décidé de prolonger le test jusque fin janvier 2011.

Une évaluation devrait conclure cette expérience et porterait sur deux points essentiels : d'une part, déterminer dans quelle mesure ces CV neutralisent réellement les discriminations et, d'autre part, vérifier si ce type de recrutement améliore significativement les chances d'embaucher la bonne personne. Le ministre bruxellois de l'Emploi a récemment répondu à une interpellation et il a admis les limites du système en précisant notamment que « ce n'est pas une formule miracle » mais un outil destiné à faire évoluer les mentalités et améliorer « la diversité ». On sait également que, si le CV anonyme permet d'éviter une présélection arbitraire, le problème reste entier en deuxième analyse, c'est-à-dire au premier entretien d'embauche.

Les expériences à l'étranger ne sont a priori pas davantage probantes. Si la France s'est dotée d'une loi obligeant le CV anonyme, celle-ci n'a pas été promulguée. Des expériences sont menées aux Pays-Bas, en Suède, en Grande-Bretagne ou encore en Suisse mais la législation n'a pas pour autant été modifiée.

En Belgique, dans la fonction publique, le CV anonyme a sa place depuis 2005 déjà grâce au SELOR, l'administration chargée du recrutement et de la sélection des candidats contractuels à une fonction publique. Selon certaines sources, il serait difficile de déterminer l'impact du système car, si l'on peut trouver des données relatives au nombre de candidats sélectionnés de la sorte, il apparaîtrait plus délicat d'obtenir des informations quant à l'ordre dans lequel ils ont été classés aux différentes épreuves. Selon certains, l'introduction du système aurait même engendré une opacité qui n'existait pas avant.

Disposez-vous, madame la ministre, d'informations complémentaires relatives à ce dossier, tant sur l'efficacité d'embauche que sur la lutte contre les discriminations ?

Mme Joëlle Milquet, vice-première ministre et ministre de l'Emploi et de l'Égalité des chances, chargée de la Politique de migration et d'asile. - De nombreux pays, comme la France, y ont déjà songé ou organisent des projets pilotes, mais sans se limiter au CV anonyme. Il s'agit de replacer cela dans le contexte de l'accès à l'emploi de certains groupes cibles, dont les personnes d'origine étrangère. En effet, de l'avis de l'ensemble des États membres de l'Union européenne, ces personnes non seulement connaissent un problème d'accès à l'emploi, mais affrontent aussi des problèmes dans leur travail sur le plan des salaires, des promotions et du respect de choix culturels ou religieux.

C'est donc une question vaste qui appelle un plan d'action large dans lequel figure un volet sur l'accès à l'emploi, qui comprend notamment le CV anonyme. Ce CV anonyme est un élément parmi d'autres d'une politique d'accès à l'emploi qui, elle-même, n'est qu'une partie de la problématique de l'emploi.

Des expériences sont menées au SELOR ; des initiatives sont prises en Région bruxelloise, en partenariat avec plusieurs communes et des entreprises. La première chose que nous demandons est une évaluation de ces expériences. Cette évaluation est attendue pour le début 2011 pour ce qui concerne l'initiative bruxelloise. Je demanderai à ma collège Inge Vervotte l'évaluation de l'expérience du SELOR. Nous disposerons ainsi des premières données chiffrées sur les retombées positives et négatives de ces tentatives.

À titre personnel, je pense que ce CV anonyme doit pouvoir être généralisé, mais que cette mesure doit être introduite par le biais de la concertation sociale. Si une telle mesure n'est pas librement appliquée, elle ne sera pas opérationnelle sur le terrain.

Je pense que dans l'accord interprofessionnel qui est en train de se négocier entre les partenaires sociaux, il faudrait inclure un volet important sur la diversité où se trouveraient des engagements des partenaires sociaux pour améliorer la diversité dans l'accès à l'emploi et dans l'emploi. Dans ce cadre, on pourrait recommander l'utilisation du CV anonyme.

Dans un premier temps, en utilisant pareil outil, les entreprises se rendront compte qu'inconsciemment, on rejette systématiquement des CV sans vraie raison de le faire. Cela permettra de donner au moins une première chance à un candidat d'avoir un entretien d'embauche. Évidemment, la discrimination, consciente ou inconsciente, peut encore se manifester pendant ou après cet entretien.

Il s'agit donc d'une technique intéressante mais insuffisante.

Par la voie de la concertation sociale, on pourrait, sur une base volontaire, généraliser cet élément et procéder à des expériences pilotes à grande échelle dans certains secteurs où se manifesterait la discrimination à l'embauche. Paradoxalement, cette discrimination est plus souvent pratiquée pour les fonctions intellectuelles, alors que pour les emplois moins qualifiés, le pas de la diversité a été franchi - même si certains problèmes subsistent - pour des raisons liées à l'offre et la demande.

Par ailleurs, ce type de politique doit s'incarner dans des plans d'action à tous les niveaux de pouvoir, en particulier les régions, par des plans d'égalité et de non-discrimination à l'emploi, s'intégrant dans une politique de groupes cibles.

Pour des raisons macro-économiques, avec la contraction du marché du travail, si nous ne menons pas des politiques ciblées sur la remise sur le marché du travail de gens qui en sont exclus, des problèmes de tension de main-d'oeuvre apparaîtront. À ceux qui n'ont pas envie de le faire pour des raisons de générosité, de respect des droits de l'homme ou de sensibilité politique, répétons qu'il s'agit d'une contrainte socio-économique. Des politiques renforcées et volontaristes doivent impérativement être menées, notamment en matière d'égalité et de diversité.

À titre personnel, je soutiens la proposition - contenue dans le plan qui aurait été présenté en avril si le gouvernement n'était pas tombé - de généraliser par entreprise d'une certaine taille des chartes d'égalité et de diversité relatives au recrutement, à l'évolution salariale, car l'écart salarial existe entre hommes et femmes comme entre autochtones et allochtones, d'évolution dans la carrière, car le même plafond de verre existe pour les personnes d'origine étrangère et pour les femmes. Les problèmes liés aux convictions, touchant notamment les congés, constituent encore une autre thématique.

À l'instar du SELOR, la fonction publique doit donner l'exemple. Il faut aussi penser à l'imposition d'objectifs chiffrés, pour une période limitée, quant à l'emploi public de personnes d'origine étrangère, surtout à Bruxelles, eu égard au taux de chômage.

Voilà un élément parmi tant d'autres d'une politique d'accès à l'emploi qui, elle-même, fait partie de la problématique de la diversité. Les évaluations nous fourniront des chiffres, que nous pourrons commenter ici.

Mme Fabienne Winckel (PS). - Je me réjouis de la réponse ministérielle, selon laquelle les partenaires sociaux s'en occupent.