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27 OCTOBRE 2010
La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 4 février 2010 (doc. Sénat, nº 4-1637/1 - 2009/2010).
Nous vivons dans une société qui évolue rapidement. Alors que, jusque tard dans le siècle dernier, il était la forme dominante de vie commune, le mariage en tant qu'institution a vu son importance décroître lentement mais sûrement. Aujourd'hui, il existe une énorme variété de formes de vie: il y a les isolés, les familles monoparentales, les cohabitants, du même sexe ou non, les familles recomposées ou atypiques, les personnes mariées, etc.
Or, à l'heure actuelle, le droit civil demeure axé en grande partie sur la famille classique et ne répond donc pas à la réalité sociale. C'est d'ailleurs ce qui est ressorti très clairement des auditions relatives à l'ouverture de l'adoption aux couples holebis, modification légale entre-temps votée par les deux Chambres du Parlement. La problématique du « parent social », en particulier, y a été exposée de manière approfondie. La plupart du temps, ce parent social, c'est-à-dire le partenaire (nouveau ou non) du parent biologique de l'enfant, se trouve en effet presque dépourvu de droits (à l'égard de l'enfant) si le parent biologique vient à décéder ou si des problèmes surviennent entre les partenaires, et/ou si une séparation en résulte. Mais ce qui importe le plus, évidemment, c'est le droit de l'enfant à bénéficier d'un lien durable à part entière avec les deux parents, y compris après la séparation.
En effet, en droit belge, les droits et devoirs entre le parent et l'enfant ne naissent ou n'existent que s'il y a un lien de filiation entre les deux, sauf en ce qui concerne le droit de visite qui peut être obtenu sur la base de l'existence attestée d'un lien affectif, ce qui requiert quasi automatiquement une procédure à l'issue incertaine. Seul le lien de filiation génère donc, par définition, des droits et des devoirs. Ce lien est constaté à la naissance de l'enfant et repose — pour dire les choses de manière quelque peu schématique — sur la réalité biologique: l'enfant descend de la mère qui l'a mis au monde (cette filiation est difficilement contestable) et du père, ou de l'homme qui a fécondé la mère (cette filiation est davantage susceptible de faire l'objet de contestations).
Dans les familles recomposées, ce lien de filiation avec l'enfant n'existe pas à l'égard du nouveau partenaire du parent. Dans ces familles, le partenaire du père ou de la mère assure en pratique une part de l'éducation de l'enfant et participe concrètement à l'exercice de l'autorité parentale. Il s'agit donc littéralement d'un « parent qui prend soin de l'enfant ». Mais cette situation de fait n'a aucun fondement juridique. Lorsque les partenaires se séparent ou lorsque le parent biologique décède, le lien entre le coparent et l'enfant est littéralement rompu. Le coparent ne peut faire valoir aucun droit à l'égard de l'enfant (droit de garde, droit de visite, ...) et, inversement, l'enfant ne peut se prévaloir d'aucun droit vis-à-vis du coparent (il ne peut pas réclamer de pension alimentaire, par exemple).
Au vu de ce qui précède, l'auteur de la présente proposition de loi a tenté par le passé de conférer un ancrage légal à la situation du coparent — également appelé « parent social » — quel que soit son sexe ou son état civil. L'auteur renvoie à cet effet à la proposition de loi instaurant des dispositions de base en matière de parenté sociale (doc. Sénat, nº 4-359/1) et à la proposition de loi instaurant l'acte légal de parenté sociale (doc. Sénat, nº 4-360/1) du 6 novembre 2007. Ces deux propositions ont également été redéposées sous la présente législature (doc. Sénat, nos 5-304/1 et 5-305/1).
Ces propositions reprennent le texte des propositions déposées à la Chambre des représentants sous la législature 2003-2007 et sont le fruit des longues discussions qui eurent lieu à l'époque au sein de la sous-commission Droit de la famille.
Au cours de la présente législature, la commission de la Justice du Sénat a entamé l'examen des nombreuses propositions de loi déposées par les différents partis au sujet de la parentalité sociale. Les discussions ont fait apparaître de grandes divergences en termes d'optiques et d'approches. Il est fort peu probable que cela débouche à court terme sur des résultats législatifs concrets.
Mieux vaut dès lors progresser pas à pas et régler aujourd'hui un aspect précis du problème plutôt que de laisser la situation en l'état en attendant une adaptation légale globale de la parentalité sociale.
La présente proposition de loi s'incrit dans le cadre de cette stratégie qui est de faire reconnaître la coparentalité lesbienne en inscrivant celle-ci dans le Code civil. C'est une manière de simplifier l'encadrement juridique de la co-maternité des femmes lesbiennes. À l'heure actuelle, la seule possibilité qui s'offre à une co-mère est d'adopter, par la procédure d'adoption, l'enfant dont son épouse ou sa partenaire cohabitante a accouché. C'est une procédure qui dure au moins six mois (si bien qu'au départ, l'enfant est inscrit au registre de la population comme enfant de mère isolée), qui impose à la co-mère l'obligation de suivre une formation de vingt heures, qui requiert l'intervention du parquet et du tribunal, qui est (souvent) assortie d'une enquête sociale — pour laquelle le consentement de la mère biologique est exigé — et qui de surcroît n'est pas sans frais.
En adaptant le Code civil sur le plan de la filiation d'origine, on peut régler la co-maternité de manière rapide, simple et correcte en termes juridiques dans l'intérêt de l'enfant, lequel bénéficie alors directement de la protection juridique de ses deux parents. Plusieurs pays ont d'ailleurs déjà procédé à cette adaptation: c'est le cas notamment de la Suède, de l'Islande, de l'Espagne, du Royaume-Uni, du Québec, de l'Afrique du Sud, de plusieurs États australiens et de plusieurs États américains. Les Pays-Bas aussi s'attachent à mettre en place cette parentalité d'origine pour les couples lesbiens.
Nous estimons qu'il est judicieux, dans le cadre des adaptations à apporter au Code civil, d'établir une distinction entre la situation des lesbiennes mariées et celle des lesbiennes non mariées, par analogie avec la distinction qui est faite pour les couples hétérosexuels. En outre, nous prévoyons dans notre proposition une solution pour les mères biologiques qui refusent de consentir à la reconnaissance de l'enfant par la co-mère, en raison, par exemple, d'un conflit ou d'une séparation survenue durant la grossesse ou juste après la naissance.
À cet effet, nous proposons concrètement d'insérer, dans le titre VII du livre Ier du Code civil, un chapitre IIbis nouveau intitulé « De l'établissement de la co-maternité lesbienne ».
Ce chapitre reprendrait, sous une forme adaptée pour les lesbiennes mariées, les dispositions des articles 315 et 318, § 4.
En ce qui concerne les lesbiennes non mariées, il est prévu que, lorsque la filiation n'est établie qu'à l'égard de la mère, la co-mère peut, en tant que deuxième parent, reconnaître l'enfant. Cette reconnaissance ne requiert donc pas l'existence d'un lien biologique.
Si la mère biologique refuse que la co-mère reconnaisse l'enfant, le tribunal statue en fonction de l'existence d'un accord, tacite ou non, entre la mère et la co-mère au sujet de la naissance de l'enfant et de l'intérêt de celui-ci.
Lorsque deux femmes font ensemble le choix d'avoir un enfant, elles doivent en assumer conjointement la responsabilité. La co-mère ne peut pas se soustraire à sa responsabilité après la naissance de l'enfant. Le cas échéant, il faudrait qu'un tribunal puisse établir sa parentalité ou à tout le moins qu'une action alimentaire puisse être intentée à son encontre. À l'inverse, la mère biologique ne peut pas non plus renier son engagement en refusant que la co-mère devienne le parent de l'enfant (ou en faisant reconnaître/adopter l'enfant par une tierce personne de sexe masculin ou féminin). Il va sans dire que le lien génétique entre l'enfant et la co-mère ne peut être un facteur décisif dans l'établissement du lien de filiation avec la co-mère (contrairement à ce qu'exige l'article 329bis pour l'établissement de la paternité). Il faut donc remplacer le critère du lien génétique par le critère relatif à l'existence d'un accord entre la mère et la co-mère (élaboré éventuellement avec l'aide du centre de fécondation) attestant que la mère biologique et la co-mère ont pris conjointement la décision de mettre un enfant au monde. Ce n'est d'ailleurs pas une nouveauté: dans la loi relative à la procréation médicalement assistée, la parentalité des auteurs du projet parental repose, elle aussi, entièrement sur la volonté des intéressés et non sur des liens génétiques.
Guy SWENNEN. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Dans le titre VII du livre Ier du Code civil, il est inséré un chapitre IIbis intitulé « De l'établissement de la co-maternité lesbienne » contenant les articles 325bis et 325ter rédigés comme suit:
« Art. 325bis. L'enfant né pendant le mariage de deux femmes ou dans les trois cents jours qui suivent la dissolution ou l'annulation de ce mariage a pour mère l'épouse.
La demande en contestation de la présomption de co-maternité n'est pas recevable si l'épouse a consenti à l'insémination artificielle ou à un autre acte ayant la procréation pour but, sauf si la conception de l'enfant ne peut en être la conséquence.
Art. 325ter. Si la filiation de l'enfant n'est établie qu'à l'égard de la mère, la co-mère lesbienne peut reconnaître l'enfant conformément à l'article 319.
Toutefois, si la mère ne donne pas son consentement, le tribunal statue, par dérogation à l'article 329bis, § 2, alinéa 3, en fonction de l'existence ou non d'un accord entre la mère et la co-mère de l'enfant et, en tout cas, dans l'intérêt de l'enfant. »
24 septembre 2010.
Guy SWENNEN. |